Au Burkina Faso, certains parcours résument à eux seuls une période politique. Émile Zerbo appartient à cette catégorie : venu de la magistrature, spécialisé dans des dossiers sensibles liés au terrorisme et à la criminalité organisée, il est appelé au gouvernement en 2023, au cœur d’une transition marquée par la crise sécuritaire et la recherche d’un nouveau maillage administratif. Son nom s’impose depuis comme celui d’un ministre placé au carrefour de l’autorité de l’État, de l’organisation du territoire et des équilibres institutionnels. Derrière la figure publique, il y a un itinéraire de juriste, une ascension dans l’appareil judiciaire, puis une entrée dans l’exécutif où la question territoriale se confond avec des enjeux de souveraineté, de proximité administrative et de cohésion nationale.
D’un parcours judiciaire à l’entrée au gouvernement : une trajectoire d’appareil
Émile Zerbo est présenté comme un magistrat burkinabè né en 1977, formé au droit et passé par l’Université de Ouagadougou ainsi que par l’École nationale d’administration et de magistrature (ENAM). Cette formation, d’abord académique puis professionnalisante, marque l’ancrage d’un profil plus technicien que partisan : un juriste, rompu aux procédures, habitué aux dossiers complexes et aux exigences de l’instruction.
Sa carrière s’inscrit ensuite dans une progression régulière à l’intérieur de l’institution judiciaire. Il est nommé substitut du procureur près le tribunal de grande instance de Bobo-Dioulasso en 2005, devient juge d’instruction quelques années plus tard, puis accède à des responsabilités de coordination comme doyen des juges d’instruction. L’expérience se poursuit à Ouagadougou, où il est associé à des missions liées au pôle antiterroriste et, à partir de 2021, à des fonctions de procureur du Faso près le tribunal de grande instance de Ouaga II, en lien avec la répression des actes de terrorisme.
Ce passage par le judiciaire n’est pas seulement une ligne de CV : il éclaire le type d’autorité qu’il incarne ensuite au gouvernement. Les éléments publics de sa biographie insistent sur des spécialisations en lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, en saisie et confiscation d’avoirs criminels, en criminalité internationale, et en cybercriminalité, ainsi que sur des missions de formation. Tout cela dessine un profil de praticien des dossiers de sécurité au sens large, même lorsqu’il ne porte plus officiellement le portefeuille de la sécurité.
C’est dans ce contexte qu’intervient sa nomination au gouvernement. Le 25 juin 2023, Émile Zerbo est nommé ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et de la Sécurité. La cérémonie d’installation a lieu le 27 juin 2023 à Ouagadougou, dans une passation entre lui et son prédécesseur. Cet aller-retour entre décret de nomination et installation officielle révèle la solennité de la fonction, mais aussi l’urgence politique : le ministère qu’il reçoit concentre des leviers concrets sur l’administration, les collectivités, et la coordination territoriale.
Un ministère au cœur de la transition : administration territoriale, décentralisation, sécurité
Dans l’architecture institutionnelle burkinabè, l’administration territoriale est une pièce maîtresse : c’est le ministère qui supervise le rapport quotidien entre l’État central et le terrain. En 2023, la dénomination du portefeuille confié à Émile Zerbo inclut la décentralisation et la sécurité, signe d’un élargissement qui dépasse la gestion administrative classique. Son ministère se retrouve alors à la croisée de plusieurs fronts : réorganisation des services, coordination avec les autorités locales, gestion des situations de crise, et articulation avec l’appareil sécuritaire.
Les premiers messages publics associés à sa prise de fonction mettent en avant une posture de continuité institutionnelle et d’appel à la mobilisation. Lors de sa passation, il exprime l’idée d’apporter sa contribution à l’édification d’un pays libre, digne et prospère, tout en soulignant l’ampleur des défis. Ce registre n’est pas anodin : il situe l’action ministérielle dans une narration nationale, où la stabilité et l’autorité administrative sont perçues comme des conditions de survie de l’État et de protection des populations.
La séquence politique burkinabè de ces années oblige en effet à penser l’administration territoriale comme un outil de résilience. Les textes publics et comptes rendus institutionnels rattachent l’action du ministère à la capacité de l’État à délivrer des services, à gérer les mouvements de population, et à soutenir la communication rapide entre régions. Dans ce schéma, le territoire n’est pas qu’une carte : c’est un espace à gouverner en situation de tension, où la présence administrative, la nomination des relais, l’organisation des services et la coordination des acteurs deviennent des actes politiques à part entière.
L’itinéraire d’Émile Zerbo renforce cette lecture : il n’arrive pas à ce poste comme un pur spécialiste des collectivités, mais comme un magistrat familier des affaires de terrorisme. La logique est alors celle d’un État qui mobilise des profils judiciaires et sécuritaires pour tenir la continuité administrative, gérer l’ordre public et maintenir des chaînes de décision. C’est aussi le sens de certaines présentations officielles qui insistent sur son expérience antérieure dans le traitement de dossiers de terrorisme et la direction d’actions de police judiciaire.
2024 : la bascule vers la “mobilité” et la recomposition des priorités
Une étape importante survient en 2024. Le 3 août 2024, à l’occasion d’un remaniement, le domaine de la sécurité est retiré de l’intitulé de son ministère, au profit de celui de la mobilité. Cette évolution, qui peut sembler technique, indique en réalité un réagencement gouvernemental : les compétences évoluent, mais le ministre demeure à la tête d’un département structurant, dont les décisions touchent la circulation des personnes, l’organisation des services, et le contrôle administratif du territoire.
Les documents institutionnels qui détaillent sa biographie publique à la tête du ministère confirment cette chronologie : il est présenté comme ministre de l’Administration territoriale et de la Mobilité, et il est explicitement mentionné qu’il a occupé jusqu’au 1er août 2024 la version précédente du portefeuille incluant la sécurité. Ce glissement lexical n’efface pas l’arrière-plan sécuritaire, mais il réoriente l’affichage vers des enjeux d’organisation et de gestion des flux, ce qui, dans un pays confronté à des déplacements internes et à des contraintes d’accès, a une dimension politique directe.
La fin de l’année 2024 ajoute une nouvelle couche : en décembre, le gouvernement dirigé par Apollinaire Joachim Kyélem de Tambèla est dissous, un nouveau Premier ministre est nommé, et une nouvelle équipe est formée. Dans cette recomposition, Émile Zerbo conserve son poste et se voit attribuer le rang de ministre d’État, ministre de l’Administration territoriale et de la Mobilité, ce qui le place parmi les figures de premier plan de l’exécutif.
La liste de ce gouvernement, diffusée dans des documents publics, mentionne explicitement Émile Zerbo comme ministre d’État à l’Administration territoriale et à la Mobilité. Cette promotion ne dit pas tout des arbitrages internes, mais elle signale au moins une stabilité : dans un moment de changement de Premier ministre et de recomposition, l’exécutif choisit de maintenir à ce poste un profil déjà en place et de le rehausser dans la hiérarchie.
La réforme territoriale : nouvelles régions, défense stratégique et administration de proximité
La séquence la plus emblématique de son action récente est liée à la réorganisation du territoire. En 2025, des communications publiques et des interventions face aux médias présentent une nouvelle configuration administrative : le Burkina Faso passe à 17 régions, 47 provinces et 350 départements. Les objectifs affichés associent plusieurs logiques : renforcer le maillage administratif, rapprocher l’administration des administrés, réduire des inégalités régionales, et permettre une réponse plus rapide de l’État.
Dans ces explications, un élément revient avec insistance : la réforme serait fondée sur un critère de défense stratégique du territoire. L’argument est que la crise sécuritaire a révélé les limites d’un ancien découpage conçu selon des considérations politiques ou économiques, et qu’il fallait adapter l’organisation territoriale aux défis du moment. Cette lecture place l’administration territoriale dans un rapport direct à la sécurité nationale, même après la sortie officielle du mot “sécurité” de l’intitulé du ministère.
Le discours met aussi en avant une dimension socioculturelle : la critique d’anciennes dénominations jugées insuffisamment ancrées dans les réalités socioculturelles et linguistiques du pays, et l’idée d’un territoire mieux approprié par les populations. Là encore, la réforme n’est pas présentée comme une simple opération de cartographie : elle est décrite comme un acte de gouvernement visant à renforcer la cohésion sociale tout en améliorant l’efficacité administrative.
Ces annonces s’inscrivent dans un moment où l’État cherche à démontrer sa capacité à reprendre l’initiative. En rendant la réforme lisible publiquement, en la justifiant par des impératifs de sécurité et de service public, le ministère se pose en centre de gravité d’une politique de réorganisation, avec une ambition de long terme. Mais ce long terme s’accompagne aussi d’une contrainte : la réforme territoriale suppose une mise en œuvre effective, des moyens, des nominations, des infrastructures, et la capacité à faire vivre administrativement de nouvelles entités. Les textes disponibles insistent davantage sur les objectifs et la justification que sur les résultats déjà mesurables, ce qui est fréquent pour des réformes structurelles.
Un ministre de la discipline administrative : bilans, objectifs et mise en scène de l’État
Émile Zerbo apparaît enfin comme un ministre qui investit les codes de la discipline administrative et de la mobilisation civique. Plusieurs communications institutionnelles le montrent présidant des cérémonies de montée des couleurs et appelant les agents de son département à incarner l’État au quotidien, avec un vocabulaire centré sur le civisme, le patriotisme, la responsabilité et la discipline. Ce type de séquence, très ritualisé, vise à rappeler la continuité de l’État et la nécessité d’un appareil administratif cohérent, surtout dans un contexte où les institutions sont sollicitées sur tous les fronts.
Sur le plan de l’évaluation, des chiffres circulent dans la presse burkinabè à propos de bilans d’activité et de contrats d’objectifs. Pour l’année 2023, il est notamment fait état d’un taux de réalisations de 87,67 % au bilan présenté. Par ailleurs, une évaluation à mi-parcours d’un contrat d’objectifs mentionne un taux global d’exécution de 47,68 %, avec des variations selon les objectifs. Ces indicateurs, tels qu’ils sont rapportés, servent à objectiver l’action publique et à inscrire l’activité du ministère dans une logique de pilotage par résultats.
Au-delà des pourcentages, c’est la manière de raconter l’action publique qui importe. Dans les prises de parole rapportées, il est question de mobilisation des équipes, d’ouverture aux acteurs, d’efficacité administrative et de cohésion. En parallèle, les thèmes récurrents du vivre-ensemble, de l’engagement citoyen et du dialogue communautaire reviennent dans plusieurs événements où il est présent, ce qui reflète une stratégie de présence sur le terrain et de construction d’un récit d’unité nationale.
À ce stade, répondre à la question “qui est Émile Zerbo ?” revient donc à superposer plusieurs portraits : celui d’un magistrat spécialisé, celui d’un ministre arrivé en 2023 à un poste régalien et administratif, celui d’un responsable resté en place lors des recompositions de 2024, et celui d’un ministre d’État qui porte une réforme territoriale majeure et une vision de l’administration adossée à la défense du territoire et à la proximité des services publics. C’est aussi, plus largement, l’image d’un homme de l’appareil, dont le poids politique se lit moins dans l’appartenance partisane que dans la centralité institutionnelle du portefeuille qu’il dirige et dans la continuité que l’exécutif lui accorde au fil des remaniements.



