Toliara : les employés de la JIRAMA exigent la démission du Directeur Général et dénoncent la nouvelle orientation de l’entreprise
- TAHINISOA Ursulà Marcelle
- il y a 5 heures
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Une grogne sociale grandissante secoue la JIRAMA, la société nationale d’eau et d’électricité de Madagascar. À Toliara, dans le sud du pays, les employés ont décidé de hausser le ton en réclamant la démission du Directeur Général et l’annulation du nouveau statut de l’entreprise, jugé destructeur. Ce mouvement s’inscrit dans le prolongement des revendications portées par la Fédération des Syndicats des Travailleurs de Madagascar (SSM), à laquelle adhèrent de nombreux agents de la société publique.
Les salariés dénoncent ce qu’ils considèrent comme une dérive managériale et une politique de privatisation déguisée qui menace l’avenir de la JIRAMA et les droits acquis des employés. Ils réclament aussi le rétablissement de leurs avantages, le remplacement du personnel décédé ou retraité, ainsi qu’une meilleure dotation en moyens logistiques pour assurer la qualité du service public. Les syndicats mettent en garde la direction : sans réponse rapide, des actions d’envergure nationale pourraient être engagées.


Une contestation syndicale qui s’étend à Toliara
Le climat social au sein de la JIRAMA, déjà tendu depuis plusieurs mois, vient de franchir un nouveau cap. À Toliara, les employés ont publiquement exprimé leur solidarité avec la Fédération des Syndicats des Travailleurs de Madagascar (SSM), dénonçant des décisions de la direction générale jugées contraires à l’intérêt de l’entreprise et de ses salariés.
Lors d’une assemblée tenue dans les locaux de la société, les représentants du personnel ont réaffirmé leur opposition catégorique au nouveau statut de la JIRAMA, qu’ils perçoivent comme une tentative de restructuration menant à la fragilisation de la compagnie publique. Selon eux, ce texte modifierait profondément la gouvernance de l’entreprise et risquerait d’ouvrir la voie à une privatisation partielle, voire totale, de certains services essentiels.
« Ce nouveau statut met en péril l’existence même de la JIRAMA comme société nationale », ont déclaré plusieurs porte-paroles syndicaux, soulignant que la réforme ne tient pas compte des réalités opérationnelles et sociales du terrain. Les agents craignent notamment une remise en cause de la stabilité de l’emploi et des avantages acquis au fil des décennies.
Le mécontentement s’inscrit dans un contexte plus large de malaise au sein de l’entreprise. Les difficultés financières chroniques, les délestages à répétition et les retards de paiement des salaires ont considérablement affecté le moral du personnel. Face à cela, les syndicats estiment que la direction actuelle a échoué à redresser la situation et réclament désormais le départ pur et simple du Directeur Général.
Des revendications multiples autour des droits et des conditions de travail
Le mouvement de Toliara ne se limite pas à une simple contestation du nouveau statut. Les employés formulent plusieurs revendications concrètes, centrées sur la défense de leurs droits et l’amélioration de leurs conditions de travail.
En premier lieu, ils exigent le rétablissement intégral des avantages suspendus ou supprimés ces dernières années. Ces acquis sociaux, selon eux, constituaient des compensations essentielles face aux conditions difficiles de travail dans certaines régions, notamment dans le Sud où les contraintes climatiques et logistiques sont plus importantes.
Les salariés demandent également le recrutement de nouveaux agents afin de compenser les départs à la retraite et les décès enregistrés au sein du personnel. Le manque d’effectif, dénoncent-ils, se traduit par une surcharge de travail et une baisse de la qualité du service rendu à la population.
Autre point central : la fin de l’externalisation de certaines tâches techniques et administratives. Les employés jugent cette politique de sous-traitance coûteuse et inefficace, arguant que les prestations confiées à des entreprises privées auraient pu être réalisées en interne, avec des moyens et une organisation adéquats. Selon eux, ces externalisations participent à l’affaiblissement de la JIRAMA, en transférant des missions stratégiques à des prestataires extérieurs sans réelle transparence.
Enfin, les agents de Toliara réclament une dotation matérielle suffisante pour exercer leurs missions : véhicules de service, équipements de protection, outils de maintenance et moyens logistiques adaptés. Dans plusieurs localités, le manque d’infrastructures et d’équipements compromet le bon fonctionnement des équipes techniques, notamment lors des interventions sur le réseau électrique ou hydraulique.
Une crise de confiance entre les employés et la direction
Derrière les revendications, c’est une profonde crise de confiance qui se manifeste entre la base syndicale et la direction de la JIRAMA. Les employés reprochent au Directeur Général de mener une politique déconnectée du terrain et de prendre des décisions sans concertation avec les représentants du personnel.
La grogne est alimentée par un sentiment d’abandon : nombre d’agents affirment ne plus se reconnaître dans la stratégie actuelle de l’entreprise, qu’ils jugent opaque et inéquitable. Pour eux, les réformes structurelles engagées par la direction ne répondent ni aux réalités économiques de la société ni aux besoins des usagers.
Les syndicats dénoncent également une gestion qu’ils estiment « centralisée et autoritaire », marquée par une communication défaillante et un manque de transparence sur la situation financière réelle de l’entreprise. Plusieurs responsables syndicaux ont indiqué que les discussions engagées avec la direction n’avaient donné lieu à aucune avancée concrète, renforçant le sentiment d’exaspération.
Le mot d’ordre est désormais clair : le départ du Directeur Général est considéré comme un préalable à toute négociation. « Tant que la direction actuelle restera en place, nous ne pourrons pas envisager un dialogue sincère », affirment les représentants du personnel à Toliara. Cette position radicale pourrait rapidement faire tache d’huile dans d’autres régions du pays, où des mouvements similaires commencent à émerger.
Une entreprise publique en difficulté structurelle
La JIRAMA, entreprise publique stratégique, traverse depuis plusieurs années une crise financière et opérationnelle profonde. Chargée de la distribution de l’électricité et de l’eau potable sur l’ensemble du territoire, elle cumule des dettes considérables et fait face à des déficits récurrents.
Les problèmes de gestion, la vétusté des infrastructures et la dépendance vis-à-vis des importations d’énergie fossile ont fragilisé sa capacité à assurer un service régulier. Dans de nombreuses régions, les délestages électriques et les coupures d’eau restent fréquents, provoquant la colère des usagers.
Les réformes engagées par le gouvernement et la direction visent à redresser l’entreprise en rationalisant ses dépenses, en modernisant ses installations et en renforçant la gouvernance interne. Cependant, ces mesures, perçues comme technocratiques, sont mal accueillies par les salariés, qui y voient une menace pour leur emploi et leurs conditions de travail.
Les syndicats dénoncent une stratégie de redressement axée uniquement sur la rentabilité économique, sans prise en compte de la mission sociale de la JIRAMA. Ils estiment que la société ne peut être gérée comme une entreprise privée et qu’elle doit conserver son rôle de service public au service des citoyens.
Cette situation met en lumière un dilemme structurel : comment concilier la viabilité financière d’une entreprise publique déficitaire avec la nécessité de garantir l’accès à des services essentiels pour toute la population ? À ce jour, aucun consensus n’a émergé entre les autorités, la direction et les syndicats sur la voie à suivre.
Une menace d’escalade sociale
Les employés de la JIRAMA à Toliara n’excluent pas de durcir leur mouvement si leurs revendications ne trouvent pas d’écho favorable dans les plus brefs délais. Lors de leur déclaration publique, ils ont prévenu qu’ils pourraient passer à des « actions de plus grande envergure », sans préciser la nature exacte de ces mobilisations.
Cette menace intervient dans un contexte national déjà marqué par plusieurs tensions sociales. D’autres antennes régionales de la JIRAMA suivent de près la situation à Toliara et pourraient à leur tour se mobiliser. Les observateurs craignent une propagation rapide du mouvement à l’échelle nationale, avec des répercussions sur la continuité des services d’eau et d’électricité.
Les syndicats, quant à eux, affirment privilégier le dialogue, mais préviennent qu’ils ne reculeront pas si les discussions restent stériles. « Nous voulons sauver la JIRAMA, pas la détruire », insistent-ils, soulignant que leurs revendications visent à défendre l’intérêt collectif, celui des travailleurs comme celui des usagers.
Face à cette montée des tensions, les autorités publiques sont appelées à jouer un rôle de médiation pour éviter une paralysie du secteur énergétique. La situation exige, selon plusieurs analystes, une réponse rapide et concertée afin de restaurer la confiance et d’éviter une crise d’ampleur nationale.
Entre inquiétude et espoir : quel avenir pour la JIRAMA ?
Le mouvement de Toliara révèle une fois de plus les fractures profondes au sein de la JIRAMA et la nécessité de repenser son modèle de gouvernance. Entre les exigences de rentabilité, les impératifs de service public et les revendications sociales, la société se trouve à la croisée des chemins.
L’avenir de l’entreprise dépendra en grande partie de la capacité du gouvernement et de la direction à instaurer un dialogue véritablement inclusif avec les syndicats et les employés. Sans consensus, les réformes risquent de rester lettre morte, tandis que la performance de la JIRAMA continuera de se détériorer.
Malgré les tensions, certains observateurs estiment qu’une issue positive reste possible. Le mouvement social, en mettant en lumière les dysfonctionnements internes, pourrait servir de déclencheur à une refondation plus durable de la société. Pour cela, il faudra que toutes les parties prenantes acceptent de sortir de la confrontation pour privilégier la concertation.
Le cas de Toliara illustre à la fois le désarroi des travailleurs et leur attachement à une entreprise qu’ils considèrent comme un pilier du développement national. Dans un pays où l’accès à l’électricité et à l’eau demeure un enjeu crucial, la JIRAMA reste un acteur incontournable. Mais sa survie, tout comme la paix sociale en son sein, dépendra désormais de la volonté collective de redonner un sens au service public et de concilier efficacité économique et justice sociale.