Il est des trajectoires politiques qui se lisent comme un résumé des secousses d’un pays. Celle de Rimtalba Jean Emmanuel Ouédraogo s’inscrit dans le Burkina Faso de la transition, où la communication publique s’est imposée comme un levier central du pouvoir. Longtemps connu comme journaliste et figure des médias publics, il a progressivement quitté les plateaux et les rédactions pour entrer au cœur de l’exécutif, jusqu’à accéder à la primature. Nommé Premier ministre le 7 décembre 2024, il incarne un profil technicien de l’information devenu homme d’État, dans un contexte national dominé par les enjeux de sécurité, de souveraineté et de gouvernance.
D’un Burkina de l’intérieur aux métiers de l’information
Rimtalba Jean Emmanuel Ouédraogo est né à Tenkodogo, dans l’est du Burkina Faso, en décembre 1980. Son nom de naissance, souvent rappelé dans les documents officiels et biographiques, est Rimtalba Jean Emmanuel Ouédraogo.
Avant d’être propulsé sur la scène gouvernementale, son identité publique s’est d’abord construite dans les métiers de l’information. Il est présenté comme journaliste et présentateur, un ancrage professionnel qui a façonné sa manière d’occuper l’espace public : précision du langage, sens du tempo médiatique, goût des formules maîtrisées et culture de l’image.
Son parcours de formation est généralement rattaché à l’Université Joseph-Ki-Zerbo, grande institution de Ouagadougou, et à l’ISTIC (Institut des sciences et techniques de l’information et de la communication), école de référence pour les métiers du journalisme et de la communication au Burkina Faso.
Ces éléments biographiques importent au-delà de la simple chronologie : ils éclairent l’ascension d’un profil dont la compétence première n’est pas issue des filières classiques de l’administration, des partis politiques ou de la diplomatie, mais d’un univers où l’opinion se travaille au quotidien, où le récit national se fabrique par l’antenne, et où la crédibilité dépend autant de la posture que du fond.
Les médias publics comme tremplin et comme école du pouvoir
Avant son entrée au gouvernement, Jean Emmanuel Ouédraogo est associé à des responsabilités au sein des médias publics burkinabè. Plusieurs portraits le décrivent comme ayant exercé des fonctions de direction et d’encadrement éditorial dans l’audiovisuel public, dans un pays où la télévision nationale demeure un vecteur majeur d’information, notamment hors des grandes villes.
Ce passage par la hiérarchie des médias d’État n’est pas anodin : il place un responsable éditorial à la jonction de deux mondes, celui de la production journalistique et celui de la parole institutionnelle. Dans ce type de structure, il faut arbitrer entre impératifs de service public, attentes des autorités, contraintes de diffusion et exigences d’antenne. L’expérience acquise dans cet univers prépare souvent à des fonctions de communication politique, car elle apprend à gérer les crises, à sécuriser les messages et à calibrer la parole officielle.
Dans le cas de Ouédraogo, ces compétences deviennent particulièrement visibles au moment où la transition burkinabè prend un tournant décisif en 2022. La période est marquée par une instabilité institutionnelle et un contexte sécuritaire tendu, dans lequel la mise en scène du pouvoir, la rapidité des annonces et le contrôle du calendrier médiatique jouent un rôle important.
Plusieurs récits médiatiques soulignent qu’il est identifié comme une figure ayant facilité la circulation de la parole officielle lors d’épisodes politiques majeurs, notamment en lien avec la communication autour des changements de gouvernement en 2022.
À cette étape, il ne s’agit pas encore d’une carrière politique au sens partisan du terme, mais d’une montée en responsabilité dans un secteur stratégique : l’information. Or, dans une transition, l’information n’est pas seulement un miroir des événements ; elle devient un terrain de souveraineté, un instrument de légitimation et un outil de mobilisation.
Ministre de la Communication : décisions symboliques et ligne gouvernementale
Le 25 octobre 2022, Jean Emmanuel Ouédraogo entre officiellement au gouvernement comme ministre de la Communication, de la Culture, des Arts et du Tourisme, avec rang de ministre d’État. Il occupe ce portefeuille sans discontinuer au fil des équipes gouvernementales constituées pendant la transition dirigée par le capitaine Ibrahim Traoré, arrivée au pouvoir en octobre 2022.
Dans l’architecture d’un pouvoir de transition, ce ministère dépasse largement l’organisation de la presse ou la promotion culturelle. Il touche à la gestion des messages officiels, à l’encadrement du paysage médiatique, à la diplomatie d’influence et à la bataille des récits, notamment face aux critiques internationales et aux débats internes sur la conduite de l’État.
À ce poste, Jean Emmanuel Ouédraogo est également porte-parole du gouvernement, une double casquette qui le place au centre des arbitrages entre action publique et mise en mots de cette action. Être porte-parole dans une période de tension revient à devenir, de fait, l’un des visages les plus exposés de l’exécutif : celui qui annonce, justifie, répond, recadre, et parfois se tait lorsque le pouvoir choisit le silence.
Certaines décisions prises pendant son passage à la Communication ont eu une forte portée symbolique. Des notices biographiques rappellent par exemple la suspension de Radio France internationale (RFI) au Burkina Faso en 2022, un épisode qui s’inscrit dans un rapport plus conflictuel entre l’État burkinabè et une partie des médias internationaux.
Au-delà de cet exemple, l’exercice de la Communication en transition se caractérise par une tension permanente : préserver une cohésion nationale, maintenir la confiance dans l’État, et gérer les effets d’annonce, tout en faisant face aux critiques portant sur le pluralisme médiatique et l’espace accordé aux voix discordantes. Plusieurs analyses de presse ont décrit une période de durcissement du climat médiatique, avec des mesures visant des organes de presse, et un débat public sous pression.
Sur le plan strictement politique, ces années au ministère ont consolidé son positionnement : celui d’un exécutant loyal et d’un technicien de la parole gouvernementale, jugé capable d’absorber les tempêtes médiatiques et d’assurer la continuité du discours officiel. C’est dans cette fonction, à la fois technique et éminemment politique, que se façonne l’image d’un homme de confiance du cercle présidentiel.
De porte-parole à Premier ministre : la nomination du 7 décembre 2024
Le 7 décembre 2024 marque un basculement : Rimtalba Jean Emmanuel Ouédraogo est nommé Premier ministre, chef du gouvernement du Burkina Faso. Il succède à Apollinaire Joachim Kyélem de Tambèla, qui occupait la primature depuis 2022. L’annonce est rendue publique par voie officielle, dans un format correspondant aux usages institutionnels de la transition.
Cette nomination intervient dans un contexte politique précis : la veille, le 6 décembre 2024, le gouvernement est dissous, puis un nouveau Premier ministre est désigné, avant la formation d’une nouvelle équipe gouvernementale dans la foulée. Les jours qui suivent voient la mise en place d’un gouvernement présenté comme répondant aux priorités de la transition.
Plusieurs lectures convergent sur un point : ce choix souligne l’importance accordée à la discipline communicationnelle au sommet de l’État. Là où certains Premiers ministres sont nommés pour leurs réseaux politiques, leurs compétences juridiques ou leur capacité à composer des majorités, Ouédraogo arrive à la tête du gouvernement avec une réputation forgée dans la maîtrise du message, l’organisation de la parole publique et la gestion des rapports de force médiatiques.
Dans le même mouvement, son profil permet au pouvoir de miser sur une continuité : il a été présent dans les équipes gouvernementales depuis octobre 2022, a accompagné les séquences clés de la transition, et a incarné, à la tribune et devant les caméras, la ligne officielle. Sa promotion à la primature apparaît ainsi comme la récompense d’une fidélité politique autant que la reconnaissance d’une efficacité opérationnelle.
Le 8 décembre 2024, sur proposition du Premier ministre, un gouvernement est nommé par décret, confirmant le rôle institutionnel central désormais occupé par Ouédraogo dans la structuration de l’action gouvernementale et l’animation de l’équipe ministérielle.
En un peu plus de deux ans, l’ancien journaliste est ainsi passé d’un rôle d’architecte du discours public à celui de chef d’orchestre de l’exécutif. Une ascension rapide, révélatrice d’un moment politique où la primature peut être confiée à un homme dont l’expertise première est la conduite du récit d’État, dans un pays où la bataille des perceptions accompagne la bataille du terrain.
Une primature sous contrainte : attentes, équilibres et défis
Devenir Premier ministre en transition, au Burkina Faso, signifie exercer un pouvoir sous fortes contraintes. La période est marquée par des défis sécuritaires persistants et des attentes sociales élevées, tandis que l’exécutif cherche à affirmer une souveraineté politique et une cohérence d’action. Dans ce cadre, la mission du chef du gouvernement est à la fois administrative, politique et symbolique.
Le premier enjeu est celui de la coordination gouvernementale. Le Premier ministre doit transformer des orientations présidentielles en politiques publiques, articuler les ministères, arbitrer des priorités, suivre l’exécution, et rendre des comptes, au moins politiquement, sur des résultats attendus. La nomination rapide d’une équipe gouvernementale après sa désignation souligne cette nécessité de continuité et de rythme.
Le deuxième enjeu est celui de la communication de l’action publique, précisément le domaine où Ouédraogo est le plus attendu. Son passé de ministre de la Communication et de porte-parole crée une promesse implicite : celle d’un gouvernement plus cadré, plus homogène, plus lisible. Dans une transition, la parole officielle ne sert pas seulement à informer ; elle sert à stabiliser, à convaincre, à mobiliser et à contenir les rumeurs. Mais cette même centralité de la communication expose aussi à la critique : plus le message est contrôlé, plus il est soupçonné d’être verrouillé, et plus le pouvoir est interrogé sur l’espace laissé au débat public.
Le troisième enjeu relève de l’équilibre institutionnel. Dans un régime de transition, la primature peut être perçue soit comme un centre de décision autonome, soit comme un relais discipliné de la présidence. La trajectoire d’Ouédraogo, proche du noyau décisionnel décrit par plusieurs observateurs, alimente l’idée d’une primature alignée sur la stratégie présidentielle, avec pour tâche de renforcer la cohérence du pouvoir plutôt que de jouer un rôle d’intermédiation politique.
Enfin, il y a l’enjeu de l’image, au sens le plus concret. Le Premier ministre est un visage. Or, l’ancien journaliste connaît la grammaire de l’image publique : cadrage, symboles, choix des mots, séquences télévisées. Sa montée au sommet interroge donc sur le style de gouvernement : fera-t-il de la rigueur de la communication un outil au service d’une action plus efficace, ou l’action sera-t-elle jugée à l’aune d’un récit plus maîtrisé que transformateur ? La réponse se mesure moins aux déclarations qu’aux décisions, aux arbitrages budgétaires, aux priorités affichées et aux résultats observés.
À ce stade, un constat s’impose : Rimtalba Jean Emmanuel Ouédraogo n’est pas un Premier ministre issu d’une longue carrière partisane, mais un produit d’une époque politique où l’accès à la décision passe aussi par la maîtrise des instruments d’influence interne. De Tenkodogo aux sommets de l’État, son itinéraire raconte la porosité croissante entre information et pouvoir, et la manière dont, au Burkina Faso, la primature peut aujourd’hui être confiée à un homme dont le premier métier fut d’organiser la parole.



