L’Afrique du Sud est engagée dans une transformation numérique profonde, où l’accès à internet, la modernisation des infrastructures et la régulation des géants des télécoms sont devenus des enjeux centraux de la politique publique. Au cœur de cette mutation, un nom revient désormais régulièrement : Mmoba Solomon « Solly » Malatsi, actuel ministre des Communications et des Technologies numériques au sein du gouvernement d’unité nationale (GNU) sud-africain.
Né en 1985 dans le village de Ga-Dikgale, dans la province du Limpopo, ce responsable politique incarne une nouvelle génération de dirigeants, plus jeune, rompus aux codes de la communication moderne et très à l’aise sur les dossiers technologiques. Sa nomination au ministère des Communications et des Technologies numériques, en juillet 2024, s’inscrit dans un contexte de recomposition politique majeure à Pretoria, avec la mise en place d’un gouvernement de coalition après les élections générales de 2024.
Depuis son entrée au gouvernement, Solly Malatsi s’est imposé comme un acteur clé de la stratégie sud-africaine en matière de numérique : inclusion digitale des populations, déploiement des infrastructures à haut débit, modernisation de la radiodiffusion publique et adaptation du cadre réglementaire aux nouvelles réalités de l’économie numérique. Ses prises de position, parfois controversées, dans des dossiers sensibles – comme le retrait d’un projet de loi sur la SABC ou le débat autour du service internet par satellite Starlink – montrent un ministre soucieux de concilier ouverture économique, transformation sociale et souveraineté réglementaire.
Loin de l’image d’un technocrate discret, Malatsi est aussi un responsable politique marqué par son parcours au sein de l’opposition, la Democratic Alliance (DA), dont il est l’un des cadres nationaux. Cette double identité – ministre au sein d’un gouvernement de coalition dirigé par l’ANC, mais figure de proue d’un parti d’opposition – confère une dimension particulière à son rôle, dans un ministère historiquement instable qui a déjà connu pas moins de 17 titulaires depuis la fin de l’apartheid.
De Ga-Dikgale au gouvernement d’unité nationale : un parcours politique précoce
Le parcours de Mmoba Solomon Malatsi commence loin des centres de pouvoir. Il naît le 22 décembre 1985 à Ga-Dikgale, village rural du Limpopo, dans l’ancienne province du Transvaal, dans une Afrique du Sud encore marquée par la fin récente de l’apartheid. Après sa scolarité secondaire au lycée Phiri Kolobe, il poursuit des études supérieures à l’université du Limpopo, où il obtient un Bachelor en administration. Il complète ensuite sa formation par un diplôme d’honours en études politiques à l’université du Witwatersrand, à Johannesburg, l’une des grandes institutions académiques du pays.
C’est au cours de ces années étudiantes qu’il s’engage au sein de la Democratic Alliance (DA), principal parti d’opposition au Congrès national africain (ANC). Il passe par le programme Young Leaders du parti, un incubateur de talents politiques qui vise à former une nouvelle génération de responsables. Son profil est alors celui d’un militant spécialisé dans la communication politique, à l’aise avec les médias et les stratégies de message.
Peu à peu, Solly Malatsi gravit les échelons du parti. Il devient d’abord collaborateur puis porte-parole, avant d’accéder à des responsabilités nationales. En 2014, à moins de 30 ans, il entre au Parlement comme député, élu sur la liste nationale de la DA pour la province du Limpopo. À l’Assemblée nationale, il se voit confier différents rôles au sein du cabinet fantôme de la DA : il est successivement ministre fantôme de l’Habitat (Human Settlements), des Sports et Loisirs, et des Communications, fonction qui le familiarise déjà avec les enjeux du secteur numérique.
La communication reste cependant son domaine de prédilection. À deux reprises, il occupe le poste très exposé de porte-parole national de la DA, d’abord entre 2018 et 2020, puis de nouveau à partir de 2022, sous les directions successives de Mmusi Maimane puis de John Steenhuisen. En 2023, il est élu deuxième président fédéral adjoint de la DA, confirmant son poids croissant dans les instances dirigeantes du parti.
Cette ascension culmine en 2024, lorsque les élections générales débouchent sur un Parlement sans majorité absolue pour l’ANC, conduisant à la formation d’un gouvernement d’unité nationale associant plusieurs partis, dont la DA. Dans ce nouvel équilibre, Solly Malatsi se voit confier, le 3 juillet 2024, le portefeuille stratégique des Communications et des Technologies numériques. Son prénom d’état civil, Mmoba Solomon, apparaît sur les registres officiels, mais c’est sous le diminutif « Solly » qu’il est connu de l’opinion publique et des médias.
Un spécialiste de la communication à la tête du numérique sud-africain
Le ministère des Communications et des Technologies numériques (Department of Communications and Digital Technologies, DCDT) occupe une place centrale dans la stratégie de développement sud-africaine : il supervise la politique en matière de télécommunications, de radiodiffusion, de services postaux, d’infrastructures numériques et de transformation digitale de l’État. L’arrivée de Solly Malatsi à ce poste est d’abord analysée à travers le prisme de sa carrière de communicant chevronné.
Avant d’entrer au gouvernement, il a en effet exercé divers rôles de porte-parole et de conseiller en communication au sein de la DA, mais aussi comme conseiller parlementaire du chef de l’opposition. Cette expérience lui a permis de maîtriser autant les codes des médias traditionnels que ceux de la communication politique contemporaine, marquée par les réseaux sociaux et la circulation rapide de l’information.
Selon sa biographie officielle publiée par le gouvernement sud-africain et par le DCDT, Malatsi est présenté comme un spécialiste reconnu des stratégies de communication, capable de « guider et mettre en œuvre des stratégies de communication à différents niveaux de l’État », afin d’assurer la cohérence des messages publics et l’efficacité de leur diffusion. Cette compétence est particulièrement précieuse dans un portefeuille où les sujets techniques – comme la régulation des fréquences, la cybersécurité ou les politiques d’accès à internet – doivent être expliqués de manière claire à la population.
Le ministre est aussi identifié comme l’une des figures les plus jeunes du cabinet sud-africain, ce qui nourrit l’idée d’une génération montante plus familière des usages numériques. Un bilan journalistique publié en décembre 2024 par le Mail & Guardian souligne qu’il a « pris ses fonctions sur les chapeaux de roue », enchaînant les dossiers dans un ministère historiquement instable.
Son mandat s’inscrit également dans la continuité des politiques déjà engagées par le DCDT, mais avec une orientation affichée sur l’impact concret des technologies numériques pour la vie quotidienne : services en ligne de l’administration, inclusion des zones rurales, sécurité des données, mais aussi modernisation des services publics tels que le permis de conduire ou les services postaux.
Inclusion numérique, infrastructures et services publics : les grands chantiers du ministère
Dès ses premiers mois au poste, Solly Malatsi insiste sur le rôle du numérique comme levier de transformation économique et sociale. Dans son discours de budget devant l’Assemblée nationale, il détaille une enveloppe d’environ 3,9 milliards de rands pour mettre en œuvre le plan de performance annuel 2024/2025 du département, soulignant que l’accès au numérique donne aux citoyens « les outils pour écrire leur propre avenir ».
Ce budget doit financer plusieurs priorités : l’extension de la connectivité dans les zones peu desservies, le soutien aux infrastructures de réseaux, la modernisation des services postaux et la promotion de compétences numériques au sein de la population. L’objectif affiché est de réduire la fracture numérique qui persiste entre les zones urbaines bien connectées et les régions rurales ou périurbaines, où l’accès à un internet fiable et abordable demeure limité.
La transformation numérique des services publics figure aussi à l’agenda. Le dossier des permis de conduire en est une illustration : le DCDT soutient un projet de permis de conduire numérique, destiné à remplacer progressivement les cartes physiques, dans le cadre d’une modernisation plus large de la gestion des documents officiels. Ce chantier suppose non seulement une adaptation technologique, mais aussi des investissements en formation, en sécurité informatique et en accompagnement des usagers.
Sur le terrain des infrastructures, le ministre multiplie les signaux de soutien au développement de centres de données et de réseaux à haut débit. En décembre 2025, il se rend par exemple sur un grand site de data center à Midrand, au nord de Johannesburg, pour mettre en avant le rôle de ces infrastructures dans la souveraineté numérique et l’attractivité économique de l’Afrique du Sud.
Le secteur postal, en difficulté depuis plusieurs années, constitue un autre dossier sensible. La Poste sud-africaine (South African Post Office) et la Postbank traversent une procédure de restructuration complexe. Les syndicats, dont la centrale Cosatu, appellent régulièrement le ministre à intervenir davantage dans le processus de sauvetage, jugeant cruciale la préservation des emplois et le maintien des services postaux dans les zones rurales. Cette pression sociale illustre la difficulté d’arbitrer entre rationalisation économique et maintien d’un service public accessible.
Enfin, la politique d’inclusion numérique englobe des thématiques plus larges, comme l’accès aux équipements, la lutte contre les contenus illégaux et la promotion d’un environnement en ligne plus sûr. Le DCDT pilote, entre autres, des travaux de réflexion sur une nouvelle feuille de route pour les services audiovisuels et les contenus en ligne, associant la question de la sécurité numérique à celle de la régulation des médias.
Réformer sans déstabiliser : SABC, régulation du secteur et dossier Starlink
Le mandat de Solly Malatsi est également marqué par une série de réformes réglementaires qui suscitent un débat intense. L’un des épisodes les plus emblématiques est le retrait, en novembre 2024, du projet de loi SABC Bill (South African Broadcasting Corporation SOC Ltd Bill). Ce texte, qui devait redéfinir la gouvernance et le modèle de financement de la radiodiffusion publique sud-africaine, était critiqué de longue date.
Le ministre décide de retirer ce projet de loi, estimant qu’il ne répond pas de manière satisfaisante à la question cruciale du financement de la SABC et qu’il risque de donner au ministre une influence excessive sur la nomination des membres du conseil d’administration. Cette décision est saluée par certains observateurs pour sa prudence, mais vivement contestée par d’autres : la présidente de la commission parlementaire des Communications, Khusela Diko, va jusqu’à parler de « coup fatal » potentiel pour la SABC, soulignant l’urgence de clarifier le cadre juridique de l’audiovisuel public.
Un autre dossier place le ministre au centre de l’attention internationale : la possible arrivée du service internet par satellite Starlink, développé par l’entreprise SpaceX d’Elon Musk. En 2025, le DCDT propose un projet de directive permettant de reconnaître des « programmes d’équivalent d’équité » comme alternative à l’obligation actuelle faite aux entreprises étrangères de céder 30 % de leurs filiales à des groupes historiquement défavorisés, dans le cadre des exigences de transformation économique.
Cette initiative est interprétée par certains comme une manière de faciliter l’entrée de Starlink en Afrique du Sud, où le service n’est pas encore opérationnel, alors qu’il l’est déjà dans plusieurs pays voisins. Des responsables politiques et des commentateurs accusent le gouvernement de vouloir « assouplir » les règles au bénéfice d’un acteur étranger, au risque de fragiliser la politique de transformation économique.
Devant le Parlement et les médias, Solly Malatsi affirme que ce projet de directive n’est pas conçu pour Starlink spécifiquement, mais pour ouvrir plus largement le marché à de nouveaux opérateurs, tout en maintenant le principe de la transformation comme « non négociable ». Selon ses explications, l’idée est de permettre aux entreprises étrangères de remplir leurs obligations en investissant dans la formation, le développement de compétences ou les partenariats avec des fournisseurs locaux, plutôt que seulement par la cession de capital.
Ce débat met en lumière la tension entre deux objectifs : d’un côté, la volonté d’attirer des investissements et de renforcer la concurrence dans les télécommunications ; de l’autre, l’exigence de poursuivre les politiques de redressement économique et de justice sociale héritées de l’après-apartheid. Le ministère des Communications et des Technologies numériques se trouve ainsi au cœur d’une dialectique permanente entre régulation et ouverture, dans un secteur où les décisions nationales sont scrutées par les marchés internationaux comme par la société civile.
Parallèlement, le ministère doit aussi veiller à l’intégrité et à la soutenabilité du secteur des télécoms, face à des enjeux de cybersécurité, de protection des données personnelles, de lutte contre les contenus préjudiciables et d’adaptation des cadres juridiques aux innovations rapides. Ces sujets sont abordés dans différents documents de travail et consultations pilotés par le DCDT, qui cherche à associer les opérateurs privés, les associations professionnelles et les organismes publics.
Un ministère instable, un ministre sous observation
Historiquement, le portefeuille des Communications a connu une grande instabilité politique en Afrique du Sud. Une analyse publiée en 2024 rappelle que pas moins de 17 ministres différents se sont succédé à la tête des Communications (dans ses différentes configurations) depuis 1994, au gré des remaniements et des reconfigurations internes du gouvernement. C’est dans ce contexte qu’est observée la performance de Solly Malatsi.
À son arrivée en 2024, il succède à Mondli Gungubele, qui quitte la fonction de ministre pour devenir vice-ministre du même département. Cette transition s’effectue au moment précis où se met en place le gouvernement d’unité nationale, ce qui ajoute une dimension politique à la nomination : pour la première fois, ce portefeuille clé est confié à un cadre de la DA, parti jusque-là cantonné au rôle d’opposition.
En décembre 2024, le journal Mail & Guardian publie une évaluation de l’action des ministres du cabinet. Solly Malatsi y obtient la note de « B », signe d’une appréciation globalement positive de son démarrage, les auteurs soulignant sa capacité à « entrer très vite dans le vif du sujet » malgré son statut de « rookie minister » (ministre débutant) et son jeune âge. Cette appréciation insiste toutefois sur le fait que de nombreux chantiers restent ouverts et que la stabilité dans la conduite des réformes sera décisive.
La pression politique est d’autant plus forte que le ministère doit produire des résultats tangibles en peu de temps : amélioration de la connectivité, modernisation de la SABC, redressement des services postaux, clarification du cadre réglementaire pour les acteurs internationaux du numérique, mise en œuvre de projets comme les permis de conduire numériques.
Enfin, la singularité de la position de Malatsi – ministre issu de la DA au sein d’un cabinet dirigé par le président Cyril Ramaphosa – implique une attention particulière à sa capacité à travailler de manière collégiale, tout en conservant l’ancrage politique de son parti. Sa fonction de député et de dirigeant national de la DA, répertoriée sur les sites officiels du Parlement et de son parti, rappelle que son action ministérielle est également scrutée par ses propres électeurs et par la base militante.
Un symbole de la génération numérique en politique sud-africaine
Au-delà des dossiers techniques et des arbitrages budgétaires, le parcours de Mmoba Solomon « Solly » Malatsi revêt une dimension symbolique dans la vie politique sud-africaine. Fils d’un village rural du Limpopo devenu ministre d’un portefeuille hautement stratégique, formé dans les universités publiques et passé par un programme de jeunes leaders, il incarne le profil de responsables politiques issus de la « génération numérique ».
Son itinéraire au sein de la DA – d’activiste étudiant à porte-parole national, puis à dirigeant fédéral adjoint – montre aussi la manière dont les partis politiques sud-africains ont investi la communication moderne comme outil central de leur action. Dans son cas, cette expertise se déplace désormais du terrain strictement partisan vers la gestion d’une politique publique transversale, qui touche autant l’économie que l’éducation, la culture ou les services sociaux.
Sur la scène internationale, sa gestion de dossiers tels que le cadre réglementaire pour les services internet par satellite ou l’équilibre entre transformation économique et attractivité des investissements contribue à façonner l’image de l’Afrique du Sud comme acteur qui cherche à rester ouvert aux innovations, tout en préservant ses priorités de justice sociale. Les débats autour de Starlink, ou encore les discussions sur l’avenir de la SABC, illustrent cette tension permanente entre exigences internes et attentes extérieures.
L’avenir dira si Solly Malatsi parvient à stabiliser un ministère réputé difficile et à inscrire dans la durée les orientations qu’il défend – qu’il s’agisse de l’inclusion numérique des populations, de la modernisation des infrastructures ou de la clarification du cadre juridique des communications et des technologies numériques. Ce qui est certain, à ce stade, c’est que son nom est désormais indissociable de la trajectoire numérique de l’Afrique du Sud contemporaine, où se jouent, à travers les câbles, les satellites et les plateformes, une part importante des promesses et des tensions de la démocratie sud-africaine au XXIᵉ siècle.



