L’archipel malgache, traversé par de profondes crises politiques depuis son indépendance, voit resurgir un débat inattendu : celui de l’abolition pure et simple du régime républicain. Un texte récemment diffusé par Pierre Todiarivo, chercheur retraité du CNRO et figure du mouvement MONIMA, appelle à la suppression du système républicain pour rétablir un régime monarchique, fédératif et constitutionnel. Ce manifeste, rédigé en malgache, plaide pour un « retour à la royauté » au nom de l’histoire, de la religion et de la souveraineté nationale.
Ce document, daté du 23 octobre 2025 et signé à Antananarivo, se veut à la fois politique, historique et spirituel. Il affirme que le régime républicain serait à l’origine des malédictions et des divisions qui frappent le pays depuis plus de soixante ans. Son argumentation repose sur trois grands axes : la légitimité historique du royaume malgache, l’échec moral et politique des Républiques successives, et enfin, une justification divine du changement de régime.
Les fondements historiques d’un royaume oublié
Selon le manifeste, la République n’aurait jamais dû exister à Madagascar. L’auteur rappelle qu’avant la colonisation française, le pays était déjà un royaume reconnu sur la scène internationale. Dès 1817, le traité d’amitié et de commerce signé entre Radama Ier et le Royaume-Uni confirmait la souveraineté du Royaume de Madagascar. En 1867 et 1883, d’autres accords diplomatiques liaient le royaume malgache à l’Allemagne et à la Grande-Bretagne, démontrant sa pleine reconnaissance.
Le texte souligne que cette indépendance avait été trahie lorsque la France annexa Madagascar en 1896, transformant la monarchie en colonie. La chute du royaume, symbolisée par la déportation de la reine Ranavalona III, marque pour les partisans de cette doctrine la perte de l’« âme politique » du pays.
Pierre Todiarivo affirme ainsi que le véritable fondement de la souveraineté malgache repose non pas sur la République importée du modèle occidental, mais sur la continuité du Royaume de Madagascar. Il rappelle que la monarchie n’était pas une institution figée, mais une fédération d’entités locales, dirigée par un souverain garant de l’unité et du respect des traditions.
L’auteur va plus loin : selon lui, si Madagascar n’avait pas été colonisé par la France, il serait aujourd’hui parmi les pays prospères d’Afrique. Il évoque même l’idée que le régime colonial et les institutions républicaines ont « appauvri » la nation, l’ayant privée de son propre modèle politique et spirituel.
La République : un système maudit selon ses détracteurs
Le deuxième argument majeur du texte repose sur la notion d’« ozona », c’est-à-dire la malédiction. Pour ses signataires, la République aurait apporté non seulement la division, mais aussi la malchance. Depuis 1958, année où Madagascar adopta le statut de République à la suite d’un référendum imposé par la France, le pays aurait connu une succession de crises politiques postélectorales, de coups d’État et de régimes instables.
Les périodes de 1971-1972, 1991-1992, 2001-2002, 2009 et 2023 sont citées comme des exemples d’un cycle infernal de corruption, de fraude électorale et de violences populaires. Chaque président, selon le document, aurait échoué à redresser le pays :
- Philibert Tsiranana aurait été renversé en 1972 ;
- Le général Ramanantsoa, puis le colonel Ratsimandrava, auraient tenté de rétablir l’ordre, mais ce dernier fut assassiné ;
- L’amiral Didier Ratsiraka aurait instauré une « République socialiste » vite gangrenée par la corruption ;
- Le professeur Albert Zafy aurait été destitué pour incompétence ;
- Marc Ravalomanana et Andry Rajoelina auraient ensuite été chacun portés puis chassés du pouvoir par la rue.
Ces crises, qui se répètent à chaque alternance, sont interprétées par le manifeste comme le signe d’une malédiction liée à la trahison de l’ordre monarchique. Selon cette lecture symbolique, les dirigeants malgaches auraient été frappés par l’échec en raison d’un « péché originel » : celui d’avoir renié l’autorité légitime héritée du royaume ancestral.
Ainsi, pour l’auteur, abolir le régime républicain ne serait pas une régression, mais une délivrance spirituelle et politique : « Tsy ilaina foanana (à abolir) mihitsy ny sata repoblikana eto Madagasikara » — « Il faut absolument abolir le statut républicain à Madagascar ».
Un appel à un retour divin : le projet d’une restauration monarchique inspirée
Le troisième pilier de ce manifeste repose sur une justification religieuse et mystique. L’auteur invoque à la fois la Bible et le Coran pour soutenir que le rétablissement du royaume serait un ordre divin. Citant l’Apocalypse 12 : 7-9 et la sourate 48 du Coran, il présente la lutte politique malgache comme une bataille spirituelle menée par l’archange Mikaela (Michel).
Le texte affirme qu’Andriamanitra (Dieu) aurait désigné un nouveau guide, le colonel Randrianirina Michael, présenté comme « le chef de l’armée céleste ». Ce personnage, selon l’auteur, symboliserait la pureté et la droiture dont le pays aurait besoin pour renaître.
Pierre Todiarivo insiste sur le devoir moral des Malgaches de se purifier : le futur régime doit être « pur, dur et incorruptible ». Le ton messianique de l’appel, entre prophétie et manifeste, veut redonner aux citoyens une dimension sacrée : servir la patrie reviendrait à servir Dieu.
Cette approche spirituelle du politique, mêlant références chrétiennes et islamiques, témoigne d’une volonté d’unir le peuple malgache au-delà des confessions. Dans cette vision, la monarchie ne serait pas seulement un retour du passé, mais l’expression d’un ordre supérieur voulu par la divinité.
Vers une fédération de monarchies constitutionnelles ?
Le texte ne se limite pas à la critique : il propose un nouveau modèle politique. Celui-ci, nommé « Gouvernance Monarchique, Fédération de Monarchies Constitutionnelles Modernes », se veut à la fois respectueux des traditions et adapté au monde contemporain.
Le futur régime serait fondé sur une fédération des royaumes locaux, chaque région retrouvant son autonomie sous l’autorité d’un souverain constitutionnel. Le monarque national, garant de l’unité, serait entouré d’un conseil représentatif des différents peuples et confessions du pays.
Cette vision, inspirée à la fois du modèle britannique et des anciennes structures malgaches précoloniales, prétend redonner à chaque province sa dignité historique. Le texte insiste sur le fait que Madagascar compte une vingtaine de peuples (ou « foko »), qui vivaient autrefois en harmonie sous l’autorité d’un roi respecté.
Pour ses partisans, la monarchie constitutionnelle serait un remède au centralisme républicain et à la corruption : chaque région gérerait ses affaires dans un cadre commun de solidarité nationale. L’objectif déclaré : réconcilier tradition et modernité, autorité et démocratie, unité et diversité.
Cependant, ce modèle pose des questions fondamentales : quelle place pour le suffrage universel ? comment désigner les rois ? et quelle serait la limite de leurs pouvoirs ? Ces zones d’ombre montrent que l’idée reste pour l’instant davantage symbolique que programmatique.
Une contestation nationale et internationale inévitable
L’appel de Pierre Todiarivo ne manquera pas de susciter de vifs débats. Sur le plan interne, l’idée d’abolir la République heurte de plein fouet la Constitution malgache, fondée sur les principes démocratiques. Le texte fondamental de 2010 consacre la République comme « indivisible, laïque et démocratique ». Une remise en cause de ce socle nécessiterait un processus constituant inédit.
Par ailleurs, la communauté internationale verrait d’un très mauvais œil un tel retour en arrière. Les partenaires économiques et diplomatiques de Madagascar, notamment l’Union européenne et la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), conditionnent leur aide au respect des valeurs démocratiques.
Cependant, la montée du désenchantement envers la classe politique pourrait donner un certain écho à ce discours. Les scandales de corruption, la pauvreté persistante et les inégalités alimentent une nostalgie du passé monarchique idéalisé. Certains y voient la promesse d’un ordre plus stable et plus moral.
Les autorités actuelles, sous la présidence d’Andry Rajoelina, n’ont pas encore réagi officiellement à ce manifeste. Mais dans un contexte de crise de légitimité post-électorale, un tel texte, mêlant ferveur patriotique et mysticisme religieux, pourrait nourrir des mouvements politiques ou populistes cherchant une alternative au modèle républicain.
Une vision entre utopie et nostalgie : le poids de l’histoire
L’idée d’un retour à la monarchie à Madagascar n’est pas nouvelle. Déjà dans les années 1970, certains intellectuels nationalistes évoquaient la restauration du royaume comme symbole d’unité. Mais cette fois, le discours prend une tournure spirituelle et messianique, qui dépasse la simple nostalgie historique.
Le texte de Pierre Todiarivo se situe à la frontière entre manifeste politique, sermon religieux et appel patriotique. Il dresse un constat sévère : selon lui, la République a échoué à créer une nation prospère et unie. Les crises récurrentes seraient le symptôme d’un modèle étranger imposé à un peuple au riche héritage culturel.
Cette thèse, qui lie la décadence nationale à la rupture spirituelle provoquée par la colonisation, trouve un écho dans d’autres pays africains où la question identitaire se mêle à la quête de souveraineté. Cependant, la complexité du monde moderne, la pluralité religieuse et les impératifs économiques rendent improbable un retour effectif à un régime monarchique.
Plus qu’un programme politique, ce manifeste semble être une métaphore : celle d’un peuple en quête de repères, d’identité et de transcendance. En invoquant Dieu et l’histoire, l’auteur cherche à réveiller la conscience nationale, à rappeler que la liberté politique ne peut exister sans intégrité morale.
Conclusion : entre réveil spirituel et projet politique
Le manifeste pour l’abolition du régime républicain à Madagascar s’inscrit dans une tradition de textes visionnaires cherchant à redéfinir le destin national. En mêlant histoire, foi et politique, il propose une relecture radicale de la modernité malgache.
Si ses arguments reposent sur des fondements spirituels plus que sur une analyse institutionnelle, il traduit néanmoins un malaise réel : celui d’un pays fatigué des promesses non tenues, des crises à répétition et d’un sentiment de déclin.
La question posée par ce texte dépasse donc le cadre idéologique : elle invite les Malgaches à réfléchir sur leur rapport au pouvoir, à la justice et à la foi. La République, selon ses auteurs, serait une coquille vide ; la monarchie, un idéal perdu à reconquérir.
Mais au-delà du symbole, la véritable renaissance du pays passera peut-être moins par un changement de régime que par un renouveau moral, économique et citoyen. C’est dans cette tension entre tradition et modernité que se joue aujourd’hui l’avenir de Madagascar.



