Antananarivo : Démantèlement d’un vaste réseau d’exportation clandestine de lémuriens
- TAHINISOA Ursulà Marcelle
- il y a 40 minutes
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L’arrestation de trois individus liés à un réseau international de trafic de lémuriens, dont un chef recherché depuis plusieurs mois, marque une étape importante dans la lutte contre l’exploitation illégale de la faune malgache. L’affaire, révélée le 20 novembre 2025 à la suite d’une opération minutieuse du Ministère de l’Environnement et du Développement Durable (MEDD), met en lumière une organisation structurée, active depuis plusieurs mois, et impliquée dans plusieurs tentatives d’exportation illicite vers l’étranger. Ce démantèlement intervient dans un contexte d’intensification notable des tentatives de trafic, notamment concernant les lémuriens, espèces emblématiques et strictement protégées. Retour sur une opération de grande ampleur menée à Antananarivo, ainsi que sur les méthodes, les enjeux et les implications de ce réseau désormais neutralisé.

Une opération de surveillance décisive au cœur d’Antananarivo
L’affaire a éclaté à la suite d’une opération de surveillance conduite par le MEDD le 20 novembre 2025, à travers la Direction de l’Unité de Lutte contre le Commerce illicite (DULC). Les agents, mobilisés depuis plusieurs jours sur des renseignements recoupés, suivaient la piste d’un groupe suspecté d’organiser l’exportation clandestine de lémuriens. Les investigations ont finalement conduit à un immeuble situé à Ambohimiandra, quartier d’Antananarivo où le réseau semblait avoir établi l’un de ses points de rassemblement.
C’est dans le sous-sol de ce bâtiment, après un piège soigneusement préparé par les forces de surveillance, que dix spécimens de Propithecus coquereli ont été découverts. Cette espèce de lémurien, reconnaissable à sa fourrure blanche et brune, est classée parmi les espèces menacées. Les animaux étaient dissimulés dans des conditions laissant supposer une préparation imminente à l’exportation. Selon les enquêteurs, le sous-sol servait de lieu de transit, les animaux y étant rassemblés avant d’être confiés à des transporteurs chargés de les sortir du territoire national.
La fouille a été menée de manière rigoureuse, révélant à la fois la présence des animaux et divers indices matériels attestant du rôle du lieu dans une chaîne logistique illégale. La découverte a permis de déclencher immédiatement l’intervention des forces de l’ordre et l’interpellation des individus présents sur les lieux.
Trois ressortissants comoriens interpellés, dont le chef d’un réseau recherché
L’opération s’est soldée par l’arrestation de trois personnes, toutes de nationalité comorienne. L’un d’eux, identifié comme le chef du réseau, faisait l’objet de recherches depuis plusieurs mois. Son interpellation constitue l’un des points majeurs de l’opération, d’autant que plusieurs tentatives d’exportation illicite sur lesquelles il était suspecté d’avoir joué un rôle central avaient été déjouées les mois précédents.
Ce même réseau était en effet impliqué dans des affaires découvertes à l’aéroport international d’Ivato en juin puis en août 2025. Dans ces deux dossiers, les trafiquants tentaient d’acheminer des lémuriens vers Dubaï. Les opérations avortées avaient conduit à l’identification de plusieurs acteurs : trafiquants malgaches, comoriens et même ukrainiens, recrutés pour effectuer les transports ou organiser la logistique. Les arrestations opérées à Ambohimiandra confirment aujourd’hui l’existence d’un groupement structuré, fonctionnant selon un schéma précis et opérant à l’échelle internationale.
Les trois suspects ont été immédiatement placés en garde à vue et remis aux autorités compétentes pour la poursuite des investigations. Le chef du réseau, considéré comme la pièce maîtresse de l’organisation, devrait fournir des éléments déterminants pour comprendre l’étendue de la filière et ses éventuelles ramifications à l’étranger.
Un réseau structuré, opérant par recrutement de transporteurs
Les éléments recueillis confirment la présence d’une organisation dotée d’un mode opératoire bien établi. Le groupe fonctionnait selon un système de recrutement, mobilisant des transporteurs malgaches ou étrangers chargés d’acheminer clandestinement les lémuriens hors du pays. Les animaux étaient d’abord collectés puis regroupés dans des lieux discrets, tels que le sous-sol découvert à Ambohimiandra.
Ce type d’organisation n’est pas rare dans le domaine du trafic d’espèces protégées. Toutefois, la sophistication de ce réseau — impliquant plusieurs nationalités et visant un acheminement jusqu’aux Émirats arabes unis — laisse entrevoir un trafic lucratif, répondant à une demande internationale persistante. Les lémuriens, bien qu’interdits de commerce, demeurent recherchés pour diverses raisons : attraction exotique, collections privées illégales, ou encore élevages non autorisés.
Selon les premières conclusions des enquêteurs, le réseau fonctionnait en plusieurs étapes. Les collecteurs récupéraient les animaux dans des zones forestières ou auprès de braconniers locaux. Les lémuriens étaient ensuite confinés dans des lieux de transit en milieu urbain afin d’échapper aux contrôles. Les transporteurs, quant à eux, étaient chargés d’utiliser des itinéraires aériens ou maritimes en contournant les dispositifs officiels. Les tentatives avortées à Ivato confirment toutefois que les trafiquants n’hésitaient pas à tenter des passages dans les zones sensibles, misant sur la corruption potentielle ou sur la dissuasion limitée des contrôles habituels.
Le rôle déterminant du Pôle Anti-Corruption dans l’enquête
L’enquête menée autour de ce réseau a été confiée au Pôle Anti-Corruption (PAC), institution spécialisée dans les investigations judiciaires concernant des affaires impliquant des réseaux organisés, des financements illicites ou des actes de corruption. Dans ce dossier précis, l’intervention du PAC s’est avérée essentielle.
L’organisme a mené une enquête approfondie visant à retracer l’ensemble des acteurs liés à l’organisation, à comprendre ses sources de financement et à identifier les complicités éventuelles. Les affaires précédentes de juin et août avaient déjà mis en évidence des liens possibles entre les trafiquants et divers intermédiaires, certains susceptibles d’être impliqués dans des actes de corruption facilitant les tentatives d’exportation. L’arrestation du chef du réseau devrait permettre d’éclaircir ces zones d’ombre et de remonter à d’éventuels commanditaires ou relais étrangers.
L’enquête du PAC s’est aussi attachée à analyser les flux financiers, activité indispensable pour comprendre l’ampleur réelle du trafic. Les filières de commerce illicite d’espèces protégées disposent souvent de circuits financiers opaques : transferts d’argent dissimulés, paiements en liquide, réseaux parallèles. Comprendre ces flux permet de démanteler non seulement le réseau sur le plan opérationnel, mais également d’assécher ses moyens d’action.
Une intensification inquiétante des tentatives d’exportation clandestine
L’affaire d’Ambohimiandra survient dans un contexte préoccupant : les tentatives d’exportation clandestine de lémuriens semblent s’intensifier de manière notable. Les autorités malgaches ont observé une hausse tant des tentatives découvertes que des signalements provenant de la population et des services de surveillance.
Cette recrudescence interroge. Les lémuriens, symbole de Madagascar et classés parmi les espèces les plus menacées au monde, font l’objet d’une protection stricte. Leur capture, leur détention et a fortiori leur exportation sont strictement interdites. Malgré cela, les trafiquants semblent multiplier les initiatives en raison de la valeur marchande élevée de ces animaux sur certains marchés internationaux. La diversification des profils des trafiquants (nationaux, étrangers, individus isolés ou membres de réseaux organisés) confirme en outre la porosité du trafic et son attractivité économique.
Face à cette situation, le MEDD appelle la population à rester vigilante et à signaler toute activité suspecte liée à la détention ou au transport de lémuriens. Le ministère insiste sur le rôle crucial de la collaboration citoyenne. Les habitants, témoins de mouvements anormaux ou de détentions non autorisées, peuvent contribuer à faire échouer les opérations criminelles avant qu’elles ne portaient atteinte à la biodiversité nationale.
Les forces de l’ordre — Police Nationale et Gendarmerie Nationale — travaillent étroitement avec les équipes du MEDD dans le cadre d’une lutte conjointe contre l’exploitation illégale des ressources naturelles. Cette collaboration vise à renforcer les capacités d’intervention, à partager les renseignements pertinents et à déployer des opérations coordonnées sur le terrain. Le numéro vert 955, mis à disposition par le ministère, reste un outil essentiel pour recueillir rapidement des informations et déclencher des interventions.
Une affaire symbolique pour la protection de la biodiversité malgache
Le démantèlement de ce réseau représente un signal fort envoyé aux trafiquants, mais aussi un rappel de l’importance cruciale de la protection des lémuriens à Madagascar. Les Propithecus coquereli, comme de nombreuses espèces endémiques, sont déjà fragilisés par la déforestation, la destruction des habitats et les pressions humaines. Chaque capture supplémentaire menace davantage l’équilibre écologique du pays.
Cette affaire met également en lumière la nécessité d’un renforcement continu des moyens de surveillance, tant au niveau des zones rurales où sont capturés les animaux qu’aux points de sortie du territoire. Les tentatives d’exportation via l’aéroport d’Ivato sont des exemples frappants de la détermination des réseaux impliqués, mais aussi des failles qui peuvent exister dans les dispositifs de contrôle.
Le rôle des institutions locales, comme le MEDD, le PAC ou les forces de l’ordre, s’avère essentiel. Toutefois, l’implication des citoyens demeure une composante indispensable. La lutte contre le trafic d’espèces protégées ne peut être efficace que si elle repose sur une coopération entre autorités, associations, citoyens et partenaires internationaux.