Qui est Abdelkader Djellaoui, l’homme politique ?

Nommé en septembre 2025 ministre des Travaux publics et des Infrastructures de base, Abdelkader Djellaoui s’est imposé en quelques semaines comme l’un des visages les plus scrutés d’un État qui fait de l’infrastructure un marqueur de crédibilité. Son profil tranche avec celui des tribuns : il vient d’abord de l’administration territoriale, et son nom s’est longtemps confondu avec une fonction, celle de wali, exercée dans plusieurs régions stratégiques du pays. Architecte de formation, gestionnaire de terrain par trajectoire, il arrive à la tête d’un portefeuille où les retards, les surcoûts et les “chantiers éternels” sont devenus des sujets politiques à part entière. Qui est-il, d’où vient-il, et que dit son parcours de la manière dont l’Algérie fabrique – et met à l’épreuve – ses responsables publics ?

Un parcours façonné par l’administration : de l’urbanisme aux responsabilités territoriales

Le récit public d’Abdelkader Djellaoui commence loin des ministères, dans une carrière qui s’ancre dans les métiers techniques de l’État. Il est présenté comme originaire de la wilaya de Tipaza et rattaché à la tribu des Beni Menaceur, avec l’idée, souvent mentionnée dans les notices biographiques, d’une “famille révolutionnaire”. Cette manière d’inscrire une trajectoire dans une mémoire nationale n’est pas neutre : en Algérie, elle constitue fréquemment un marqueur de légitimité symbolique, même quand l’itinéraire réel repose d’abord sur l’expertise administrative.

Sa vie professionnelle, elle, s’articule autour de l’urbanisme et des collectivités locales. Il débute en 1984 comme architecte d’État à Tipaza. Le mouvement qui suit est celui d’une montée en responsabilités : en 1996, il est promu directeur de l’urbanisme et de la construction (DUC) à Béjaïa, puis exerce des fonctions équivalentes à Annaba en 2002. En 2004, il occupe à Alger un poste plus large, lié à l’aménagement du territoire, à l’urbanisme, à la prévention et à la résorption de l’habitat précaire. Derrière ces intitulés, une réalité : la gestion d’un secteur où se croisent politiques du logement, contraintes foncières, tensions sociales et arbitrages budgétaires. Dans beaucoup de pays, ces dossiers forgent un style de décision ; en Algérie, ils sont aussi des tests de capacité à “tenir” une administration, à négocier avec des acteurs locaux et à absorber l’urgence.

Un autre élément revient dans les informations diffusées lors de sa prise de fonctions : il est diplômé de l’École polytechnique d’Alger. Cette précision, citée dans les dépêches liées à sa nomination, renforce l’image d’un profil technicien, plus habitué aux méthodes d’ingénierie et d’organisation qu’aux joutes partisanes. Elle éclaire aussi la logique de son ascension : Djellaoui n’est pas un homme politique au sens classique du terme, mais un responsable public que l’État projette sur des postes exposés.

La “fabrique” d’un wali : Djelfa, Ouargla, Oran, M’Sila, Annaba… le terrain comme école de pouvoir

En 2010, Abdelkader Djellaoui intègre le corps des walis, une étape décisive. Il devient wali délégué à Chéraga, avant d’être promu wali à part entière en 2013 à Djelfa. À partir de là, sa carrière se lit comme une succession de postes territoriaux où l’État attend de ses représentants qu’ils assurent l’ordre administratif, coordonnent les services publics, portent les politiques nationales et répondent aux demandes locales.

Il passe ensuite par Ouargla (2016), Oran (2019), M’Sila (2020) puis Annaba (2023). La liste est en elle-même un indicateur : ce sont des wilayas aux profils très différents, et souvent sensibles. Ouargla renvoie au Sud, à la question des ressources et des équilibres sociaux ; Oran, à une grande métropole, à ses réseaux économiques et à ses urgences urbaines ; Annaba, à un bassin industriel et portuaire, aux attentes liées à l’emploi et aux infrastructures. Être wali dans ces contextes ne se résume pas à un rôle protocolaire. C’est gérer des conflits d’usage, des retards de projets, des arbitrages de financement, des coordinations interministérielles, et surtout une pression quotidienne : celle d’une population qui demande des résultats visibles.

Ce passage par les wilayas explique pourquoi, lorsqu’il arrive au gouvernement, l’argument mis en avant est son expérience “au sein des collectivités locales”. Lors de la cérémonie de passation, il dit s’engager à “ne ménager aucun effort” en s’appuyant sur cette expérience. Et il résume l’ampleur du défi par une formule appelée à marquer : “La responsabilité est lourde, au vu des missions et des défis qu’elle comporte.” Ce n’est pas une confession, mais un cadrage : la communication d’un ministre qui sait que son secteur sera jugé sur des délais, des kilomètres livrés, des ouvrages entretenus, et sur la capacité à mettre fin à une culture des retards.

Dans la dépêche annonçant sa prise de fonctions, un détail retient l’attention : Djellaoui a 65 ans au moment de sa nomination. L’âge n’est pas anecdotique dans un système où l’expérience est souvent valorisée, mais où l’opinion publique peut aussi attendre des ruptures. Dans son cas, la nomination ressemble à un pari sur le “méthode-terrain” : un responsable expérimenté, habitué à la gestion territoriale, projeté sur un ministère où les blocages sont autant techniques que bureaucratiques.

Septembre 2025 : un ministre nommé sur des chantiers urgents et des attentes immédiates

La bascule intervient le 14 septembre 2025, lorsqu’il est nommé ministre des Travaux publics et des Infrastructures de base, dans le cadre d’un remaniement gouvernemental. Il succède à Lakhdar Rekhroukh. Dès le lendemain, le 15 septembre, il prend officiellement ses fonctions. Le calendrier dit beaucoup : en Algérie, ce type de portefeuille ne laisse pas de “temps d’installation”. Les dossiers s’imposent d’eux-mêmes.

Les Travaux publics, par nature, exposent. Ils touchent au quotidien – routes, ouvrages d’art, autoroutes –, mais aussi à la stratégie – ports, chemins de fer, corridors logistiques. Ils mobilisent des budgets massifs et mettent en jeu des entreprises, des bureaux d’études, des sous-traitants, des administrations. Un ministre y est à la fois arbitre, accélérateur et parfois “réparateur” d’un héritage de projets mal calibrés.

Dans ses premières déclarations publiques, Djellaoui insiste sur le rôle économique du secteur, évoquant des investissements et des groupes spécialisés censés accompagner la dynamique nationale. Cette rhétorique n’est pas nouvelle, mais elle se heurte à des réalités connues : l’usure des réseaux routiers, la question de la maintenance, la sécurité routière, les retards de certains grands travaux, les fluctuations de coûts liées aux matériaux et aux changes, et la difficulté à instaurer un suivi rigoureux.

Très vite, le ministère organise des réunions de cadrage. Des articles de presse reprenant des communiqués du secteur décrivent une série de rencontres “préliminaires” avec les directeurs généraux du ministère, un conseiller chargé des projets ferroviaires et le directeur général de l’Algérienne des Autoroutes. L’objectif affiché : définir des priorités et tracer une feuille de route pour les projets structurants. Une liste revient : la ligne minière Est-Ouest, la liaison ferroviaire Nord-Sud entre Alger et Tamanrasset, et le projet d’extension du port d’Annaba. La mention de ce dernier dossier n’est pas neutre : Annaba est précisément la dernière wilaya qu’il a dirigée. Autrement dit, Djellaoui arrive au ministère avec une connaissance directe de certains enjeux qu’il est désormais chargé d’arbitrer à l’échelle nationale.

Dans ces mêmes échanges, la situation de l’autoroute Est-Ouest est évoquée comme un sujet à diagnostiquer, sur la base d’expertises déjà réalisées ou en cours. Le message est double : reconnaître l’existence de constats techniques et promettre une reprise en main par l’évaluation, plutôt que par des annonces vagues. Il est aussi question d’un programme d’entretien et de la résorption de “points noirs” accidentogènes, signe que le ministère veut associer l’infrastructure à la sécurité, et pas seulement à la circulation.

Routes, autoroutes, maintenance : l’épreuve des “pénétrantes” et des retards structurels

S’il y a un symbole des difficultés des grands chantiers, ce sont les pénétrantes autoroutières reliant des wilayas à l’autoroute Est-Ouest. En novembre 2025, Djellaoui se rend sur le terrain, notamment à Tizi Ouzou, où le chantier de la pénétrante lancée en 2014 concentre critiques, impatience et débats.

Lors d’une visite d’inspection, il annonce la tenue “dès la semaine prochaine” d’une réunion intersectorielle rassemblant l’ensemble des acteurs impliqués. L’enjeu est clairement décrit : le projet souffre d’un retard chronique et de surcoûts. Dans les comptes rendus publiés, une information frappe : sur 48 kilomètres prévus, seule une portion de 5 kilomètres a été mise en service au moment de la visite, alors qu’une grande partie reste à achever. Le chantier devient alors plus qu’une question de bitume : il incarne une manière de gérer – ou de ne pas gérer – les projets publics.

Le ministre insiste, dans ce contexte, sur une lecture qui déplace le débat : selon lui, le dysfonctionnement ne vient pas d’un manque de financement. Il déclare que l’État “accompagne pleinement” le projet, mais qu’il souffre d’une accumulation de contraintes administratives, techniques et organisationnelles. Il généralise ensuite le constat en affirmant que les pénétrantes connaissent des “retards similaires”, liés notamment à l’absence de pragmatisme, de rigueur et de transparence. Dans un pays où le discours officiel insiste souvent sur la mobilisation des moyens, cette manière de pointer l’organisation et la gouvernance est un marqueur : Djellaoui se présente comme celui qui veut faire parler les dossiers, aligner les responsabilités et installer une discipline de suivi.

Le scénario annoncé est celui d’une “mise sur la table” des données techniques, financières et organisationnelles afin d’identifier les blocages et d’établir un calendrier réaliste. Le vocabulaire est important : “calendrier réaliste” plutôt que promesse. De la même façon, l’idée de clarifier les responsabilités signale une volonté de sortir d’une dilution classique, où les retards sont attribués à un flou collectif – expropriations, sous-traitance, procédures, imprévus – sans qu’une chaîne de décision soit clairement assumée.

Dans d’autres prises de parole rapportées par la presse, Djellaoui évoque la fluctuation des changes et le prix des matériaux, facteurs qui aggravent les surcoûts. Là encore, le propos s’aligne sur une réalité du secteur : les grands projets se heurtent à la volatilité des marchés et à des dépendances, mais cette volatilité ne peut pas tout expliquer. D’où l’accent mis sur la rigueur, l’organisation, la transparence, et, plus largement, sur le pilotage.

La question de l’entretien, elle, revient avec insistance. Des comptes rendus de réunions consacrées au programme sectoriel de 2026 évoquent quatre axes, dont la maintenance des routes et autoroutes, et notamment celle de l’autoroute Est-Ouest, citée comme priorité. L’idée est de corriger un biais fréquent : inaugurer de nouvelles infrastructures tout en laissant se dégrader le réseau existant. Pour un ministre, reconnaître que la maintenance doit devenir centrale revient à accepter une politique moins spectaculaire mais plus structurante, et, potentiellement, à s’exposer à des arbitrages budgétaires difficiles.

Numérisation, stratégie et méthode : ce que révèle son style de gouvernance

Au-delà des chantiers, Abdelkader Djellaoui s’inscrit dans une manière de gouverner qui privilégie les réunions de travail, le cadrage par objectifs, et la recherche d’outils de suivi. Dans les articles relatant ses premières semaines, un thème revient : la nécessité de passer à une vitesse supérieure et d’aller vers la numérisation du secteur. Le raisonnement est explicite : face aux retards d’exécution, aux hausses de coûts, et aux insuffisances de contrôle, la numérisation est présentée comme un levier de modernisation de la gestion.

Ce discours n’est pas purement technologique. Il est politique au sens où il propose une solution à un problème de gouvernance. Numériser, dans cette logique, signifie mieux documenter, suivre en temps réel, centraliser les données, comparer les avancées au planning, rendre plus difficile la dissimulation des retards, et donc renforcer la responsabilité des acteurs. Mais la numérisation peut aussi devenir un mot-valise si elle n’est pas accompagnée d’une capacité d’exécution : former, équiper, standardiser les procédures, imposer des reportings, et accepter que des données rendent visibles des failles.

Djellaoui demande également, selon les comptes rendus, une stratégie claire assortie d’un plan d’action à court et moyen termes, capable de “définir les priorités” et de préciser les étapes opérationnelles. Là encore, on retrouve une signature de gestionnaire : le passage du slogan à la planification. Le ministre réunit aussi des responsables d’entreprises publiques sous tutelle pour évaluer les capacités nationales en matière d’études et de réalisation, dresser un état des lieux, et formuler des propositions visant à relancer ces entreprises. Le message implicite : l’État veut renforcer l’appareil national d’exécution, un point sensible dans un secteur où l’on cherche souvent l’équilibre entre recours à des partenaires étrangers et mobilisation des compétences locales.

Dans ce tableau, l’homme politique Abdelkader Djellaoui apparaît moins comme un chef de parti que comme un acteur de l’État, au croisement de la technique et de la décision publique. Son pouvoir ne vient pas d’une base militante, mais d’une chaîne de nomination et d’une réputation construite sur la gestion territoriale. Son exposition, désormais, est nationale : chaque chantier en retard devient une affaire, chaque route dégradée un sujet de mécontentement, chaque accident sur un “point noir” un rappel brutal des conséquences concrètes d’une infrastructure mal entretenue.

Reste la question centrale : que peut un ministre face à des inerties parfois anciennes ? L’expérience des walis, en principe, apprend à composer avec les lenteurs administratives, à accélérer par la coordination et à arbitrer dans l’urgence. Mais un ministère élargit l’échelle et la complexité : il faut transformer une multitude de projets en portefeuille cohérent, définir des priorités crédibles, et tenir un discours qui ne promet pas l’impossible. À 65 ans, fort d’un parcours d’urbaniste devenu wali, Djellaoui joue une partition classique dans sa forme – réunions, diagnostics, plans d’action – mais scrutée dans son résultat : livrer, entretenir, sécuriser, et, surtout, prouver que l’État peut reprendre la main sur des chantiers dont l’opinion publique a appris à se méfier.

Dans un pays où la route et le rail ne sont pas seulement des infrastructures mais des symboles d’intégration territoriale, d’égalité d’accès et de projection économique, la trajectoire d’Abdelkader Djellaoui illustre une réalité : la politique se joue aussi, et parfois d’abord, dans la capacité à faire aboutir des ouvrages. Son histoire est celle d’un administrateur qui, après avoir gouverné des wilayas, doit désormais gouverner des délais. Et c’est là, probablement, que se décidera sa place durable dans le paysage algérien.

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