AEP24 à la Haye : Madagascar propose l'intégrité du "crime de capture d'État" à la CPI
- TAHINISOA Ursulà Marcelle
- il y a 1 jour
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Le 1er décembre 2025, à La Haye, lors de la 24ᵉ session de l’Assemblée des États Parties au Statut de Rome, Madagascar a porté une proposition à forte portée symbolique et politique. La Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, Fanirisoa Ernaivo, y a présenté l’idée d’intégrer le « crime de capture d’État » dans la liste des crimes poursuivis par la Cour pénale internationale. Au-delà de la technicité juridique, la démarche s’inscrit dans un moment où la question de la corruption systémique et de la domination des institutions par des intérêts privés ou partisans occupe une place centrale dans les débats publics. En demandant l’inscription de cette infraction au sein du cadre de la CPI, Madagascar affirme une ambition : faire reconnaître au niveau international la gravité d’un phénomène qui dépasse, selon les termes de l’intervention, la corruption ordinaire, car il s’attaque au cœur même de l’État et de sa capacité à servir l’intérêt général.
L’annonce a été formulée dans un contexte solennel, celui d’une assemblée réunissant les États parties au Statut de Rome. En exposant sa proposition, la Ministre a défendu l’idée que certaines formes de corruption ne sont pas seulement des délits internes, mais des atteintes profondes à la souveraineté populaire, aux ressources nationales et à l’État de droit. L’initiative malgache se veut ainsi une contribution à l’évolution du droit pénal international, au bénéfice des populations, en particulier lorsque les mécanismes internes de contrôle et de justice se trouvent eux-mêmes neutralisés par la capture.

Une proposition portée à La Haye : le sens politique d’un geste juridique
Dans l’enceinte de l’Assemblée des États Parties, Fanirisoa Ernaivo a présenté une initiative qualifiée de majeure : reconnaître le crime de capture d’État au sein du Statut de Rome. Le choix de ce lieu et de ce cadre lui confère un poids particulier. L’Assemblée des États Parties n’est pas un espace de déclaration isolée ; elle est l’instance où se discutent les orientations, les évolutions et les priorités de la justice pénale internationale. En y prenant la parole, Madagascar place son initiative au niveau le plus élevé de la construction normative de la CPI.
La proposition répond à une lecture du monde où la violence contre les populations ne passe pas uniquement par des armes ou des conflits ouverts. Elle passe aussi, selon cette approche, par des stratégies de domination invisibles, capables de transformer l’État en outil privé. Le terme « capture d’État » traduit l’idée d’un détournement méthodique : les institutions, les décisions publiques et les ressources naturelles ne sont plus orientées vers l’intérêt collectif, mais mises au service d’un cercle restreint. Cette appropriation s’exerce à travers des mécanismes puissants, souvent durables, qui restructurent la gouvernance dans son ensemble.
En faisant de cette capture un crime international, la démarche veut franchir un seuil. Elle suggère que certaines configurations de corruption systémique atteignent un degré de gravité comparable aux crimes déjà reconnus par la CPI. Il ne s’agit plus d’actes opportunistes ou isolés. Il s’agit d’une prise de contrôle des leviers politiques, administratifs et économiques qui prive la société de son droit à un État impartial. La ministre n’a pas présenté ce crime comme une catégorie abstraite, mais comme la description d’un enchaînement de pratiques capables d’annuler de facto les garanties démocratiques.
Madagascar, en annonçant cette demande, réaffirme, selon les termes de la session, son engagement contre l’impunité. La prise de parole met en avant une volonté de transparence et de renforcement de l’État de droit, à la fois sur le plan national et international. Dans cette perspective, l’initiative n’est pas seulement un appel à l’action extérieure ; elle est un acte de positionnement. Elle dit quelque chose de la manière dont le pays souhaite être perçu : un acteur qui veut contribuer à la réforme du droit pénal international et pas seulement en être bénéficiaire.
Le crime de capture d’État : une corruption d’un autre ordre
Au cœur de la proposition se trouve une définition implicite mais claire : le crime de capture d’État est une forme grave de corruption systémique. La ministre l’a décrit comme une situation où des individus ou des groupes influents s’approprient, détournent ou contrôlent les institutions de l’État, les décisions publiques et les ressources naturelles à des fins personnelles. Cette description met en évidence plusieurs dimensions.
La première est institutionnelle. La capture n’est pas un acte périphérique. Elle vise directement les structures de l’État. Les institutions, au lieu d’être des garantes de l’intérêt général, sont instrumentalisées. Cela peut concerner l’administration, la justice, les organes de régulation, les autorités chargées de la gestion des ressources. La capture implique de contrôler les lieux où se prennent les décisions, d’y imposer des loyautés privées et d’y neutraliser les contre-pouvoirs.
La deuxième dimension est décisionnelle. La capture d’État ne se limite pas au détournement de fonds ou à l’enrichissement illicite. Elle porte sur l’orientation même des politiques publiques. Les décisions de l’État, qu’elles concernent l’économie, les marchés publics, les priorités sociales ou la réglementation, sont façonnées pour servir des intérêts exclusifs. C’est une corruption qui s’insinue dans l’architecture de la décision, au point d’en modifier la finalité.
La troisième dimension est économique et patrimoniale. La proposition insiste sur le contrôle des ressources naturelles. Dans cette lecture, un État capturé ne protège plus son patrimoine commun. Il le met à disposition d’un réseau qui en tire un avantage privé. La capture n’est donc pas seulement une atteinte à la morale publique ; elle se traduit par une perte concrète de richesses, une réduction des capacités de développement et un accroissement des inégalités.
Ce faisceau d’éléments distingue la capture d’État de la corruption ordinaire. Là où la corruption classique peut être ponctuelle, la capture est systémique. Là où l’abus peut être circonscrit à un service ou à un contrat, la capture structure la gouvernance entière. Elle crée un environnement où les règles sont fabriquées par ceux qui doivent, en principe, s’y soumettre. Elle transforme l’État en prolongement d’un pouvoir privé.
Le choix des mots dans la proposition est révélateur. Il est question de « formes profondes » et de « mécanismes puissants ». Cela renvoie à des phénomènes capables de durer, de se transmettre, de s’adapter. Les acteurs de la capture ne cherchent pas seulement un gain immédiat ; ils instaurent des conditions qui garantissent la reproduction de leur domination. Le crime de capture d’État, tel que défendu à La Haye, vise précisément cette dimension structurelle.
Pourquoi l’inscrire dans le Statut de Rome : l’enjeu de l’internationalisation
L’inscription du crime de capture d’État dans le cadre de la CPI est, en soi, une rupture. Le Statut de Rome constitue le socle de la compétence de la Cour. Y intégrer une nouvelle infraction revient à reconnaître son caractère universellement grave, au point de légitimer l’intervention d’une juridiction internationale.
La proposition malgache repose sur une logique simple : lorsque l’État est capturé, les mécanismes internes de sanction deviennent fragiles. Les institutions chargées de contrôler la corruption peuvent être neutralisées, les procédures judiciaires entravées, les enquêtes orientées ou bloquées. Dans un tel contexte, l’impunité devient un système. L’internationalisation du crime se présente alors comme un filet de sécurité, un recours ultime pour empêcher que la capture ne soit irréversible.
Reconnaître ce crime au niveau international, c’est aussi envoyer un signal politique au-delà des frontières. La démarche vise à établir une norme, un seuil de tolérance zéro face aux formes les plus graves de corruption systémique. Elle dit que la capture d’État n’est pas un simple dysfonctionnement politique ; elle constitue une atteinte à la communauté internationale dès lors qu’elle détruit les fondements mêmes de la gouvernance publique.
La proposition suggère par ailleurs un lien direct entre capture d’État et atteintes aux populations. Même si la CPI est traditionnellement associée aux crimes de masse, l’initiative met l’accent sur la portée humaine de la corruption systémique. Un État capturé devient incapable de garantir les droits, d’assurer les services essentiels, de protéger les ressources communes. Les conséquences sociales peuvent être diffuses, mais elles sont potentiellement immenses : pauvreté aggravée, inégalités renforcées, confiance publique détruite, violences indirectes liées à l’absence de régulation.
En plaçant la capture dans le champ pénal international, Madagascar invite la CPI à regarder autrement certaines réalités contemporaines. Les menaces contre les populations ne se limitent pas toujours à des événements spectaculaires. Elles peuvent s’installer par des processus de prédation lente, où le crime ne se voit pas immédiatement, mais où les effets s’accumulent et fragilisent des générations entières. Le crime de capture d’État devient alors un outil pour penser la protection des sociétés dans la durée.
L’initiative ouvre aussi un débat sur l’évolution du droit pénal international. Chaque ajout au Statut de Rome est, par définition, une décision lourde. Elle suppose un travail collectif, une reconnaissance partagée de la gravité du phénomène. En proposant cette infraction, Madagascar ne se contente pas de dénoncer une réalité ; il suggère un chemin pour la traiter juridiquement, en la nommant et en la rendant justiciable devant une instance mondiale.
Madagascar et la lutte contre l’impunité : un engagement revendiqué
La proposition présentée à l’AEP24 s’inscrit dans une ligne politique explicitée dans l’intervention : Madagascar réaffirme son engagement ferme dans la lutte contre l’impunité et la corruption, et dans la construction d’un État de droit fort et transparent. Cette réaffirmation n’est pas un simple rappel de principes. Elle est une manière de relier l’action internationale à une volonté nationale.
Parler de capture d’État revient à reconnaître la complexité des défis contemporains. Le pays ne présente pas cette initiative comme une posture isolée, mais comme une contribution à un combat plus large. Cette contribution a deux faces.
La première concerne la cohérence interne. En défendant au niveau international la reconnaissance d’un crime lié à la corruption systémique, Madagascar renvoie l’image d’un État conscient de la nécessité d’affronter ce type de menace. L’initiative s’apparente à une déclaration d’intention : la corruption ne doit pas être traitée comme une fatalité ou une affaire marginale ; elle doit être combattue comme un danger majeur pour la société.
La seconde face est externe. Madagascar se positionne comme un acteur moteur et assume un rôle dans l’évolution du droit pénal international. Dans un univers diplomatique où les États sont souvent perçus à travers ce qu’ils subissent, le pays affirme ici ce qu’il propose. La démarche est présentée comme un geste en faveur des populations et de la gouvernance intègre. Elle suggère que les États ont la responsabilité de renforcer les outils communs pour empêcher l’enracinement d’un pouvoir illégitime.
La ministre, en portant cette initiative, met en avant une vision qui dépasse le cadre strictement national. La capture d’État est présentée comme un phénomène transnational par ses effets et par ses mécanismes. Les réseaux d’influence, la prédation des ressources, la manipulation des institutions peuvent s’articuler avec des intérêts extérieurs. Les conséquences traversent les frontières, que ce soit par l’érosion de la confiance dans les institutions, la destruction de patrimoines communs ou les déséquilibres économiques qu’elle entraîne.
Ce positionnement de Madagascar peut aussi être lu comme une invitation adressée aux autres États : reconnaître la capture d’État, c’est accepter d’interroger la manière dont les systèmes politiques peuvent être pervertis de l’intérieur. C’est poser que certains actes, parce qu’ils détruisent la capacité de l’État à fonctionner, constituent une menace pour la stabilité et le développement des nations.
Les défis d’une reconnaissance internationale : questions ouvertes et perspectives
La proposition malgache ouvre un chantier exigeant. Même si l’intervention à La Haye la présente comme une nécessité, elle soulève des questions de fond qu’il faudra trancher dans le cadre des discussions entre États parties.
Le premier défi est celui de la définition juridique. Le terme « capture d’État » décrit une réalité politique et sociologique. Pour intégrer cette notion au Statut de Rome, il faut la traduire en éléments constitutifs clairs : quels actes précis caractérisent la capture, quels seuils de gravité permettent de qualifier le crime, quelles intentions doivent être démontrées. L’ambition est d’englober les formes les plus graves de corruption systémique sans diluer la notion au point de la rendre impraticable.
Le second défi est celui de la preuve. Un crime international exige un niveau de démonstration rigoureux. Or la capture d’État repose souvent sur des réseaux d’influence, des décisions administratives apparemment régulières, des manipulations indirectes. C’est un crime dont la nature peut être dissimulée par des apparences de légalité. La question sera donc de savoir comment traduire en preuves judiciaires ce qui relève parfois d’une stratégie globale.
Le troisième défi est celui de la compétence de la CPI. Ajouter un crime au Statut de Rome implique d’envisager les moyens de la Cour pour le traiter. La capture d’État touche à des domaines très variés : institutions, ressources, politiques publiques, interactions économiques. Il faudra déterminer comment cette infraction s’articule avec les crimes déjà reconnus et quels mécanismes permettraient d’éviter les chevauchements ou les conflits de qualification.
Un autre enjeu réside dans la portée politique d’une telle reconnaissance. Si le crime de capture d’État devenait justiciable devant la CPI, il représenterait un outil de pression internationale contre les régimes ou les groupes qui organisent la prédation interne. Cela pourrait renforcer la protection des populations, mais cela pourrait aussi susciter des résistances chez certains États, inquiets d’une extension du champ pénal international à des questions traditionnellement considérées comme internes. C’est un débat sensible, car il touche à l’équilibre entre souveraineté et responsabilité internationale.
Enfin, la proposition interroge la frontière entre gouvernance et criminalité. En choisissant la voie pénale, Madagascar affirme que certaines pratiques de corruption systémique doivent être regardées comme des crimes majeurs. Cette vision modifie la hiérarchie des menaces reconnues par la communauté internationale. Elle suggère que l’affaiblissement de l’État par la prédation interne n’est pas seulement une crise politique ; c’est une attaque contre les bases mêmes de la société.
À l’issue de l’AEP24, la proposition reste une initiative soumise au débat des États parties. Mais son existence marque déjà un tournant : la capture d’État est nommée publiquement comme un phénomène devant être poursuivi au plus haut niveau. Madagascar a ainsi porté devant la Cour pénale internationale une question qui dépasse la technique : comment protéger les populations lorsque l’État, censé être leur outil commun, devient l’objet d’une appropriation privée. En posant cette question, la Garde des Sceaux a inscrit le pays dans une dynamique de réforme qui entend faire de la lutte contre la corruption systémique un axe central de la justice internationale.