Madagascar : l’ONU alerte sur un risque de quadruplement de la faim d’ici 2026 dans le Grand Sud
- TAHINISOA Ursulà Marcelle
- il y a 2 heures
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La situation humanitaire à Madagascar suscite une inquiétude croissante au sein de la communauté internationale. L’Organisation des Nations unies (ONU) a tiré la sonnette d’alarme face à une détérioration rapide des conditions de vie dans le Grand Sud, une région déjà marquée par la sécheresse, les crises alimentaires récurrentes et la fragilité des infrastructures sanitaires. Selon les projections des agences onusiennes, le nombre de personnes souffrant de la faim à un niveau qualifié d’« urgence » pourrait passer de près de 29 000 à environ 110 000 d’ici le début de l’année 2026. Cette estimation révèle une progression alarmante, équivalente à un quasi-quadruplement du nombre de victimes de la faim aiguë.
Derrière ces chiffres se cache une réalité dramatique : celle de familles entières plongées dans la précarité, de communautés rurales privées de ressources essentielles et de systèmes publics fragilisés par des catastrophes naturelles à répétition. L’ONU met en garde contre une aggravation multidimensionnelle de la crise, touchant non seulement l’alimentation, mais aussi la santé et les services de base tels que l’accès à l’électricité.

Une progression inquiétante de la faim dans le Grand Sud
Les données publiées par les agences et partenaires de l’ONU sur le terrain font état d’une situation particulièrement préoccupante dans le Grand Sud malgache. Actuellement, environ 29 000 personnes souffrent d’un niveau de faim qualifié d’« urgence ». Mais selon les prévisions établies à partir des tendances observées et des conditions climatiques prévues, ce chiffre pourrait atteindre 110 000 individus d’ici le début de l’année 2026.
Cette évolution, presque multipliée par quatre, illustre la profondeur de la crise alimentaire qui frappe cette région déjà vulnérable. Les ménages ruraux, dépendants d’une agriculture de subsistance, subissent de plein fouet les conséquences des sécheresses prolongées et des phénomènes climatiques extrêmes. Les récoltes sont souvent perdues, les sources d’eau se raréfient, et les ressources locales deviennent insuffisantes pour répondre aux besoins élémentaires des populations.
Les responsables onusiens soulignent que cette tendance s’inscrit dans une dynamique inquiétante, où les chocs climatiques et économiques se cumulent et réduisent la capacité des communautés à se relever. Les réserves alimentaires s’épuisent, les prix des denrées de base augmentent, et l’accès à une alimentation suffisante devient un défi quotidien. Dans certains districts, des familles doivent réduire le nombre de repas quotidiens, voire se tourner vers des aliments de substitution à faible valeur nutritive.
L’ONU met ainsi en avant une urgence humanitaire grandissante. Les équipes locales de ses agences partenaires constatent déjà une recrudescence des cas de malnutrition, notamment chez les enfants et les femmes enceintes. Ces groupes, considérés comme les plus vulnérables, risquent de subir des conséquences irréversibles sur leur santé si des interventions rapides et coordonnées ne sont pas mises en œuvre.
Des causes multiples : climat, crises agricoles et fragilité économique
Le porte-parole du secrétaire général des Nations unies, Stéphane Dujarric, a détaillé les facteurs ayant conduit à cette crise profonde. Selon lui, plusieurs phénomènes se conjuguent pour aggraver la situation : la sécheresse provoquée par le phénomène El Niño, la multiplication des cyclones et les infestations de criquets pèlerins. Ces éléments ont eu un effet dévastateur sur les cultures, accentuant la pénurie alimentaire dans les zones rurales.
Le phénomène El Niño, en modifiant les régimes pluviométriques, a entraîné un déficit hydrique prolongé sur de vastes zones du sud malgache. Les champs asséchés n’ont pas permis une production suffisante pour répondre aux besoins des habitants, et les faibles récoltes ont fragilisé l’économie locale. Parallèlement, les cyclones, de plus en plus fréquents et violents, ont détruit les infrastructures, endommagé les routes et isolé certaines localités, rendant difficile la distribution de l’aide humanitaire.
Les invasions de criquets pèlerins ont, quant à elles, réduit à néant les espoirs de récoltes dans plusieurs districts. Ces insectes ravagent les plantations en quelques jours, privant les agriculteurs de leur seule source de revenus et de subsistance. Les pertes cumulées provoquent un effet boule de neige : diminution de la production, hausse des prix, appauvrissement des foyers, et donc aggravation de l’insécurité alimentaire.
À ces difficultés s’ajoute une fragilité économique structurelle. Le Grand Sud de Madagascar demeure l’une des régions les plus pauvres du pays, avec un accès limité à l’emploi, aux marchés et aux services publics. Les populations rurales, déjà marginalisées, disposent de peu de moyens pour diversifier leurs activités ou constituer des réserves. Les chocs extérieurs – qu’ils soient climatiques ou sanitaires – ont donc un impact direct et immédiat sur leur survie.
Les coupes budgétaires mentionnées par le porte-parole de l’ONU aggravent encore cette situation. La réduction des ressources financières limite la capacité des Nations unies à intervenir efficacement sur le terrain. Les programmes de distribution alimentaire, de soins de santé ou d’appui agricole doivent être ajustés, voire suspendus, faute de moyens suffisants. Cette contrainte budgétaire freine les efforts humanitaires et compromet la mise en œuvre de solutions durables.
Des épidémies qui fragilisent davantage le système de santé
La crise alimentaire ne vient pas seule. Elle s’accompagne d’une recrudescence d’épidémies qui mettent à rude épreuve un système de santé déjà affaibli. Stéphane Dujarric a rappelé qu’une épidémie de paludisme survenue plus tôt cette année a lourdement pesé sur les structures sanitaires locales. Les hôpitaux, souvent sous-équipés et mal approvisionnés, peinent à faire face à l’afflux de patients.
Le paludisme reste endémique dans plusieurs régions de Madagascar, mais sa propagation récente dans le Grand Sud illustre la vulnérabilité du pays face aux crises sanitaires. Les conditions climatiques, notamment les alternances entre sécheresse et pluies torrentielles, favorisent la prolifération des moustiques vecteurs de la maladie. Dans les zones les plus reculées, l’accès aux soins est limité : de nombreux villages se trouvent à plusieurs heures de marche des centres de santé, et les médicaments sont souvent en rupture de stock.
Les autres pathologies ne sont pas en reste. Des flambées de maladies diarrhéiques ont été signalées dans certaines zones, conséquence directe du manque d’eau potable et de la dégradation des conditions d’hygiène. Les enfants, déjà affaiblis par la malnutrition, sont les premiers touchés.
Le personnel médical, confronté à une surcharge de travail, manque cruellement de moyens pour répondre à ces urgences. L’ONU insiste sur la nécessité de renforcer le soutien au système de santé local, tant en équipements qu’en ressources humaines. Les partenaires internationaux sont appelés à contribuer financièrement à ces efforts, afin d’éviter un effondrement total des services de santé dans les zones touchées.
Un appel à la solidarité internationale et régionale
Face à cette situation critique, l’ONU a réaffirmé sa volonté d’accompagner Madagascar. L’organisation se dit prête à travailler en étroite collaboration avec l’Union africaine et la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) pour faire face à la crise humanitaire. Cette coopération vise à coordonner les interventions, à renforcer les capacités locales et à mobiliser des ressources supplémentaires.
Les Nations unies insistent sur le fait que cette crise ne peut être résolue par des actions isolées. Elle nécessite une approche globale, intégrant à la fois l’urgence humanitaire et le développement à long terme. L’objectif est d’éviter que les mêmes causes ne produisent les mêmes effets année après année.
Les agences onusiennes travaillent déjà à des programmes de résilience, centrés sur la sécurité alimentaire, la gestion de l’eau et la relance de l’agriculture. Ces initiatives visent à aider les communautés à reconstruire leurs moyens de subsistance et à mieux se préparer aux aléas climatiques.
Cependant, ces efforts demeurent insuffisants sans un appui financier conséquent. Les appels de fonds lancés par les Nations unies peinent souvent à être totalement couverts. Les retards de financement ralentissent la mise en œuvre des projets et compromettent leur efficacité. L’ONU exhorte donc les bailleurs internationaux à intensifier leur soutien, rappelant que chaque mois de retard peut se traduire par des pertes humaines supplémentaires.
L’organisation insiste également sur l’importance d’un engagement national fort. Le gouvernement malgache est appelé à renforcer ses politiques de lutte contre l’insécurité alimentaire, à améliorer la gouvernance locale et à garantir une meilleure coordination entre les acteurs. L’appui international ne saurait se substituer aux efforts internes, mais il peut en être le catalyseur.
L’accès à l’électricité : un défi persistant malgré des progrès
Au-delà de la question alimentaire, l’ONU attire aussi l’attention sur un autre volet essentiel du développement : l’accès à l’électricité. Si des améliorations ont été constatées ces dernières années, notamment grâce à des projets d’électrification rurale, de nombreuses communautés restent encore isolées du réseau national.
Dans les zones reculées du Grand Sud, l’absence d’électricité entrave le fonctionnement des infrastructures de base. Les écoles, les dispensaires et les centres communautaires peinent à assurer leurs missions faute d’énergie. Cette carence limite également l’accès à l’information, freine les activités économiques et accentue l’isolement des populations.
L’ONU souligne que l’accès à l’électricité constitue un levier fondamental pour le développement humain. Il favorise la création d’emplois, améliore la qualité de l’éducation et renforce les services de santé. Dans le contexte actuel, il représente aussi un outil de résilience : un réseau électrique stable permet de conserver les denrées alimentaires, d’alimenter les installations médicales et de soutenir les initiatives locales.
Les progrès observés sont encourageants, mais insuffisants. Les projets d’électrification rurale doivent être amplifiés et mieux ciblés pour atteindre les zones les plus marginalisées. L’organisation internationale recommande la mise en place de partenariats publics-privés, ainsi que le recours aux énergies renouvelables, adaptées aux réalités géographiques du pays. L’énergie solaire, en particulier, apparaît comme une solution viable pour alimenter les villages éloignés sans dépendre des infrastructures centrales.
Le développement énergétique, au même titre que la lutte contre la faim, s’inscrit dans une approche globale de la réduction de la pauvreté. Pour l’ONU, il s’agit d’un pilier indispensable de la stabilité sociale et économique de Madagascar.
Une urgence humanitaire et morale
La situation du Grand Sud malgache interpelle la conscience internationale. Le risque de voir le nombre de personnes souffrant de faim extrême quadrupler d’ici 2026 traduit l’ampleur du drame qui se joue. Derrière les chiffres, ce sont des vies humaines qui basculent dans la détresse, des enfants privés d’avenir et des communautés entières menacées d’effondrement.
L’ONU appelle à une mobilisation urgente et collective. L’heure n’est plus aux diagnostics, mais à l’action concertée. Chaque acteur – qu’il soit institutionnel, associatif ou citoyen – a un rôle à jouer pour prévenir une catastrophe annoncée.
La lutte contre la faim, la pauvreté et les inégalités demeure un défi mondial. À Madagascar, elle prend aujourd’hui une dimension critique qui exige une réponse à la hauteur. Si la solidarité internationale se manifeste avec vigueur, il est encore possible d’inverser la tendance et de redonner espoir à ceux qui, dans le Grand Sud, luttent chaque jour pour leur survie.