Redevance de concession : le personnel d’ADEMA monte au créneau contre Ravinala Airports
- TAHINISOA Ursulà Marcelle
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L’affaire qui secoue aujourd’hui le secteur aéronautique malgache trouve ses racines dans un contrat de concession signé il y a près d’une décennie. Depuis plusieurs semaines, la tension monte au sein de la société Aéroports de Madagascar (ADEMA S.A). Son personnel, soutenu par ses représentants syndicaux, dénonce avec vigueur l’attitude de Ravinala Airports — consortium dominé par Aéroports de Paris (ADP) — accusé de n’avoir pas versé la redevance annuelle de concession due à l’État malgache. Le montant cumulé de cette dette est désormais estimé à 80 milliards d’Ariary, soit environ 16 millions d’euros. Les employés d’ADEMA réclament son paiement immédiat, soulignant les répercussions économiques et structurelles que cette situation provoque sur les 55 aéroports placés sous leur responsabilité.

Un contrat de concession au cœur des tensions
L’origine du conflit remonte à 2015. Cette année-là, l’État malgache avait décidé de transférer la gestion des aéroports d’Ivato (Antananarivo) et de Nosy Be à la société Aéroports de Paris (ADP), sous la forme d’un contrat de concession de 28 ans. Ce partenariat public-privé devait permettre une modernisation rapide de ces deux infrastructures, considérées comme les principales portes d’entrée du pays, tout en garantissant le bon fonctionnement du réseau aéroportuaire national.
Cependant, dès son lancement, cette décision avait suscité des contestations internes. De nombreux employés d’ADEMA y voyaient une perte de souveraineté économique, dans la mesure où les aéroports les plus rentables passaient sous contrôle étranger. Pour eux, Ivato et Nosy Be assuraient jusque-là le financement et le maintien des 55 autres plateformes aéroportuaires du pays, dont la majorité fonctionne à perte. En privant ADEMA de ces revenus directs, l’État, selon les syndicats, avait fragilisé l’équilibre de tout le réseau aéroportuaire national.
Le contrat prévoyait néanmoins que Ravinala Airports, filiale d’ADP, verse chaque année une redevance de concession à l’État malgache. Cette redevance devait ensuite être reversée à ADEMA pour financer ses missions de gestion, d’entretien et de développement des infrastructures restantes. Or, selon les délégués du personnel, ce mécanisme n’a pas été respecté depuis 2020.
Quatre années d’impayés et un réseau aéroportuaire en péril
Depuis 2020, Ravinala Airports n’aurait versé aucun centime de la redevance annuelle. Ce manquement contractuel, que le personnel d’ADEMA juge « inacceptable et préjudiciable », représente aujourd’hui un manque à gagner considérable : environ 80 milliards d’Ariary. Cette somme, loin d’être symbolique, constitue une ressource essentielle au maintien en activité des petits aéroports et aérodromes régionaux.
Selon Patrick Guy René Raberanto, délégué du personnel d’ADEMA, cette dette a plongé l’entreprise dans une situation financière extrêmement délicate. « Sans cette redevance, il devient presque impossible d’assurer la maintenance, la modernisation et la sécurité des infrastructures aéroportuaires situées en dehors d’Ivato et de Nosy Be », a-t-il expliqué lors d’une conférence de presse tenue à Ivato le 20 octobre 2025. Il précise que ces 55 aéroports répartis sur tout le territoire malgache dépendent quasi intégralement de cette manne financière pour fonctionner.
En conséquence, les effets concrets ne se sont pas fait attendre. Dans plusieurs régions, des pistes ne sont plus entretenues, les systèmes de balisage sont défaillants et certaines plateformes voient leurs capacités d’accueil réduites. Le personnel évoque également un ralentissement dans les programmes de modernisation prévus pour mettre ces infrastructures en conformité avec les standards internationaux de sécurité aérienne. Des retards qui, à terme, pourraient compromettre la certification de certains aéroports et donc freiner le développement du tourisme intérieur.
Cette situation, selon les employés, équivaut à une exploitation gratuite du patrimoine de l’État par Ravinala Airports. Ils dénoncent « un enrichissement sans cause » d’un concessionnaire étranger qui, tout en tirant profit des deux principales plateformes du pays, se soustrairait à ses obligations financières envers l’État malgache.
Les accusations de manœuvres dilatoires et de complicité
Les employés d’ADEMA ne se contentent plus de dénoncer le non-paiement : ils accusent Ravinala Airports d’avoir recours à des manœuvres dilatoires pour échapper à ses engagements. Selon leurs déclarations, plusieurs tentatives de médiation ont été initiées par le ministère des Transports et par la direction générale d’ADEMA depuis 2021, sans qu’aucun résultat tangible n’ait été obtenu. Les démarches administratives et les relances officielles seraient restées sans réponse, voire « classées sans suite » par certaines instances gouvernementales.
Les représentants syndicaux évoquent également une possible complicité entre Ravinala Airports et Madagascar Airlines, la compagnie aérienne nationale. Selon eux, le contrat de concession stipulerait qu’en cas de non-paiement des redevances par Madagascar Airlines, Ravinala Airports pourrait suspendre le versement de la redevance de concession à titre compensatoire. Or, cette clause, censée être temporaire et exceptionnelle, serait devenue un prétexte permanent pour justifier l’absence de paiement.
Pour les délégués d’ADEMA, il s’agit là d’une situation de conflit d’intérêts manifeste. Ils notent que les dirigeants des deux entités concernées — Ravinala Airports et Madagascar Airlines — sont des ressortissants étrangers, ce qui, selon eux, alimente un sentiment d’injustice et de perte de contrôle national. Le départ récent du directeur général de Madagascar Airlines ne fait qu’ajouter à la confusion, renforçant les soupçons de collusion et de mauvaise gestion.
Face à ce qu’ils considèrent comme une inertie des autorités et une violation du traité de concession, les employés d’ADEMA ont décidé de hausser le ton. Leur déclaration officielle du 20 octobre 2025 adresse un ultimatum d’une semaine à Ravinala Airports pour s’acquitter de la totalité des 16 millions d’euros dus.
Un ultimatum et une interpellation directe du gouvernement
Dans leur déclaration, les employés d’ADEMA interpellent directement le Président de la République et le futur gouvernement de la refondation nationale. Ils demandent à l’État d’assumer pleinement son rôle d’autorité concédante et de veiller à ce que le concessionnaire respecte ses engagements financiers. Les signataires, représentant l’ensemble du personnel de la société, affirment agir « dans le respect du droit et dans la défense de l’intérêt national ».
Leur revendication principale est claire : le paiement immédiat des 80 milliards d’Ariary de redevance accumulés. Selon eux, cet argent est vital pour relancer les activités de maintenance et de modernisation du réseau aéroportuaire malgache. Ils insistent sur le fait que cette somme ne constitue pas une faveur ni une aide, mais bien une obligation légale prévue par le contrat de concession.
Au-delà de la question financière, le mouvement prend une tournure patriotique. Les employés dénoncent un modèle économique jugé déséquilibré, où les ressources nationales profiteraient à des entreprises étrangères tandis que les infrastructures locales se dégradent. « Les aéroports d’Ivato et de Nosy Be sont des portes d’entrée symboliques du pays. Les céder à une entreprise étrangère sans contrepartie financière revient à compromettre notre souveraineté », a déclaré Rinasoa Rabemifidy, responsable de la communication d’ADEMA.
Cette déclaration résonne comme un cri d’alarme adressé à la fois au gouvernement et à l’opinion publique. Les employés préviennent que sans règlement rapide, ils se réservent le droit de durcir leur position, voire d’envisager des actions collectives susceptibles de perturber le trafic aérien national.
Les conséquences économiques et politiques d’un bras de fer prolongé
Si Ravinala Airports ne s’exécute pas, le conflit pourrait avoir des répercussions majeures, tant sur le plan économique que politique. D’un point de vue économique, la paralysie d’ADEMA risquerait d’aggraver la situation déjà fragile du transport aérien malgache. Le pays dépend en grande partie de ses aéroports régionaux pour relier les différentes zones, souvent isolées par manque d’infrastructures routières. Un affaiblissement durable d’ADEMA compromettrait la connectivité nationale et freinerait le développement touristique et commercial.
Sur le plan politique, cette affaire met en lumière la complexité des partenariats public-privé conclus au cours des dernières années. La privatisation partielle de certains secteurs stratégiques, souvent justifiée par la recherche d’investissements étrangers, a parfois conduit à des déséquilibres de pouvoir au détriment des acteurs locaux. Le cas de Ravinala Airports illustre ce paradoxe : censé moderniser les infrastructures, le concessionnaire est désormais accusé d’en bloquer le développement.
Cette polémique pourrait donc pousser les autorités à revoir les termes de la concession, voire à envisager sa résiliation anticipée. Une telle mesure, cependant, présenterait des risques juridiques et diplomatiques non négligeables, compte tenu du poids économique d’Aéroports de Paris et de ses partenaires dans la région.
Enfin, d’un point de vue social, la mobilisation du personnel d’ADEMA traduit un malaise plus profond au sein de la fonction publique et des entreprises parapubliques malgaches. Nombre d’employés estiment que les intérêts nationaux sont trop souvent sacrifiés au profit de contrats opaques conclus avec des acteurs étrangers. Le cas ADEMA-Ravinala symbolise ainsi la frustration d’une partie du monde du travail face à la gestion des ressources publiques.
Une bataille pour la souveraineté économique et la justice contractuelle
Au-delà des chiffres et des termes juridiques, cette affaire cristallise une question fondamentale : celle de la souveraineté économique de Madagascar. Les aéroports, par leur nature stratégique, sont des leviers essentiels de développement et de sécurité nationale. Confier leur gestion à une entité étrangère sans mécanisme de contrôle strict expose le pays à une dépendance qui, à long terme, peut fragiliser sa position.
Les employés d’ADEMA affirment ne pas s’opposer à la coopération internationale ni à la modernisation des infrastructures. Leur combat, disent-ils, vise simplement à rétablir l’équilibre contractuel et à garantir que les richesses générées sur le sol malgache profitent en priorité à la nation. Ils réclament la transparence sur l’utilisation des fonds, la clarification des clauses de concession et la révision des mécanismes de contrôle.
Cette revendication dépasse ainsi le cadre d’un simple conflit professionnel. Elle pose la question de la gouvernance des ressources publiques, de la responsabilité des partenaires étrangers et du rôle de l’État dans la défense de l’intérêt général. Plusieurs observateurs estiment que l’issue de ce bras de fer constituera un test pour la crédibilité du gouvernement en matière de refondation institutionnelle et de souveraineté économique.
En attendant, la situation reste tendue. Ravinala Airports n’a pas encore officiellement réagi aux accusations portées par le personnel d’ADEMA. De son côté, le ministère des Transports reste silencieux, laissant planer le doute sur une éventuelle médiation. Les prochains jours s’annoncent décisifs. Si le concessionnaire ne procède pas au paiement exigé, il pourrait faire face à une mobilisation d’ampleur nationale, voire à une rupture du contrat de concession.
Conclusion : un tournant pour la gestion des infrastructures publiques
L’affaire opposant ADEMA à Ravinala Airports n’est pas qu’un simple différend financier. Elle révèle les failles structurelles d’un modèle de concession où les intérêts nationaux semblent relégués au second plan. En exigeant le paiement des 80 milliards d’Ariary dus, les employés d’ADEMA ne revendiquent pas seulement un droit, mais rappellent la nécessité de replacer la souveraineté économique au cœur des politiques publiques.
Ce conflit met également en lumière la fragilité du système aéroportuaire malgache, dépendant de deux plateformes rentables pour financer cinquante-cinq autres. Il interroge la pertinence d’un modèle où la gestion d’infrastructures stratégiques est confiée à des acteurs privés sans contrepartie effective. Enfin, il souligne le rôle crucial du dialogue social et de la transparence dans la gouvernance des biens publics.
L’issue de cette confrontation déterminera probablement l’avenir des concessions publiques à Madagascar. Si le gouvernement choisit de faire respecter les termes du contrat, il enverra un signal fort quant à sa volonté de défendre les intérêts nationaux. À l’inverse, un statu quo risquerait d’alimenter le sentiment d’injustice et de défiance vis-à-vis des institutions.
Dans un contexte où Madagascar aspire à une refondation politique et économique, le dossier ADEMA-Ravinala pourrait bien devenir un symbole : celui d’un pays en quête de justice contractuelle, d’équité économique et de véritable souveraineté sur ses propres infrastructures.