L’affaire du meurtre de Rasazy Narindra : la justice se penche sur le drame qui a bouleversé Mangataboahangy
- TAHINISOA Ursulà Marcelle

- il y a 3 heures
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Ce mercredi 5 novembre, le tribunal se réunit pour examiner l’affaire du meurtre de Rasazy Narindra, maire de la commune rurale de Mangataboahangy, district d’Ambatofinandrahana, dans la région de l’Amoron’i Mania.Abattue par balle le vendredi 21 février 2025, alors qu’elle rentrait chez elle dans la commune rurale d’Itremo, cette élue de 31 ans a laissé derrière elle une population en deuil et un pays sous le choc.L’audience de ce jour marque une étape décisive dans une enquête longue de plusieurs mois, ponctuée d’arrestations, de révélations et de controverses. Cet article revient, faits à l’appui, sur les circonstances du crime, l’état du dossier judiciaire et les enjeux de ce procès très attendu.

Une élue respectée, fauchée sur la route de son retour
Rasazy Narindra, de son nom complet Ranivoarivony Narindraniaina, venait d’être investie maire de la commune rurale de Mangataboahangy. Sage-femme de formation, elle était reconnue pour son intégrité et son engagement au service des habitants. Le 21 février 2025, alors qu’elle rentrait d’un déplacement officiel, son véhicule a été pris pour cible sur la route reliant Ambatofinandrahana à Itremo, dans une zone isolée entre Ambavalozakely et Ankafotra.
Les faits sont clairs et confirmés par les autorités : une dizaine d’hommes armés, embusqués sur le bas-côté, ont ouvert le feu sans sommation sur la voiture de l’élue. Les balles ont traversé le pare-brise et atteint la maire à la tête. Elle est morte sur le coup, tandis que ses accompagnateurs, dont son frère cadet, ont tenté de s’échapper. Aucun vol n’a été signalé. Le caractère ciblé de l’attaque a aussitôt conduit les enquêteurs à écarter la piste du banditisme ordinaire pour privilégier celle d’un assassinat prémédité.
La nouvelle du drame s’est répandue comme une traînée de poudre à Mangataboahangy, plongeant la commune dans une stupeur totale. Les habitants, effondrés, décrivent une dirigeante proche du peuple et soucieuse de redonner confiance à ses administrés.
Une enquête d’envergure et dix-huit suspects sous les verrous
L’enquête, ouverte dès les heures suivant le meurtre, a été conduite par la gendarmerie nationale avec le soutien du parquet d’Ambatofinandrahana. Les premières auditions ont permis de retracer le parcours de la victime et de reconstituer la scène de crime. En moins d’une semaine, plusieurs suspects ont été interpellés dans les environs d’Ambatofinandrahana et d’Ambositra.
Le 7 mars 2025, le parquet a annoncé la mise en examen de dix-huit personnes pour leur implication présumée dans l’assassinat. Parmi elles figurent : le frère cadet de la victime, présent dans le véhicule au moment des faits ; le chauffeur de la voiture ; l’ancien président de la délégation spéciale (PDS) de Mangataboahangy ; plusieurs habitants de la commune, dont deux femmes.
La procureure de la République près le tribunal de première instance d’Antananarivo, Mme Narindra Navalona Rakotoniaina, a affirmé que les enquêteurs disposaient d’éléments matériels à charge : des échanges téléphoniques, des SMS effacés mais récupérés, et des témoignages concordants. Ces preuves auraient établi des liens directs entre certains suspects et les exécutants de l’embuscade.
Les inculpations reposent sur trois chefs principaux : meurtre avec préméditation, association de malfaiteurs, port d’armes sans autorisation. Ces crimes sont punis, selon la législation malgache, de travaux forcés à perpétuité.
Un mobile encore flou et des tensions au sein de la famille
Malgré ces avancées, de nombreuses zones d’ombre persistent. Le mobile exact du meurtre n’a pas encore été établi par la justice. Plusieurs pistes sont évoquées : un différend lié à la gestion communale ; une possible vengeance politique ou personnelle ;– ou encore une opposition à des réformes que la nouvelle maire souhaitait mettre en place.
Des proches affirment que Rasazy Narindra avait entamé un audit des finances communales après sa prise de fonction, ce qui aurait suscité des mécontentements. Cette hypothèse, largement reprise par les médias, n’a pas été confirmée officiellement.
L’arrestation du frère de la victime a par ailleurs créé une vive polémique. La mère de la défunte, dans plusieurs déclarations publiques, a contesté cette décision, soutenant l’innocence de son fils. Elle affirme qu’il a tenté de protéger sa sœur lors de l’attaque et qu’il n’a aucun lien avec les suspects présumés.
Face à cette situation, la famille de Rasazy Narindra a demandé à la justice de publier les éléments de preuve, estimant que le secret de l’instruction alimente les rumeurs et entretient la confusion.
Le procès du 5 novembre : un moment clé pour la justice malgache
Après plus de huit mois d’attente, l’audience du 5 novembre représente une étape cruciale. Le tribunal doit examiner les charges retenues contre les dix-huit inculpés et décider de leur renvoi devant la juridiction criminelle.
Cette audience, très attendue, se déroule sous haute surveillance. Des représentants du ministère de la Justice et de la gendarmerie sont présents, ainsi que des membres de la société civile et des habitants de Mangataboahangy venus réclamer justice.
Le parquet compte présenter les preuves rassemblées depuis février : relevés téléphoniques, reconstitutions, expertises balistiques et témoignages. Les avocats de la défense, quant à eux, devraient insister sur les incohérences relevées dans l’enquête et sur le respect de la présomption d’innocence.
Le défi pour la justice est de taille : il s’agit non seulement de punir les responsables d’un crime atroce, mais aussi de démontrer la capacité de l’État à rendre justice à ses représentants, même dans les zones les plus reculées du pays.
Une affaire symptomatique des difficultés des communes rurales
L’assassinat de Rasazy Narindra n’est pas seulement une tragédie individuelle ; il met en évidence les failles de la sécurité et de la gouvernance locale.
Dans de nombreuses communes rurales de Madagascar, les élus exercent leurs fonctions dans des conditions précaires, souvent sans protection ni moyens suffisants. Les routes mal entretenues, les zones peu surveillées et les rivalités politiques locales exposent les responsables publics à des risques croissants.
Ce drame révèle également l’urgence de renforcer la transparence dans la gestion des collectivités locales. Si les tensions autour d’un audit sont confirmées, cela prouverait que la lutte contre la corruption peut encore coûter la vie à ceux qui s’y engagent.
Le ministère de la Décentralisation a d’ailleurs promis, dans un communiqué, de « renforcer la sécurité des élus » et de « poursuivre sans relâche les auteurs de cet acte ignoble ».
Conclusion : un verdict attendu pour tourner la page du deuil
Huit mois après le meurtre de Rasazy Narindra, la douleur reste vive à Mangataboahangy. Les habitants espèrent que l’audience du 5 novembre permettra d’obtenir des réponses claires et des sanctions exemplaires. La famille, elle, réclame avant tout la vérité; une vérité établie sur des preuves solides, et non sur des suppositions.
L’affaire dépasse le cadre local : elle interroge la capacité de l’État malgache à protéger ses élus et à assurer la justice pour tous. En attendant le verdict, la mémoire de Rasazy Narindra continue de symboliser le courage d’une femme investie pour le bien public, victime d’une violence absurde et impunie.
Ce mercredi 5 novembre, le tribunal devra rendre plus qu’une décision : il devra rétablir la confiance du peuple dans la justice, et prouver que même les plus puissants ne peuvent échapper à la loi.


