Qui est Siviwe Gwarube, la femme politique ?

L’accession de Siviwe Gwarube au ministère de l’Éducation de base en Afrique du Sud marque un tournant politique autant qu’un symbole générationnel. Nommée le 30 juin 2024 et entrée en fonction le 3 juillet, cette élue de 1989 est devenue la plus jeune membre d’un gouvernement national sud-africain depuis 1994. À la tête d’un secteur qui concerne environ 13,5 millions d’élèves et près d’un demi-million d’enseignants, elle doit affronter des défis considérables : crise de la lecture, inégalités persistantes, infrastructures défaillantes, mais aussi transformation profonde de l’éducation préscolaire et des premières années de scolarité.

Son parcours, de la petite localité de KwaMdingi dans la province du Cap-Oriental jusqu’au Cabinet de Pretoria, illustre à la fois la mobilité sociale rendue possible par l’école sud-africaine et les fractures que le système doit encore combler. Députée de l’Alliance démocratique (DA), ancienne cheffe de file de l’opposition au Parlement, elle arrive au ministère avec un profil fortement marqué par les combats pour la transparence, la responsabilité gouvernementale et la réforme des politiques publiques.

De KwaMdingi à Pretoria : le parcours d’une enfant de l’école publique sud-africaine

Siviwe Gwarube naît le 14 juillet 1989 à King William’s Town (aujourd’hui Qonce), dans l’actuelle province du Cap-Oriental. Elle grandit à KwaMdingi, un village situé non loin de cette petite ville, au sein d’un foyer modeste. Élevée par sa grand-mère, institutrice célibataire, elle raconte régulièrement combien cette figure féminine, attachée à l’éducation et à l’indépendance économique, a façonné sa vision du monde.

Scolarisée à la Kingsridge High School for Girls, un établissement public de King William’s Town, elle fait partie de cette génération qui arrive au lycée après la fin officielle de l’apartheid, mais dans un système scolaire encore marqué par des décennies de ségrégation. Elle poursuit ensuite des études à l’université Rhodes, à Grahamstown (Makhanda), où elle obtient un diplôme de licence en droit, politique et philosophie. Certaines sources indiquent par ailleurs qu’elle complète ce parcours par une formation en sciences politiques à l’université du Western Cape.

Durant ses années d’études, elle rejoint le « Young Leaders Programme » de l’Alliance démocratique, programme interne de formation et de mentorat destiné à identifier de futurs responsables politiques. C’est là qu’elle rencontre Lindiwe Mazibuko, alors cheffe de l’opposition parlementaire, qui devient l’une de ses mentors et lui ouvre les portes de la politique nationale.

En 2012, fraîchement diplômée, Siviwe Gwarube s’installe au Cap pour travailler comme porte-parole au sein du bureau parlementaire de Mazibuko. Elle y découvre les rouages du Parlement sud-africain, le fonctionnement des commissions et la mécanique des débats budgétaires.

Après ce premier passage sur la scène nationale, elle rejoint le gouvernement provincial du Cap-Occidental, où elle devient membre de l’équipe de communication puis cheffe de cabinet (« Head of Ministry ») au sein du département de la Santé dirigé par la docteure Nomafrench Mbombo. Cette expérience, au contact direct d’un département chargé d’hôpitaux publics et de programmes de santé, l’expose à la question de la gestion des systèmes publics complexes, une compétence qui sera déterminante pour la suite.

À la veille des élections générales de 2019, elle occupe le poste de directrice exécutive de la communication de la DA, pilotant la stratégie médiatique nationale du parti. Cette trajectoire, centrée sur la communication politique et la gestion de portefeuille public, prépare sa transition vers un rôle de représentation directe au Parlement.

Une ascension rapide au sein de l’Alliance démocratique et de l’Assemblée nationale

Aux élections de mai 2019, Siviwe Gwarube est élue députée à l’Assemblée nationale sur la liste nationale de l’Alliance démocratique. Elle devient ainsi l’une des plus jeunes parlementaires de la législature.

Dès son arrivée, la direction de la DA lui confie un portefeuille stratégique : celui de « Shadow Minister of Health », c’est-à-dire ministre de la Santé au sein du cabinet fantôme de l’opposition. Elle occupe cette fonction entre juin 2019 et février 2022, traversant deux événements majeurs : la pandémie de Covid-19 et le scandale « Digital Vibes », une affaire de contrats douteux et de soupçons de corruption au ministère national de la Santé. Dans ce dossier, elle dépose notamment une plainte pénale contre le ministre de la Santé de l’époque, Zweli Mkhize, pour demander des comptes sur la gestion des fonds publics.

En novembre 2020, John Steenhuisen, chef de la DA, la nomme porte-parole nationale du parti. Elle devient l’un des principaux visages de l’opposition dans les médias, prenant régulièrement position sur la gestion de la crise sanitaire, les réformes économiques ou les enjeux de gouvernance.

Fin 2021, elle est élue vice-whip (« deputy chief whip ») du caucus de la DA au Parlement, tout en conservant un temps ses fonctions de porte-parole. Puis, le 18 août 2022, elle est promue chief whip de la DA à l’Assemblée nationale, c’est-à-dire cheffe de file de l’opposition officielle, remplaçant Natasha Mazzone. Cette nomination, très commentée, est souvent décrite comme une « ascension météorique », dans un parti où les rapports de force internes sont souvent vifs.

Dans ce rôle, elle coordonne la stratégie parlementaire de l’opposition, gère la discipline de vote, et pilote les initiatives visant à renforcer les pouvoirs de contrôle de l’Assemblée face à l’exécutif. La DA et plusieurs observateurs soulignent qu’elle contribue à introduire des réformes de procédure destinées à mieux encadrer les gouvernements de coalition et à renforcer la lutte contre la corruption.

En parallèle, elle se fait remarquer lors des débats sur le projet d’assurance maladie nationale (National Health Insurance, NHI), défendant une approche axée sur la responsabilisation de l’État et la soutenabilité budgétaire.

Lorsque les élections générales de 2024 aboutissent à un Parlement sans majorité claire, Siviwe Gwarube fait partie de l’équipe de quatre négociateurs mandatés par la DA pour discuter d’un accord de gouvernement avec le Congrès national africain (ANC) et d’autres partis. Ces négociations débouchent sur la formation d’un « Government of National Unity » (GNU), au sein duquel la DA obtient plusieurs portefeuilles ministériels, dont celui de l’Éducation de base.

Une nomination à l’Éducation de base dans un contexte de crise scolaire profonde

Le 30 juin 2024, le président Cyril Ramaphosa annonce la composition de son nouveau Cabinet. Siviwe Gwarube est nommée ministre de l’Éducation de base, en remplacement d’Angie Motshekga, qui occupait ce portefeuille depuis 2009 et rejoint la Défense. Elle prête serment le 3 juillet 2024, devenant, selon plusieurs analyses, la plus jeune ministre de l’histoire du pays et la plus jeune membre de ce gouvernement.

Le ministère de l’Éducation de base est l’un des plus lourds et sensibles du gouvernement sud-africain. Il couvre l’ensemble de la scolarité obligatoire, de la première année de l’école primaire (Grade 1) jusqu’au baccalauréat national (National Senior Certificate), ainsi que, depuis le transfert des compétences en 2022, une grande partie de l’éducation et de la prise en charge de la petite enfance (Early Childhood Development, ECD).

Les défis sont immenses. Dès son entrée en fonction, la ministre souligne publiquement la gravité de la crise scolaire : faibles niveaux de lecture, infrastructures dégradées, surcharge des classes, tensions budgétaires. Les données disponibles confirment ce diagnostic. Selon une étude internationale PIRLS publiée en 2021, plus de 80 % des enfants sud-africains de 10 ans ne savent pas lire un texte simple avec compréhension, plaçant le pays au dernier rang des 43 systèmes éducatifs évalués.

Depuis la fin de l’apartheid, l’Afrique du Sud a considérablement élargi l’accès à l’école : près de 98 % des enfants de 7 à 17 ans sont scolarisés au moins une partie de l’année, mais la qualité de l’enseignement et l’égalité des chances demeurent fortement inégales, notamment entre zones urbaines et rurales, et entre écoles publiques mieux dotées et établissements des quartiers défavorisés.

Sa nomination ne fait pas l’unanimité. La National Association of School Governing Bodies, qui représente de nombreux conseils d’établissement, salue l’arrivée d’une responsable jeune et réputée pour sa rigueur. À l’inverse, le puissant syndicat des enseignants Sadtu critique vigoureusement le choix d’une ministre issue de l’opposition, parlant d’« affront » pour le corps enseignant. Ces réactions illustrent la sensibilité politique du portefeuille, placé au croisement de débats sur la qualité des services publics, les inégalités sociales et la transformation post-apartheid.

Dans le même temps, des médias nationaux et internationaux insistent sur le caractère symbolique de cette nomination : une femme noire, trentenaire, issue d’un village rural et membre d’un parti d’opposition, chargée de transformer un des systèmes scolaires les plus inégalitaires du monde. Certains y voient le signe d’une transition générationnelle au sein de l’élite politique sud-africaine.

Priorités de la ministre : fondamentaux scolaires, petite enfance et inclusion

Dès sa première année au ministère, Siviwe Gwarube structure son action autour de plusieurs axes qui reviennent de manière récurrente dans ses discours : la lecture et le calcul fondamentaux, l’éducation de la petite enfance, l’inclusion des élèves en situation de handicap, la sécurité et la nutrition scolaires, ainsi qu’une meilleure gouvernance du système.

Lors du « Basic Education Lekgotla » de février 2025, grande réunion de concertation annuelle du secteur, elle expose « cinq priorités » stratégiques pour la période 2025-2030, visant une « réorientation » du système éducatif en faveur des apprentissages fondamentaux. Elle y insiste notamment sur le caractère « non négociable » de la lecture en début de scolarité et sur le rôle décisif du cycle fondamental pour la réduction des inégalités.

Sur le plan pédagogique, la ministre défend le déploiement de l’enseignement bilingue fondé sur la langue maternelle au niveau élémentaire (« Mother Tongue-based Bilingual Education »), avec un accompagnement renforcé des enseignants et des supports pédagogiques adaptés. Le ministère lance également un audit des dispositifs de formation continue, afin de mieux cibler le développement professionnel des enseignants dans trois domaines : la lecture, le calcul et la gestion de classe.

La petite enfance constitue l’un de ses marqueurs politiques les plus visibles. Sous sa responsabilité, le Département de l’Éducation de base déploie la campagne « Bana Pele » (« les enfants d’abord »), une vaste opération de massification de l’enregistrement officiel des centres et programmes d’ECD. L’objectif affiché est d’enregistrer au moins 10 000 structures dans un premier temps, en s’appuyant sur une plateforme numérique simplifiée, puis d’étendre la démarche à l’ensemble du pays.

Dans plusieurs discours, Siviwe Gwarube souligne que la priorité est de « garantir un accès à des programmes d’apprentissage précoce de qualité pour chaque enfant, quel que soit son lieu de naissance ou de résidence », en ciblant particulièrement les zones rurales, les quartiers informels et les communautés défavorisées. Un fonds de près de 496 millions de rands, consacré aux résultats en matière de petite enfance, est annoncé pour accompagner ces efforts et toucher environ 115 000 jeunes enfants supplémentaires.

La ministre insiste aussi sur la dimension inclusive du système. Son département revoit la politique de l’éducation inclusive (White Paper 6), augmente les budgets dédiés aux aides techniques pour les élèves en situation de handicap et renforce la coordination avec d’autres secteurs pour adapter les bâtiments scolaires. Les questions de sécurité et de bien-être ne sont pas oubliées : le ministère signe un nouveau protocole national de sécurité scolaire avec la police sud-africaine et engage un travail sur les plans de gestion des catastrophes pour les établissements, notamment à la suite d’accidents graves survenus dans certaines régions.

Enfin, Siviwe Gwarube accorde une place importante aux programmes de nutrition scolaire. Elle rappelle que près de 9,7 millions d’élèves bénéficient d’un repas quotidien grâce au programme national d’alimentation, un dispositif essentiel dans un pays où la pauvreté monétaire et l’insécurité alimentaire demeurent élevées. Le ministère annonce un examen des modèles provinciaux de gestion de ce programme, afin d’en améliorer l’efficacité et la transparence.

Une ministre sous pression entre réformes de long terme et crises immédiates

Si la ministre met en avant un agenda de transformation à moyen terme, son mandat est aussi rythmé par des crises ponctuelles qui testent la résilience de l’appareil éducatif. L’une des plus marquantes concerne le baccalauréat national (National Senior Certificate, NSC), dont les épreuves et la correction sont suivies avec attention par toute la société.

En 2025, le département de l’Éducation de base annonce la découverte d’une « faille » dans le processus de correction des copies de la NSC, détectée par les systèmes internes de contrôle. La gravité de l’incident conduit Siviwe Gwarube à convoquer d’urgence la presse au Cap pour expliquer les mesures prises, tandis que l’instance de contrôle de la qualité, Umalusi, est saisie. L’enjeu dépasse la seule gestion technique : il s’agit de préserver la confiance du public dans l’intégrité des examens nationaux, pilier symbolique de l’école sud-africaine.

Ces épisodes s’ajoutent à une liste de dossiers sensibles déjà sur la table : mise en œuvre de la loi de réforme de l’éducation de base (BELA Act) qui introduit la scolarité obligatoire dès la classe de réception (Grade R) et modifie les règles d’admission dans les écoles, poursuite de l’éradication des toilettes à fosse dangereuses dans les établissements publics, ou encore négociations avec le Trésor national pour limiter l’impact des restrictions budgétaires sur les effectifs enseignants.

Sur le volet financier, la ministre explique avoir demandé à chaque province de dresser un bilan des effets des coupes budgétaires sur les postes d’enseignants et les services offerts aux élèves, avant d’engager un dialogue avec le ministre des Finances pour tenter de « protéger le système éducatif » des réductions les plus sévères.

La pression vient aussi de l’opinion publique, pour qui l’école reste l’un des principaux vecteurs espérés d’ascension sociale dans un pays très inégalitaire. Des enquêtes journalistiques rappellent que la réussite du plan d’extension du Grade R à tous les enfants nécessitera des investissements massifs en infrastructures, en enseignants et en dispositifs de régulation des centres d’ECD, au-delà même des sommes déjà annoncées dans les projets de budget.

Sur la scène internationale, Siviwe Gwarube est de plus en plus sollicitée pour évoquer l’expérience sud-africaine en matière de réformes éducatives. Des plateformes comme Oxford Policy Pod, le podcast de l’école de gouvernement de l’université d’Oxford, ou des émissions comme « Womanity – Women in Unity » mettent en avant sa trajectoire de femme ministre jeune et sa volonté déclarée de recentrer le système sur les fondamentaux.

Reste que la ministre devra concilier cet agenda de transformation avec une réalité budgétaire contrainte, des résistances institutionnelles et des attentes très élevées. Les prochaines années diront si sa stratégie, centrée sur l’apprentissage précoce, la lecture pour tous, la petite enfance et l’inclusion, permettra d’inverser durablement la tendance d’un système où, encore récemment, la majorité des élèves de 10 ans ne parvenaient pas à lire pour comprendre.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *