top of page

L'ACTUALITÉ DE LA GRANDE ÎLE DEPUIS 1929

Madagascar–Suisse : une relance diplomatique aux enjeux économiques et judiciaires majeurs

La rencontre du 03 décembre 2025 à Berne entre la Ministre malgache de la Justice, Mme Fanirisoa Ernaivo, et le Ministre des Affaires étrangères de Suisse, également Secrétaire d’État chargé de la Justice, M. Franz Xaver Perrez, marque un moment diplomatique important entre Antananarivo et Berne. Le message transmis à l’issue de l’entretien se veut clair : une volonté partagée de tourner la page d’une relation en sommeil, de remettre la coopération bilatérale sur des rails concrets, et de reconfigurer les cadres juridiques permettant de traiter des dossiers sensibles. L’accord conclu entre les deux États s’inscrit ainsi dans une double logique. D’un côté, celle de la relance économique et sociale, présentée comme une priorité commune. De l’autre, celle d’un rapprochement judiciaire autour de sujets délicats touchant à la corruption, aux fonds placés à l’étranger et à la gestion des condamnations pénales.


Dans un contexte où les relations internationales se nouent souvent à la croisée des intérêts économiques et des exigences de justice, cette réunion ouvre plusieurs chantiers à la fois pratiques et symboliques. Le communiqué évoque notamment la facilitation des mobilités professionnelles et académiques pour les ressortissants malgaches en Suisse, un volet social et humain dont les retombées peuvent être importantes à long terme. Il met aussi en avant une convergence sur la défense des intérêts nationaux de Madagascar : gel des biens et comptes bancaires situés en Suisse appartenant à des ressortissants malgaches impliqués dans des affaires de corruption ou d’activités illicites, rapatriement des personnes condamnées, et restitution des fonds gelés relevant de l’État malgache. Derrière ces éléments se dessine une relation bilatérale qui ne se limite pas à l’échange de courtoisie diplomatique, mais s’organise autour d’engagements opérationnels.


Au-delà des formules, la portée réelle de l’accord dépendra de sa mise en œuvre. Mais l’annonce, en elle-même, est déjà un signal politique : Madagascar et la Suisse veulent réactiver un partenariat en lui donnant un contenu à la fois économique, social et juridique, et en se dotant d’outils communs pour traiter des problématiques transnationales. Reste à en comprendre les contours, les motivations, et les perspectives que chaque partie semble y associer.


La Ministre de la Justice malgache, Mme Fanirisoa Ernaivo accompagné du Ministre des Affaires étrangères de Suisse, Mr Franz Xaver Perrez
La Ministre de la Justice malgache, Mme Fanirisoa Ernaivo accompagné du Ministre des Affaires étrangères de Suisse, Mr Franz Xaver Perrez

Une rencontre au sommet pour réactiver un partenariat bilatéral


Le face-à-face entre les deux ministres place les questions de justice au cœur de la relation Madagascar–Suisse. Le choix des interlocuteurs n’est pas anodin. D’un côté, la Garde des Sceaux malgache, responsable des orientations judiciaires nationales et garante du fonctionnement de l’appareil judiciaire. De l’autre, un ministre suisse qui cumule les Affaires étrangères et un secrétariat d’État lié à la justice, incarnant un lien direct entre diplomatie et coopération juridique. Cette configuration suggère que la réunion visait autant à établir une vision commune qu’à définir des mécanismes de coordination.


La conclusion d’un accord lors de la rencontre indique une étape franchie, au-delà des échanges préparatoires. Si le contenu exact du document n’est pas détaillé dans la communication, les axes présentés laissent entrevoir une feuille de route pragmatique. Dans le langage diplomatique, parler d’accord signifie généralement que les deux gouvernements se sont entendus sur un cadre d’action, des priorités et des modalités de collaboration. L’annonce de cette entente distingue l’entretien d’une simple visite protocolaire.


La mention explicite d’une reprise de coopération économique et sociale suggère aussi que le dialogue bilatéral avait connu une forme de ralentissement ou de suspension. La réunion apparaît donc comme un point de bascule, ou du moins comme une tentative de remise à niveau. Ce terme de reprise dit la volonté d’un nouveau départ, sans forcément détailler les causes de l’interruption. Il renvoie aussi à une notion essentielle dans les relations interétatiques : la continuité ne va jamais de soi, et doit être entretenue par des décisions claires.


Dans cette perspective, le rôle de la justice est double. Elle est d’abord un sujet de coopération spécifique, car les dossiers évoqués nécessitent une coordination juridico-administrative. Mais elle est aussi un levier de confiance. Un partenariat économique et social robuste suppose, pour les deux pays, un environnement de relations fiables et des règles partagées. En parlant de lutte contre les activités illicites et de rapatriement de fonds, Madagascar et la Suisse signalent que leur relation se veut construite sur un socle de transparence et de responsabilité.


Ainsi, cette rencontre peut être lue comme l’expression d’une convergence d’intérêts, mais également comme un choix politique de consolider la relation sur la durée. Si les engagements annoncés sont tenus, elle pourrait transformer la coopération bilatérale en un ensemble cohérent de pratiques et de résultats.


La reprise de la coopération économique et sociale comme priorité commune


L’un des points les plus mis en avant sur le plan bilatéral concerne la relance de la coopération économique et sociale entre Madagascar et la Suisse. L’expression est large, ce qui laisse comprendre que les deux pays entendent réactiver un partenariat multidimensionnel. La coopération économique peut englober des échanges commerciaux, des investissements, des projets de développement ou de soutien à des secteurs précis. La coopération sociale, elle, peut couvrir la formation, la santé, la protection sociale ou les initiatives visant à améliorer la qualité de vie des populations.


Même sans entrer dans des détails chiffrés ou des programmes spécifiques, l’essentiel est la volonté déclarée d’une reprise. Cela implique que les deux États envisagent leur relation comme bénéfique sur le plan des opportunités et des échanges. Pour Madagascar, remettre en mouvement une coopération économique avec un partenaire européen est souvent associé à l’idée de dynamiser certains pans de l’économie et de diversifier les collaborations internationales. Pour la Suisse, relancer ce dialogue peut correspondre à un intérêt stratégique de renforcer ses liens avec une partie de l’océan Indien, dans un cadre bilatéral stable.


La dimension sociale n’est pas secondaire. Dans beaucoup de partenariats, elle conditionne la durabilité des actions économiques. Une coopération sociale active contribue à renforcer les compétences, la mobilité et l’adaptation des populations, autant d’éléments qui soutiennent l’économie au sens large. La réunification des deux volets dans la même phrase traduit une vision intégrée : la croissance et le développement humain sont pensés ensemble.


La relance annoncée peut être aussi comprise comme un engagement politique. Reprendre une coopération signifie lui redonner de la visibilité institutionnelle, mobiliser des administrations, et définir des priorités communes. Elle suppose également des canaux de dialogue réguliers. Le communiqué ne parle pas seulement d’intention ; il évoque un accord conclu. Autrement dit, la reprise a vocation à se traduire en actions, avec une structure de mise en œuvre.


Pour les deux pays, cette décision peut ouvrir des perspectives nouvelles. Elle peut marquer l’entrée de Madagascar dans une relation plus active avec un partenaire dont l’image est souvent associée à la rigueur institutionnelle et à la stabilité. Elle peut aussi permettre à la Suisse de renforcer sa présence économique et sociale dans un cadre équilibré, fondé sur des attentes et des engagements réciproques. La coopération bilatérale, dans ce cas, devient un outil d’influence, mais aussi un instrument d’appui mutuel.


En soulignant ce point en premier, la réunion indique que les enjeux économiques et sociaux sont considérés comme un socle, autour duquel les autres volets, notamment judiciaires, viennent se greffer. La justice n’est donc pas isolée dans l’accord : elle est pensée comme un volet de sécurisation et de consolidation d’un partenariat plus large.


Mobilités professionnelles et académiques : une ouverture encadrée


Parmi les sujets abordés figure la facilitation des mobilités professionnelles et académiques des ressortissants malgaches en Suisse. Cette mention illustre une dimension humaine et concrète de la coopération. Les mobilités professionnelles renvoient aux travailleurs malgaches qui, dans certains secteurs, peuvent avoir l’opportunité d’exercer en Suisse. Les mobilités académiques concernent les étudiants, donc la formation supérieure et les échanges universitaires.


Parler de facilitation signifie que les deux pays envisagent un processus plus fluide, plus structuré ou plus accessible que ce qui existe déjà. L’idée n’est pas de promettre une ouverture totale, mais plutôt de clarifier, d’organiser et d’encadrer les conditions de circulation. Dans la diplomatie contemporaine, les mobilités sont souvent un indicateur de confiance : un pays n’encourage pas la circulation de ses ressortissants vers un autre s’il n’y a pas un minimum de partenariat, de garanties et de coordination.


Pour Madagascar, ce volet peut être porteur d’espoir. La mobilité professionnelle offre des perspectives de trajectoires nouvelles, d’accès à des environnements de travail différents et parfois à des compétences techniques ou organisationnelles particulières. La mobilité académique, elle, est un investissement dans l’avenir. Former des étudiants dans un contexte international peut contribuer au renforcement du capital humain, à la diversification des savoirs et à la constitution de réseaux utiles pour l’évolution du pays.


Pour la Suisse, faciliter ces mobilités encadrées peut être un moyen de renforcer les échanges humains et de consolider la relation bilatérale. Les étudiants et travailleurs qui circulent deviennent souvent des passerelles entre deux pays. Ils participent à des transferts de compétences, de pratiques et de relations. La mobilité est alors une forme d’investissement invisible, qui produit des effets sur le long terme.


Mais l’usage du mot facilitation rappelle aussi que ces mobilités se feront dans un cadre défini. Rien n’indique une ouverture sans conditions. Au contraire, l’accord suggère un travail conjoint pour établir des règles, veiller à la conformité administrative, et sécuriser les parcours. Ce cadre peut inclure des processus de sélection, des accords de reconnaissance de compétences, ou des conventions de partenariat académique. Même si ces aspects ne sont pas explicités, la notion de facilitation suppose une mise en place de procédures adaptées.


L’important, ici, est que la question des mobilités n’est pas abordée comme un sujet annexe, mais comme un axe de coopération à part entière. Cela contribue à inscrire la relation Madagascar–Suisse dans une dimension sociale tangible, perceptible pour les citoyens concernés. C’est aussi une manière d’équilibrer l’accord : il ne se limite pas à la lutte contre l’illicite, il comporte un volet d’ouverture et d’opportunité.


Gel des avoirs et lutte contre les activités illicites : convergence sur les intérêts nationaux


Le communiqué annonce une décision commune majeure : procéder au gel, en Suisse, des biens et comptes bancaires appartenant à des ressortissants malgaches impliqués dans des affaires de corruption ou d’activités illicites. Ce point est présenté comme relevant des intérêts nationaux. Il constitue sans doute l’une des dimensions les plus sensibles et les plus structurantes de l’accord.


Le gel des avoirs dans un pays tiers est une mesure forte, qui suppose une coopération étroite entre administrations et autorités judiciaires. Cela implique qu’il existe des informations, des dossiers ou des procédures permettant d’identifier les personnes concernées et d’établir un lien entre les biens et des activités illégales. Le fait que les deux États en aient convenu signifie qu’ils partagent une volonté politique d’empêcher que la Suisse soit un refuge pour des capitaux soupçonnés de provenir d’activités illicites.


Pour Madagascar, cette décision est un signal de fermeté dans la lutte contre la corruption. Elle vise à réduire les possibilités de fuite des capitaux et à renforcer l’idée qu’une infraction commise dans le cadre national peut entraîner des conséquences à l’étranger. Dans une perspective de gouvernance, l’enjeu est de dissuader, mais aussi de rétablir une forme d’équité : les ressources provenant d’actes illégaux ne doivent pas être mises à l’abri au-delà des frontières.


Pour la Suisse, accepter et organiser ce gel dans un cadre bilatéral équivaut à affirmer une position de coopération judiciaire. La mesure participe à une logique de responsabilité internationale face aux flux financiers liés à l’illicite. Elle implique aussi une coordination diplomatique solide, car le gel des biens est une décision à forte portée politique et juridique.

La notion d’activités illicites, associée à celle de corruption, élargit le champ. Elle indique que l’accord ne vise pas un seul type d’infraction, mais toute catégorie d’actes jugés illégaux par les autorités compétentes. Cette amplitude permet de traiter un ensemble de cas variés, sans enfermer la coopération dans une définition trop étroite.


Le gel en lui-même est souvent une étape préalable : il empêche la disparition des fonds ou des biens le temps que la justice examine les situations. Dans cette perspective, l’accord ne se limite pas à la sanction immédiate ; il met en place un mécanisme de conservation des preuves et des ressources, afin de permettre ensuite un traitement judiciaire cohérent. C’est un instrument essentiel dans les dossiers transnationaux.


La présentation de ce volet comme un sujet d’intérêts nationaux montre aussi que Madagascar considère ce point comme central pour sa souveraineté et pour la protection de ses ressources. La coopération avec la Suisse est alors perçue comme un soutien direct à une politique judiciaire nationale. En retour, la Suisse reconnaît la légitimité de cette préoccupation et s’engage à agir dans ce cadre.


Rapatriements de personnes condamnées et restitution des fonds : vers une justice transfrontalière


Enfin, la réunion a abordé deux autres dimensions liées : le rapatriement des personnes condamnées, qu’elles soient à Madagascar ou en Suisse, et le rapatriement des fonds gelés appartenant à l’État malgache. Ces points complètent la logique de coopération judiciaire en lui donnant une finalité concrète.


Le rapatriement des personnes condamnées suppose un accord entre les deux États permettant de transférer des individus sous peine. L’objectif implicite de ce type de mesure est souvent de faire exécuter une condamnation dans le pays d’origine ou dans un cadre jugé approprié. Il s’agit d’une forme de coopération pénale qui nécessite des procédures précises : identification des personnes concernées, coordination entre services judiciaires, respect des décisions de justice rendues, et mise en œuvre logistique.


Le communiqué souligne que ce rapatriement concernerait des personnes condamnées se trouvant à Madagascar ou en Suisse. Cette formulation laisse entendre une réciprocité. Autrement dit, la coopération va dans les deux sens, ce qui renforce l’équilibre de l’accord. Chaque État peut être amené à accueillir ses ressortissants condamnés ou à transférer ceux qui relèvent de l’autre pays.


Cette approche peut avoir une portée symbolique forte. Elle signifie que les condamnations doivent produire leurs effets et que les États se soutiennent pour assurer l’exécution de la justice, même quand les frontières interviennent. Elle renvoie aussi à une logique de responsabilité individuelle : on ne peut pas se soustraire à une peine simplement en se trouvant dans un autre pays.


Le rapatriement des fonds gelés appartenant à l’État malgache est l’autre élément clé. Si le gel empêche l’usage des fonds suspects, le rapatriement vise à restituer effectivement des ressources considérées comme relevant de Madagascar. Ici encore, la mesure suppose un travail en amont : il faut établir que tel fonds, gelé en Suisse, appartient à l’État malgache, et non à une entité privée. Cette reconnaissance est essentielle pour justifier la restitution.


Ce volet revêt une signification politique particulière. Rapatrier des fonds qui relèvent de l’État signifie restaurer un patrimoine public et réparer un préjudice potentiel. C’est aussi un message adressé à l’opinion : la justice ne se contente pas de punir, elle cherche à récupérer ce qui a été soustrait. Dans un cadre transnational, la restitution est l’aboutissement d’une coopération efficace.


Pour la Suisse, accepter ce rapatriement s’inscrit dans la cohérence du gel des avoirs. Si un gel a été réalisé sur la base d’informations et de procédures partagées, la restitution est la suite logique lorsque les droits de Madagascar sont établis. Le principe de coopération se matérialise alors en résultat tangible.


Dans l’ensemble, ces deux éléments indiquent que les deux pays ne se contentent pas d’intentions générales. Ils entendent organiser une justice transfrontalière où la peine suit la personne et où les ressources publiques peuvent être récupérées malgré l’éloignement géographique. Ce type de coopération demande du temps et une coordination rigoureuse, mais il pose un cadre clair pour l’avenir.


À travers cette rencontre et l’accord qui en a découlé, Madagascar et la Suisse réaffirment que leur relation bilatérale peut se structurer autour d’une relance économique et sociale, tout en s’appuyant sur une coopération judiciaire ambitieuse. Faciliter les mobilités des travailleurs et étudiants malgaches en Suisse, geler les avoirs liés à l’illicite, rapatrier les personnes condamnées et restituer les fonds appartenant à l’État malgache : autant de décisions qui dessinent un partenariat à la fois tourné vers l’ouverture et vers la responsabilité.


L’accord reste désormais attendu au tournant de sa mise en œuvre. Car l’efficacité de ce rapprochement dépendra de la capacité des administrations à transformer les engagements en procédures, puis en résultats. Pour Madagascar, c’est l’espoir d’une coopération rénovée et plus utile, adossée à un soutien concret dans la lutte contre la corruption et dans la récupération de ses ressources. Pour la Suisse, c’est l’affirmation d’une diplomatie qui articule coopération économique, liens humains et responsabilité judiciaire. Dans les prochains mois, la traduction pratique de ces annonces dira si cette rencontre aura été un simple jalon diplomatique, ou le départ d’une dynamique durable entre les deux États.

bottom of page