top of page

L'ACTUALITÉ DE LA GRANDE ÎLE DEPUIS 1929

Disparition de Rakotonanahary, dit Ramerisedesy : un monument du cinéma malgache s’est éteint à 88 ans

Hier, Madagascar a perdu l’un de ses visages les plus marquants du cinéma populaire : Rakotonanahary, plus connu sous le nom de Ramerisedesy. L’acteur, célèbre pour son rôle inoubliable dans le film culte Malok’ila, s’est éteint à l’âge de 88 ans. Avec lui disparaît un témoin vivant d’une époque où le septième art malgache, artisanal mais sincère, tissait des liens profonds avec la culture et la mémoire collective du pays. Son départ marque la fin d’une génération d’artistes passionnés, dont les noms résonnent encore dans le cœur de nombreux spectateurs : Ralay, Marianne, Randrenja, Johary, Ra-Jacky et Emmanuel, tous aujourd’hui réunis dans le souvenir.

ree

Un acteur emblématique d’une époque révolue

Rakotonanahary n’était pas un acteur de métier. Comme beaucoup de ses contemporains à Madagascar, il avait d’abord mené une vie ordinaire avant de connaître une notoriété soudaine grâce au cinéma. Dans les années 1970 et 1980, la production malgache vivait un âge d’or, marqué par des réalisateurs autodidactes et des comédiens issus du peuple. Ces films, souvent tournés avec des moyens limités, portaient pourtant une authenticité rare. Ils racontaient des histoires simples mais profondément ancrées dans la réalité malgache : les traditions, les luttes sociales, la solidarité, la foi et les contradictions d’une société en mutation.

Ramerisedesy s’était fait remarquer par son charisme naturel et sa diction singulière. Son jeu n’était pas façonné par une formation académique, mais par une sensibilité brute et une compréhension instinctive de la scène. C’est cette sincérité qui a conquis le public. Son visage, souvent grave mais illuminé d’un sourire discret, incarnait la sagesse et la bienveillance des anciens. Pour de nombreux spectateurs, il représentait la figure du grand-père, celui qui raconte, qui guide, qui veille.

Son rôle dans Malok’ila a scellé à jamais son empreinte dans le patrimoine culturel du pays. Le film, produit avec peu de moyens mais beaucoup de cœur, est rapidement devenu un phénomène populaire. Il a été projeté dans les écoles, dans les salles paroissiales, dans les quartiers populaires d’Antananarivo comme dans les villages reculés. Chaque projection était une fête. Les spectateurs se reconnaissaient dans les personnages, dans les dialogues, dans cette langue malgache vivante et poétique qui rythmait les scènes.

Le film Malok’ila : un symbole du cinéma malgache

Sorti à une époque où le cinéma malgache cherchait encore sa voie, Malok’ila s’est imposé comme une œuvre de référence. Il racontait, à travers une intrigue simple, la vie quotidienne d’une communauté villageoise confrontée à des choix moraux, économiques et spirituels. Ramerisedesy y incarnait un patriarche sage, gardien des traditions et de la mémoire. Son personnage, à la fois sévère et tendre, symbolisait la voix de la raison dans un monde en transformation.

Le succès du film ne tenait pas seulement à son histoire, mais à ce qu’il représentait : une affirmation de l’identité malgache face à la modernité et à l’influence étrangère. Le réalisateur, lui-même issu d’un milieu modeste, avait voulu faire un film pour et par les Malgaches, en filmant les paysages, les visages, les gestes du quotidien. Cette démarche sincère a touché un public immense.

Pendant des années, Malok’ila a été projeté dans les écoles et sur les télévisions locales. Les dialogues sont devenus des expressions populaires, les musiques du film ont été reprises dans les fêtes, et les acteurs sont devenus des figures familières. Ramerisedesy, sans le chercher, s’est vu propulsé au rang d’icône culturelle.

Aujourd’hui encore, les nouvelles générations découvrent Malok’ila à travers les rediffusions ou les enregistrements restaurés. Le film est étudié dans certaines universités comme exemple de cinéma communautaire et de narration populaire. Il est le témoignage d’un art fait de conviction et de passion, loin des standards commerciaux, mais profondément humain.

Une carrière marquée par la fidélité à son art et à son peuple

Contrairement à d’autres acteurs qui ont tenté de poursuivre une carrière plus large après un succès, Rakotonanahary est resté fidèle à son environnement. Il n’a jamais cherché la gloire, ni la fortune. Pour lui, jouer était avant tout un moyen de transmettre. Il répétait souvent que le cinéma devait servir à instruire et à rassembler.

Après Malok’ila, il a participé à plusieurs productions locales, souvent dans des rôles secondaires, mais toujours marquants. Son visage apparaissait dans des drames familiaux, des comédies villageoises ou des films religieux produits pour la télévision. Son jeu restait constant : mesuré, sincère, chargé d’émotion.

Mais au-delà de ses rôles, c’est son engagement dans la communauté qui a marqué les esprits. À la retraite, il participait activement à la vie culturelle de son quartier. Il animait des ateliers de théâtre amateur, encourageait les jeunes à s’exprimer par le jeu et racontait aux enfants les histoires du tournage de Malok’ila. Sa maison, modeste, était ouverte à tous.

Ceux qui l’ont connu décrivent un homme humble, toujours prêt à aider, à conseiller, à apaiser. Même lorsqu’il évoquait la disparition successive de ses anciens partenaires – Ralay, Marianne, Randrenja, Johary, Ra-Jacky, Emmanuel – il le faisait sans amertume. « C’est le cycle de la vie », disait-il, « nous avons fait rire et pleurer le peuple, et c’est déjà beaucoup. »

La mémoire du cinéma malgache : entre oubli et renaissance

La mort de Ramerisedesy soulève une question plus large : celle de la mémoire du cinéma malgache. Beaucoup de films produits dans les années 1970 à 1990 ont disparu, faute d’archives, de moyens de conservation ou d’intérêt institutionnel. Certaines œuvres n’existent plus que sous forme de copies endommagées, circulant de main en main.

Pourtant, un mouvement de redécouverte s’amorce. Des passionnés, des cinéastes, des historiens de la culture travaillent depuis quelques années à restaurer les vieilles bobines et à numériser les films anciens. Malok’ila fait partie de ces projets de sauvegarde. Plusieurs versions restaurées circulent déjà, permettant aux jeunes générations de redécouvrir ce pan du patrimoine.

Le décès de Rakotonanahary a ravivé l’émotion autour de cette œuvre. Sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes ont partagé des extraits du film, des photos d’époque, des anecdotes de tournage. Les hommages se multiplient, saluant « un grand-père du cinéma », « un pilier de la culture », « un modèle d’humilité ».

Les institutions culturelles malgaches envisagent désormais d’organiser une rétrospective en hommage à tous les acteurs de Malok’ila. L’idée serait de projeter le film dans plusieurs villes du pays, accompagnée de discussions et de témoignages. Ce serait une manière de redonner vie à une mémoire collective trop longtemps négligée.

Un héritage humain et artistique

Au-delà de l’écran, Rakotonanahary laisse un héritage profondément humain. Il représentait cette génération d’artistes autodidactes qui ont bâti, souvent dans l’ombre, les fondations de la culture moderne malgache. Sans moyens, sans reconnaissance officielle, ils ont su créer un art populaire, accessible, porteur de valeurs universelles.

Son parcours rappelle que le talent n’a pas besoin de gloire pour exister. Dans chaque village, dans chaque quartier, il y a des visages comme le sien : des conteurs, des comédiens, des musiciens, qui font vivre la culture par passion. C’est cette richesse invisible qui nourrit la nation.

Aujourd’hui, sa disparition résonne comme un appel à la transmission. Le cinéma malgache contemporain, en pleine mutation, entre numérique et mondialisation, a besoin de se souvenir de ses racines. Les jeunes réalisateurs citent souvent Malok’ila comme une source d’inspiration : un modèle de sincérité et d’ancrage culturel.

Des associations culturelles ont d’ailleurs proposé de créer un prix cinématographique portant le nom de Ramerisedesy, destiné à récompenser les acteurs et actrices issus du théâtre amateur. Ce serait un hommage fidèle à l’esprit de l’homme qu’il était : un passeur d’émotions, un artisan du peuple.

Une disparition ressentie dans tout le pays

Depuis l’annonce de sa mort, les messages de condoléances affluent de toutes parts. Des acteurs, des cinéastes, des enseignants, des anonymes expriment leur gratitude et leur tristesse. Dans les radios locales, des émissions spéciales lui ont été consacrées. Des anciens camarades de tournage ont raconté, avec émotion, les souvenirs partagés sur le plateau de Malok’ila.

Dans les villages, certains ont organisé des projections du film en hommage. Des bougies ont été allumées, des prières récitées. C’est tout un peuple qui s’incline devant la mémoire d’un homme simple mais essentiel.

Son enterrement, prévu pour ce week-end, devrait rassembler de nombreux admirateurs. On y attend la présence de représentants du monde culturel, de jeunes acteurs et de proches venus de tout le pays. Les funérailles s’annoncent à la fois sobres et émouvantes, à l’image de sa vie.

Conclusion : le dernier éclat d’un pionnier

La mort de Rakotonanahary, alias Ramerisedesy, marque la fin d’une ère. Celle d’un cinéma de proximité, d’un art du peuple, nourri de sincérité et de simplicité. Mais son souvenir, lui, ne disparaîtra pas. Il continuera à vivre dans les images de Malok’ila, dans la mémoire des spectateurs, dans les récits transmis aux enfants.

À travers son parcours, c’est tout un pan de la culture malgache qui se rappelle à nous : celui des pionniers, des passionnés, des artisans de l’émotion. Ramerisedesy n’était pas une star au sens moderne du terme. Il était mieux que cela : un visage familier, un cœur généreux, un témoin du temps.

Son rire, sa voix, son regard resteront gravés dans la mémoire collective. Et chaque fois que retentira la musique de Malok’ila, quelque part dans une salle, dans une école, ou dans un foyer, on se souviendra de lui, de ses mots, de sa sagesse tranquille.

Hier, un homme s’est éteint. Mais son âme, elle, continue de briller dans l’histoire du cinéma malgache.

bottom of page