L’Afrique du Sud a changé de visage politique en 2024 avec la formation d’un gouvernement d’unité nationale et l’entrée remarquée de nouvelles personnalités au sein du cabinet. Parmi elles, un nom revient avec insistance : Inkosi Elphas Mfakazeleni « Mzamo » Buthelezi, désormais ministre de la Fonction publique et de l’Administration (Public Service and Administration). Chef traditionnel, prince zoulou, dirigeant de parti et désormais ministre chargé de transformer l’appareil d’État, il incarne un certain tournant dans la manière dont Pretoria entend réformer sa fonction publique et restaurer la confiance des citoyens.
Né en 1977 dans la région rurale de Louwsburg, au nord du KwaZulu-Natal, passé par les bancs des municipalités locales avant de s’installer au Parlement, Inkosi Buthelezi s’est progressivement imposé dans le paysage politique sud-africain. Son arrivée au ministère de la Fonction publique et de l’Administration, à l’été 2024, s’inscrit dans un contexte de profonde défiance vis-à-vis de l’administration, minée par la corruption, des lenteurs bureaucratiques et des services publics inégaux selon les territoires.
Alors que le gouvernement d’unité nationale (GNU) tente de stabiliser le pays et de relancer l’économie, le portefeuille confié à Inkosi Buthelezi est stratégique : il s’agit de faire fonctionner l’État, de garantir l’éthique dans la gestion des ressources publiques et d’assurer que les agents au contact du public puissent répondre aux attentes d’une population impatiente de voir des changements concrets.
Un parcours ancré dans le KwaZulu-Natal et la sphère traditionnelle
Inkosi Elphas Mfakazeleni Buthelezi, plus connu sous le nom de Mzamo Buthelezi, naît le 16 février 1977 à Louwsburg (Ngotshe), dans la province du KwaZulu-Natal. Il y suit sa scolarité primaire à Bilanyoni Primary School, puis secondaire à Kwasa High School, à Paulpietersburg, avant d’obtenir un diplôme national en marketing et gestion d’entreprise à Vryheid.
Issu de la famille Buthelezi, profondément liée à l’histoire du royaume zoulou, il est à la fois chef traditionnel (Inkosi) du clan Buthelezi à Embongongweni et prince, en tant que descendant direct du roi Mpande. Cette dimension traditionnelle est loin d’être anecdotique : elle lui confère une légitimité dans les zones rurales, où l’autorité des chefs coutumiers reste centrale dans l’organisation sociale et politique.
Avant sa carrière nationale, il s’illustre au niveau local en devenant maire du district de Zululand, dans le nord du KwaZulu-Natal. Cette expérience d’administration locale, au contact des réalités du terrain et des difficultés de gestion des services dans des municipalités souvent sous-dotées, façonne sa vision de l’action publique. Il y est confronté à des enjeux très concrets : accès à l’eau et à l’électricité, entretien des routes, gouvernance municipale, lutte contre la corruption dans l’attribution de marchés publics.
Politiquement, Inkosi Buthelezi gravit les échelons de l’Inkatha Freedom Party (IFP), formation historique, longtemps ancrée dans le KwaZulu-Natal et fondée par le prince Mangosuthu Buthelezi. Il est élu député à l’Assemblée nationale lors des élections générales de 2019, puis réélu en 2024. Au sein de l’IFP, il occupe un poste de tout premier plan : celui de vice-président du parti (Deputy President), rôle qui en fait l’un des visages les plus visibles de la formation sur la scène nationale.
En parallèle, sa stature traditionnelle est officiellement consolidée en 2024. À l’été, une cérémonie présidée par le roi Misuzulu KaZwelithini à eMbongombongweni marque son installation officielle comme Inkosi du conseil traditionnel d’Mbongombongweni, événement célébré comme un moment fort pour la communauté locale et la nation zouloue.
De député de l’IFP à ministre de la Fonction publique et de l’Administration
Le tournant majeur dans la carrière d’Inkosi Buthelezi intervient avec la constitution de la septième administration sud-africaine, à la suite des élections de 2024 et de la formation d’un gouvernement d’unité nationale. Dans le nouveau cabinet annoncé fin juin 2024, son nom apparaît à un poste stratégique : ministre de la Fonction publique et de l’Administration.
Selon les informations du gouvernement et de plusieurs sources officielles, il est nommé ministre par le président Cyril Ramaphosa le 30 juin 2024, puis entre en fonctions début juillet, la date du 3 juillet 2024 étant indiquée pour la prise de responsabilité au sein du ministère. Sur le site du Département de la Fonction publique et de l’Administration (DPSA), il apparaît comme « Minister for the Public Service and Administration », confirmant ce rôle de chef politique du département.
Fait notable dans le contexte politique sud-africain : Inkosi Buthelezi est une figure de l’IFP, alors que le ministère qu’il dirige s’inscrit dans un gouvernement de coalition élargi. Le ministère de la Fonction publique et de l’Administration est, par nature, transversal : il ne gère pas un secteur spécifique (comme la santé ou l’éducation), mais l’ensemble de l’appareil d’État, du fonctionnement des administrations à la gestion du personnel public. Cette nomination illustre la volonté de partager les responsabilités au sein du gouvernement d’unité nationale et d’associer différents partis à la réforme de l’État.
Les responsabilités qui lui incombent sont cruciales. Le Département de la Fonction publique et de l’Administration est chargé de fournir le leadership politique au système de la fonction publique, de fixer le cadre des conditions d’emploi, d’éthique et de discipline des fonctionnaires, de promouvoir la modernisation de l’administration et d’assurer la cohérence de la gestion des ressources humaines dans l’ensemble de l’État.
Pour Inkosi Buthelezi, ce portefeuille représente un terrain où se croisent ses expériences de gouvernance locale, ses responsabilités de chef traditionnel et son engagement politique contre la corruption et pour une prestation de services plus efficace.
Une vision axée sur le service au citoyen et la lutte contre la corruption
Dès ses premières prises de parole comme ministre, Inkosi Buthelezi met l’accent sur deux axes majeurs : la qualité du service public et la lutte contre la corruption, en particulier à travers la protection des lanceurs d’alerte.
À l’occasion du lancement du Mois de la fonction publique (Integrated Public Service Month) en septembre 2024, il insiste sur la nécessité pour le gouvernement de démontrer concrètement qu’il « travaille pour » les citoyens. Il évoque la volonté de reconnaître les faiblesses de l’administration et de mettre en œuvre des solutions pour améliorer les services offerts à la population. Ce mois de septembre, dédié chaque année au rôle des agents de la fonction publique dans la prestation de services, sert de tribune pour rappeler que la confiance des citoyens dépend de la capacité de l’État à délivrer des services de qualité, dans les temps et sur l’ensemble du territoire.
Dans un contexte marqué, depuis des années, par des scandales de corruption, des rapports d’enquêtes et une érosion de la confiance dans les institutions, le ministre associe explicitement la réforme de la fonction publique à la lutte contre les pratiques illicites. À l’automne 2024, il souligne, lors d’échanges sur le leadership dans la fonction publique, l’importance des efforts collaboratifs pour développer une administration intégrant des valeurs d’intégrité et de responsabilité.
L’un des leviers mis en avant concerne la protection des lanceurs d’alerte. En 2025, la question figure au cœur des discussions internationales du G20 sur la lutte contre la corruption. Dans des interventions publiques, Inkosi Buthelezi souligne la nécessité d’un cadre solide pour encourager les signalements d’irrégularités sans crainte de représailles, dans le but d’assainir l’administration et de promouvoir la transparence.
Le ministère, qui joue un rôle clé dans les discussions du G20 Anti-Corruption Working Group, met en avant l’importance de normes internationales et de mécanismes de coopération pour réduire les espaces dans lesquels la corruption peut prospérer, ainsi que pour renforcer les protections des personnes dénonçant les abus.
Cette orientation anticorruption s’inscrit dans une logique plus large de professionnalisation de la fonction publique : améliorer les processus de recrutement, limiter les interférences politiques dans la gestion quotidienne des cadres administratifs, renforcer la formation et la déontologie ainsi que la gestion des performances des agents publics. Le ministère que dirige Inkosi Buthelezi est l’un des maillons centraux de cette transformation, dans un pays où l’État reste l’un des principaux employeurs.
Un acteur clé du gouvernement d’unité nationale et de l’IFP
Au-delà de son rôle ministériel, Inkosi Buthelezi occupe une position particulière dans le paysage politique du gouvernement d’unité. En tant que vice-président de l’Inkatha Freedom Party, il fait le lien entre un parti d’opposition historique et un exécutif recomposé, dans lequel l’IFP détient des portefeuilles importants.
L’IFP, traditionnellement implantée au KwaZulu-Natal, s’est souvent définie par un discours attaché à l’ordre, à la gouvernance locale et à la défense des communautés, en particulier zouloues. Dans ce cadre, la présence d’Inkosi Buthelezi au gouvernement est perçue comme un prolongement de la stratégie du parti, qui consiste à montrer sa capacité à gouverner au-delà de son bastion régional, en assumant des responsabilités nationales dans un ministère transversal.
Sur la scène politique, il intervient régulièrement pour commenter les enjeux de gouvernance locale, les coalitions municipales et les relations entre l’IFP et d’autres partis, notamment l’ANC, dans des municipalités en situation de conseils municipaux sans majorité claire. Ces prises de position reflètent les tensions et les recompositions que connaissent les gouvernements locaux en Afrique du Sud, où les coalitions sont devenues fréquentes.
Dans le contexte du gouvernement d’unité nationale, il s’exprime aussi sur les accords passés entre les partis, notamment lorsqu’il est question de répartition des responsabilités, de respect des engagements et d’équilibre entre les partenaires. Cette double casquette – dirigeant de parti et ministre d’un portefeuille technique – lui confère une influence spécifique : il doit à la fois défendre la ligne de l’IFP et mettre en œuvre une politique de réforme de l’État au service de l’ensemble des Sud-Africains.
Cette position n’est pas sans défis. D’une part, il doit répondre aux attentes de ses électeurs et de sa formation politique, soucieux que l’IFP ne se dilue pas dans un gouvernement de coalition. D’autre part, il lui incombe de travailler en étroite collaboration avec des représentants d’autres partis, y compris l’ANC et d’autres partenaires du GNU, pour faire avancer des réformes qui requièrent souvent un consensus au-delà des clivages politiques traditionnels.
Enjeux et défis d’un ministère au cœur de la transformation de l’État
Le ministère de la Fonction publique et de l’Administration est, pour l’Afrique du Sud, un levier de changement majeur dans une période où le pays est confronté à des défis structurels : croissance modeste, inégalités persistantes, chômage élevé et exigences croissantes en matière de services publics. Pour Inkosi Buthelezi, l’enjeu est de taille : réussir à rendre la fonction publique plus efficace, plus intègre et plus proche des citoyens.
Parmi les défis identifiés, la question de la capacité de l’État revient de manière récurrente. Depuis plusieurs années, des analyses et des rapports pointent les failles de la fonction publique : postes vacants dans des secteurs clés, manque de compétences dans certaines administrations, retard dans la modernisation des outils numériques, lourdeurs procédurales ralentissant la mise en œuvre des politiques. Le département qu’il dirige est chargé de proposer des réformes pour remédier à ces difficultés, notamment en matière de gestion des ressources humaines, de systèmes de performance et de coordination interministérielle.
La corruption constitue un autre chantier de longue haleine, au cœur même de la crédibilité de l’administration. Les engagements pris dans le cadre du G20 Anti-Corruption Working Group, auxquels participe l’Afrique du Sud, impliquent la mise en place de standards plus stricts et de dispositifs robustes de prévention, d’enquête et de sanction. Dans ce domaine, le rôle du ministère inclut la promotion de codes de conduite, la sensibilisation à l’éthique, ainsi que la mise en place de mécanismes de protection pour les fonctionnaires qui dénoncent des irrégularités.
La dimension internationale n’est pas absente de son action. En 2025, le ministre représente l’Afrique du Sud au World Government Summit, un forum où se rencontrent responsables politiques, experts et institutions pour discuter de la gouvernance, de l’innovation dans le secteur public et des politiques publiques. Cette participation traduit la volonté du pays de s’inspirer de bonnes pratiques internationales, mais également de partager son expérience, notamment en matière de transformation de l’administration dans un contexte de transition politique et de coalition.
Sur le plan intérieur, les réformes de la fonction publique doivent également tenir compte des réalités locales : disparités entre zones urbaines et rurales, héritages de l’apartheid en matière de répartition des services, attentes des populations jeunes et urbaines, mais aussi des communautés rurales attachées aux structures traditionnelles. La double identité d’Inkosi Buthelezi – chef traditionnel et responsable politique national – le place dans une position singulière pour articuler ces différentes réalités et porter une vision de l’État qui ne se limite pas aux grandes métropoles.
Enfin, sa mission s’inscrit dans un calendrier politique serré. Les résultats de ses actions seront évalués non seulement par l’opinion publique, mais aussi par les partenaires du gouvernement d’unité nationale, qui se mesureront aux engagements de campagne et aux attentes de leurs électorats respectifs. La transformation de la fonction publique est, par nature, un chantier de moyen et long terme ; elle nécessite une continuité des politiques au-delà des cycles électoraux. C’est dans cette tension entre urgence et durée que s’inscrit le mandat d’Inkosi Buthelezi.
Un ministre entre tradition, modernisation et exigence de résultats
À travers la trajectoire d’Inkosi Elphas Mfakazeleni « Mzamo » Buthelezi, c’est une partie des évolutions de l’Afrique du Sud contemporaine qui se laisse entrevoir. Son parcours, depuis les collines du KwaZulu-Natal jusqu’aux bancs de l’Assemblée nationale, en passant par les responsabilités de maire et de chef traditionnel, illustre la coexistence, souvent complémentaire, entre structures coutumières et institutions démocratiques modernes.
En tant que ministre de la Fonction publique et de l’Administration, il se trouve au cœur d’un mandat délicat : redonner à l’État les moyens de ses ambitions, restaurer la confiance dans la fonction publique et traduire, dans des réformes concrètes, les engagements d’un gouvernement d’unité nationale dont la légitimité repose en grande partie sur sa capacité à améliorer la vie quotidienne des citoyens.
Les intentions affichées – renforcement de l’éthique, amélioration du service au public, protection des lanceurs d’alerte, participation aux efforts internationaux contre la corruption – s’inscrivent dans une continuité avec les priorités annoncées par le département qu’il dirige. Mais elles devront, pour convaincre, se traduire par des résultats mesurables : des procédures simplifiées, des services plus accessibles, un recul tangible des pratiques corruptives et une meilleure reconnaissance du travail des agents publics.
À court terme, les prises de parole du ministre, en particulier lors d’événements publics tels que le Mois de la fonction publique ou les grandes rencontres internationales, donnent le ton : celui d’une administration appelée à se transformer pour répondre aux exigences d’un pays confronté à des défis multiples. À plus long terme, l’évaluation de son action dépendra du degré auquel la fonction publique sud-africaine parviendra à devenir plus efficace, plus transparente et plus proche de ceux qu’elle est censée servir.
Entre les attentes de son parti, les impératifs du gouvernement de coalition, les contraintes budgétaires et les réalités d’un appareil d’État complexe, Inkosi Buthelezi doit naviguer avec prudence, mais aussi avec détermination. Sa trajectoire personnelle, qui mêle tradition, engagement local et responsabilités nationales, en fait une figure à suivre dans la recomposition politique sud-africaine. Le ministère qu’il dirige, souvent perçu comme technique, apparaît plus que jamais comme un pivot de la transition institutionnelle qu’espère l’Afrique du Sud.



