Vol de zébus à Isoanala : la terreur des Dahalo frappe encore
- TAHINISOA Ursulà Marcelle
- il y a 4 jours
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L’aube s’est levée ce matin sur un nouveau drame dans la commune rurale d’Isoanala, dans le sud de Madagascar. Plus de cinq cents zébus ont été dérobés à Ambatomainty Tanandava, dans un raid spectaculaire mené par un groupe de Dahalo lourdement armés. L’attaque, survenue aux alentours de six heures, a semé la panique parmi les habitants et relancé la peur d’une insécurité chronique qui gangrène la région depuis plusieurs années.
Alors que les forces de l’ordre tentaient encore de rétablir le calme, des affrontements violents ont éclaté entre les voleurs et les éleveurs déterminés à récupérer leurs bêtes. Plusieurs pertes humaines sont déjà à déplorer, des deux côtés, selon des sources locales concordantes. Derrière cet épisode tragique, se dessine une problématique complexe mêlant pauvreté, rivalités ancestrales et impuissance de l’État à assurer la sécurité de ses citoyens dans certaines zones reculées du pays.

Isoanala, un territoire sous tension permanente
Isoanala, petite commune enclavée du district de Betroka, n’en est pas à son premier épisode de violence liée au vol de bétail. Située dans une région semi-aride du sud malgache, la zone est connue pour ses vastes pâturages et ses éleveurs de zébus, dont la richesse se mesure souvent à la taille du troupeau. Mais cette richesse, symbole de prestige et de stabilité, attire depuis des décennies la convoitise des Dahalo, ces bandes organisées de voleurs de bétail, parfois perçus à tort comme de simples bandits de grand chemin.
Les habitants d’Isoanala vivent au rythme de la peur. Les déplacements nocturnes sont rares, les pistes reliant les hameaux sont dangereuses, et chaque bruit de sabot au loin fait craindre une attaque imminente. Les autorités locales, malgré leur vigilance, reconnaissent leur impuissance face à la mobilité et à la brutalité de ces groupes armés. Les forces de sécurité, souvent en nombre limité et faiblement équipées, peinent à couvrir des territoires vastes et accidentés où les Dahalo se déplacent rapidement à cheval ou à pied, connaissant chaque recoin de la brousse.
Les habitants d’Ambatomainty Tanandava racontent que l’attaque de ce matin s’est déroulée avec une précision redoutable. Les Dahalo auraient encerclé les enclos avant le lever du soleil, neutralisant les gardiens et dispersant les villageois par des coups de feu tirés en l’air. En quelques dizaines de minutes, le troupeau de plus de cinq cents têtes a été conduit vers l’est, dans une direction connue pour ses pistes montagneuses difficiles d’accès.
Le mode opératoire des Dahalo : entre tradition et criminalité organisée
Le phénomène des Dahalo plonge ses racines dans l’histoire même de Madagascar. Autrefois, le vol de zébu faisait partie des rites initiatiques chez certains peuples du sud. Il symbolisait le courage et la virilité du jeune homme, censé prouver sa valeur avant d’accéder au statut d’adulte. Mais avec le temps, cette pratique ancestrale s’est transformée en un système criminel bien structuré, où le profit et la violence priment sur l’honneur et les traditions.
Aujourd’hui, les Dahalo ne sont plus de simples voleurs isolés. Ils opèrent en bandes organisées, dotées d’armes automatiques, de véhicules tout-terrain et parfois même de complicités au sein de certaines autorités locales. Le bétail volé est rapidement revendu dans des circuits parallèles, parfois jusqu’à la capitale Antananarivo, où la traçabilité du bétail reste faible.
Les enquêtes menées ces dernières années ont révélé que le trafic de zébus constitue un véritable réseau économique parallèle, impliquant des intermédiaires, des transporteurs, et des revendeurs bien implantés sur les marchés. Le zébu, au-delà de sa valeur symbolique et culturelle, représente une manne financière importante : une seule bête peut se vendre plusieurs millions d’ariary, selon sa taille et sa race.
Dans le cas d’Ambatomainty Tanandava, le mode opératoire des Dahalo confirme cette organisation minutieuse. Les traces retrouvées par les gendarmes montrent un mouvement collectif bien coordonné, avec plusieurs itinéraires de fuite planifiés. Certains témoins affirment avoir entendu des échanges de tirs entre le groupe principal et une unité de poursuite, peu après le vol. Ces affrontements auraient entraîné la mort d’au moins trois assaillants et deux éleveurs, selon des sources locales, mais les chiffres restent à confirmer.
Les éleveurs pris au piège d’une insécurité endémique
Pour les éleveurs d’Isoanala, chaque vol de zébu représente bien plus qu’une perte économique : c’est une atteinte à leur identité, à leur dignité et à leur survie. Dans cette région où l’agriculture est difficile, l’élevage constitue souvent la seule source de revenus stable. Un troupeau de plusieurs dizaines de têtes peut garantir l’alimentation d’une famille, le paiement des frais de scolarité, et même servir de dot lors des mariages traditionnels.
La disparition de plus de cinq cents zébus plonge donc la communauté dans une détresse profonde. Certains éleveurs se retrouvent ruinés du jour au lendemain, contraints d’abandonner leurs terres ou de fuir vers d’autres localités plus sûres. D’autres prennent les armes pour tenter de récupérer leurs bêtes, souvent au péril de leur vie.
Les poursuites improvisées qui suivent ces attaques se transforment fréquemment en véritables batailles rangées. Les éleveurs, armés de fusils artisanaux ou de machettes, affrontent des Dahalo équipés d’armes automatiques et rompus aux tactiques de combat. Ces affrontements entraînent régulièrement des pertes humaines importantes et aggravent le climat de violence déjà très présent.
Les forces de l’ordre, bien qu’impliquées, manquent de moyens. Les gendarmes de la région de Betroka ne disposent souvent ni de véhicules adaptés ni de ravitaillement suffisant pour mener des opérations prolongées dans la brousse. Les hélicoptères de l’armée, rares et coûteux à mobiliser, n’interviennent que dans les cas les plus graves. Faute de résultats, la population perd confiance dans les institutions et se tourne vers des formes d’autodéfense communautaire, parfois sources de nouvelles tensions internes.
L’impuissance des autorités face à une violence qui s’étend
Malgré les multiples plans de lutte contre le vol de bétail lancés ces dernières années, les résultats restent largement insuffisants. Le gouvernement malgache, conscient de l’ampleur du problème, a tenté à plusieurs reprises de renforcer la présence militaire dans le sud du pays. Des opérations baptisées « coup de poing » ont été menées à Betroka, Ihosy, et Tsivory, mobilisant gendarmes, militaires et forces spéciales. Mais ces interventions ponctuelles peinent à éradiquer le phénomène, souvent dès que les troupes se retirent, les Dahalo reprennent leurs activités.
À Isoanala, les habitants dénoncent la lenteur de la réaction des autorités. Selon eux, l’alerte aurait été donnée dès l’aube, mais les renforts ne seraient arrivés que plusieurs heures plus tard. Entre-temps, les Dahalo avaient déjà disparu avec le troupeau. Ce délai, répété à chaque attaque, nourrit un sentiment d’abandon profond.
Les élus locaux plaident pour une approche plus durable, combinant sécurité, développement économique et réconciliation communautaire. Car la pauvreté reste le terreau sur lequel prospère le banditisme rural. Dans certaines zones, des jeunes sans emploi rejoignent les Dahalo pour survivre, séduits par la perspective d’un gain rapide ou d’une revanche sociale.
Les autorités traditionnelles, quant à elles, jouent un rôle ambigu. Certaines tentent d’intervenir pour calmer les tensions, d’autres ferment les yeux ou se montrent impuissantes face à des bandes mieux armées qu’elles. Le respect des coutumes locales, souvent en contradiction avec la législation nationale, complique encore la tâche des forces de l’ordre.
Les conséquences sociales et économiques d’un fléau persistant
Au-delà des pertes matérielles, le vol de zébus a des répercussions profondes sur la société malgache. Dans les régions touchées, il provoque l’exode des populations, la déscolarisation des enfants, et la désintégration progressive du tissu social. Les villages désertés se multiplient, laissant place à des zones fantômes où ne subsistent que les traces des affrontements passés.
L’économie locale, déjà fragile, s’en trouve lourdement affectée. Les marchés ruraux se vident, les transactions de bétail se raréfient, et la méfiance s’installe entre communautés voisines. Le commerce du zébu, autrefois source de prospérité, devient synonyme de danger. Certains éleveurs choisissent désormais de vendre leurs bêtes à perte plutôt que de risquer un vol massif.
Les pertes fiscales pour l’État sont considérables. Le secteur de l’élevage, qui représente une part importante du PIB agricole, voit sa contribution diminuer chaque année à cause du banditisme. Les taxes sur les ventes de bétail, essentielles pour le financement des communes rurales, chutent drastiquement. Dans certaines zones, les fonctionnaires refusent même d’y être affectés, craignant pour leur sécurité.
Sur le plan humain, le traumatisme est profond. Les familles endeuillées peinent à obtenir justice, les enquêtes n’aboutissent que rarement, et la peur d’une nouvelle attaque empêche toute reconstruction psychologique. Certains jeunes grandissent dans un climat de vengeance, prêts à reprendre les armes dès qu’ils en ont la possibilité.
Quelle issue possible pour Isoanala et les régions voisines ?
Le drame d’Isoanala relance le débat sur les stratégies à adopter face au phénomène des Dahalo. Les experts en sécurité et les sociologues s’accordent sur un point : la seule réponse militaire ne suffit pas. Il faut repenser la lutte contre le vol de bétail dans une approche globale, mêlant prévention, dialogue et développement local.
Plusieurs initiatives communautaires ont montré des résultats encourageants. Dans certaines communes du sud, des programmes de médiation ont permis de réduire les affrontements en favorisant la restitution volontaire des bêtes volées et la réconciliation entre villages. Des campagnes de sensibilisation menées par des ONG locales insistent sur l’importance de l’éducation, de la création d’emplois et de l’accès aux infrastructures de base pour détourner les jeunes de la criminalité.
La mise en place d’un système d’identification du bétail à l’échelle nationale fait également partie des pistes envisagées. Marquage électronique, registres d’éleveurs, et contrôle renforcé des marchés pourraient contribuer à rendre plus difficile la revente des zébus volés. Mais la réussite de ces mesures dépendra avant tout de la volonté politique et de la coopération entre les différentes institutions concernées.
À Isoanala, les habitants espèrent encore que justice sera rendue. Les patrouilles de gendarmerie poursuivent leurs recherches dans les zones boisées à l’est, tandis que des renforts sont attendus pour sécuriser les villages environnants. Le souvenir des affrontements de ce matin reste toutefois douloureux.
Conclusion : le symbole d’une crise nationale
Le vol massif de zébus à Isoanala n’est pas un incident isolé, mais le symptôme d’un malaise profond qui traverse la société malgache. Entre pauvreté, inégalités régionales, et fragilité institutionnelle, les Dahalo prospèrent dans un vide sécuritaire que l’État peine à combler. Ce drame met en lumière la nécessité urgente d’une réponse concertée, qui dépasse les simples opérations militaires pour s’attaquer aux causes structurelles du problème.
Tant que les éleveurs d’Isoanala et d’ailleurs ne se sentiront pas protégés, tant que les jeunes n’auront pas d’autre horizon que la violence ou la fuite, tant que la justice restera impuissante à punir les responsables, le cycle infernal du vol de bétail continuera de ravager le sud de Madagascar. L’espoir, pourtant, demeure. Dans chaque village meurtri, la solidarité renaît, les familles se relèvent, et les communautés s’unissent pour défendre ce qui leur reste : leur dignité, leur terre et leur détermination à vivre en paix.