Les dix pays les plus tolérants du monde : radiographie d’un idéal en mouvement

La tolérance est un mot que tout le monde utilise, mais que peu de sociétés mesurent de la même façon. Est-ce l’acceptation des minorités religieuses ? La place faite aux personnes LGBT+ ? L’accueil des migrants ? L’égalité femmes-hommes ? Ou, plus largement, la capacité à vivre ensemble sans transformer la différence en menace ? Aucun indicateur unique ne saisit tout cela à la fois. Les chercheurs et organisations internationales s’appuient donc sur plusieurs baromètres : indices d’acceptation des migrants, d’inclusion sociale, de droits civiques, de perception des minorités et de libertés individuelles. Ces tableaux ne coïncident pas toujours, mais ils dessinent une zone claire sur la carte : un groupe de pays, surtout nordiques et anglo-saxons, où la norme sociale et l’action publique convergent vers l’ouverture.

Cet article propose un classement des dix pays qui se retrouvent le plus régulièrement au sommet de ces évaluations, en croisant notamment les données sur l’acceptation des migrants, l’inclusion et les droits civiques, ainsi que les progrès en matière d’égalité et d’acceptation des personnes LGBT+. Il ne s’agit pas d’un palmarès figé, ni d’une médaille morale éternelle. La tolérance n’est pas un état, mais une dynamique fragile. Elle avance, recule, se réinvente. Les pays présentés ici ont en commun d’avoir construit, à des degrés divers, des institutions protectrices et une culture publique qui valorise la diversité. Mais tous affrontent aussi des tensions : montée de discours identitaires, crispations autour de l’immigration, nouveaux clivages de génération ou de territoire. Les dix premiers ne sont pas exempts de problèmes ; ils offrent simplement, aujourd’hui, les environnements sociaux et politiques les plus favorables à l’acceptation de l’autre.

Comment mesure-t-on la tolérance et pourquoi le classement varie

La première difficulté est sémantique. La tolérance peut signifier « supporter ce qu’on n’aime pas » ou, à l’inverse, « reconnaître pleinement l’égalité de dignité ». Les indices contemporains privilégient plutôt la seconde définition : la tolérance n’est pas un simple laisser-faire, mais la traduction concrète d’un respect des droits et d’une inclusion réelle.

Plusieurs familles de mesures existent. D’un côté, les indices basés sur les attitudes déclarées : enquêtes d’opinion sur le voisinage souhaité, la perception des migrants, des minorités ethniques ou religieuses, la légitimité de l’égalité des genres. Des grandes enquêtes internationales, comme celles réalisées dans le cadre de sondages comparatifs mondiaux, permettent d’observer sur plusieurs décennies la montée ou la baisse de l’acceptation de la diversité. Les travaux académiques qui utilisent ces données construisent des indices composés intégrant tolérance de genre, tolérance envers les minorités, tolérance religieuse et tolérance migratoire.

D’un autre côté, il y a les indices fondés sur les politiques publiques : lois anti-discrimination, droits accordés aux couples de même sexe, accès à l’asile, protection de la liberté de culte, mécanismes de lutte contre les inégalités. Les classements sur les droits LGBT+, par exemple, mettent en avant les pays où la législation protège à la fois l’égalité juridique et la sécurité sociale des personnes concernées.

Enfin, certains baromètres évaluent les résultats : taux de participation politique des groupes minoritaires, perception du sentiment d’appartenance, accès à l’éducation et à la santé, sécurité, libertés civiques. L’indice mondial de progrès social, par exemple, inclut un pilier « opportunités » où l’on retrouve l’inclusion et les droits personnels ; il place de façon récurrente les pays nordiques et quelques démocraties anglo-saxonnes au sommet.

Pourquoi alors les classements divergent-ils ? Parce que chaque outil pèse les dimensions différemment. Certains pays excellent dans l’accueil migratoire mais restent plus conservateurs sur les questions de genre, d’autres affichent une grande égalité juridique mais une société encore divisée sur le plan culturel. Le classement proposé ici retient les pays qui se situent dans le haut de plusieurs listes à la fois : acceptation de l’immigration, niveau d’inclusion sociale, protection solide des minorités et droits civiques larges. Ce croisement pointe un noyau stable : Canada et Nouvelle-Zélande, bloc nordique, Pays-Bas, Espagne, Portugal, souvent accompagnés de l’Irlande, de l’Allemagne ou de l’Australie selon la période retenue.

Les dix pays qui dominent les classements de tolérance

  1. Canada
    La première place revient régulièrement au Canada. Les enquêtes sur l’accueil des migrants y soulignent une acceptation sociale exceptionnellement élevée, au point d’en faire un modèle global d’intégration. Les politiques publiques canadiennes associent immigration choisie, multiculturalisme constitutionnel et cadre solide contre les discriminations. Le pays conjugue aussi une protection avancée des droits LGBT+ et une valorisation culturelle de la diversité, portée par de grandes villes comme Toronto, Vancouver ou Montréal. Le Canada figure parmi les destinations les plus sûres et inclusives pour les minorités sexuelles et de genre.
  2. Islande
    Avec une population réduite mais un consensus politique fort, l’Islande a bâti l’une des sociétés les plus égalitaires d’Europe. Elle se distingue sur les droits LGBT+, l’égalité femmes-hommes et un climat social où les minorités sont globalement bien acceptées. L’accueil des migrants y est aussi élevé dans les baromètres mondiaux, malgré la taille modeste du marché du travail. L’Islande illustre une tolérance portée par la cohésion sociale et par une forte confiance dans les institutions.
  3. Nouvelle-Zélande
    La Nouvelle-Zélande combine un haut niveau d’acceptation migratoire, une politique volontariste d’inclusion des populations autochtones maories et des avancées fortes sur l’égalité des droits. Sa réputation d’ouverture s’appuie autant sur la loi que sur une culture civique de la bienveillance, souvent mise en avant lors des crises, comme après l’attentat de Christchurch en 2019. Dans les classements de tolérance envers les migrants, elle apparaît systématiquement en tête, et elle figure aussi parmi les pays les plus favorables aux droits LGBT+.
  4. Norvège
    La Norvège est un pilier du modèle nordique : État-providence généreux, écart de richesse relativement limité, politiques actives d’égalité et de lutte contre la discrimination. Les données de progrès social y montrent un haut niveau d’inclusion et de droits personnels. Si le pays connaît un débat migratoire conséquent, ses indicateurs d’acceptation demeurent parmi les meilleurs.
  5. Suède
    La Suède est également un front avancé de l’ouverture. Son histoire récente d’accueil humanitaire, notamment durant la crise migratoire des années 2010, a façonné une culture publique de la solidarité. Elle se situe très haut sur l’égalité de genre et sur l’acceptation des minorités sexuelles. Comme d’autres pays nordiques, elle fait face à une polarisation politique croissante, mais les niveaux d’inclusion restent forts.
  6. Danemark
    Le Danemark figure au sommet de l’indice de progrès social, en particulier grâce à ses performances en matière de droits personnels et d’inclusivité. Sa place dans les dix premiers se justifie par la robustesse de ses systèmes anti-discrimination et par une norme sociale favorable à l’égalité. Le débat politique sur l’immigration y est parfois plus dur que dans les pays voisins, mais les indicateurs globaux de tolérance restent très élevés.
  7. Pays-Bas
    Longtemps précurseurs en Europe, les Pays-Bas ont été parmi les premiers à légaliser le mariage homosexuel et à inscrire l’égalité comme principe structurant de l’espace public. Les attitudes envers les minorités y demeurent très positives. Amsterdam, Rotterdam ou Utrecht symbolisent une culture urbaine cosmopolite, mais l’ouverture dépasse largement les centres-villes.
  8. Espagne
    L’Espagne est un cas marquant : en deux décennies, le pays a basculé d’un conservatisme social hérité du franquisme vers l’un des cadres légaux les plus inclusifs d’Europe. Mariage égalitaire, protections contre les discriminations et reconnaissance progressive des identités de genre s’y sont imposés. L’acceptation sociale suit globalement cette trajectoire, et l’Espagne figure en tête des classements LGBT+ et dans le haut des indices d’inclusion.
  9. Portugal
    Le Portugal, longtemps discret dans les palmarès européens, est devenu une référence d’ouverture. Sa politique migratoire, notamment envers les communautés lusophones, est réputée accueillante. Sur les questions LGBT+ et d’égalité, Lisbonne a adopté un corpus législatif parmi les plus avancés au monde, et l’indice de progrès social met en avant de bons résultats sur l’inclusion.
  10. Irlande
    L’Irlande complète le top 10. La société irlandaise a connu une mutation spectaculaire, validée par référendum, avec la légalisation du mariage homosexuel et une sécularisation rapide. L’acceptation des minorités religieuses et sexuelles s’y est nettement améliorée, en phase avec une économie ouverte sur l’international. Elle rejoint ainsi le cercle des pays européens les plus inclusifs.

Ce classement n’exclut pas d’autres pays proches, comme l’Australie, l’Allemagne ou la Finlande, qui entrent fréquemment dans les dix premiers selon l’indice retenu. Il reflète une tendance mondiale : les pays les plus tolérants sont généralement ceux qui combinent prospérité partagée, institutions démocratiques solides et politiques actives d’égalité.

Ce que ces pays ont en commun : État social, confiance et culture civique

Regarder la carte des pays les plus tolérants revient à observer un modèle social particulier. La plupart appartiennent à deux ensembles : les démocraties nordiques et certaines sociétés d’immigration choisie. Le point commun n’est pas une absence de conflits, mais une capacité à les arbitrer sans basculer dans l’exclusion.

Premier facteur : l’État-providence. Dans les pays nordiques, l’égalité matérielle réduit la compétition identitaire. Quand l’école publique, la santé, le logement social et les minima garantissent un socle de sécurité, la différence est moins facilement perçue comme une menace économique. Les études sur le progrès social montrent une corrélation constante entre fortes protections sociales et haut niveau d’inclusion.

Deuxième facteur : la confiance institutionnelle. En Islande, en Norvège ou au Danemark, la confiance dans la police, la justice et les administrations est élevée, ce qui réduit la tentation de chercher des boucs émissaires. Les conflits liés à l’immigration ou à la religion y existent, mais ils sont plus souvent cadrés par la loi que laissés au chaos des rumeurs.

Troisième facteur : l’éducation et la culture civique. Au Canada et en Nouvelle-Zélande, les programmes scolaires valorisent explicitement le pluralisme, l’histoire migratoire ou coloniale, et la lutte contre le racisme. L’idée même d’identité nationale est pensée comme un récit inclusif, non comme une origine ethnique figée. Ce n’est pas d’abord une affaire de « gentillesse », mais de normes collectives répétées, transmises et sanctionnées.

Quatrième facteur : la densité urbaine et l’expérience quotidienne de la diversité. Les pays d’immigration récente, comme le Canada, ont des métropoles multiculturelles où la coexistence est une routine. Dans ces villes, la diversité cesse d’être un slogan abstrait : elle devient un environnement concret, fait de voisinage, de loisirs et de travail commun. Plusieurs enquêtes d’attitudes montrent que le contact direct, lorsqu’il est prolongé et égalitaire, réduit les préjugés.

Enfin, la tolérance s’y construit par des politiques actives. Les sociétés ne deviennent pas inclusives par simple inertie historique : elles le deviennent parce que les États et les mouvements sociaux imposent de nouveaux droits. L’Irlande l’a démontré par la voie référendaire ; l’Espagne par un basculement législatif rapide ; le Portugal par un alignement sur les normes internationales de lutte contre les discriminations. Dans tous ces cas, la loi a précédé ou accéléré la transformation sociale.

Les fractures qui demeurent : polarisation, économie et nouveaux débats identitaires

Placés en haut des classements, ces pays ne sont pas des paradis. Le mérite d’un exercice journalistique est justement de regarder les ombres dans la lumière.

Dans plusieurs sociétés nordiques, l’immigration a ouvert une faille politique. La Suède, par exemple, a vu monter des partis qui dénoncent l’accueil massif des années 2010, en liant immigration, insécurité et identité nationale. Le Danemark a durci certaines règles d’asile et de regroupement familial, au nom de la cohésion sociale. Ces décisions n’effacent pas le niveau d’ouverture global, mais signalent une inquiétude politique réelle.

Au Canada, la tolérance est forte mais traversée d’inégalités territoriales. Les grandes villes sont plus ouvertes que certaines zones rurales. Les peuples autochtones dénoncent des discriminations systémiques persistantes, notamment dans l’accès à la santé, à la justice ou au logement. Autrement dit, l’inclusion des migrants peut cohabiter avec des blessures coloniales non refermées.

En Nouvelle-Zélande, l’équilibre entre reconnaissance maorie et égalité universelle reste un débat vif. La société est globalement pluraliste, mais la question des réparations historiques ou du statut politique des autochtones suscite des tensions, souvent alimentées par des acteurs politiques en quête d’électorat.

L’Europe du Sud, incarnée ici par l’Espagne et le Portugal, montre parfois une tolérance inégale selon les sujets. Ces pays sont exemplaires sur les droits LGBT+, mais confrontés à des difficultés d’intégration socio-économique de certains groupes migrants, surtout dans les secteurs précaires. La tolérance sociale se heurte alors à la réalité matérielle : sans emploi stable, sans accès au logement, la cohabitation devient fragile.

Enfin, la tolérance se heurte à une transformation mondiale des débats identitaires. Les pays les plus ouverts doivent désormais arbitrer des discussions nouvelles : droits des personnes transgenres, port de signes religieux dans l’espace public, discours de haine en ligne, tensions entre libertés individuelles et protection de groupes vulnérables. Ces questions divisent parfois même les camps progressistes, preuve que la tolérance est un chantier permanent.

La tolérance comme projet politique, pas comme simple vertu nationale

Ce top 10 raconte une histoire fondamentale : la tolérance n’est pas une disposition « naturelle » d’un peuple. C’est un résultat politique. Les sociétés les plus ouvertes ont fait des choix institutionnels précis, souvent après des crises.

Les pays nordiques ont bâti leur ouverture sur des décennies de compromis social : syndicats puissants, fiscalité redistributive, négociations collectives. Cette architecture a produit une société relativement égalitaire, où la diversité s’inscrit plus facilement. L’intégration n’y est pas pensée comme abandon de soi, mais comme accès à un contrat social commun.

Les pays d’immigration comme le Canada ou la Nouvelle-Zélande ont fait un autre choix : assumer que la nation se construit par l’arrivée de nouveaux citoyens. L’identité nationale y est moins fondée sur la mémoire d’une origine unique que sur une promesse partagée, ce qui rend l’accueil structurellement plus acceptable.

L’Espagne, le Portugal et l’Irlande montrent qu’un pays peut devenir hautement tolérant en une génération. Cela suppose un alignement rare entre société civile, évolutions culturelles et décisions politiques. Ces États ont démontré qu’une transformation rapide reste possible lorsqu’elle est portée par des mobilisations sociales et par une volonté juridique claire.

À l’inverse, l’expérience mondiale rappelle que la tolérance recule quand la peur domine : peur du déclassement, du changement culturel, de l’insécurité, ou de la perte de repères communs. Les dix pays en tête ont, jusqu’à présent, su répondre à ces peurs sans les transformer en idéologie d’exclusion. Mais rien ne garantit que cela durera sans vigilance.

La tolérance ne se résume donc pas à un trophée à afficher. Elle est une méthode de gouvernement, une manière de gérer la différence sans la hiérarchiser. Les pays les plus tolérants ne sont pas ceux où tout le monde s’aime, mais ceux où les institutions et les normes sociales rendent difficile la discrimination et possible la coexistence. À ce titre, leur exemple n’est pas une invitation à la comparaison vaniteuse, mais un laboratoire pour comprendre comment une société peut, concrètement, faire de la diversité une force plutôt qu’un facteur de rupture.

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