Mamy Ravatomanga dévoile sa vérité : l’homme d’affaires malgache conteste la FCC de Maurice dans un affidavit explosif
- TAHINISOA Ursulà Marcelle
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L’homme d’affaires malgache Mamy Ravatomanga, figure connue dans le monde des affaires de l’océan Indien, a déposé le mercredi 23 octobre un affidavit assermenté devant un juge siégeant en chambre à Port-Louis, île Maurice. Dans cette déclaration, il demande, avec son épouse Ramy Nivo Haingonorina Rakotoniary et deux sociétés associées, la révocation de la Criminal Attachment Order émise le 15 octobre à la demande de la Financial Crimes Commission (FCC), organisme mauricien basé à Ébène, dans le district de Plaines Wilhems.
L’affaire, qui s’appuie sur les dispositions de l’article 72 du Financial Crimes Commission Act 2023 et de l’article 71 du Courts Act, secoue depuis plusieurs semaines le paysage judiciaire mauricien. Les requérants demandent également la suspension de l’enquête en cours, la levée de l’interdiction de quitter le territoire mauricien et la communication intégrale du document ayant déclenché la procédure engagée par la FCC.
Selon eux, cette affaire repose sur des faits déjà examinés et classés sans suite par le Parquet National Financier (PNF) en France en juillet 2023. La décision du parquet français aurait été transmise à la FCC le 14 octobre, soit la veille même de la demande de gel des avoirs.
Cette confrontation judiciaire, entre un entrepreneur malgache de premier plan et une autorité anticorruption mauricienne de plus en plus puissante, met en lumière les enjeux complexes de la coopération judiciaire internationale, du respect des procédures et de la protection des droits fondamentaux.

Une requête déposée à Port-Louis fondée sur la légalité et la transparence
L’action introduite par les avocats de Mamy Ravatomanga et de son épouse a été officiellement enregistrée au tribunal de Port-Louis, capitale de Maurice, conformément aux articles 72 du Financial Crimes Commission Act 2023 et 71 du Courts Act. Ces textes prévoient la possibilité, pour toute personne concernée par une décision de saisie émanant de la FCC, de contester la mesure devant un juge indépendant siégeant en chambre.
La Criminal Attachment Order, émise le 15 octobre, visait à geler des avoirs financiers soupçonnés d’être liés à des activités illicites. Cette décision, obtenue par la Financial Crimes Commission de Maurice, visait notamment des comptes bancaires et des biens appartenant au couple Ravatomanga.
Cependant, les requérants affirment que cette initiative repose sur des informations déjà traitées et closes par la justice française. Le Parquet National Financier, basé à Paris, aurait en effet classé sans suite l’enquête en juillet 2023, faute d’éléments constitutifs d’infraction.
Les avocats demandent donc au juge mauricien la révocation immédiate de la Criminal Attachment Order, la suspension de l’enquête de la FCC, la levée du “Report on Departure” — mesure interdisant au couple de quitter le territoire —, ainsi que la communication du rapport initial à l’origine de la décision de la FCC.
Pour la défense, cette requête ne constitue pas une tentative d’échapper à la justice, mais une exigence de clarté et de respect des procédures légales. L’objectif est de démontrer que la FCC, en agissant malgré la décision française de classement, aurait outrepassé ses pouvoirs et violé les principes de droit international applicables.
Un dossier déjà clos par le Parquet National Financier en France
L’un des arguments majeurs présentés dans l’affidavit repose sur le classement sans suite décidé par le Parquet National Financier (PNF) à Paris en juillet 2023. Ce classement concerne précisément les faits aujourd’hui repris dans le dossier mauricien.
Selon les pièces déposées au tribunal de Port-Louis, cette décision française a été transmise par voie électronique le 14 octobre à la Financial Crimes Commission d’Ébène, soit un jour avant la demande d’émission de la Criminal Attachment Order.
Pour Mamy Ravatomanga et son épouse, cette chronologie prouve que la FCC a agi en connaissance de cause, ignorant délibérément la position officielle du PNF. Les requérants affirment que cette initiative viole le principe du “ne bis in idem”, reconnu par le droit international, qui interdit de rouvrir une affaire déjà jugée ou classée.
Les faits reprochés, expliquent-ils, ont déjà fait l’objet d’une commission rogatoire internationale entre la France, Madagascar et Maurice. Les investigations menées dans ce cadre n’ont abouti à aucune mise en examen ni poursuite.
Ils dénoncent dès lors une procédure abusive, susceptible de nuire gravement à leur réputation et à leurs activités économiques. En effet, le gel des avoirs ordonné par la FCC a eu un impact direct sur plusieurs entreprises appartenant au groupe Ravatomanga, notamment dans les secteurs du BTP, de l’import-export et de la logistique.
Leur avocat mauricien, présent lors du dépôt de l’affidavit le 23 octobre à Port-Louis, a déclaré que « la répétition d’une procédure déjà close dans une autre juridiction souveraine revient à méconnaître les principes fondamentaux de la justice internationale ».
Pour les défenseurs du couple, l’affaire met en évidence les dérives possibles d’une autorité administrative agissant sans coordination suffisante avec ses homologues étrangers, au risque de compromettre la sécurité juridique des opérateurs économiques.
Les précisions financières : des fonds légitimes et contrôlés
Dans leur affidavit assermenté à Port-Louis, Mamy Ravatomanga et Ramy Nivo Haingonorina Rakotoniary expliquent en détail l’origine des fonds visés par la FCC.
Ils affirment que leurs avoirs en République de Maurice proviennent d’activités économiques légales, exercées depuis plusieurs décennies, et soumises à des contrôles de conformité bancaire rigoureux. Ces contrôles, dits KYC (Know Your Client), ont été menés par des institutions financières mauriciennes et étrangères, dont Bank One Ltd, basée à Ébène.
Les époux réfutent l’existence de tout transfert récent de capitaux depuis Madagascar vers Maurice. Selon eux, la FCC s’appuie sur une interprétation erronée d’instructions bancaires internes, qui n’ont jamais été exécutées. Ces instructions concernaient deux opérations :
un virement de 2,5 millions de dollars américains à destination d’un compte à Dubaï, destiné à des investissements professionnels ;
un transfert d’un million de dollars américains destiné à l’épouse et aux enfants du couple, pour leurs besoins familiaux.
Les requérants affirment que ces fonds ont été entièrement tracés, qu’ils proviennent d’activités transparentes, et qu’ils ont déjà été soumis à toutes les vérifications nécessaires. Ils rejettent catégoriquement toute hypothèse de blanchiment d’argent ou de transfert illicite.
Dans le document déposé au tribunal, Mamy Ravatomanga précise que ses entreprises ont toujours respecté leurs obligations fiscales à Madagascar, en France et à Maurice. Il soutient que sa présence financière à Maurice s’explique par des raisons de proximité économique et logistique dans la région, et non par une volonté de dissimulation.
Pour l’homme d’affaires, cette procédure nuit à la fois à son image et à celle des institutions mauriciennes, qui pourraient apparaître comme agissant sans fondement solide. Il appelle à une clarification rapide pour « rétablir la vérité et restaurer la confiance dans l’État de droit ».
La perquisition du 21 octobre à Grand Baie : une opération sans résultat
L’affidavit mentionne également une perquisition menée ce mardi 21 octobre par des agents de la Financial Crimes Commission dans le nord de Maurice, notamment dans la région de Grand Baie.
Cette opération, conduite dans le cadre de l’enquête sur les flux financiers supposés, a conduit à la saisie de plusieurs téléphones portables appartenant au couple. Toutefois, les requérants indiquent qu’aucun élément compromettant n’a été découvert lors de cette intervention.
Selon leurs avocats, l’analyse des appareils saisis n’a révélé aucune communication suspecte, transaction anormale ni document incriminant. L’opération s’est donc soldée par un échec sur le plan probatoire.
Pour la défense, cette perquisition démontre que la FCC agit sur la base de simples suspicions, sans disposer d’indices matériels sérieux. Les avocats dénoncent une atteinte à la vie privée et une mesure disproportionnée, rappelant que toute perquisition doit être strictement encadrée et autorisée par un magistrat.
Du côté de la FCC, aucune communication officielle n’a encore été faite sur les résultats de cette opération. Mais selon plusieurs observateurs à Port-Louis, cette absence de preuve tangible pourrait fragiliser la position de la Commission devant le juge en chambre.
Un juge mauricien devra trancher entre droit national et principe international
La décision finale revient désormais à un juge de la Cour suprême de Maurice, siégeant en chambre à Port-Louis, qui doit examiner la requête déposée le 23 octobre dernier.
Ce magistrat entendra les arguments de la Financial Crimes Commission, qui plaide pour le maintien de la Criminal Attachment Order, ainsi que ceux des requérants, qui en demandent la révocation immédiate.
Les points essentiels à trancher seront :
la légalité de la procédure engagée par la FCC,
la validité du principe du “ne bis in idem” dans un contexte international,
la portée du classement sans suite rendu en France en juillet 2023,
et la proportionnalité des mesures de gel et d’interdiction de sortie du territoire.
La décision, attendue dans les prochaines semaines, pourrait avoir des répercussions importantes sur les relations judiciaires entre Maurice, Madagascar et la France.
Si le juge estime que la FCC a outrepassé ses pouvoirs, la Criminal Attachment Order pourrait être révoquée et l’enquête suspendue. Dans le cas contraire, le gel des avoirs serait maintenu et la FCC pourrait poursuivre ses investigations.
Cette audience, très attendue à Port-Louis et à Antananarivo, constitue un test majeur pour la justice mauricienne et pour la crédibilité de la Financial Crimes Commission d’Ébène, créée récemment pour lutter contre la criminalité économique.
Une affaire emblématique des défis de la justice financière internationale
Au-delà du cas de Mamy Ravatomanga, cette affaire illustre les tensions croissantes entre juridictions nationales dans le traitement des dossiers de criminalité financière transnationale.
L’essor de la Financial Crimes Commission, institution mauricienne installée à Ébène, répond à une volonté des autorités locales d’aligner le pays sur les standards internationaux en matière de lutte contre le blanchiment et la corruption. Cependant, cette montée en puissance s’accompagne de critiques sur la méthode et la coordination internationale.
Les juristes rappellent que le principe du “ne bis in idem” constitue un pilier du droit international. Lorsqu’une affaire a déjà été examinée et classée dans un pays, la relancer ailleurs sans élément nouveau peut être perçu comme une violation de ce principe.
Dans le cas présent, la décision du Parquet National Financier à Paris de juillet 2023 constitue, selon la défense, un acte définitif. Reprendre les mêmes éléments à Maurice reviendrait, selon eux, à doubler les poursuites et à affaiblir la sécurité juridique.
Les observateurs soulignent aussi que les pouvoirs élargis de la FCC, inscrits dans le Financial Crimes Commission Act 2023, confèrent à l’institution une autonomie considérable. Si cette indépendance est essentielle pour garantir l’efficacité des enquêtes, elle peut aussi mener à des excès si les contrôles judiciaires ne sont pas exercés avec rigueur.
Cette affaire illustre donc les défis d’équilibre entre efficacité et équité dans la lutte contre les flux financiers illicites. Elle met également en lumière la nécessité d’une coopération transparente entre États, surtout dans des régions où les liens économiques et bancaires sont étroits, comme entre Madagascar, Maurice et la France.
Conclusion : une décision attendue à Port-Louis sous haute surveillance
Alors que la Cour suprême de Port-Louis se prépare à examiner les arguments, le sort de Mamy Ravatomanga, de son épouse Ramy Nivo Haingonorina Rakotoniary et de leurs sociétés reste suspendu à la décision du juge.
L’enjeu dépasse largement le cadre individuel : il s’agit d’un cas test pour la coopération judiciaire internationale et d’une épreuve de crédibilité pour la Financial Crimes Commission d’Ébène, qui souhaite s’imposer comme un acteur majeur de la régulation financière régionale.
Pour les requérants, l’objectif est clair : faire reconnaître que cette procédure viole le droit et repose sur des faits déjà jugés. Pour la FCC, il s’agit de prouver que son action s’inscrit dans la stricte application de la loi mauricienne.
La décision à venir, attendue d’ici novembre, dira si la justice mauricienne privilégie la coopération internationale ou la souveraineté de ses institutions.
Quoi qu’il en soit, cette affaire, née à Antananarivo, relancée à Port-Louis et suivie à Paris, révèle toute la complexité du monde judiciaire moderne face à la mondialisation des flux financiers. Elle restera sans doute un précédent marquant dans l’histoire de la justice économique dans la région océan Indien.
Source : lexpress.mu