Groupe Filatex : l’ambition industrielle malgache à l’épreuve de l’énergie verte et du développement urbain
- TAHINISOA Ursulà Marcelle
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Fondé à Madagascar en 1979, le Groupe Filatex s’est construit sur une trajectoire de diversification progressive, jusqu’à devenir l’un des acteurs privés les plus visibles du pays. L’entreprise, dirigée par Hasnaine Yavarhoussen, se présente aujourd’hui comme un groupe intégré, présent dans l’énergie, l’immobilier, les zones franches industrielles, les investissements d’impact et le textile. Sa devise, « Construire l’avenir », revendique une approche tournée vers la modernisation du pays et l’innovation. Depuis 2024 et tout au long de 2025, ses annonces se concentrent surtout sur l’accélération de la transition énergétique, l’extension d’infrastructures industrielles et urbaines, et une politique de responsabilité sociale plus affirmée. Dans un contexte national marqué par une demande d’électricité croissante, des enjeux environnementaux pressants et la recherche d’emplois formels, Filatex avance une stratégie où les investissements privés veulent se positionner comme des outils de transformation collective.

Une montée en puissance dans l’énergie solaire et l’hybridation des centrales
Le pilier le plus dynamique des dernières activités du groupe est sans conteste l’énergie. Filatex Énergies, filiale dédiée au secteur, est présentée comme le premier producteur privé d’électricité à Madagascar. Cette position s’appuie sur une orientation stratégique claire : l’hybridation des centrales thermiques existantes grâce au solaire et la construction de nouveaux parcs photovoltaïques. Le groupe insiste sur le potentiel d’ensoleillement de l’île et sur la nécessité de proposer une énergie plus stable, moins dépendante des carburants fossiles et compétitive pour les ménages comme pour l’économie.
En 2024, Filatex a finalisé l’ajout d’une capacité solaire de 7,62 MW sur sa centrale de Majunga. Ce projet s’inscrit dans une série d’extensions destinées à renforcer les capacités de production régionales, tout en diminuant l’empreinte carbone. Le groupe affirme que cette nouvelle tranche prouve sa volonté de soutenir l’opérateur public JIRAMA et de contribuer à la stabilité énergétique nationale. L’ajout de puissance à Majunga n’est pas isolé : il s’insère dans un portefeuille de projets solaires en cours ou programmés à travers plusieurs villes malgaches.
L’année 2025 marque un autre jalon, avec l’augmentation de la capacité solaire de la centrale hybride de Tuléar. La composante photovoltaïque de cette installation est passée de 2,9 MWc à 3,9 MWc, portant la centrale à une capacité hybride totale de 13,9 MW en associant thermique et solaire. Selon Filatex Énergies, cette extension de 1 MWc supplémentaire équivaut à l’alimentation d’environ 2 000 foyers, sur la base d’une consommation moyenne locale. L’entreprise indique aussi que les travaux doivent se poursuivre pour atteindre 7 MWc de solaire à Tuléar, dans une logique de montée en puissance progressive.
Les sources disponibles évoquent également d’autres projets structurants engagés par Filatex dans le solaire : une centrale de 18 MW à Tamatave, une centrale de 7,6 MW à Diego-Suarez, une centrale de 10,75 MW à Majunga (dont l’extension de 7,62 MW constitue une étape), ainsi qu’un projet de 4 MW à Tulear. L’investissement global annoncé pour cet ensemble s’élève à environ 68 millions d’euros, avec des mises en service prévues entre 2024 et 2025. Le groupe mentionne parallèlement la montée en puissance de sa filiale Vestop, censée ajouter 24 MW supplémentaires au réseau malgache d’ici fin 2025, à l’issue d’un développement en deux phases.
Cette stratégie énergétique ne se limite pas à la production. Filatex a pris une participation de 41 % dans la société française Energiestro, spécialisée dans le stockage d’énergie par volant d’inertie, alternative aux batteries. L’objectif affiché est de renforcer la capacité à stocker l’énergie solaire et d’éviter les pertes liées à l’intermittence. Le groupe indique aussi son intention de compléter son portefeuille par une offre hydroélectrique décentralisée, en commençant par un projet de 10 MW dans la capitale et en prévoyant une coentreprise avec Hyvity pour développer à terme jusqu’à 100 MW de capacité hydroélectrique additionnelle d’ici 2028.
Les programmes d’hybridation et de nouvelles centrales interviennent dans un climat où la relation avec JIRAMA reste centrale. En 2025, un contrat qualifié d’historique a été signé entre l’opérateur public et Filatex Énergies, via ses filiales NOVA, Afripower et Vestop, afin de soutenir un avenir énergétique plus stable. En parallèle, des débats persistent sur les conditions économiques de ces partenariats : Filatex rappelle être l’un des fournisseurs privés d’électricité les plus compétitifs du marché intérieur, tout en soulignant le poids des arriérés de paiement de la JIRAMA et les tensions récurrentes autour des prix de vente, souvent réactivées lors des changements politiques.
Des zones franches industrielles comme levier d’emplois et de production
Le groupe s’est historiquement développé autour de l’industrie textile et de la gestion de zones franches. Ce second pilier reste central sur la période récente, dans une logique d’aménagement économique et d’attractivité pour les entreprises. Filatex se présente comme pionnier des zones franches à Madagascar, avec un total d’environ 160 000 m² de locaux destinés à la location aux entreprises locales et internationales. Le groupe met en avant ces parcs industriels comme des espaces offrant des avantages douaniers et fiscaux, et capables de générer une activité manufacturière soutenue.
Les chiffres avancés par Filatex pour mesurer l’impact socio-économique sont importants : les zones industrielles du groupe auraient permis la création de dizaines de milliers d’emplois, avec une contribution reconnue à l’industrialisation du pays. Le groupe insiste sur l’idée que ces zones franches ne sont pas seulement des espaces de production, mais aussi des écosystèmes favorisant la formation d’une main-d’œuvre qualifiée et l’implantation durable d’entreprises exportatrices.
L’actualité de 2024 et 2025 montre une volonté d’aligner cette activité industrielle sur les objectifs énergétiques. Filatex a lancé, sur l’une de ses zones franches à Antananarivo, un programme de réfection de toitures destiné à accueillir un projet de rooftop solaire présenté comme le premier de grande ampleur dans ce cadre industriel. L’initiative illustre la stratégie du groupe : convertir ses infrastructures industrielles en plateformes énergétiques capables d’autoproduire ou de réinjecter de l’électricité verte, tout en réduisant la dépendance aux sources thermiques.
Le modèle économique d’intégration énergie–industrie est également mis en avant via la filiale Actual Textiles, identifiée comme un acteur majeur du textile malgache et proche du groupe Filatex. En janvier 2025, Actual Textiles a confirmé son choix d’une alimentation 100 % en énergie verte, un an après la mise en œuvre de cette transition. L’entreprise souligne un triple objectif : réduction de l’empreinte carbone, stabilisation des coûts énergétiques et sensibilisation des travailleurs à des pratiques environnementales plus durables. Cette évolution illustre la manière dont Filatex entend relier la compétitivité textile à la demande mondiale croissante de production éthique.
À travers ces annonces, le groupe projette les zones franches comme des instruments de modernisation industrielle, où l’énergie renouvelable devient un facteur direct de compétitivité et de réputation internationale. L’argument est double : répondre aux exigences de marchés exportateurs sensibles aux critères environnementaux, et sécuriser une alimentation électrique parfois instable à l’échelle nationale.
L’immobilier et l’aménagement urbain : une autre branche en expansion
Troisième axe structurant, l’immobilier apparaît dans l’actualité récente comme un secteur d’extension stratégique. Filatex Immobilier est décrit par l’entreprise comme un acteur visant à transformer durablement le paysage urbain de l’océan Indien. Les activités communiquées en 2024 soulignent la volonté du groupe de nouer des partenariats afin d’accélérer ce développement.
En septembre 2024, Filatex Immobilier a signé un accord de partenariat avec Paddy Propco et Century21. Cette signature, largement relayée par le groupe, s’inscrit dans une dynamique d’internationalisation et de professionnalisation du marché immobilier, avec une attention portée à de nouveaux modèles d’aménagement urbain. Même si les projets précis ne sont pas détaillés publiquement dans les annonces disponibles, le groupe présente l’immobilier comme un vecteur de modernité, capable d’accompagner la croissance démographique et économique de Madagascar.
La logique générale affichée est celle d’une diversification maitrisée : l’immobilier est associé à l’énergie et aux zones franches dans une vision cohérente d’infrastructures. Le groupe construit des pôles où coexistent production industrielle, logements, et services, dans un pays où le besoin en urbanisation structurée reste important.
Cette stratégie immobilière suit la même philosophie que les projets énergétiques : s’inscrire dans le long terme et faire de l’investissement privé un moteur du développement national. Filatex assume une présence dans des secteurs perçus comme structurants, en insistant sur la planification, la qualité des infrastructures et leur adaptation aux réalités culturelles et environnementales malgaches.
Une politique d’engagement social et environnemental de plus en plus visible
Au-delà du cœur économique, le groupe met en avant une série d’initiatives de responsabilité sociale et environnementale. Les dernières activités recensées en 2024 et 2025 montrent un engagement multiforme, souvent lié à l’éducation, à la santé publique, au sport et à la protection des écosystèmes.
En 2024, Filatex a participé à des actions en direction des jeunes et de l’orientation professionnelle. Le groupe a notamment été associé à la deuxième édition du Carrefour de l’Orientation Professionnelle, programme visant à accompagner des jeunes en situation précaire dans la construction d’un avenir professionnel. La même année, une cérémonie de remise de diplômes à l’Université Catholique de Madagascar a reçu le soutien de Filatex, signe d’une volonté de se positionner comme partenaire du monde éducatif.
L’action en faveur de la santé est également mise en avant par l’entreprise. Une campagne de don de sang, organisée sous le slogan « Donnons notre sang, sauvons des vies », est présentée comme un succès significatif. Filatex évoque la mobilisation de ses employés et l’importance accordée à la solidarité interne, un message renforcé par des initiatives de reconnaissance et de récompense des collaborateurs.
Sur le plan environnemental, les activités de reboisement constituent l’un des marqueurs les plus visibles. En juillet 2025, via sa filiale ENELEC, Filatex a lancé une opération de plantation de 60 000 propagules de mangroves dans trois régions côtières : Diego-Suarez, Tuléar et Majunga. L’objectif annoncé est double : restaurer les écosystèmes littoraux et contribuer à la séquestration du carbone, avec une estimation de 144 tonnes de CO2 absorbées chaque année grâce à ces plantations. Filatex rattache explicitement ce programme aux objectifs de développement durable, notamment ceux portant sur la lutte contre la pauvreté, l’agriculture durable, l’accès à l’éducation et la préservation marine.
Toujours en 2025, le groupe a soutenu des actions de cohésion sociale par le sport, en devenant partenaire d’un festival de trail et de VTT à Ambohijanaka, près d’Antananarivo. Filatex affirme vouloir encourager l’inclusion sociale, promouvoir l’activité physique chez les jeunes et valoriser les territoires.
L’engagement du groupe s’étend enfin à l’accompagnement d’événements institutionnels. En avril 2025, Filatex a réaffirmé son appui à l’organisation du cinquième sommet de la Commission de l’océan Indien, prévu dans la capitale malgache. Cette participation met en avant un positionnement aux côtés de l’État sur des rendez-vous régionaux jugés stratégiques pour la diplomatie et l’économie.
Ces différentes initiatives dessinent une stratégie de responsabilité sociale qui accompagne la montée en puissance économique. Elles renforcent l’image d’un groupe cherchant à s’ancrer durablement dans le tissu national, en liant progrès industriel, transition énergétique et actions communautaires.
Un groupe au centre des équilibres économiques et politiques du pays
Les activités récentes du Groupe Filatex s’inscrivent au cœur des grands équilibres économiques malgaches. Son rôle d’acteur privé majeur dans l’électricité le place en interaction constante avec l’État et la JIRAMA. La signature d’accords énergétiques, la question des prix de l’électricité et la gestion des arriérés soulignent l’importance des arbitrages publics dans le fonctionnement du secteur.
Filatex revendique un positionnement compétitif, tout en décrivant les difficultés structurelles de l’opérateur public. Cette relation complexe reflète un enjeu national : le développement des énergies renouvelables suppose des partenariats public-privé solides, mais aussi un cadre financier stable. Le groupe montre également des ambitions panafricaines et des perspectives au-delà de Madagascar, même si la communication récente reste surtout centrée sur la consolidation des projets locaux.
À l’intérieur du pays, l’interdépendance entre zones industrielles, textile, immobilier et énergie nourrit une vision intégrée du développement. Les zones franches fournissent le socle industriel et l’emploi, l’énergie sécurise la croissance et offre un levier environnemental, l’immobilier accompagne l’évolution urbaine, et les actions sociales soutiennent l’acceptabilité et la cohésion.
L’ensemble de ces éléments dessine un groupe dont les dernières activités ne sont pas dispersées, mais connectées par une même intention stratégique : faire de la transition énergétique un moteur de compétitivité, de l’investissement industriel un créateur d’emplois, et de l’engagement social un pilier de légitimité nationale. Sur la période 2024-2025, Filatex insiste sur une modernité industrielle compatible avec la durabilité, dans un pays où les défis énergétiques, sociaux et environnementaux restent étroitement liés.