Opération FOSIKA : le grand nettoyage annoncé dans l’enseignement supérieur malgache
- TAHINISOA Ursulà Marcelle

- il y a 45 minutes
- 10 min de lecture
Le 1er décembre 2025, dans l’enceinte du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique (MESUPRES) à Tsimbazaza Fiadanana, une cérémonie solennelle a marqué le lancement officiel de l’Opération FOSIKA. Derrière cet acronyme devenu mot d’ordre, le Gouvernement et la Présidence de la Rénovation de la République de Madagascar affirment vouloir rétablir un lien de confiance fragilisé entre les citoyens, les universités et la recherche scientifique. La scène, réunissant autorités politiques, responsables universitaires et représentants d’institutions publiques, a donné au moment une portée symbolique forte : celle d’un début de “nettoyage” assumé, présenté comme indispensable pour consolider l’intégrité du système. L’initiative vise une transparence accrue, une lutte frontale contre la corruption et les dérives académiques, et la mise à disposition d’un canal de signalement accessible à tous. L’Opération FOSIKA s’annonce comme une action de six mois au cœur d’une stratégie politique plus large de redressement national.

Un lancement sous le signe de la restauration de la confiance
La restauration de la confiance du public dans l’enseignement supérieur et la recherche scientifique apparaît comme l’axe central du discours politique ayant accompagné le lancement de l’Opération FOSIKA. La Présidence de la Rénovation de la République de Madagascar, dirigée par Michaël Randrianirina, a placé la question au rang de priorité. Cette notion de confiance renvoie à un enjeu simple mais fondamental : pour que l’université reste un moteur du pays, ses diplômes, ses recrutements et ses filières doivent être perçus comme légitimes, et donc protégés des abus.
La cérémonie s’est ouverte sur une prise de parole du Conseiller spécial de la Présidence de la Rénovation, le colonel Zafitasondry Marcellin. Sa présence, aux côtés du colonel Rampanarivo Thierry, a donné à l’événement un caractère d’engagement direct de la Présidence. Le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, le professeur Ravonimantsoa Ndaohialy Manda-Vy, a ensuite pris place au premier rang d’une assemblée hétérogène : représentants du Gouvernement, membres des deux Chambres du Parlement, responsables administratifs du MESUPRES, présidents d’université et acteurs venus des établissements publics et privés. Cette diversité de participants, mise en avant durant l’événement, sert un double message : l’Opération FOSIKA concerne toutes les familles universitaires et le redressement est présenté comme un effort collectif.
Dans les interventions, le ton a oscillé entre gravité et appel à la mobilisation. Gravité, parce que la corruption et les dérives universitaires, telles qu’évoquées, ont été décrites comme assez profondes pour altérer la crédibilité de l’ensemble du système. Mobilisation, parce que FOSIKA n’est pas présenté comme une seule action administrative, mais comme un mouvement collectif. Le choix du mot “opération” évoque une campagne structurée, limitée dans le temps, avec une logique de résultat. Le choix du vocabulaire de la transparence et du nettoyage renvoie à l’idée qu’une période de clarification est rendue nécessaire pour rebâtir sur des bases saines.
Ce lancement se veut aussi une rupture symbolique. Le fait que l’annonce soit faite au MESUPRES, en présence d’autorités politiques et universitaires réunies, inscrit l’initiative dans un espace institutionnel central. Le message est clair : le Gouvernement assume publiquement sa volonté d’ouvrir un chantier d’assainissement, et il le fait sous l’œil de ceux qu’il considère à la fois comme responsables et partenaires. Le système universitaire est appelé à se regarder en face, et à accepter un contrôle renforcé pour regagner sa crédibilité.
Un dispositif d’assainissement aux cibles clairement identifiées
L’Opération FOSIKA est présentée comme un dispositif de nettoyage, et les cibles annoncées le montrent sans ambiguïté. Il s’agit d’un espace d’assainissement destiné à permettre le signalement de plusieurs types d’anomalies jugées particulièrement destructrices pour l’enseignement supérieur. Parmi celles-ci figurent les faux diplômes, la corruption dans le recrutement, l’ouverture illégale de filières et les violences au sein des établissements universitaires. L’énumération, répétée lors du lancement, souligne l’ampleur de la mission : FOSIKA ne se limite pas à un contrôle administratif, il ambitionne de traiter des atteintes à la légalité, à l’éthique académique et à la sécurité des étudiants.
Les faux diplômes constituent l’un des points sensibles. Dans un système universitaire, l’existence de certifications falsifiées ou distribuées de manière frauduleuse affaiblit l’ensemble de la chaîne de valeur. Un diplôme n’est pas seulement un document : il est une preuve de compétence, une passerelle vers l’emploi, un marqueur social. En visant cette dérive, l’Opération FOSIKA affirme vouloir protéger la valeur des titres officiels et, par extension, la réputation des universités.
La corruption dans le recrutement figure également au cœur du dispositif. Les autorités font référence à des pratiques qui compromettent la transparence des procédures d’embauche, qu’il s’agisse du personnel administratif ou des enseignants-chercheurs. Ce type de dérive est particulièrement corrosif, car il touche à la qualité même de l’enseignement : si le recrutement n’est pas fondé sur la compétence, c’est la formation des étudiants qui se trouve fragilisée. L’Opération FOSIKA s’inscrit ici dans une logique de rectification des règles du jeu.
Autre cible annoncée : l’ouverture illégale de filières. Cette question renvoie à la structuration même du paysage universitaire. Une filière n’est légitime que si elle respecte des standards d’accréditation et d’assurance qualité. L’annonce de sanctions pouvant aller jusqu’à la fermeture de filières concernées montre que l’État entend désormais faire respecter strictement les procédures établies. L’approche choisie repose sur l’idée qu’une filière non autorisée ou non conforme déséquilibre le système, en attirant des étudiants vers des parcours dont la reconnaissance pourrait être inexistante ou contestée.
Enfin, la mention explicite des violences dans les établissements universitaires élargit le champ de l’Opération FOSIKA au-delà des seules fraudes administratives. La violence, qu’elle soit physique, psychologique ou institutionnelle, est évoquée comme une anomalie pouvant être signalée. Ce point donne à FOSIKA une dimension de protection des personnes, et pas uniquement des normes académiques. En incluant la violence dans le périmètre, l’initiative s’attaque à ce qui peut empêcher l’université d’être un lieu d’étude serein et sûr.
L’ensemble de ces cibles dessine le portrait d’un système confronté à des risques multiples. FOSIKA se présente comme une réponse transversale, capable de recevoir des signalements sur tout ce qui dévie des principes de qualité, d’éthique et de sécurité. Le dispositif vise à rassembler, centraliser et traiter des informations qui, autrement, seraient dispersées, invisibles ou étouffées par peur des représailles.
Ne pas se taire : un appel public à la dénonciation et au courage civique
Un passage particulièrement marquant du lancement réside dans l’appel explicite du Gouvernement et du ministre : “ne pas avoir peur ou hésiter à dénoncer toute anomalie observée”. Cette injonction sonne comme une invitation à rompre le silence qui entoure souvent les pratiques illégales ou abusives. L’Opération FOSIKA ne pourra fonctionner que si les informations remontent. En ce sens, elle repose sur une logique participative : les citoyens en deviennent les sentinelles.
Cet appel au courage civique prend une valeur spécifique dans le domaine universitaire. L’université est un espace hiérarchisé, où étudiants, enseignants, administratifs et responsables se côtoient dans un rapport parfois asymétrique. Dénoncer un faux diplôme, un recrutement frauduleux ou une filière illégale peut impliquer de s’attaquer à des intérêts installés. La crainte de représailles, l’informel, le poids des réseaux, ou simplement la fatigue face à des pratiques jugées “normales” sont autant d’obstacles possibles. En invitant publiquement à ne pas hésiter, l’État cherche à réduire la perception du risque individuel et à transformer la dénonciation en acte citoyen valorisé.
La promesse de sanctions immédiates renforce ce message. Les autorités ont annoncé une réponse ferme, allant jusqu’à la fermeture de filières ou le retrait de diplômes. Le caractère immédiat suggère la volonté de produire un effet dissuasif rapide. En d’autres termes, l’Opération FOSIKA doit faire comprendre que la période d’impunité est terminée. Les sanctions les plus lourdes sont mentionnées dès le lancement pour signifier une rupture avec les pratiques tolérées ou laissées sans suite.
Cependant, la force d’une telle approche dépendra de sa capacité à être perçue comme équitable. Les dénonciations, pour ne pas se transformer en outils de règlement de comptes, doivent être traitées selon des règles transparentes. L’annonce d’un dispositif piloté par des institutions spécialisées en accréditation, assurance qualité et lutte anticorruption peut être lue comme une tentative d’encadrer la procédure et d’éviter les dérives. Le citoyen doit pouvoir signaler sans craindre que son initiative soit ignorée ou instrumentalisée.
Le recours à la dénonciation citoyenne fait aussi basculer la lutte contre la corruption d’un terrain strictement administratif à un terrain social. Il s’agit d’un changement culturel implicite : on demande à chacun, quelle que soit sa position dans le système, de participer au redressement. Le lancement de FOSIKA inscrit la responsabilité dans un espace collectif. L’université n’est plus seulement un service public à contrôler par le haut, mais une communauté qui doit s’auto-protéger, avec l’aide de l’État.
Cet appel public est donc l’un des piliers politiques de l’opération. Il témoigne d’une stratégie où la transparence ne se décrète pas uniquement par des contrôles, mais se construit par une circulation plus libre de la parole et des preuves. La question essentielle devient dès lors : les acteurs se saisiront-ils de ce droit de signalement ? Et l’État saura-t-il répondre avec la rapidité et la rigueur promises ?
Une opération de six mois structurée par des acteurs dédiés
L’Opération FOSIKA est limitée dans le temps : six mois. Cette durée est explicitement annoncée comme le cadre de la campagne. On peut y voir une volonté de transformer l’initiative en action concentrée, avec un début, un déroulement et des résultats attendus. Une opération de six mois peut être comprise comme un temps d’intensification, censé produire un choc de transparence. Elle ne se présente pas comme une réforme vague, mais comme un cycle de nettoyage ciblé.
Le pilotage est confié à la Direction de l’Accréditation et de l’Assurance Qualité (DAAQ) et au Coordinateur de la Lutte contre la Corruption (CAC) au sein du MESUPRES. Ce choix illustre l’articulation de deux logiques complémentaires : la qualité académique d’un côté, la lutte contre les pratiques illicites de l’autre. En plaçant la DAAQ au centre, l’État rappelle que les dérives ne sont pas seulement morales ou juridiques, mais qu’elles touchent au cœur même de la mission universitaire. En associant le CAC, il affirme que la corruption est un problème structurel qui doit être traité avec des outils spécifiques.
La collaboration annoncée avec le BIANCO, le Bureau Indépendant Anti-Corruption, ajoute un troisième niveau d’intervention. Le BIANCO est présenté comme partenaire opérationnel. Cette association vise à donner à FOSIKA une capacité d’enquête et de sanction renforcée. Le message implicite est que les signalements ne resteront pas au stade interne au ministère, mais qu’ils pourront être traités par une institution dont la vocation est précisément de combattre la corruption.
Ce schéma institutionnel donne à l’opération une architecture claire. D’un côté, une autorité ministérielle chargée de garantir les normes universitaires. De l’autre, un coordinateur anticorruption qui symbolise la dimension éthique et pénale. Enfin, un organisme indépendant partenaire qui renforce la crédibilité de l’action. L’ensemble est présenté comme un filet de sécurité destiné à éviter que les signalements ne se perdent dans la bureaucratie.
La structure temporelle de six mois permet en outre d’objectiver l’action. Elle impose un calendrier aux acteurs pilotes, et crée une attente chez les citoyens. À l’issue de cette période, il sera possible de mesurer les effets : nombre de signalements, enquêtes ouvertes, filières contrôlées, sanctions prononcées. Sans ajouter d’éléments extérieurs, on peut dire que la durée fixée engage les institutions à rendre compte. Autrement dit, l’opération est conçue pour être lisible et évaluée.
Cette temporalité peut aussi permettre une montée en puissance progressive. Les premières semaines peuvent servir à faire connaître la plateforme, à rassurer les citoyens sur la confidentialité ou l’utilité des signalements, puis à intensifier la collecte d’informations. Les derniers mois, quant à eux, pourraient être orientés vers le traitement des dossiers les plus lourds. La logique des six mois offre donc un cadre à la fois stratégique et symbolique : celui d’un délai donné au pays pour se regarder en face et trier ce qui relève de la légitimité et de la fraude.
La plateforme FOSIKA, instrument central d’une transparence participative
Le professeur Raherinirina Angelo, représentant la DAAQ, a présenté lors de la cérémonie la plateforme FOSIKA, décrite comme un outil permettant à tout citoyen d’effectuer des signalements, avec ou sans preuve. Cette précision est essentielle dans la philosophie du dispositif. Elle signifie que l’accès au signalement se veut ouvert, simple et inclusif. L’objectif annoncé est de ne pas limiter la participation aux personnes capables de fournir immédiatement des documents ou des preuves formelles.

Ce principe donne à la plateforme une fonction de porte d’entrée. Elle n’est pas seulement une boîte aux lettres numérique, mais un espace de collecte d’alertes. En acceptant les signalements même sans preuve, l’État reconnaît que certaines anomalies sont difficiles à documenter par les individus. Une situation de corruption dans un recrutement, une filière ouverte illégalement, ou un faux diplôme peuvent être connus par rumeur, par observation indirecte, ou par expérience personnelle sans trace écrite. Dans cette logique, le signalement devient un déclencheur d’enquête et non une condamnation en soi.
La plateforme donne également un visage moderne à l’opération. Elle matérialise l’idée que la transparence passe par des outils accessibles, capables d’atteindre rapidement l’ensemble du territoire universitaire. On peut y lire une volonté de contourner les obstacles traditionnels : lourdeur administrative, peur de parler en face-à-face, difficulté de trouver le bon interlocuteur. Le numérique, présenté ici comme support de confiance, permet à chacun de transmettre une information sans devoir franchir des barrières physiques ou hiérarchiques.
La qualité d’un tel outil dépendra, dans la durée des six mois, de plusieurs aspects inhérents au dispositif tel qu’annoncé. D’abord, sa lisibilité pour le citoyen : une plateforme doit être simple, intuitive, et clairement associée à une promesse de suivi. Ensuite, la crédibilité du traitement : si les citoyens perçoivent que leurs signalements ne produisent aucune action, l’élan s’épuisera vite. À l’inverse, si des résultats sont visibles, l’outil peut devenir un point d’appui majeur dans la lutte contre les dérives.
Enfin, la plateforme FOSIKA constitue une forme de médiation entre l’État et la société universitaire. Elle crée un espace où la parole peut circuler de manière structurée. Là où autrefois la dénonciation pouvait être informelle, dispersée ou risquée, elle devient un acte codifié, inscrit dans un cadre officiel. Cette institutionnalisation de l’alerte change la manière de concevoir la responsabilité citoyenne.
La plateforme, dans la vision présentée au lancement, n’a donc pas qu’un rôle technique. Elle porte un symbole : celui d’un État qui cherche à rendre une part du contrôle aux citoyens, sans leur déléguer la justice, mais en leur donnant le pouvoir d’alerter. Dans le contexte de l’Opération FOSIKA, elle est le nerf de la guerre. Elle conditionne la capacité à faire remonter les anomalies, à les cartographier, puis à agir.
Au terme de cette cérémonie du 1er décembre 2025, l’Opération FOSIKA apparaît comme une campagne de six mois où l’État malgache entend conjuguer contrôle institutionnel et participation citoyenne. Le dispositif se veut à la fois ferme dans ses sanctions, précis dans ses cibles, et ouvert dans sa méthode. Il engage la Présidence de la Rénovation, le MESUPRES, les universités, le BIANCO et, surtout, les citoyens. La promesse est celle d’un enseignement supérieur assaini et d’une recherche scientifique restaurée dans son intégrité. Reste désormais à voir si les alertes afflueront, si les enquêtes suivront et si les sanctions annoncées se traduiront concrètement. Mais une chose est certaine : en lançant FOSIKA publiquement, l’État a posé un jalon politique fort, celui d’une volonté affichée de ne plus tolérer les dérives qui fragilisent l’université et, avec elle, l’avenir du pays.


