Il n’est pas issu du sérail diplomatique classique. Quand Olushegun Adjadi Bakari arrive au ministère béninois des Affaires étrangères, en juin 2023, une partie de l’opinion découvre un profil façonné par la banque, l’investissement et le conseil au sommet de l’État, davantage que par les chancelleries. Né à Pointe-Noire, au Congo, de parents béninois, il a grandi au Bénin avant de poursuivre des études supérieures en France. Il revendique aujourd’hui une diplomatie tournée vers le service aux citoyens et la recherche d’impact économique, en s’appuyant sur un concept qu’il a lui-même popularisé, la “diplomatie 4D”. Son parcours, de la finance européenne aux arcanes politiques ouest-africaines, éclaire aussi une période de fortes turbulences régionales, entre tensions au sein de la CEDEAO et crispations frontalières avec le Niger.
Un parcours biographique entre Afrique centrale, Bénin et formation en France
Les repères biographiques publiés par les institutions béninoises présentent Olushegun “Shegun” Adjadi Bakari comme un citoyen béninois né le 24 octobre 1979 à Pointe-Noire, au Congo. Sa naissance hors du territoire national s’inscrit dans une histoire familiale de mobilité, avant un retour au Bénin, où il effectue sa scolarité initiale.
Sa formation supérieure se fait en France. Plusieurs sources convergent sur un parcours académique orienté finance et économie, avec un passage par l’Université de Lille, et un diplôme de finance revendiqué du côté des réseaux d’anciens élèves, notamment via une communication de SKEMA Business School indiquant un Master of Science en finance (promotion 2005).
Ce double ancrage, béninois par la nationalité et l’enfance, européen par les études et le début de carrière, contribue à façonner une image de technocrate internationalisé. L’intéressé est d’ailleurs régulièrement présenté, y compris dans des portraits de presse économique, comme un profil à la fois “banquier” et “entrepreneur”, plus habitué aux montages financiers et au suivi de projets qu’aux codes protocolaires traditionnels.
De la banque et de l’investissement à l’entrée dans les cercles du pouvoir
Avant d’apparaître au premier plan politique au Bénin, Olushegun Adjadi Bakari construit l’essentiel de sa carrière dans le secteur financier. Des profils publics et des portraits de presse le décrivent comme ayant commencé en France dans la banque, puis s’étant progressivement tourné vers le financement de projets liés au continent africain, un mouvement souvent présenté comme le déclencheur d’un retour plus durable vers l’Afrique.
La biographie institutionnelle mise en ligne par le ministère béninois des Affaires étrangères insiste sur des responsabilités liées au financement, à la mobilisation de ressources, et à la construction de partenariats avec des acteurs publics et privés, y compris des institutions financières de développement et des institutions financières internationales. Le même texte met en avant une expérience de travail sur la dette souveraine et des plans de développement, signe d’un parcours au croisement de la finance et de la politique publique.
Son entrée dans les cercles du pouvoir en Afrique de l’Ouest est documentée par plusieurs sources : il rejoint d’abord l’appareil présidentiel au Togo, où il est présenté comme conseiller à la présidence entre 2016 et 2021. Cette séquence togolaise, mentionnée dans des notices biographiques et des articles de presse, intervient avant son retour au Bénin.
Au Bénin, il apparaît ensuite comme ministre-conseiller en charge des investissements auprès du président Patrice Talon, une fonction de l’ombre mais stratégique dans l’architecture du pouvoir exécutif, car connectée aux priorités de financement, d’attractivité et de développement. L’intéressé a lui-même décrit ce moment comme une demande directe du chef de l’État béninois, d’abord pour rejoindre l’équipe sur le volet investissements, puis pour prendre la tête des Affaires étrangères.
Juin 2023 : la nomination aux Affaires étrangères et le choix d’une “diplomatie 4D”
Le 6 juin 2023, Olushegun Adjadi Bakari est nommé ministre béninois des Affaires étrangères, en remplacement d’Aurélien Agbénonci. Cette date marque un basculement : un profil venu de la finance se retrouve en première ligne sur la scène régionale et internationale, à un moment où l’Afrique de l’Ouest est secouée par des crises politiques et sécuritaires.
Très vite, il donne un cadre à sa méthode. Il annonce son intention de déployer une “diplomatie 4D”, acronyme résumé comme Disponibilité, Diaspora, Digital et Développement. Les présentations institutionnelles comme les reprises médiatiques décrivent un objectif central : rendre l’appareil diplomatique plus accessible et plus utile, autant pour les citoyens béninois que pour l’action économique du pays.
Dans la déclinaison qui en est faite, la “disponibilité” renvoie à l’idée d’un ministère moins perçu comme une forteresse administrative et plus comme un service public. Le pilier “diaspora” vise à traiter les communautés béninoises à l’étranger comme des relais et des partenaires, et pas seulement comme des administrés à distance. Le “digital” s’inscrit dans une modernisation des outils, de la communication, de certains services consulaires et du suivi des priorités. Quant au “développement”, il met l’accent sur l’impact concret : attirer des investissements, ouvrir des débouchés, soutenir des projets et renforcer l’image du pays.
Cette orientation “économique” de la diplomatie est explicitement assumée dans des sources qui présentent le ministre comme voulant mobiliser le réseau diplomatique pour identifier et attirer des investisseurs, et plus largement contribuer au développement.
Le discours n’est pas qu’une posture : des échanges budgétaires cités par la presse béninoise relaient l’idée que des programmes et des moyens sont envisagés pour soutenir cette trajectoire, avec la diplomatie 4D comme boussole, notamment autour de la modernisation et du fonctionnement du réseau extérieur.
Une diplomatie en terrain instable : CEDEAO, crises régionales et frontière nigérienne
La période durant laquelle Olushegun Adjadi Bakari s’installe au Quai d’Orsay béninois n’a rien d’un long fleuve tranquille. En Afrique de l’Ouest, les débats sur la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) prennent une dimension presque existentielle, sur fond de coups d’État, de sanctions, de fractures politiques et de contestations sur la ligne à tenir.
Sur ce sujet, le ministre béninois s’est exprimé dans des médias internationaux, défendant l’idée que la CEDEAO devrait prioriser l’intégration économique, la lutte contre la pauvreté et le contre-terrorisme, plutôt que de s’enfermer dans des stratégies jugées inefficaces face aux crises politiques internes des États membres. Dans un entretien rapporté par le Financial Times, il appelle à une réforme et à un nouveau consensus sur la manière de traiter les crises, tout en martelant l’opposition aux coups d’État mais en critiquant des réponses qui ne produisent pas de retour durable à l’ordre constitutionnel.
Cette ligne, qui cherche à concilier fermeté de principe et pragmatisme d’efficacité, se déploie dans un climat régional tendu, où des pays annoncent leur sortie de l’organisation et où les frontières deviennent des points de crispation. Le cas du Niger illustre la difficulté : la fermeture et la contestation de la frontière, largement commentées dans la région, affectent directement des populations et des économies transfrontalières. Des comptes rendus d’entretien radiophonique au Bénin relaient que le ministre a insisté sur les souffrances des populations et sur l’aspiration à une réouverture, tout en répondant à des exigences politiques formulées côté nigérien, notamment au sujet des partenariats sécuritaires du Bénin.
Dans le même temps, Bakari incarne une diplomatie de contacts et de messages présidentiels dans la sous-région. Plusieurs articles rapportent des déplacements où il est présenté comme porteur de messages du président Patrice Talon auprès de chefs d’État, signe d’une fonction qui dépasse le protocole pour servir de canal politique direct. Des visites rapportées en Angola, par exemple, mentionnent une audience avec le président João Lourenço à Luanda, dans ce registre.
Le tableau régional inclut aussi la recherche de dialogue avec différents partenaires ouest-africains, y compris dans des moments où l’organisation régionale est sous tension. Des comptes rendus de rencontres, comme celles mentionnées avec le Mali en marge d’instances de l’UEMOA, montrent une diplomatie attentive aux équilibres et aux canaux de communication.
Visibilité internationale, relations bilatérales et mise en scène d’une diplomatie “d’impact”
Le style Bakari s’appuie enfin sur la visibilité internationale, non pas seulement comme image, mais comme outil de placement du Bénin dans des espaces économiques, politiques et institutionnels. Les traces publiques de cette stratégie se lisent à travers des participations à des forums et des rencontres bilatérales.
En novembre 2025, par exemple, la presse béninoise a rapporté sa participation à Salvador de Bahia, au Brésil, où il représentait le président béninois lors d’un forum intitulé “Notre Futur Brésil–France”. Ce type d’événement est cohérent avec une diplomatie qui veut travailler l’influence, les partenariats et la circulation d’opportunités.
Les relations avec la France, souvent sensibles dans la région, apparaissent également dans les agendas officiels et médiatiques. Des articles mentionnent, par exemple, une rencontre à Paris en juillet 2025 avec le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, signe d’un canal bilatéral entretenu au niveau ministériel.
Parallèlement, sa présence dans des cadres onusiens ou para-onusiens, comme une page de profil publiée dans le cadre de la Global Africa Business Initiative liée au réseau du Pacte mondial des Nations unies, contribue à sa présentation comme acteur d’une diplomatie branchée sur le développement, l’investissement et les coalitions internationales.
Reste une constante : l’empreinte de son passé de financier. Dans les portraits et les notices, il n’est pas décrit comme un diplomate formé par la carrière, mais comme un gestionnaire de dossiers, un architecte de partenariats et un responsable habitué aux logiques de rendement, de crédibilité et de résultats. À ce titre, sa “diplomatie 4D” peut être lue comme une tentative de traduire, dans le langage de la politique étrangère, des réflexes issus de la finance : clarification des priorités, mise en réseau, recherche d’impact mesurable, et communication sur une méthode.
Dans un contexte ouest-africain volatil, l’équation reste complexe : une diplomatie d’impact suppose du temps, de la stabilité et des relais, alors même que les crises politiques, sécuritaires et institutionnelles imposent des urgences. La trajectoire d’Olushegun Adjadi Bakari, jusqu’ici, tient précisément à cette tension : faire de la politique étrangère un instrument de développement, sans perdre de vue les fractures régionales qui peuvent, à tout moment, redessiner les marges de manœuvre.



