Entrer dans un grand zoo, c’est franchir un seuil ambigu : celui d’un monde fabriqué par l’humain pour approcher la nature sans s’y fondre. Depuis une trentaine d’années, les parcs zoologiques se sont métamorphosés. Exit l’image des ménageries d’autrefois ; place à d’immenses espaces paysagers, parfois plus vastes qu’un petit arrondissement, qui se présentent comme des réserves, des centres de recherche et des vitrines pédagogiques. Mais que signifie réellement « le plus grand zoo du monde » ? Superficie totale, zones accessibles au public, nombre d’espèces, infrastructures de soins, surface dédiée à la reproduction ou à la réintroduction ? Les critères varient et les classements aussi.
Pour établir un panorama lisible, nous nous appuyons sur les données de superficie couramment citées dans les palmarès internationaux récents, en signalant leurs limites. Le top 10 le plus répandu en 2024-2025 combine parcs à très grande emprise et zoos historiques aux surfaces moindres mais intégrés dans les listes de référence : San Diego Zoo Safari Park (États-Unis), Arignar Anna Zoological Park (Inde), Toronto Zoo (Canada), Columbus Zoo (États-Unis), Bronx Zoo (États-Unis), Beijing Zoo (Chine), National Zoological Gardens de Pretoria (Afrique du Sud), Henry Doorly Zoo and Aquarium (États-Unis), Berlin Zoological Garden (Allemagne) et Moscow Zoo (Russie).
À côté de ce classement, de très grands parcs-réserves comme The Wilds Safari Park (Ohio) ou le Sri Venkateswara Zoological Park (Tirupati) sont souvent présentés comme les véritables géants par l’aire, ce qui illustre la pluralité des définitions.
Au-delà des chiffres, ces dix établissements racontent une histoire : celle d’un secteur traversé par une tension permanente entre divertissement de masse et ambition conservationniste. Tous affirment vouloir protéger la biodiversité. Tous vivent aussi, en partie, de billets vendus à des millions de visiteurs. Cette enquête propose un tour du monde de ces colosses du vivant, de leurs réussites et de leurs contradictions.

Comment mesure-t-on la grandeur d’un zoo ?
La première difficulté tient à la mesure elle-même. Certains parcs annoncent leur superficie totale, y compris les forêts périphériques, les zones techniques, les centres de recherche fermés au public ou les domaines acquis pour des extensions futures. D’autres ne comptent que l’espace aménagé pour les animaux et les visiteurs. Dans les pays anglo-saxons, les surfaces sont souvent exprimées en acres, quand l’Asie et l’Europe privilégient les hectares. Les conversions rendent parfois la comparaison fragile, d’autant que la frontière entre « zoo », « safari park » et « réserve zoologique » est poreuse.
C’est pourquoi les listeurs internationaux mélangent parfois des réalités très différentes. Arignar Anna Zoological Park, au sud de Chennai, demeure le plus vaste zoo « classique » par aire annoncée, avec environ 602 hectares de domaine boisé. Le San Diego Zoo Safari Park, plus proche du safari que du zoo urbain, couvre environ 1 800 acres, soit près de 730 hectares. Le Toronto Zoo s’étend sur autour de 710 acres (près de 287 hectares) au cœur d’une vallée fluviale. D’autres, comme Berlin ou Moscou, plus anciens et situés en pleine ville, sont nettement plus compacts, mais entrent dans les top 10 de référence en raison de leur poids historique, de leur densité d’espèces et du fait que certains classements utilisent des critères mixtes.
À cela s’ajoute un deuxième paramètre, rarement discuté publiquement : le ratio entre surface et nombre d’animaux. Un zoo immense n’est pas nécessairement le plus « confortable » si sa collection est très dense, ou si une grande part du terrain reste une friche non aménagée. Zoo Miami, par exemple, revendique une aire comparable à Toronto, mais explique que près de la moitié de son domaine reste non développée. Certains établissements préfèrent donc mettre en avant le nombre d’espèces, ou la taille de leurs dômes et serres, plutôt que la surface à l’air libre.
Enfin, la grandeur d’un zoo se lit aussi dans son rôle. Les grands parcs contemporains intègrent souvent des hôpitaux vétérinaires, des banques génétiques, des zones de reproduction hors-vue, voire des sites satellites. Le Smithsonian National Zoo, absent de notre top 10 par aire, est emblématique de ce modèle à deux vitesses : un zoo urbain et un centre de conservation en Virginie, ce qui rebat entièrement les cartes quand on additionne les domaines.
Ces nuances posées, regardons les dix géants le plus souvent cités aujourd’hui, en suivant une logique de superficie combinée à leur place dans les classements internationaux.
Les colosses des Amériques : de l’urbain au safari
L’Amérique du Nord est, de loin, le continent le mieux représenté dans cette sélection, reflet d’un marché zoologique très structuré, où l’offre familiale et l’innovation paysagère concentrent des investissements massifs.
Le San Diego Zoo Safari Park, en Californie, est l’un des plus grands ensembles animaliers ouverts au public dans le monde. Installé au nord de San Diego, dans une vallée semi-aride, il a été conçu comme une gigantesque mosaïque d’enclos ouverts, dominée par une savane africaine où girafes, antilopes et rhinocéros partagent de vastes prairies. Avec environ 730 hectares, l’espace autorise des troupeaux nombreux et une observation « en immersion ». La logique est celle du paysage : routes internes, tours d’observation, pistes de safari, et un parti pris affirmé pour la reproduction, notamment d’espèces menacées.
Au Canada, le Toronto Zoo figure dans les dix premiers par sa superficie d’environ 287 hectares. Sa particularité est d’avoir été pensé dès l’origine, dans les années 1970, comme un parc « zoo géographique » : les sections sont organisées par continents, et leur taille permet d’alterner zones ouvertes, serres tropicales, grands bassins et espaces forestiers. Le parc paie, comme beaucoup de zoos nord-américains, une facture énergétique considérable, d’où des projets pionniers de valorisation des déchets organiques et de réduction des émissions, très suivis par le milieu.
Plus au sud, le Columbus Zoo and Aquarium (Ohio) s’étend sur près de 234 hectares dans certains classements internationaux, même si la surface aménagée est moindre et complétée par un aquarium et un parc aquatique. Sa notoriété, longtemps associée aux émissions télévisées de Jack Hanna, illustre la puissance du storytelling américain : on vient y voir des animaux, mais aussi une marque et une expérience de loisirs totale.
À New York, le Bronx Zoo rappelle une autre facette des grands parcs : celle des zoos géants enclavés dans la ville. Ses quelque 106 hectares, insérés dans un tissu urbain dense, en font une exception mondiale. Ici, la grandeur ne tient pas seulement aux hectares, mais à la capacité à préserver, sur une île verticale de béton, des milieux naturalistes crédibles : forêts tempérées, zones aquatiques, grands ensembles pour primates et félins.
Enfin, le Henry Doorly Zoo and Aquarium d’Omaha, plus modeste en aire (environ 53 hectares ou 130 acres), est retenu dans plusieurs top 10 car il combine surface respectable et gigantisme architectural. Son dôme désertique, sa serre tropicale et ses espaces nocturnes intérieurs comptent parmi les plus vastes du monde ; l’établissement fait ainsi partie de ces zoos dont la grandeur est aussi souterraine, verticale, et technologique.
Derrière ce tableau, on voit se dessiner un modèle américain : un parc-destination où la visite se confond avec un mini-voyage, et où l’ampleur du domaine soutient autant le bien-être animal que l’attractivité touristique.
Les géants asiatiques : l’ampleur au service de l’endémisme
L’Asie abrite certains des parcs les plus étendus au monde, portés par une double logique : répondre à des publics nationaux très nombreux et protéger des espèces locales menacées par l’urbanisation.
En Inde, l’Arignar Anna Zoological Park, installé à Vandalur, près de Chennai, reste un cas d’école. Avec environ 602 hectares, il est souvent présenté comme le plus grand zoo « par aire » dans les listes internationales de zoos publics. (Largest.org) Cet espace de forêt tropicale sèche, traversé de pistes internes, permet une ventilation des enclos remarquable : carnivores, herbivores, volières de grande hauteur, safari de lions et de cervidés. Le zoo a été déplacé dans les années 1970 hors du centre urbain historique pour s’étendre, un mouvement qui a inspiré de nombreuses capitales asiatiques cherchant à décongestionner leurs ménageries centrales.
La Chine est représentée par le Beijing Zoo, environ 89 hectares, un parc ancien ancré dans les jardins impériaux. Sa place dans le top 10 s’explique autant par sa surface que par son rôle symbolique autour des pandas géants. Le site conjugue patrimoine architectural et grandes zones aquatiques, et a bâti l’un des aquariums les plus importants du pays, ce qui élargit sa définition au-delà du simple parc terrestre.
Les classements internationaux citent en parallèle un autre géant indien, le Sri Venkateswara Zoological Park de Tirupati, qui dépasse largement Arignar Anna en superficie totale (plus de 2 200 hectares), mais dont seules certaines parties sont ouvertes à la visite. Cette différence dit quelque chose d’essentiel : en Asie, la frontière entre zoo et réserve est devenue floue, l’aire « protégée » comptant souvent autant que l’aire « exhibée ». Le public n’y voit pas tout, mais finance un système de conservation plus large.
L’Asie, en somme, pousse le modèle du grand zoo vers celui du parc-habitat. De vastes domaines boisés y sont moins un décor qu’un outil pour maintenir des espèces endémiques, dans des climats proches du naturel, et pour absorber la masse des visiteurs sans saturer les enclos.
Les grands parcs européens et africains : l’histoire et la topographie
L’Europe et l’Afrique ne rivalisent pas toujours en hectares avec l’Inde ou les États-Unis, mais elles comptent des institutions majeures, dont la grandeur se lit aussi dans l’âge, la densité biologique et le prestige scientifique.
En Allemagne, le Berlin Zoological Garden est l’un des plus anciens zoos modernes au monde. Sa superficie d’environ 35 hectares paraît réduite face aux mastodontes asiatiques, pourtant il figure régulièrement dans les top 10 internationaux en raison de son exceptionnelle diversité d’espèces et de son rôle historique. Le zoo de Berlin a longtemps été un laboratoire vivant de l’Europe centrale : architecture de pavillons spécialisés, grande collection de primates, succès d’élevage de nombreuses espèces rares. Sa place rappelle qu’il existe une grandeur « biologique » qui ne se mesure pas qu’en kilomètres carrés.
En Russie, le Moscow Zoo suit une trajectoire comparable. Avec environ 53 acres, il est surtout un géant par l’ancienneté et par sa collection, plus que par sa taille au sol. Il a traversé les bouleversements politiques, les reconstructions, et reste un pôle scientifique important pour la faune eurasiatique.
L’Afrique est représentée par les National Zoological Gardens de Pretoria, en Afrique du Sud, autour de 80 à 86 hectares. Là, la topographie est un élément déterminant : le parc est scindé par une rivière et s’étage entre plaines et collines, créant une diversité de micro-milieux. Le site est aussi un conservatoire de la flore locale, ce qui élargit son rôle de « zoo » à celui de jardin botanique vivant.
Ces trois parcs incarnent un modèle différent de la grandeur : celui de la ville et du patrimoine. Leur expansion est limitée par la géographie et l’urbanisme, mais ils compensent par la richesse taxonomique, l’intégration paysagère et la vocation éducative.
Dans les coulisses du gigantisme : logistiques, budgets et conservation
À partir d’une certaine taille, un zoo devient une petite ville. Il faut nourrir des milliers d’animaux, gérer des réseaux d’eau et d’électricité, assurer le transport interne des visiteurs, coordonner des équipes vétérinaires 24 heures sur 24 et maintenir des infrastructures comparables à celles d’un hôpital.
Les coûts explosent. Dans les très grands parcs, une part importante du budget sert à l’entretien de routes, clôtures, bassins artificiels et systèmes de filtration. Les zoos nord-américains s’appuient sur des fondations privées et des mécénats. Les grands parcs asiatiques reposent souvent sur des financements publics et sur des tickets à faible prix, compensés par le volume. Les sites européens, eux, jonglent avec des budgets municipaux, des subventions nationales et des recettes touristiques.
La grandeur offre aussi des avantages écologiques : plus d’espace permet de créer des enclos complexes, avec relief, végétation, zones de retrait et cohabitations multi-espèces. C’est particulièrement visible au San Diego Zoo Safari Park, où l’ordre du jour est de simuler un écosystème, pas seulement de montrer un animal. À Arignar Anna, les marges forestières deviennent des zones de semi-liberté qui réduisent le stress et favorisent la reproduction.
Mais le gigantisme comporte des risques. D’abord celui de l’illusion : un immense domaine n’empêche pas certains enclos d’être trop petits pour des espèces très mobiles. Ensuite celui de la dispersion : dans les parcs les plus vastes, la surveillance et la maintenance d’enclos éloignés sont plus complexes ; la moindre panne d’eau ou de clôture peut devenir critique. Enfin celui de la rentabilité : une partie de terrain trop grande et pas assez fréquentée peut être mal entretenue, et donc nuire au bien-être animal.
Côté conservation, les grands zoos revendiquent un rôle pivot dans les programmes internationaux. Reproductions coordonnées, échanges génétiques, réintroductions en milieu naturel : ces activités nécessitent des zones calmes, hors public, que seuls les très grands domaines peuvent intégrer sans réduire la surface de visite. The Wilds Safari Park, souvent cité comme le plus vaste parc zoologique au monde par aire, fonctionne presque comme une réserve de reproduction dont l’activité scientifique dépasse la seule visite. Cette dynamique influence désormais des zoos plus classiques, qui cherchent à s’agrandir ou à acquérir des domaines satellites.
Autrement dit, la grandeur devient un outil stratégique. Elle permet de participer au « marché » mondial de la biodiversité captive, où l’espace est une ressource aussi précieuse que l’argent.
Le débat éthique : la taille suffit-elle à faire un bon zoo ?
La question revient en boucle, dans les enquêtes publiques comme dans les milieux scientifiques : un grand zoo est-il un zoo plus respectable ? La réponse n’est ni simple ni uniforme.
Les défenseurs des parcs de grande taille avancent trois arguments. Le premier est spatial : plus d’espace signifie plus de possibilités d’enrichissement, de choix de retraite pour les animaux, et donc une vie moins contrainte. Le deuxième est écologique : les grands zoos peuvent reconstituer des habitats, éduquer mieux à la complexité des écosystèmes et sensibiliser à la perte de biodiversité. Le troisième est scientifique : ils sont souvent des pôles de recherche irremplaçables, notamment sur la reproduction d’espèces menacées.
Les critiques rétorquent que la surface n’est qu’un indicateur partiel. Un domaine immense peut toujours contenir des espaces médiocres si la gestion est mauvaise. L’éthique se juge surtout à la qualité des enclos individuels, au respect des comportements naturels, à la transparence des soins, et à la cohérence entre divertissement et conservation. À ce titre, plusieurs petits zoos de pointe sont parfois plus exemplaires que certains géants touristiques.
Ce débat se cristallise autour de deux points sensibles. D’abord, la sélection des espèces : certains grands parcs continuent d’héberger des animaux très difficiles à maintenir en captivité, notamment certains cétacés ou grands prédateurs, malgré des progrès. Ensuite, le modèle économique : quand un zoo devient une destination de loisirs, la tentation est grande de multiplier les attractions annexes au détriment de l’investissement animalier. Le Columbus Zoo, avec son parc aquatique et ses zones de divertissement, illustre cette tension permanente entre two métiers.
L’avenir semble se jouer sur un autre terrain : celui de la transformation progressive des grands zoos en réseaux de conservation. De plus en plus d’établissements cherchent à articuler un site manifeste grand public et un ou plusieurs domaines satellites consacrés à la reproduction et à la recherche. Le public finance alors indirectement des programmes invisibles. Cette logique, déjà avancée aux États-Unis et en Inde, pourrait devenir le standard mondial.
Reste la question culturelle. Dans certains pays, le zoo demeure l’une des rares fenêtres accessibles sur la faune sauvage. Sa taille et son attractivité conditionnent sa capacité à convaincre, surtout auprès des enfants, que la biodiversité n’est pas une abstraction. S’il est bien géré, le gigantisme peut être une chance : celle d’offrir un espace plus proche de la nature que de sa caricature.
En définitive, les dix plus grands zoos ne sont pas seulement des territoires étendus. Ce sont des miroirs de nos rapports au vivant, de nos contradictions et de nos espoirs. Ils montrent à la fois ce que l’humanité sait faire de plus spectaculaire pour approcher l’animal, et l’immense chemin qu’il reste à parcourir pour que cette proximité rime partout avec respect.