Crise de l’eau et de l’électricité : les premiers pas prudents du nouveau Président
- TAHINISOA Ursulà Marcelle
- il y a 56 minutes
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L’arrivée du colonel Michaël Randrianirina à la tête de l’État marque un tournant politique et institutionnel pour Madagascar. À peine investi, le nouveau Chef de l’État a choisi de concentrer son attention sur deux domaines qui symbolisent à la fois les difficultés structurelles du pays et les attentes immédiates de la population : l’eau et l’électricité. En se rendant dès le lendemain de sa prestation de serment sur le site de production électrique de la Jirama à Ambohimanambola, il a voulu afficher sa détermination à s’attaquer à la racine d’un problème qui a coûté cher à ses prédécesseurs. Mais derrière ce geste fort se cache une approche empreinte de prudence, signe que la résolution de la crise énergétique nécessitera du temps, des moyens et un pilotage rigoureux.

Une première sortie hautement symbolique
Le choix du site d’Ambohimanambola pour la première visite de terrain du nouveau Chef de l’État n’est pas anodin. Situé aux portes d’Antananarivo, ce complexe abrite plusieurs centrales thermiques assurant une part importante de l’alimentation du Réseau interconnecté d’Antananarivo (RIA). En période de crise énergétique, cette infrastructure devient stratégique, voire vitale, pour la capitale et ses environs.
Le colonel Randrianirina, accompagné des membres du Conseil présidentiel pour la refondation de la République, a voulu envoyer un message clair : l’énergie sera au cœur de la refondation promise. Les délestages, devenus quotidiens, ont profondément marqué la population et fragilisé l’économie nationale. Ces coupures récurrentes d’électricité ont aussi joué un rôle déterminant dans la chute du régime précédent.
Mais si la visite d’Ambohimanambola marque la volonté d’agir, elle illustre aussi la complexité du dossier. Selon la communication officielle, plusieurs problèmes ont été identifiés sur place, certains techniques, d’autres logistiques. Les solutions ne pourront pas toutes être immédiates. Le Chef de l’État, en prônant la prudence et la concertation, semble vouloir éviter les promesses irréalistes et poser les bases d’une action durable.
Le poids du passé et les défis du présent
Le dossier énergétique à Madagascar est l’un des plus lourds héritages de l’administration précédente. La Jirama, entreprise publique en charge de la distribution de l’eau et de l’électricité, traverse depuis des années une crise financière et organisationnelle majeure. Son déficit chronique, aggravé par une gestion souvent critiquée, a conduit à une dépendance accrue vis-à-vis des producteurs privés d’électricité.
Les longues heures de délestage enregistrées ces derniers mois résultent d’un déséquilibre flagrant entre la demande croissante et une production insuffisante. Le précédent président avait reconnu un déficit d’environ 50 mégawatts dans l’approvisionnement du RIA. Ce chiffre, loin d’être anodin, illustre l’urgence d’une réponse coordonnée.
À cette pénurie structurelle s’ajoute la fragilité du système hydraulique. Les barrages et centrales hydrauliques, notamment celui d’Andekaleka, fonctionnent actuellement à leur capacité minimale à cause de la période d’étiage. La production solaire, encore marginale, ne suffit pas à compenser la baisse. La seule alternative, pour le moment, consiste à solliciter davantage les centrales thermiques, malgré leur coût exorbitant et leur impact environnemental.
Cette situation pose une question essentielle : comment concilier urgence énergétique, maîtrise budgétaire et engagement écologique dans un pays où chaque décision en la matière a des répercussions politiques et sociales immédiates ?
Une équation budgétaire difficile à résoudre
Le recours massif aux centrales thermiques d’Ambohimanambola a un coût considérable. Selon une source proche du dossier, il faut près de 500 millions d’ariary par jour pour maintenir l’approvisionnement en carburant nécessaire à leur fonctionnement. Ce choix, dicté par l’urgence, pèse lourdement sur les finances publiques.
Dans un contexte où le budget de l’État reste sous tension, cette dépense colossale n’est pas soutenable à long terme. La plupart des équipements utilisés appartiennent d’ailleurs à des opérateurs privés, ce qui accroît la dépendance de l’État et limite sa marge de manœuvre.
Le colonel Randrianirina a, dans son premier discours, évoqué la nécessité d’une rupture avec le passé et d’une refondation des modes de gouvernance. Pourtant, dans des secteurs stratégiques comme l’énergie, la continuité de l’État s’impose. Les projets déjà engagés, comme l’installation de nouveaux groupes thermiques de 105 mégawatts et la construction de centrales solaires de 50 mégawatts, devront être évalués avec discernement. Suspendre ou relancer ces chantiers implique des arbitrages politiques, financiers et techniques délicats.
La transparence budgétaire sera un autre enjeu majeur. Le Chef de l’État a reconnu, lors d’une intervention publique, ne pas encore maîtriser tous les mécanismes de fonctionnement budgétaire du gouvernement. Cette déclaration, loin d’être anodine, témoigne d’une volonté d’honnêteté, mais aussi d’une prise de fonction marquée par une phase d’observation et de préparation. L’action concrète viendra ensuite, une fois les fondations administratives posées.
Un enjeu social et politique explosif
L’électricité, à Madagascar, dépasse largement la question technique. Elle touche directement à la vie quotidienne, à la stabilité sociale et à la légitimité politique. Les manifestations ayant conduit à la chute du précédent gouvernement sont nées de la colère populaire face aux délestages prolongés et à la hausse du coût de la vie. Dans les quartiers urbains comme dans les zones rurales, l’accès irrégulier à l’énergie est perçu comme une injustice, une illustration des inégalités persistantes entre les citoyens.
La refondation annoncée devra donc s’appuyer sur une politique énergétique qui prenne en compte ces dimensions sociales. Le nouveau gouvernement est attendu sur des mesures concrètes : réduction progressive des coupures, amélioration de la distribution, transparence sur la tarification et soutien aux ménages modestes. Les citoyens, épuisés par des années de promesses non tenues, réclament des actes tangibles.
Les entrepreneurs, eux, espèrent un retour rapide à la stabilité énergétique. Les coupures prolongées ont paralysé des milliers de petites et moyennes entreprises, engendrant des pertes financières considérables. Dans les zones industrielles, les générateurs fonctionnent jour et nuit, alourdissant les charges et limitant la compétitivité. Pour la relance économique annoncée par les nouvelles autorités, la fiabilité du réseau électrique sera un préalable incontournable.
La dimension politique de ce dossier est tout aussi cruciale. En s’emparant du thème de l’énergie dès les premiers jours de son mandat, le colonel Randrianirina en fait un symbole de sa gouvernance. Mais il sait aussi que les attentes sont immenses, et que le moindre faux pas pourrait fragiliser la légitimité encore fragile du nouveau pouvoir.
Vers une refondation du modèle énergétique
Refonder la République, c’est aussi repenser la manière dont le pays produit, distribue et consomme son énergie. Les solutions d’urgence, aussi nécessaires soient-elles, ne pourront pas se substituer à une stratégie à long terme. La diversification du mix énergétique apparaît comme une voie incontournable.
Les ressources naturelles du pays — soleil, vent, eau, biomasse — offrent un potentiel considérable. Pourtant, leur exploitation reste limitée par le manque d’infrastructures, d’investissements et de cadres réglementaires clairs. La dépendance aux énergies fossiles importées expose l’économie nationale aux fluctuations des prix mondiaux et creuse le déficit commercial.
Le gouvernement devra donc miser sur un plan de transition énergétique cohérent, articulé autour de trois priorités : la modernisation du réseau existant, le développement des énergies renouvelables et la réforme de la Jirama. Cette dernière, en particulier, nécessitera une refonte profonde de sa gouvernance, une amélioration de la transparence et une réduction des pertes techniques et commerciales qui plombent sa viabilité.
Le secteur privé pourrait jouer un rôle accru, à condition que les règles soient claires et les partenariats équilibrés. Les précédentes expériences ont montré les limites d’un modèle où l’État se retrouve dépendant de prestataires aux marges élevées. La nouvelle équipe dirigeante devra instaurer une régulation efficace et renforcer la capacité de négociation de l’État.
Une refondation sous le signe de la prudence et du réalisme
En affichant une approche mesurée, le colonel Michaël Randrianirina s’inscrit dans une logique de pragmatisme. La prudence qui caractérise ses premiers pas ne traduit pas une absence de vision, mais plutôt la conscience des écueils. Après des années d’instabilité politique et d’échecs successifs, le pays a besoin de décisions réfléchies et de politiques ancrées dans la réalité.
Le Chef de l’État semble vouloir restaurer la confiance avant tout. La communication institutionnelle, volontairement sobre, contraste avec le ton triomphaliste du passé. L’objectif est de bâtir une gouvernance reposant sur la transparence, la responsabilité et la concertation.
La réussite de cette refondation dépendra toutefois de la capacité du gouvernement à mobiliser les ressources nécessaires. Les partenaires internationaux, souvent sollicités pour le financement des grands projets énergétiques, attendront des signaux clairs de stabilité et de bonne gestion. La population, de son côté, jugera le nouveau pouvoir à l’aune de résultats concrets : moins de coupures, plus d’eau, une vie quotidienne un peu plus supportable.
En se rendant sur le site d’Ambohimanambola dès le lendemain de son investiture, le colonel Michaël Randrianirina a posé un acte symbolique fort. Il a choisi d’entrer dans le vif du sujet, celui de l’énergie, un domaine où se croisent les attentes sociales, les enjeux économiques et les défis politiques. Mais la route sera longue. Entre contraintes budgétaires, dépendance structurelle et pression populaire, la refondation du système énergétique malgache exigera plus que des discours : elle nécessitera du courage, de la rigueur et une vision à long terme. La prudence affichée du Chef de l’État apparaît, dans ce contexte, non pas comme une faiblesse, mais comme la première étape d’un redressement espéré depuis trop longtemps.