Qui est Jacques Sosthène Dingara, l’homme politique ?

Dans les périodes de transition, les projecteurs se braquent souvent sur les figures militaires ou partisanes, celles qui incarnent la rupture, la parole martiale ou la promesse d’un ordre nouveau. Mais l’histoire des gouvernements se joue aussi dans l’ombre, là où se préparent les arbitrages, se rédigent les textes, se tracent les feuilles de route et s’exécutent, parfois au millimètre, les décisions du pouvoir. Jacques Sosthène Dingara appartient à cette catégorie de responsables dont la trajectoire raconte un autre versant de la politique : celui des hauts fonctionnaires, des réformateurs administratifs, des artisans de procédures et d’outils, propulsés à des fonctions de premier plan quand l’État cherche des profils capables de tenir la machine.

Au Burkina Faso, son nom s’impose progressivement à partir de la transition ouverte en 2022, lorsqu’il est nommé Secrétaire général du Gouvernement et du Conseil des ministres. Une position centrale, à la fois discrète et décisive, qui le place au cœur de la fabrication de l’action publique. Quelques mois plus tard, il devient ministre en charge de l’éducation, avant d’être reconduit dans un portefeuille désormais intitulé ministère de l’Enseignement de base, de l’Alphabétisation et de la Promotion des langues nationales. Son parcours, souvent décrit comme celui d’un technocrate rompu aux réformes, éclaire la manière dont une compétence administrative peut se muer en rôle politique, surtout dans un contexte de tensions sécuritaires, de contraintes budgétaires et d’attentes sociales massives autour de l’école.

D’un haut fonctionnaire à une figure du gouvernement

Les éléments disponibles sur la formation et la carrière de Jacques Sosthène Dingara dessinent d’abord le profil d’un homme de l’administration avant d’être un homme de tribune. Il est présenté comme administrateur des services financiers de formation, avec un ancrage dans l’appareil public burkinabè, et une trajectoire construite au fil des structures de l’État. Il est également indiqué qu’il a fait ses armes à la faculté d’Économie de l’Université de Ouagadougou, un détail qui situe son socle académique et explique, en partie, l’orientation technico-économique de son parcours.

Dans le récit institutionnel qui accompagne son arrivée à la tête du ministère en charge de l’éducation fin 2023, Jacques Sosthène Dingara est décrit comme un cadre forgé au ministère chargé de la fonction publique et des réformes de l’État, puis passé par le ministère en charge de l’économie, des finances et du développement. Il y est notamment mentionné comme ayant occupé une fonction de conseiller technique auprès du Directeur général de l’Économie et de la Planification. Ce type de poste, souvent charnière, place un responsable au contact direct des arbitrages, de la programmation et des instruments de pilotage de politiques publiques.

Son entrée dans le cercle gouvernemental se matérialise ensuite par une nomination à un poste névralgique : Secrétaire général du Gouvernement et du Conseil des ministres. Un décret daté du 25 octobre 2022 indique explicitement cette nomination. Cette date n’est pas un simple repère biographique : elle correspond à un moment où les transitions politiques s’accompagnent généralement d’une réorganisation des circuits décisionnels, et où l’on cherche des profils capables d’assurer continuité, coordination et production normative.

L’année 2023 marque un autre basculement : Jacques Sosthène Dingara est nommé ministre en charge de l’éducation nationale, de l’alphabétisation et de la promotion des langues nationales, à la faveur d’un remaniement intervenu le 17 décembre 2023. La passation de charges et l’installation dans ses fonctions sont rapportées comme s’étant déroulées dans les jours suivants, à la suite de sa nomination, avec remplacement de son prédécesseur.

Enfin, la séquence se prolonge : il est indiqué qu’il est reconduit en décembre 2024 dans un portefeuille intitulé ministère de l’Enseignement de base, de l’Alphabétisation et de la Promotion des langues nationales. La reconduction, telle qu’elle est présentée, confirme la place durable qu’il occupe désormais au sein de l’exécutif et signale que son rôle ne se limite pas à une transition de courte durée.

La modernisation administrative comme fil rouge

Si l’on devait retenir un thème constant dans la présentation de Jacques Sosthène Dingara, ce serait celui de la réforme administrative. Les textes qui retracent son itinéraire insistent sur son engagement dans la modernisation de l’administration publique burkinabè, dans la planification, le renforcement de la gouvernance et la promotion de la bonne gouvernance. On parle d’un responsable « artisan » de la modernisation, un vocabulaire qui suggère un travail de fond, technique, souvent moins visible que les annonces politiques.

Parmi les chantiers cités figure un dossier particulièrement sensible dans de nombreux États : l’identification biométrique des agents de la fonction publique. Il est présenté comme ayant présidé la commission nationale chargée de l’opération d’identification biométrique des agents publics. Dans la même veine, il est fait mention d’opérations de recensement géographique des agents de la fonction publique, ainsi que de l’authentification des diplômes des agents publics, présentées comme menées sous sa conduite. Ces sujets renvoient à des problématiques concrètes de maîtrise des effectifs, de fiabilisation des fichiers et de crédibilité du recrutement, autant de terrains où la réforme administrative rencontre directement l’opinion.

Un autre marqueur de ce parcours est sa participation à la production de documents structurants. Il est présenté comme un acteur central de l’écriture du Premier Livre blanc de la fonction publique burkinabè (édition 2008) et de la première édition de l’annuaire statistique de la fonction publique du Burkina Faso. Sans entrer dans l’évaluation de ces documents, leur mention signale une familiarité avec l’outillage administratif : collecter des données, produire des référentiels, rendre l’État lisible et mesurable.

Les textes évoquent également des instruments stratégiques : le Plan stratégique décennal de modernisation de l’administration (PSDMA) 2011-2020, et la Stratégie nationale de promotion de bonne gouvernance (SNPG) 2018-2027, ainsi que son premier plan d’actions 2018-2020. Leur simple évocation dans le récit biographique n’est pas anodine : elle place Jacques Sosthène Dingara dans la chaîne des responsables associés à la conception et au pilotage de grandes orientations, sur des horizons longs, ce qui correspond à une culture de planification et de continuité plutôt qu’à une logique d’annonce ponctuelle.

Dans un contexte où la confiance dans l’administration se construit aussi par la transparence et la traçabilité, l’association de son nom à des projets d’identification, de contrôle et de production statistique contribue à le définir comme un homme de procédures. Ce positionnement peut devenir politique : en période de transition, l’efficacité administrative et la promesse d’un État « qui fonctionne » deviennent des ressources de légitimité, surtout lorsque les urgences sécuritaires et sociales saturent l’agenda public.

Au Secrétariat général du gouvernement, l’envers du pouvoir

Le poste de Secrétaire général du Gouvernement et du Conseil des ministres est souvent méconnu du grand public, alors qu’il constitue, dans de nombreux régimes, une pièce maîtresse de la mécanique étatique. Un décret daté du 25 octobre 2022 nomme Jacques Sosthène Dingara à cette fonction, ce qui le place au centre de la coordination gouvernementale : préparation des conseils, suivi des décisions, sécurisation des procédures, circulation des dossiers.

Les réalisations mises en avant durant cette période mettent l’accent sur la numérisation et la dématérialisation. Il est ainsi indiqué qu’avec la ministre en charge de la transition digitale, il a contribué à l’opérationnalisation d’une plateforme permettant la tenue du Conseil des ministres « sans papier ». L’idée est simple dans son principe, mais lourde dans sa mise en œuvre : transformer des habitudes de travail, sécuriser des documents, gérer des circuits de validation, introduire des outils numériques dans un espace souvent très normé.

D’autres éléments sont mentionnés : la mise en ligne du journal officiel du Faso, la réhabilitation d’un service juridique en ligne, la création d’une plateforme de suivi des dossiers du Conseil des ministres, le développement d’une application de gestion et de suivi des nominations, ainsi qu’une plateforme pour la gestion des ordres de mission à l’extérieur. Autant d’outils qui, s’ils sont effectivement déployés, traduisent une volonté de structurer l’État par le numérique et par des dispositifs de suivi. Cette approche s’inscrit dans une logique de modernisation administrative, cohérente avec le fil rouge présenté dans son parcours.

Cette étape au Secrétariat général du gouvernement a aussi une dimension politique implicite. Dans une transition, la parole institutionnelle sur les remaniements, les décrets et les décisions publiques est un acte de pouvoir. Le fait que Jacques Sosthène Dingara ait été, à certaines occasions, celui qui donne lecture de décrets à la télévision publique illustre ce rôle : il se situe alors à l’interface entre la décision et sa mise en récit officielle.

Puis, fin 2023, il quitte ce poste pour rejoindre un ministère directement exposé : l’éducation. Le récit institutionnel présente cette transition comme une passerelle de « mérite » et de « confiance » vers un secteur où les défis sont massifs. Dans la logique d’un État en tension, il s’agit aussi d’un test : passer de la coordination administrative à la gestion d’un domaine où la société attend des résultats visibles, immédiats, et où l’actualité se mesure en classes ouvertes, en examens organisés, en enseignants affectés.

À l’éducation, gouverner un secteur sous pression

Le ministère confié à Jacques Sosthène Dingara en décembre 2023 est décrit comme l’un des plus lourds de l’appareil public, notamment en raison de son poids dans les effectifs de la fonction publique. Cette réalité rappelle que l’éducation n’est pas seulement une politique publique : c’est aussi une administration gigantesque, avec ses personnels, ses finances, ses infrastructures, ses syndicats et ses crises.

Le contexte rappelé dans les déclarations publiques autour de son action insiste sur des contraintes majeures : un environnement sécuritaire difficile et des restrictions budgétaires associées, appelant à davantage de sacrifices et de responsabilité. Dans ce cadre, la gouvernance de l’école devient un exercice d’équilibre : maintenir la continuité éducative, préserver l’accès à l’enseignement, tout en arbitrant dans un paysage de ressources limitées.

Les priorités présentées autour de son arrivée au ministère mettent en avant plusieurs axes : la bonne gouvernance et la planification du secteur, la continuité éducative au bénéfice des élèves déplacés internes, la gestion des implications liées à l’officialisation des langues nationales, la réussite de la réforme curriculaire, et le maintien d’un dialogue social constructif. Ce catalogue d’enjeux montre l’ampleur du dossier : il ne s’agit pas seulement d’ouvrir des écoles, mais de piloter des transformations de fond, au moment même où le pays doit composer avec l’urgence.

Sur le terrain, certaines thématiques sont régulièrement associées à son action, notamment l’alimentation scolaire. Des prises de parole soulignent l’importance des cantines et de l’amélioration des repas scolaires, présentées comme un levier du rendement scolaire, avec une orientation vers des cantines dites endogènes. Dans un pays où l’école peut aussi être un lieu de protection sociale, l’alimentation devient une politique éducative à part entière, et un symbole concret de l’engagement de l’État auprès des familles.

D’autres orientations évoquées dans l’espace public portent sur des éléments de contenu et de pratiques : la reprise de l’instruction civique, le port de tenues valorisant des tissus locaux à l’école, l’initiation précoce à l’anglais et aux technologies de l’information et de la communication, ou encore la promotion de jardins et champs scolaires. Ces propositions, citées comme faisant partie d’un ensemble de mesures, indiquent une volonté d’agir à la fois sur les apprentissages, les valeurs, et les conditions matérielles d’une école jugée stratégique pour la cohésion nationale.

En août 2025, une évaluation à mi-parcours d’un contrat d’objectifs le concernant est rapportée, avec un taux d’exécution indiqué à 62,15 %. Ce type d’évaluation, menée au niveau gouvernemental, montre que l’action ministérielle est désormais encadrée par des dispositifs de suivi et des indicateurs, en cohérence avec la culture de pilotage que son parcours met en avant.

Enfin, sa reconduction en décembre 2024, dans un ministère renommé autour de l’enseignement de base, confirme que l’exécutif le maintient dans un secteur où les résultats sont scrutés, et où la stabilité du pilotage peut être recherchée comme un facteur de continuité au cœur de la transition.

Un profil technocratique devenu politique

La question « qui est Jacques Sosthène Dingara ? » ne se résume pas à l’énumération de ses postes. Elle renvoie à un phénomène plus large : la transformation d’un haut fonctionnaire en figure politique, non pas au sens partisan classique, mais au sens où l’exercice du pouvoir, même par la technique, engage des choix, des priorités, et une responsabilité publique.

Son parcours tel qu’il est présenté est celui d’un spécialiste de la réforme, habitué aux dossiers structurants, aux plateformes, aux plans décennaux, aux annuaires et aux dispositifs de contrôle. Ce socle technique peut devenir une force politique dans une transition : il incarne la promesse d’un État rationalisé, capable de produire des décisions, de les suivre et de les faire exécuter.

Mais cette identité technocratique l’expose aussi à un risque classique : celui d’être jugé sur des résultats que la technique ne suffit pas toujours à garantir. L’éducation, particulièrement, est un domaine où l’on attend des effets visibles, et où la réussite dépend de variables multiples : sécurité, ressources, mobilisation des communautés éducatives, acceptabilité sociale des réformes, et capacité à maintenir la confiance. Les défis cités autour de son arrivée au ministère – élèves déplacés internes, réforme curriculaire, langues nationales, dialogue social – témoignent d’un secteur où le pilotage est autant politique qu’administratif.

La trajectoire de Jacques Sosthène Dingara illustre enfin une logique fréquente dans les périodes de recomposition institutionnelle : le pouvoir s’appuie sur des profils qui connaissent l’État de l’intérieur, capables d’articuler le droit, la procédure, le suivi et la communication officielle. De la lecture de décrets à la mise en place d’outils numériques de coordination, jusqu’à la gestion d’un ministère de masse comme l’enseignement de base, sa carrière publique apparaît comme celle d’un homme placé là où la décision doit se transformer en action, et où l’action doit se mesurer.

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