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L'ACTUALITÉ DE LA GRANDE ÎLE DEPUIS 1929

LE SECTEUR INFORMEL A TOLIARA : ENTRE OPPORTUNITES ECONOMIQUES ET DEFIS DE FORMALISATION

Photo du rédacteur: Volanirina RazafindrafitoVolanirina Razafindrafito

RANOMENJANAHARY Zanakolona, TSIKOMIA Amaîde Arsan Miriarison, RAZAFIENDRINTSOA Dieudonné Gabriel .


Résumé

Le secteur informel joue un rôle central dans l’économie de Madagascar, en contribuant significativement à l’emploi et aux revenus des ménages. Avec environ 90 % de la population active travaillant dans ce secteur, il représente une source essentielle de subsistance, malgré les défis liés à l’absence de régulation et de formalisation. Son apport au développement local est indéniable, notamment à travers la dynamique commerciale, la production artisanale et les services de proximité. Cependant, la fiscalisation et l’organisation de ce secteur restent complexes en raison de plusieurs facteurs, tels que la méconnaissance des obligations fiscales, le manque de comptabilité régulière et la volonté d’éviter les taxes. Une meilleure régulation, adaptée aux réalités locales, permettrait d’optimiser la contribution du secteur informel au développement économique tout en assurant une meilleure intégration sociale et financière des acteurs concernés.

Mots-clés : secteur informel, contribution, développement local

Abstract

The informal sector plays a central role in Madagascar’s economy, significantly contributing to employment and household income. With approximately 90% of the active population working in this sector, it serves as a vital source of livelihood despite challenges related to the lack of regulation and formalization. Its contribution to local development is undeniable, particularly through commercial activities, artisanal production, and local services. However, taxation and organization of this sector remain complex due to factors such as lack of awareness of tax obligations, irregular accounting, and efforts to avoid taxation. A better regulatory framework, adapted to local realities, would optimize the informal sector’s contribution to economic development while ensuring greater social and financial integration of its actors.

Keywords: informal sector, contribution, local development

Introduction

Le secteur informel contribue de manière significative à l'économie de Madagascar, comme l'indique le diagnostic de l'environnement des affaires des Micros, Petites et Moyennes Entreprises (MPME) et du secteur informel, signé par le Ministère de l'Économie et des Finances (MEF) en 2024. Ce diagnostic estime que la valeur ajoutée des unités de production informelles est d'environ 31 523,7 milliards d'Ariary par an, soit 2 627 milliards d'Ariary par mois. À Madagascar, 90 % de la population perçoit ses revenus du secteur informel, qui couvre 60 % des emplois de la population active à l'échelle mondiale. Le secteur informel est un phénomène mondial, présent aussi bien dans les pays développés que dans les pays en développement. Il reflète souvent les difficultés économiques et sociales des sociétés, telles que la pauvreté, le chômage et l'exclusion du secteur formel. Ce secteur a connu une croissance considérable, devenant un acteur clé de l'économie locale dans de nombreux pays, et représente une part importante du Produit Intérieur Brut (PIB), variant entre 16 % dans les pays de l’OCDE et 60 à 70 % de la population active en Afrique. Ce phénomène est particulièrement marqué dans les zones où le marché du travail formel est insuffisant ou inaccessible.

À Toliara, comme dans d’autres régions de Madagascar, le secteur informel occupe une place cruciale dans l’économie locale. Il englobe une grande variété d’activités, parmi lesquelles le petit commerce, les services de transport informel, ainsi que l’artisanat. Dans cette ville côtière, le marché de Bazar Be, le marché de Scama, et celui de Sanfily sont des lieux emblématiques où des milliers de commerçants occupent les espaces publics pour vendre des produits de première nécessité, tels que des fruits, des légumes, des vêtements, et des produits artisanaux. Ces vendeurs jouent un rôle fondamental dans l’approvisionnement des habitants et contribuent à maintenir une certaine fluidité dans la vie économique locale, en particulier pour les populations vivant dans des conditions précaires.

Parallèlement, le secteur du transport informel est tout aussi indispensable. Les pousse-pousse, cyclomoteurs et taxis collectifs assurent la mobilité de la population dans des zones où les transports publics sont insuffisants ou inexistants. Ces moyens de transport sont d'autant plus prisés en raison de leur flexibilité et de la faible accessibilité financière comparée aux transports formels. Toutefois, cette forme de transport fait face à de nombreux défis, notamment l'absence de régulation, ce qui peut entraîner des problèmes de sécurité et de qualité de service.

Malgré leur importance évidente dans la vie économique de Toliara, ces activités informelles sont confrontées à plusieurs défis, principalement en raison de l'absence de régulation formelle et de la précarité des conditions de travail. Les autorités locales, bien que conscientes du rôle vital de ce secteur, peinent à structurer et à réguler efficacement ces activités. Cette situation soulève des interrogations importantes : quel avenir pour ces secteurs informels dans un contexte de transformation économique, et comment concilier la nécessité de régulation avec le besoin de flexibilité de ces services ? Cet article se propose d'analyser le rôle, les défis et les perspectives d’un secteur informel à Toliara, tout en explorant les solutions possibles pour en faciliter la formalisation tout en préservant son dynamisme et son accessibilité.

Matériel et Méthode

Cette étude repose sur une approche qualitative et descriptive visant à analyser l'importance du secteur informel à Toliara, en mettant un accent particulier sur les acteurs du commerce de proximité, du transport informel et de l'artisanat.

1. Population et échantillonnage

L’enquête sera menée auprès de 50 acteurs du secteur informel, répartis comme suit :

  • 30 collecteurs de produits locaux et commerçants (marchés de Bazar Be, Scama, et Sanfily),

  • 10 vendeurs de vêtements,

  • 10 artisans spécialisés dans la fabrication et la vente de produits artisanaux.

Ces catégories ont été sélectionnées en raison de leur rôle central dans l’économie locale et de leur forte représentation dans les espaces commerciaux informels de Toliara.

2. Collecte des données

Les données seront recueillies par deux principales méthodes :

  • Entretiens semi-directifs : Des discussions guidées seront menées avec les acteurs informels pour comprendre leurs conditions de travail, leurs sources d’approvisionnement, leurs défis et leurs attentes face à une éventuelle formalisation.

  • Observations directes : Une immersion sur les lieux de commerce et de transport permettra d’analyser les interactions entre les différents acteurs, ainsi que les dynamiques du secteur informel dans la ville.

3. Analyse des données

Les données recueillies seront traitées de manière qualitative, en identifiant les tendances et les problématiques récurrentes. L’accent sera mis sur :

  • Les motivations et contraintes des acteurs informels,

  • L’impact économique de leurs activités,

  • Les perceptions des régulations existantes ou envisagées.

4. Utilisation de sources secondaires

En complément, des rapports institutionnels, des études académiques et des publications officielles seront consultés afin de confronter les résultats de l’enquête aux analyses existantes sur le secteur informel à Madagascar.

Cette approche combinée permettra d’apporter un éclairage approfondi sur les enjeux du secteur informel à Toliara et d’identifier des pistes pour une meilleure structuration et régulation.


I. Le secteur informel à Toliara : Un pilier économique


I.1 Le petit commerce et les marchés locaux

À Madagascar, le secteur informel joue un rôle prépondérant dans l’emploi. D'après l'Enquête Prioritaire auprès des Ménages (EPM), il était à l'origine de neuf emplois sur dix en 2010. Bien que ces travailleurs soient des contribuables potentiels, leur production de biens et de services n’est pas prise en compte dans le PIB. Le Rapport National sur le Développement Humain (RNDH) 2018 identifie plusieurs facteurs expliquant la domination du secteur informel dans l’économie et les défis liés à sa fiscalisation :

  • La majorité des activités informelles sont de subsistance, limitant leur rentabilité fiscale.

  • L'absence de comptabilité structurée empêche toute déclaration fiable des revenus.

  • Une méconnaissance des lois fiscales de la part des travailleurs informels.

  • Certains entrepreneurs à forte productivité contournent la fiscalité en restant dans l’informel.

  • Une réticence générale des acteurs du secteur face aux obligations légales et fiscales.

Cependant, selon l’ENEMPSI 2012, un grand nombre d’acteurs du secteur informel expriment une volonté de participer aux finances publiques. L'étude estime que chaque unité de production informelle pourrait contribuer à hauteur de 6 700 Ariary par mois, générant un taux de pression fiscale de 3,7 % et des recettes additionnelles d’environ 178,8 milliards d’Ariary par an (PNUD, 2018).

Le secteur du petit commerce à Toliara se caractérise par une grande diversité d’activités. Les commerçants informels, principalement des vendeurs ambulants et des petits marchands, occupent une place centrale dans la vie économique de la ville. Parmi les activités les plus répandues, on trouve la vente de fruits et légumes, de produits artisanaux locaux, ainsi que de vêtements importés. Les fruits et légumes, souvent cultivés dans les zones périphériques de la ville ou importés, sont vendus dans les marchés ou directement dans les rues. Les produits artisanaux, tels que des sculptures, des paniers ou des tissus traditionnels, sont également une source importante de revenus pour de nombreux habitants de Toliara.

Les marchés locaux, notamment le marché de Bazar Be, le marché de Sanfily, et le marché de Bazar Scama, constituent des espaces essentiels pour la distribution de ces produits. Ces marchés sont non seulement des points de vente, mais aussi des lieux d’échange et de socialisation pour les habitants de la ville. Le marché de Bazar Be, par exemple, est un lieu très fréquenté où l’on trouve une grande variété de biens, allant des produits alimentaires aux vêtements et autres articles de consommation courante. Le marché de Sanfily, quant à lui, se distingue par la vente de produits locaux et artisanaux, attirant ainsi une clientèle locale et touristique. Le marché de Bazar Scama, spécialisé dans la vente de produits locaux et de vêtements, est également un carrefour commercial important. Ce marché permet aux habitants de s'approvisionner en articles essentiels, tels que des tissus, des vêtements importés et des produits du terroir, tout en soutenant les petits producteurs locaux.

Les commerçants informels jouent donc un rôle clé dans l’approvisionnement de la population locale. Dans une région où l’accès à des supermarchés ou à des magasins formels peut être limité par la distance ou le prix, les petits commerçants offrent une alternative accessible et flexible. Ils assurent une large couverture des besoins alimentaires et domestiques, tout en permettant à de nombreux Toliariens de trouver des produits spécifiques à des prix souvent plus compétitifs que dans les chaînes formelles.

I.2 Le transport informel

À Toliara, le transport informel représente un secteur très dynamique et essentiel pour la mobilité des habitants. Parmi les moyens de transport les plus utilisés, on trouve les pousse-pousse, les cyclomoteurs et les taxis collectifs. Ces services de transport, bien que non régulés, sont d’une grande importance pour les Toliariens, en particulier pour ceux vivant dans des zones où les transports publics sont inexistants ou trop coûteux.

Les pousse-pousse, qui sont des vélos à trois roues utilisés pour transporter des passagers ou des marchandises, sont particulièrement populaires dans les quartiers urbains. Les taxis collectifs, qui opèrent sur des trajets fixes à des prix abordables, sont également largement utilisés par les habitants pour se déplacer rapidement en ville. Ce mode de transport est flexible et accessible, particulièrement pour les habitants des quartiers périphériques de Toliara, où les taxis classiques sont rares.

Les raisons du recours à ces modes de transport informels sont multiples. Premièrement, l’accessibilité des tarifs est un facteur clé : les coûts des trajets en pousse-pousse ou en taxi collectif sont largement inférieurs à ceux des taxis traditionnels. Ensuite, la flexibilité des horaires et des itinéraires fait de ces moyens de transport une solution privilégiée pour ceux qui ne peuvent pas se permettre de payer un taxi formel ou qui ont besoin de se déplacer en dehors des horaires de service des transports publics. Enfin, ces modes de transport sont adaptés aux infrastructures locales, souvent insuffisantes pour accueillir des véhicules plus grands.

I.3 Facteurs expliquant le développement du secteur informel

Le développement du secteur informel à Toliara peut être expliqué par plusieurs facteurs. Le principal de ces facteurs est le manque d’emplois formels. Avec un taux de chômage élevé et une économie marquée par un faible développement industriel, de nombreux habitants de Toliara se tournent vers des activités informelles comme solution pour subvenir à leurs besoins. La grande majorité des travailleurs informels, que ce soit dans le commerce ou le transport, n’ont pas accès à des emplois formels offrant des salaires réguliers ou des protections sociales.

En outre, le poids des taxes et des charges administratives constitue également un frein à la formalisation du secteur. Les coûts liés à l'enregistrement d'une entreprise, les licences nécessaires et les taxes peuvent décourager les acteurs économiques d'opter pour le secteur formel. Dans un contexte où les coûts de la vie sont déjà élevés, beaucoup préfèrent travailler de manière informelle pour éviter ces dépenses et les lourdeurs administratives.

Enfin, un faible accès au financement et aux infrastructures aggrave la situation. Les acteurs du secteur informel ont souvent du mal à obtenir des crédits auprès des institutions financières, car ils ne peuvent pas fournir de garanties formelles. De plus, les infrastructures de transport et de commerce à Toliara sont parfois insuffisantes pour répondre aux besoins d’une population croissante, ce qui pousse encore plus les habitants à recourir à des solutions informelles. Ainsi, le secteur informel à Toliara, bien que non structuré, répond à un besoin vital pour une grande partie de la population. Cependant, son développement est conditionné par des facteurs socio-économiques profonds, et sa pérennité dépend largement des politiques publiques à mettre en place pour soutenir cette économie parallèle.

II. Impacts et enjeux du secteur informel à Toliara

II.1 Effets positifs

Le secteur informel à Toliara, malgré ses nombreuses problématiques, apporte une série d'effets positifs qui jouent un rôle crucial dans l'économie locale et le quotidien des habitants.

Source de revenus pour une grande partie de la population : Le secteur informel constitue une véritable bouée de sauvetage pour de nombreux Toliariens, notamment ceux qui sont exclus du marché du travail formel. Selon des études réalisées dans des villes similaires, une large portion de la population vit grâce à des activités informelles, que ce soit dans le commerce, le transport ou les petits services (Razafindrakoto & Roubaud, 2016). Ces revenus permettent aux travailleurs informels de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles, tout en maintenant une certaine stabilité économique dans un environnement où les opportunités formelles sont rares.

Contribution à la dynamique économique locale : Le secteur informel contribue de manière significative à la dynamique économique de Toliara. Il joue un rôle fondamental dans la distribution des biens de consommation courante, mais également dans la stimulation de la demande pour les produits locaux. Le commerce de produits agricoles, artisanaux et vestimentaires dans les marchés locaux, comme le marché de Bazar Be et le marché de Bazar Scama, soutient directement les producteurs et les artisans locaux. En ce sens, le secteur informel alimente une chaîne d'approvisionnement qui contribue au bien-être économique de la communauté.

Flexibilité et adaptabilité des activités : Le secteur informel est également apprécié pour sa flexibilité. Les travailleurs peuvent ajuster leurs horaires de travail en fonction des besoins de la clientèle ou de leurs autres obligations. Les commerçants informels peuvent choisir d'élargir ou de réduire leur activité selon les saisons ou les circonstances économiques. De plus, les transports informels (pousse-pousse et taxis collectifs) assurent une mobilité souple et rapide pour les habitants, particulièrement dans des zones urbaines où les infrastructures formelles sont insuffisantes. Cette flexibilité est un atout majeur dans une ville où les dynamiques économiques et les besoins des habitants peuvent évoluer rapidement.

II.2 Effets négatifs

Malgré ses effets positifs, le secteur informel présente également plusieurs effets négatifs qui soulignent les défis inhérents à ce modèle économique.

Conditions de travail précaires : Les travailleurs informels à Toliara sont souvent confrontés à des conditions de travail précaires. Ils n’ont pas accès à une protection sociale, comme les assurances maladie, les retraites ou les congés payés. En cas d’accident ou de maladie, les travailleurs informels sont laissés à eux-mêmes, ce qui peut avoir des conséquences dramatiques sur leur subsistance. De plus, la grande majorité des acteurs informels travaillent dans des conditions d’insécurité, que ce soit en matière de sécurité physique (en raison de la nature de certains emplois) ou de protection juridique (absence de droits du travail ou de règlementation).

Concurrence avec les commerces et transports formels : Le secteur informel entre en concurrence directe avec les entreprises formelles. Dans le domaine du commerce, les petits commerçants informels proposent souvent des prix plus bas que les détaillants formels, ce qui peut rendre ces derniers moins compétitifs. Cette concurrence peut fragiliser les commerces établis, notamment les supermarchés ou autres commerces organisés. En ce qui concerne le transport, les taxi-brousse et autres modes de transport formels perdent des clients au profit des taxis collectifs informels, qui sont souvent plus accessibles financièrement et plus flexibles.

Difficulté de régulation par les autorités locales : La régulation du secteur informel reste un défi majeur pour les autorités municipales. Les commerçants informels n’étant pas enregistrés officiellement, il est difficile pour les autorités locales de les encadrer de manière efficace. Cela crée un vide juridique qui permet à certaines pratiques de se développer en dehors du cadre légal. De plus, le manque de régulation génère des inégalités dans la concurrence et rend difficile la mise en place de normes minimales de sécurité ou d’hygiène, notamment dans les marchés locaux.

Cette problématique est particulièrement visible dans la commune urbaine de Toliara, où seulement 20 % des cyclo-pousses sont en règle, tandis que 60 % utilisent des numéros en doublon, en triplon ou même en quadruple, et 20 % ne sont pas du tout en règle. Cette situation met en péril la gestion des taxes communales, réduisant ainsi les recettes locales et limitant les capacités financières de la municipalité. L’absence d’un cadre réglementaire strict contribue également à la précarité des acteurs du secteur, qui ne bénéficient d’aucune protection sociale ni de droits reconnus par les autorités locales.

Selon l’Organisation Internationale du Travail (OIT), l’économie informelle représente un défi majeur dans les pays en développement, car elle échappe aux mécanismes de régulation étatique et réduit l’efficacité des politiques publiques (OIT, 2018). Dans ce contexte, l’inefficacité des mesures de contrôle sur les cyclo-pousses à Toliara illustre la difficulté des autorités locales à formaliser un secteur qui joue pourtant un rôle économique important. Une meilleure structuration, impliquant l’identification et l’enregistrement systématique des exploitants, pourrait non seulement améliorer les recettes fiscales, mais aussi offrir une meilleure protection aux travailleurs du secteur.

II. 3 Focus sur les tentatives de régulation

Les autorités locales ont souvent essayé de réguler le secteur informel à Toliara. Toutefois, ces tentatives se heurtent à une résistance significative de la part des travailleurs informels, qui perçoivent ces régulations comme une menace à leur mode de vie et à leur revenu quotidien.

Initiatives des autorités municipales : Afin d’organiser le secteur informel, les autorités municipales de Toliara ont entrepris diverses stratégies visant à réorganiser les marchés locaux, notamment Bazary Secama et Bazary Bé. Ces initiatives visent à structurer les activités commerciales, à instaurer des normes d’hygiène et de sécurité, et à faciliter une meilleure gestion de l’espace public (Rakotoarisoa, 2020). Cependant, malgré ces efforts, des tensions persistent entre les commerçants informels et les autorités locales, particulièrement lors de mesures de contrôle strictes, perçues par certains vendeurs comme une menace à leur activité et à leur survie économique (Andrianarisoa, 2022).

Résistances des travailleurs informels face aux régulations : L'incident survenu le 14 décembre 2024, où huit marchands informels ont été interpellés et transférés à Antananarivo pour la vente illégale de vêtements portant la marque Maki, illustre bien la résistance des travailleurs face aux régulations. Ces commerçants ont été arrêtés à Bazary Secama et Bazary Bé, deux des principaux marchés informels de Toliara, et leurs familles ont exprimé leur indignation quant à la manière dont l'affaire a été traitée. Cette situation a mis en lumière non seulement les difficultés de régulation du secteur informel, mais aussi l'importance du secteur pour les moyens de subsistance des habitants de Toliara.

  Photos 1 : La régulation des commerçants locaux par les autorités locales.

Source : Ino vaovao Toliara 14 Décembre 2024

Les familles des interpellés ont publié une déclaration, appelant le gouvernement à reconsidérer les conditions dans lesquelles ces décisions ont été prises, soulignant la précarité de l’économie locale et la nécessité de trouver un équilibre entre régulation et reconnaissance du rôle du secteur informel dans la vie quotidienne des habitants. Cet événement a suscité une réflexion sur le cadre juridique et administratif du secteur informel à Toliara, notamment sur les inégalités de traitement et la difficulté à concilier régulation et réalité économique.

Cas des tentatives d’organisation des pousse-pousse : D’autres initiatives ont cherché à organiser des secteurs spécifiques, comme celui des conducteurs de pousse-pousse, mais les résistances restent fortes face à une régulation jugée trop contraignante. Les acteurs du secteur informel, souvent perçus comme vulnérables et marginalisés, craignent que la formalisation entraîne une réduction de leur autonomie et des coûts supplémentaires difficilement supportables.

III. Perspectives de formalisation et de structuration

III.1 Les défis à relever

Sensibilisation et accompagnement des acteurs informels : L'un des principaux défis pour la formalisation du secteur informel à Toliara réside dans le manque de sensibilisation des travailleurs informels aux avantages de la formalisation. Beaucoup d'entre eux, en particulier les petits commerçants et les conducteurs de pousse-pousse, ignorent les bénéfices d'une régulation légale, notamment en matière de protection sociale, d’accès au financement et d'amélioration des conditions de travail. Les autorités locales, les ONG et les organisations communautaires doivent développer des programmes de sensibilisation pour informer les acteurs informels sur les avantages d'une transition vers le formel, tout en respectant les spécificités du secteur. Cependant, cela nécessite une forte volonté politique et des moyens adéquats pour atteindre ces travailleurs.

Besoin de réformes adaptées aux réalités locales : Pour qu'une réforme du secteur informel soit efficace à Toliara, elle doit tenir compte des particularités locales. Les réformes doivent être flexibles, tenant compte de l’importance des activités informelles pour les ménages vulnérables. Les mesures proposées par les autorités, comme la réorganisation des marchés et des zones de transport informel, doivent être adaptées aux besoins réels des acteurs locaux. Cela implique la consultation des acteurs du secteur informel dans le processus décisionnel, afin que les réformes soient non seulement acceptées, mais également efficaces sur le terrain.

III.2 Pistes de solutions

Création d’espaces de vente encadrés pour les commerçants informels : L’une des solutions pour améliorer les conditions de travail des commerçants informels consiste à la création d’espaces de vente dédiés et encadrés par les autorités locales. Des zones spécifiques pourraient être aménagées pour les marchands ambulants, en offrant une infrastructure adéquate (abris, bancs, etc.), ainsi que des services de base comme l’accès à l’électricité et à l’eau potable. Ces espaces organisés permettraient de structurer le secteur tout en assurant une meilleure sécurité et une hygiène acceptable. Les commerçants pourraient ainsi vendre leurs produits dans un cadre légal tout en réduisant leur exposition à des risques d’arrestation ou de confiscation.

Mise en place d’un cadre de régulation adapté pour le transport informel : Le secteur du transport informel à Toliara repose essentiellement sur les pousse-pousse, taxis collectifs et cyclomoteurs, qui constituent un moyen de déplacement indispensable pour une grande partie de la population. Toutefois, l’absence de régulation adéquate engendre des problèmes de sécurité, de qualité de service et de rentabilité pour les conducteurs.

Il est donc nécessaire d’établir un cadre de régulation spécifique, visant à garantir la sécurité des passagers tout en assurant la pérennité économique des acteurs du secteur. L’introduction de licences de transport adaptées aux réalités locales pourrait être une solution viable. Ces licences devraient être accompagnées de mesures incitatives, notamment des conditions de sécurité renforcées (équipements de protection pour les passagers, entretien des véhicules, assurance obligatoire, etc.), tout en veillant à ne pas imposer une fiscalité excessive qui risquerait de freiner l’activité des opérateurs informels (World Bank, 2018).

Les expériences observées dans d’autres pays montrent que des approches inclusives et progressives sont essentielles pour réguler le transport informel sans pénaliser les petits opérateurs. En Afrique subsaharienne, certaines villes ont réussi à structurer ce secteur grâce à des politiques incitatives, telles que des prêts à faible taux d’intérêt pour le renouvellement des véhicules et des formations sur la sécurité routière destinées aux conducteurs (Gwilliam, 2011).

Toute régulation doit ainsi être adaptée aux contraintes socio-économiques locales afin d’assurer une transition progressive vers un transport structuré, garantissant sécurité, accessibilité et conditions de travail décentes pour les acteurs du secteur informel (ITF, 2021).

Accès au financement et aux programmes de formation : Un autre aspect crucial pour la formalisation du secteur informel à Toliara est l'accès au financement. Les commerçants et les travailleurs informels manquent souvent de ressources financières pour améliorer leurs activités ou se mettre en conformité avec les réglementations. Les autorités locales, les institutions financières et les ONG devraient mettre en place des programmes de microcrédit et de formation à la gestion des petites entreprises. Ces programmes aideraient les travailleurs informels à développer des compétences en gestion et à accéder à des financements pour se formaliser.

III.3 Perspectives pour un développement plus inclusif

Comment équilibrer formalisation et flexibilité ? : L’un des principaux défis du secteur informel est de trouver un équilibre entre formalisation et flexibilité. La formalisation du secteur doit être perçue non comme une contraine, mais comme une opportunité d'améliorer les conditions de travail et de sécuriser les revenus. Les réformes doivent être suffisamment flexibles pour ne pas nuire à la dynamique économique locale, mais plutôt pour encourager la résilience du secteur informel dans un cadre réglementé.

Vers un modèle hybride entre formel et informel ? : La question d'un modèle hybride entre les secteurs formels et informels s'avère pertinente. Un tel modèle permettrait aux travailleurs informels de bénéficier de certains avantages du secteur formel, comme l’accès à la sécurité sociale, tout en conservant une certaine flexibilité dans leur activité. Par exemple, une regroupement d’entreprises informelles dans des coopératives ou des associations pourrait permettre de partager des ressources, de négocier des prix plus compétitifs, et d’avoir un meilleur accès à des services financiers tout en restant dans un cadre informel. Ce modèle hybride pourrait être un moteur de développement durable pour Toliara, en intégrant progressivement les travailleurs informels dans l’économie formelle sans bouleverser leurs modes de fonctionnement.

Conclusion

Une enquête permanente auprès des ménages réalisée en 2021-2022 par l’Institut National de la Statistique (INSTAT) met en évidence une forte disparité salariale à Madagascar, avec un indice de Gini de 0,56. Cette inégalité se traduit par une concentration des revenus, où 10 % des travailleurs détiennent 46,2 % de la masse salariale totale (INSTAT, 2022).

Selon cette même enquête, le salaire mensuel moyen à Madagascar s’élève à 196 359 ariary, englobant à la fois les travailleurs du secteur formel et informel. Ce montant reste inférieur au salaire minimum d’embauche, qui était fixé à 250 000 ariary en 2022 (INSTAT, 2022).

L’analyse des revenus révèle également une disparité importante entre les secteurs formel et informel. En effet, les travailleurs du secteur formel perçoivent en moyenne 505 389 ariary par mois, tandis que ceux du secteur informel gagnent seulement 178 578 ariary (INSTAT, 2022).

Les régions du Sud affichent des niveaux de revenus particulièrement faibles. Parmi elles, l’Androy enregistre le salaire mensuel moyen le plus bas du pays, estimé à seulement 96 244 ariary. D’autres régions, telles que Fitovinany, Atsimo Atsinanana, Bongolava et Anosy, affichent également des salaires inférieurs à 125 000 ariary, soulignant ainsi l’ampleur des inégalités régionales (INSTAT, 2022).

Ces écarts de revenus témoignent de la nécessité de mettre en place des interventions ciblées pour améliorer les conditions économiques et sociales dans le Sud. Une approche adaptée, visant à stimuler l’économie locale et à réduire les inégalités salariales, est indispensable pour favoriser une répartition plus équitable des ressources et renforcer l’intégration du secteur informel dans l’économie nationale (INSTAT, 2022).Le secteur informel à Toliara joue un rôle central dans l’économie locale, apportant des revenus essentiels à une large partie de la population, notamment à travers le petit commerce, les marchés locaux comme ceux de Bazary Secama et Bazary Bé, ainsi que le transport informel. Ce secteur permet à de nombreux habitants de faire face à la précarité économique et à l'absence d'emplois formels, mais il est également marqué par des conditions de travail difficiles, un manque de régulation, et une absence de sécurité sociale pour les travailleurs.

Les tentatives de régulation du secteur informel, bien qu'encourageantes, se heurtent à des résistances de la part des travailleurs, souvent perçus comme des acteurs vulnérables qui bénéficient de la flexibilité qu’offre le secteur informel. L’incident du 14 décembre 2024, où plusieurs commerçants ont été arrêtés et transférés à Antananarivo, montre clairement les tensions existantes entre l'autorité publique et les travailleurs informels, et souligne les limites des approches autoritaires pour encadrer ce secteur.

Face à ces défis, il apparaît crucial de mettre en place des solutions adaptées qui équilibrent formalisation et flexibilité. La création d'espaces de vente encadrés, la mise en place d’un cadre de régulation spécifique pour le transport informel, ainsi que l’accès au financement et aux programmes de formation sont des pistes sérieuses pour encourager la structuration du secteur sans en compromettre la viabilité.

L'avenir du secteur informel à Toliara semble reposer sur la mise en place de réformes inclusives et adaptées aux réalités locales. Il est nécessaire de promouvoir un modèle hybride entre formel et informel, où les travailleurs informels bénéficient des avantages du secteur formel tout en conservant leur flexibilité d’action. Ce modèle pourrait contribuer à la stabilité économique de la ville et offrir des perspectives d'emplois durables et mieux rémunérés.

Recommandations pour un développement plus encadré et inclusif

  1. Renforcer les programmes de sensibilisation à la formalisation, afin de faire comprendre aux travailleurs informels les avantages des réformes, notamment en termes de sécurité sociale et de soutien financier.

  2. Encadrer les activités informelles en créant des espaces de vente dédiés, tout en garantissant des conditions de travail et des services de base adéquats pour les commerçants.

  3. Mettre en place un cadre de régulation pour le transport informel, en introduisant des licences, des normes de sécurité et une tarification transparente pour les transporteurs, sans imposer des taxes excessives.

  4. Favoriser l'accès au financement et à la formation pour les acteurs du secteur informel, afin qu'ils puissent développer leur activité de manière durable et profitable.

  5. Encourager la coopération entre les acteurs du secteur informel, les autorités locales et les organisations communautaires, pour favoriser un dialogue constructif sur la manière de structurer et réguler ce secteur de manière efficace et juste.

En somme, un avenir prospère pour le secteur informel à Toliara dépendra de la mise en place de réformes équilibrées qui permettent d'intégrer les travailleurs informels dans une économie formelle plus inclusive, tout en préservant les caractéristiques de flexibilité et d’adaptabilité qui font la force de ce secteur.


BIBLIOGRAPHIQUE

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