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L'ACTUALITÉ DE LA GRANDE ÎLE DEPUIS 1929

Madagascar et l’Union africaine : entre signes d’ouverture et frustration diplomatique

Le communiqué publié à Antananarivo le 30 novembre 2025 par le ministère des Affaires étrangères de Madagascar se veut à la fois satisfait et combatif. Satisfait parce qu’il acte un changement de ton au sein du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, combatif parce qu’il conteste sans détour le maintien de la suspension du pays au sein de l’organisation continentale. À travers ce texte officiel, Madagascar décrit une séquence diplomatique marquée par une mission africaine sur le terrain, un examen politique à Addis-Abeba, puis une prise de position nationale qui expose attentes, acquis et lignes de fracture. L’enjeu dépasse le simple commentaire institutionnel : il touche à la notion de souveraineté, à la reconnaissance des efforts internes de « refondation nationale » et à la place que Madagascar souhaite retrouver dans l’architecture africaine de paix et de coopération.


Le ministère « prend note avec intérêt » du communiqué PSC/PR/COMM.1313 (2025), adopté lors de la 1313e session du Conseil de paix et de sécurité du 20 novembre 2025. Ce point de départ installe le cadre : l’Union africaine a étudié le rapport d’une mission de haut niveau, composée d’un Panel des sages et de l’Envoyé spécial pour Madagascar, mission déployée du 6 au 12 novembre 2025. Autrement dit, l’organisation a jugé la situation du pays à partir d’observations récentes, et Madagascar réagit publiquement à cette évaluation. Dans sa lecture, le gouvernement décèle des avancées, une plus grande compréhension de la dynamique nationale et une volonté d’accompagnement accrue. Mais il observe aussi une contradiction majeure : l’Union africaine reconnaîtrait davantage d’éléments positifs, tout en maintenant une sanction politique lourde. Cette tension traverse l’ensemble du communiqué et inspire la manière dont Madagascar entend poursuivre le dialogue.

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Un communiqué africain scruté de près à Antananarivo


La première force du texte malgache réside dans la précision avec laquelle il récapitule le processus continental. Il ne s’agit pas d’une simple réaction émotionnelle, mais d’un commentaire formel situé dans une chaîne décisionnelle claire. Madagascar rappelle le numéro officiel du communiqué africain, sa date d’adoption et l’organe qui l’a produit. Ce rappel minutieux indique que la réponse nationale entend être traitée au même niveau de formalité que la décision critiquée.


Le ministère insiste sur le fait que l’Union africaine a travaillé à partir d’un rapport issu d’une mission sur le terrain. La mention du Panel des sages, organe de conseil moral et politique, et de l’Envoyé spécial, figure diplomatique mandatée pour dialoguer avec les acteurs nationaux, souligne que l’examen africain ne relève pas d’une routine bureaucratique. Il est présenté comme un acte politique fondé sur l’écoute, l’observation directe et l’échange avec les autorités malgaches. En creux, Madagascar établit que l’Union africaine ne peut plus se contenter d’une posture distante : elle a vu, elle a entendu, elle a constaté.


Le communiqué malgache déduit de cette démarche un « intérêt » particulier pour la nouvelle orientation du Conseil de paix et de sécurité. Autrement dit, le changement ne porte pas uniquement sur le contenu, mais sur l’attitude générale du CPS. Là où une approche antérieure était perçue comme rigide ou strictement punitive, Antananarivo affirme que la session du 20 novembre se caractérise « désormais par une approche plus constructive ». Dans la langue diplomatique, ce « désormais » pèse lourd : il annonce une rupture de style, sinon de doctrine.


Cette lecture ne se limite pas à une satisfaction abstraite. Le ministère souligne l’existence d’une « reconnaissance explicite des efforts déployés par les autorités nationales » pour renforcer la stabilité institutionnelle et avancer dans un processus de refondation nationale. Il s’agit d’une phrase clé. Elle acterait que le CPS, en examinant la situation, ne nie pas les initiatives internes mais les identifie comme un mouvement réel et en cours. Cette reconnaissance est présentée comme un marqueur d’équité politique : Madagascar ne veut plus être évalué seulement à l’aune d’une crise passée ou d’une sanction en cours, mais à partir des actions conduites pour en sortir.


Ainsi, la réaction malgache place le communiqué africain dans une double perspective : d’un côté, une procédure continentale jugée sérieuse, de l’autre, une ouverture politique interprétée comme une nouvelle chance de coopération. Le texte d’Antananarivo se construit sur cette base avant d’énumérer les points que l’Union africaine aurait mis en avant et que Madagascar choisit, à son tour, de mettre en vitrine.


Les principes réaffirmés : souveraineté, intégrité et solidarité


L’un des passages centraux du communiqué malgache est l’énumération des « points saillants » auxquels une attention particulière a été accordée. Le premier concerne la réaffirmation des principes de l’Union africaine. Cette référence est doublement stratégique. D’abord parce qu’elle rappelle que l’UA n’est pas qu’un arbitre : elle est une organisation fondée sur des normes. Ensuite parce qu’elle met ces normes au service de la position malgache.


Le ministère se félicite que le CPS ait « clairement réitéré son respect de l’indépendance, de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de Madagascar », tout en exprimant sa solidarité envers le peuple malagasy. L’insistance sur ces trois notions, indépendance, souveraineté, intégrité, correspond à un triptyque fondamental en droit international africain. Madagascar souligne ainsi que, même dans le contexte d’une suspension, le pays n’est pas considéré comme un espace à tutelle. L’UA reconnaît sa pleine existence politique.


Dans la logique du communiqué, cette affirmation n’est pas décorative : elle vise à rectifier tout soupçon d’ingérence ou d’humiliation. Madagascar interprète la session du CPS comme un rappel qu’une sanction ne peut jamais se transformer en négation d’État. La souveraineté est donc posée comme une limite au régime de sanctions.


Le texte insiste aussi sur la dimension de solidarité ou de fraternité africaine. En mentionnant explicitement la solidarité du CPS « envers le peuple malagasy », le ministère rappelle que la relation avec l’UA n’est pas seulement intergouvernementale, mais aussi fondée sur une conception politique de la communauté continentale. Cette solidarité est présentée comme un socle émotionnel et moral justifiant le rapprochement.


La manière dont Madagascar met en avant ce point semble indiquer une attente : si les principes sont réaffirmés, les décisions doivent être cohérentes avec ces principes. Le communiqué suggère que le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale ne s’accorde pas facilement avec une suspension prolongée qui pèserait sur la capacité du pays à bénéficier d’un accompagnement « optimal ». C’est une tension construite à partir des mots mêmes de l’Union africaine.


En d’autres termes, Madagascar prend acte que l’UA a réaffirmé des valeurs protectrices, puis se réserve le droit d’exiger que ces valeurs soient appliquées jusqu’au bout. La souveraineté n’est pas un slogan pour Antananarivo : c’est une base argumentative dans le combat diplomatique à venir.


Une coopération jugée de qualité et appelée à se renforcer


Le deuxième point mis en avant est la reconnaissance de la qualité de la coopération entre les autorités nationales de la refondation et l’Union africaine. Ici, le vocabulaire est soigneusement choisi. Il ne s’agit pas de la coopération entre Madagascar et l’UA en général, mais d’une coopération avec les « autorités nationales de la refondation ». Cela signifie que Madagascar se présente sous un prisme politique précis : celui d’un pays engagé dans une transformation institutionnelle, qui se revendique comme un processus structurant.


La reconnaissance de cette coopération est présentée comme un résultat tangible de la mission africaine. Implicitement, les échanges du 6 au 12 novembre auraient permis à l’UA de constater non seulement une volonté nationale, mais un travail commun déjà entamé. Le communiqué malgache écrit ce point comme une validation du chemin parcouru.


Au-delà de la validation, Madagascar emploie ce constat pour tracer un horizon. Le troisième point saillant dans le texte est la nécessité de maintenir et de poursuivre la coopération et les partenariats avec Madagascar, notamment dans les domaines socio-économique et humanitaire. Cette phrase révèle une lecture globale de la crise : ce qui se joue n’est pas uniquement politique, mais aussi social et économique. La suspension apparaît dès lors comme un obstacle possible à des collaborations indispensables.


Le texte va plus loin en précisant qu’il s’agit « d’une des priorités de la diplomatie malagasy actuelle ». Cette formulation introduit un message interne et externe. Interne, parce qu’elle affirme aux citoyens que la diplomatie de l’État s’oriente vers la relance de partenariats concrets. Externe, parce qu’elle dit aux partenaires africains : Madagascar place cette coopération au sommet de ses priorités, et attend une réponse alignée.


Le quatrième point relève de l’appui renforcé annoncé par l’Union africaine. Madagascar insiste sur la « volonté et la disponibilité » de l’UA d’apporter un soutien accru, via une assistance technique élargie et un renforcement opérationnel du Bureau de liaison à Antananarivo. Le choix de ces mots transmet un signal : l’UA ne se contente pas de déclarations, elle propose des outils. L’assistance technique élargie suppose une implication dans le fonctionnement institutionnel, la formation, l’accompagnement administratif ou politique. Le renforcement opérationnel du Bureau indique une présence plus structurée sur place.


Madagascar encadre cette perspective comme une avancée majeure. Elle suggère que l’Union africaine a franchi un palier : passer d’une posture d’évaluation et de sanction à une posture d’appui et de partenariat. Dans un communiqué officiel, cela équivaut à une invitation à accélérer ce mouvement.


En résumé, le ministère présente la coopération comme un chemin déjà balisé : qualité reconnue, partenariats socio-économiques et humanitaires jugés nécessaires, appui technique et présence renforcée promis. Mais cette perspective se heurte, selon Madagascar, à la réalité immédiate du maintien de la suspension.


L’ambivalence de la suspension : progrès reconnus, sanctions maintenues


C’est le cœur politique du communiqué malgache. Après les paragraphes d’approbation, le texte bifurque sur un ton nettement plus critique. Le gouvernement « se félicite » des avancées et y voit une prise en considération de la volonté populaire et des efforts nationaux, ainsi qu’une volonté commune de progresser dans un « dialogue constructif » et une « responsabilité partagée ». Cette phrase fait office de pivot : Madagascar valide le cap général, mais s’apprête à en contester un aspect majeur.


Le mot « néanmoins » introduit la rupture. Le ministère « exprime ses regrets quant au maintien de la suspension de Madagascar ». Le regret est un terme diplomatique fort mais mesuré : il n’agresse pas, il déplore. En le choisissant, Madagascar évite un langage de confrontation directe tout en marquant son désaccord.


Le communiqué insiste sur le fait que la suspension perdure « malgré les appels solennels de la Partie malagasy » et « malgré une meilleure compréhension de la situation réelle sur le terrain » obtenue après la mission de l’UA. Ici, l’argumentation est structurée : 1) Madagascar a demandé la levée de la suspension, 2) l’Union africaine connaît mieux la situation, 3) malgré cela, la sanction reste. La conclusion implicite est claire : il y a incohérence entre l’évaluation et la décision.


La mention d’une « meilleure compréhension de la situation réelle » a aussi valeur de rappel. Elle signifie que Madagascar considère avoir été entendu, peut-être même compris, lors de la mission. Puisque l’UA a désormais une vision plus fine, la suspension ne serait plus justifiable au même degré.


Le texte ajoute un point d’importance : Madagascar estime qu’un accompagnement et un appui « optimal » ne peuvent pas s’exercer « sous un régime de sanctions ». Cette phrase est centrale dans le raisonnement gouvernemental. Elle ne rejette pas l’appui africain, au contraire : elle en demande la pleine efficacité. Mais elle affirme que la logique sanctionnatrice contredit la logique d’accompagnement. La suspension est décrite non comme un simple symbole politique, mais comme un frein matériel et relationnel.


Dans cette lecture, la sanction devient un obstacle à la stabilisation elle-même. Le pays soutient que l’UA souhaite renforcer son aide technique et opérationnelle, mais s’interdit en même temps de le faire pleinement en maintenant une suspension. Le communiqué pose donc la sanction comme un dispositif contre-productif.


Madagascar n’en reste pas à la plainte. En réitérant son appel, il engage l’Union africaine à choisir entre deux voies : continuer à sanctionner au risque d’amoindrir son propre appui, ou lever la suspension pour rendre la coopération réellement « optimale ». Tout ceci est présenté sans agressivité frontale, mais avec une fermeté argumentaire.


Cette ambivalence indique la position actuelle d’Antananarivo : ni rupture ni soumission, mais une stratégie consistant à se saisir de la reconnaissance obtenue pour réclamer une normalisation complète. Le ministère semble croire que la dynamique enclenchée par le communiqué africain peut encore évoluer, et qu’il faut pousser le CPS à aller au bout de son « approche constructive ».


Une politique étrangère tournée vers la stabilité durable et les partenariats


Le dernier paragraphe du communiqué fixe la ligne de conduite de Madagascar. Le pays « réaffirme son engagement ferme » à travailler étroitement avec l’Union africaine, la SADC et l’ensemble de ses partenaires pour consolider durablement la stabilité et répondre aux aspirations légitimes de la population.


Plusieurs éléments ressortent de cette phrase finale. D’abord une volonté de continuité : l’engagement est « réaffirmé », signe qu’il n’est pas nouveau mais consolidé. Il s’accompagne de l’adjectif « ferme », qui contraste avec le terme « regrets » employé plus haut. Antananarivo distingue ainsi deux choses : le désaccord sur la suspension et l’ancrage dans la coopération régionale.


Ensuite, Madagascar inscrit son action dans un ensemble d’acteurs. L’Union africaine est citée, mais aussi la SADC, ainsi que « l’ensemble de ses partenaires ». Le message est qu’Antananarivo ne se replie pas dans une diplomatie isolée ; il souhaite au contraire multiplier les cadres de travail. La mention explicite de la SADC indique une articulation régionale assumée.


Le communiqué associe cette stratégie à un objectif politique et social : la stabilité durable et la réponse aux aspirations de la population. Cette articulation permet de donner à la politique étrangère une finalité interne. La diplomatie n’est pas présentée comme une affaire de prestige continental, mais comme un moyen de renforcer l’ordre institutionnel et la satisfaction des besoins collectifs.


Le ministère laisse entendre que la stabilité est en construction et qu’elle nécessite des partenaires. L’UA, en tant qu’organisation de paix et de sécurité, est perçue comme un pilier naturel de cette consolidation. Mais Madagascar ne veut pas d’un partenariat amputé ; il veut un partenariat plein, débarrassé de la logique de sanctions.


Enfin, la tonalité générale du communiqué révèle la posture de Madagascar : reconnaissance des avancées, ouverture au dialogue, mais revendication explicite d’égalité et de souveraineté. Le gouvernement se met en situation de collaborateur exigeant, non de bénéficiaire passif. Il remercie, approuve, mais rappelle aussi ce qu’il estime être son droit.

Cette ligne de fermeture sur le principe, et d’ouverture sur la coopération, constitue une forme d’équilibre diplomatique. Elle vise sans doute à maintenir la relation politique avec le CPS, à encourager l’assistance technique annoncée, tout en poursuivant l’objectif prioritaire : la levée de la suspension.


Le communiqué daté d’Antananarivo montre donc une diplomatie à double voix. La première, positive, met en avant la reconnaissance africaine des efforts nationaux et la perspective d’un appui renforcé. La seconde, critique, souligne l’incohérence ressentie entre cette reconnaissance et le maintien d’une sanction politique. L’ensemble dessine un paysage de négociation : Madagascar veut transformer l’approche constructive de l’UA en décision concrète de réintégration pleine et entière.


À travers ce texte, le ministère des Affaires étrangères malgache envoie un message net : le pays se dit prêt à poursuivre le travail commun, mais il considère que l’heure est venue pour l’Union africaine de traduire son changement de ton en changement de statut. Le communiqué ne clôt pas le dossier ; il le relance. Dans la logique d’Antananarivo, les principes réaffirmés, la coopération reconnue et l’aide promise doivent logiquement conduire à la fin de la suspension. La balle, en somme, est renvoyée dans le camp du Conseil de paix et de sécurité, invité à aller au bout du chemin qu’il semble avoir commencé à tracer.

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