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L'ACTUALITÉ DE LA GRANDE ÎLE DEPUIS 1929

Affaire Mamy Ravatomanga : la justice malgache saisit INTERPOL pour l’émission d’une notice rouge

L’affaire Ravatomanga Mamy, déjà au cœur de nombreux débats politiques et judiciaires à Madagascar, prend une tournure internationale. Le ministère de la Justice malgache a officiellement sollicité INTERPOL afin d’émettre une « notice rouge » contre l’homme d’affaires Maminiaïna Ravatomanga, également connu sous le nom de Mamy Ravatomanga. Cette démarche fait suite au mandat d’arrêt international délivré par le Tribunal d’Antananarivo le 16 octobre 2025. À travers cette requête, les autorités malgaches souhaitent renforcer la coopération internationale et signaler leur détermination à faire appliquer les décisions de justice dans une affaire sensible mêlant soupçons de blanchiment d’argent, de faux en écriture, et d’implications économiques de haut niveau.

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Une procédure judiciaire à résonance internationale

La décision de la justice malgache de solliciter INTERPOL s’inscrit dans une logique d’exécution du mandat d’arrêt international déjà émis à l’encontre de Mamy Ravatomanga. Selon le juriste Eric Rafidison, cette demande de notice rouge n’est pas une simple formalité administrative, mais une étape décisive qui marque la volonté de l’État malgache d’aller jusqu’au bout de la procédure. En pratique, la notice rouge d’INTERPOL sert à alerter les forces de police de tous les pays membres sur la localisation et la possible arrestation d’une personne recherchée.

Cette mesure, souvent perçue comme la plus emblématique des outils d’INTERPOL, permet à un pays demandeur de solliciter la coopération policière internationale sans nécessairement passer par des accords bilatéraux. Si la notice rouge n’a pas valeur de mandat d’arrêt dans tous les États, elle facilite néanmoins la localisation, la surveillance et la détention provisoire de la personne visée dans l’attente d’une procédure d’extradition.

Dans le cas présent, la demande de la justice malgache intervient après plusieurs mois d’enquête sur une affaire complexe mêlant des ramifications économiques, politiques et diplomatiques. Les éléments rassemblés par les enquêteurs concernent notamment des transactions suspectes, des sociétés-écrans et des transferts de fonds liés à l’acquisition et à la gestion d’un avion Boeing 777. Ce dossier, connu sous le nom de « dossier du Boeing », impliquerait également des partenaires étrangers et des institutions de régulation comme l’Aviation Civile de Madagascar (ACM).

Le profil controversé de Mamy Ravatomanga

Homme d’affaires influent, Mamy Ravatomanga est une figure emblématique du monde économique malgache. À la tête de plusieurs sociétés regroupées au sein du groupe Sodiat, il a longtemps été perçu comme un entrepreneur prospère, ayant investi dans de nombreux secteurs, notamment les médias, la construction, la logistique et les importations. Sa proximité supposée avec plusieurs responsables politiques de haut niveau a souvent alimenté des spéculations sur ses liens avec le pouvoir.

L’image publique de Mamy Ravatomanga est donc marquée par un double visage : celui d’un investisseur visionnaire contribuant au développement économique du pays, et celui d’un acteur controversé, régulièrement cité dans des dossiers sensibles mêlant affaires publiques et intérêts privés. Déjà par le passé, son nom avait été évoqué dans des enquêtes liées à des soupçons de favoritisme, d’évasion fiscale ou de malversations financières. Toutefois, aucune de ces affaires n’avait conduit à une condamnation judiciaire ferme.

Dans le contexte actuel, l’émission d’un mandat d’arrêt international, suivie de la demande de notice rouge, témoigne d’un changement de ton de la part des autorités. Cette offensive judiciaire illustre la volonté d’affirmer l’indépendance du système judiciaire face aux puissances économiques. Elle vise aussi à montrer, sur la scène internationale, que Madagascar entend lutter efficacement contre la corruption et le blanchiment d’argent, deux fléaux récurrents du continent africain.

L’affaire du Boeing 777 : un dossier explosif

Le cœur du dossier réside dans une série d’opérations suspectes autour de l’acquisition d’un avion Boeing 777, un appareil de grande capacité destiné initialement à des usages commerciaux ou diplomatiques. Selon les informations communiquées par le ministère de la Justice, cette affaire combine plusieurs chefs d’accusation : blanchiment d’argent, faux en écriture, et usage de documents falsifiés. Les soupçons portent sur la provenance des fonds ayant permis l’achat de l’appareil, ainsi que sur la structure juridique utilisée pour la transaction.

L’Aviation Civile de Madagascar (ACM) figure également parmi les institutions mentionnées dans cette affaire. Certaines autorisations administratives auraient été délivrées dans des conditions jugées irrégulières, voire frauduleuses, permettant l’immatriculation de l’appareil au nom d’une société dont les bénéficiaires économiques restent flous. Les enquêteurs soupçonnent un montage financier destiné à dissimuler l’origine réelle des capitaux et à contourner les règles de transparence financière internationales.

Ce dossier a d’autant plus suscité la polémique qu’il impliquerait des personnalités politiques et des entreprises étrangères. Des intermédiaires, basés notamment dans des juridictions connues pour leur opacité financière, auraient servi de relais pour effectuer les transferts de fonds. Cette dimension internationale complexifie l’enquête, rendant nécessaire la coopération d’organismes comme INTERPOL et le Groupe d’action financière (GAFI), afin de retracer les flux d’argent suspects.

L’émission d’une notice rouge apparaît donc comme une suite logique pour un dossier qui dépasse désormais les frontières malgaches. Elle permettra, le cas échéant, d’obtenir l’arrestation de l’intéressé dans un pays tiers et d’engager une procédure d’extradition vers Madagascar pour qu’il réponde des accusations portées contre lui.

Les enjeux juridiques et diplomatiques d’une notice rouge

L’émission d’une notice rouge par INTERPOL ne relève pas d’une décision automatique. Le pays requérant doit présenter un dossier complet, justifiant la légitimité de la demande et la conformité de la procédure avec les droits fondamentaux. INTERPOL examine systématiquement la nature des accusations pour s’assurer qu’elles ne sont pas motivées par des considérations politiques, raciales ou religieuses. Dans le cas de Mamy Ravatomanga, les autorités malgaches devront donc démontrer que la démarche est strictement judiciaire et non instrumentalisée.

Sur le plan diplomatique, cette affaire pourrait avoir des répercussions significatives. Madagascar, en cherchant à renforcer sa coopération avec INTERPOL, affirme son engagement dans la lutte contre la criminalité financière transnationale. Toutefois, certains observateurs y voient aussi un test pour l’indépendance du système judiciaire malgache, souvent accusé d’être soumis à des pressions politiques. Le risque serait que cette affaire devienne un terrain de confrontation entre partisans et opposants du pouvoir en place.

Les relations internationales de Madagascar pourraient également être affectées. Si Mamy Ravatomanga se trouve actuellement dans un pays étranger, celui-ci devra décider s’il accepte d’agir sur la base de la notice rouge. Or, de nombreux États n’exécutent pas automatiquement ce type d’alerte, surtout lorsqu’elle concerne des personnalités économiques influentes ou lorsque les accusations pourraient être perçues comme politiquement sensibles. Cela explique pourquoi certaines notices rouges restent inactives pendant des années, sans aboutir à une arrestation effective.

Cependant, la démarche du ministère de la Justice s’inscrit dans une dynamique de transparence et de responsabilité. En saisissant INTERPOL, Madagascar manifeste sa volonté de respecter les standards internationaux en matière de coopération policière. Cette stratégie vise également à restaurer la confiance des investisseurs et des partenaires étrangers, souvent ébranlée par les scandales de corruption à répétition.

Les réactions au sein de la société malgache

L’annonce de la demande de notice rouge a provoqué de vives réactions à Madagascar. Dans les médias locaux comme sur les réseaux sociaux, les opinions sont partagées. Certains saluent une avancée majeure dans la lutte contre l’impunité, estimant que nul ne devrait être au-dessus de la loi, quelle que soit sa fortune ou son influence. D’autres, en revanche, dénoncent une manœuvre politique destinée à écarter un acteur économique devenu gênant.

Plusieurs organisations de la société civile, notamment celles œuvrant pour la transparence et la bonne gouvernance, ont applaudi la décision du ministère de la Justice. Elles y voient un signal fort adressé aux élites économiques et politiques, souvent accusées de se soustraire aux obligations judiciaires. Le Collectif pour la Défense de la Justice Indépendante a rappelé, dans un communiqué, que « la crédibilité de l’État repose sur sa capacité à faire respecter le droit sans distinction de statut social ni de richesse ».

Dans le camp des soutiens de Mamy Ravatomanga, la défense évoque une instrumentalisation du pouvoir judiciaire. Des proches de l’homme d’affaires affirment que les accusations reposent sur des interprétations biaisées et que la procédure manque de fondement concret. Certains vont jusqu’à évoquer une tentative de déstabilisation économique, dans un contexte où le groupe Sodiat demeure un acteur clé de plusieurs secteurs stratégiques.

Au-delà des positions partisanes, cette affaire ravive un débat plus large sur la gouvernance, la transparence et l’indépendance de la justice à Madagascar. Pour de nombreux citoyens, l’enjeu dépasse le cas individuel de Mamy Ravatomanga : il s’agit de savoir si la justice malgache est désormais capable de s’attaquer aux puissants avec la même rigueur qu’aux plus modestes.

Une épreuve pour la justice malgache

Cette affaire constitue un test déterminant pour le système judiciaire malgache. Depuis plusieurs années, les institutions judiciaires du pays cherchent à regagner la confiance du public, souvent ébranlée par des scandales de corruption et des ingérences politiques. L’indépendance effective des magistrats, la transparence des enquêtes et la cohérence des décisions rendues sont au centre des attentes de la population comme des observateurs internationaux.

En lançant une procédure internationale d’arrestation, la justice malgache expose également son propre fonctionnement au regard du monde. INTERPOL, en tant qu’organisation internationale, n’accorde pas de notice rouge à la légère. Chaque demande fait l’objet d’un examen rigoureux, notamment par la Commission de Contrôle des Fichiers d’INTERPOL, qui vérifie la conformité juridique du dossier. En cas de validation, la notice devient consultable par les 196 pays membres, ce qui confère à l’affaire une portée mondiale.

Pour Madagascar, cette visibilité comporte un double enjeu : d’un côté, elle peut renforcer la crédibilité des institutions judiciaires, montrant que le pays agit avec rigueur et transparence ; de l’autre, elle peut fragiliser son image si la procédure s’avère incomplète ou entachée d’irrégularités. L’issue de cette affaire dépendra donc autant du respect des règles juridiques que de la capacité des autorités à maintenir une communication claire, équilibrée et respectueuse des principes du droit international.

Conclusion : entre symbole et réalité judiciaire

L’affaire Mamy Ravatomanga illustre la complexité des luttes contre la criminalité financière dans un contexte où les frontières nationales ne suffisent plus à contenir les circuits économiques opaques. En demandant l’émission d’une notice rouge à INTERPOL, la justice malgache franchit une étape décisive, affirmant sa volonté de poursuivre les auteurs présumés de délits financiers, quels que soient leur statut ou leur position.

Mais au-delà de la procédure, cette démarche révèle aussi un enjeu plus profond : celui de la crédibilité de l’État de droit à Madagascar. Pour que cette action ait un véritable impact, elle devra s’inscrire dans une logique de cohérence et d’équité, où la justice agit avec indépendance et transparence. L’émission d’une notice rouge n’est qu’un outil ; son efficacité dépendra de la volonté politique et institutionnelle de faire prévaloir le droit sur les influences.

L’avenir dira si cette initiative marquera un tournant dans la lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent, ou si elle rejoindra la longue liste des affaires restées sans suite. Quoi qu’il en soit, le signal envoyé est fort : la justice malgache veut désormais que les grands dossiers économiques soient traités avec la même rigueur que ceux des citoyens ordinaires. Dans un pays en quête de confiance et de stabilité, c’est peut-être là la première étape d’un renouveau judiciaire attendu depuis longtemps.

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