À Bujumbura, son nom circule désormais dans les cercles de pouvoir comme un marqueur de bascule institutionnelle. Marie Chantal Nijimbere, née en 1983 dans la province de Cankuzo, est devenue en quelques années l’un des visages les plus identifiables de l’exécutif burundais. Son parcours attire l’attention pour deux raisons principales : la rapidité de sa progression ministérielle, et la portée symbolique de sa nomination à un poste longtemps réservé aux profils militaires. Ce mouvement ne se résume pas à une trajectoire individuelle : il raconte aussi une manière de gouverner, faite de remaniements, de priorités économiques difficiles à tenir, de communication politique sous contrainte et d’arbitrages sécuritaires.
La carrière de Marie Chantal Nijimbere s’inscrit dans une séquence précise : d’abord la communication et les médias à partir de juin 2020, ensuite un passage par un vaste portefeuille économique et logistique, avant d’être appelée, à l’été 2025, à diriger le ministère de la Défense nationale et des anciens combattants. Chaque étape la place au cœur de tensions structurelles : la gestion de l’information publique, la régulation des marchés et des prix, la stratégie de relance économique, puis l’architecture du commandement et la gouvernance d’un secteur réputé opaque.
Ce qui se dessine, au fil des annonces officielles et des épisodes parlementaires, c’est une figure de l’appareil d’État que l’on a installée successivement à des carrefours sensibles. Pour ses soutiens, elle incarne l’élargissement des profils au sein du gouvernement et une ouverture à des compétences issues de la société civile. Pour ses détracteurs, son passage d’un portefeuille à l’autre souligne plutôt l’instabilité des priorités et l’usage politique des symboles dans un paysage partisan dominé par des équilibres internes.
Une identité politique née à Cankuzo, façonnée par la formation et l’administration
Les rares éléments publics et stables sur sa biographie convergent : Marie Chantal Nijimbere est née en 1983 à Cankuzo, dans l’Est du Burundi. Elle est décrite comme mariée, et sa formation universitaire est rattachée à deux institutions, avec un ancrage assumé dans l’économie et la gestion : une licence obtenue à l’Université du Burundi en 2010, puis un master en administration des affaires à Mount Kenya University, avec une spécialisation orientée finance et comptabilité.
Ces éléments peuvent paraître classiques, mais ils prennent une signification particulière dans un environnement politique où les trajectoires gouvernementales sont souvent liées soit à un parcours partisan long, soit à des carrières issues des forces de défense et de sécurité, soit encore à une technocratie formée dans les administrations centrales. Dans son cas, la dimension « gestion-finance » revient comme une ligne directrice : elle est mise en avant dans sa présentation publique et sert de justification implicite à sa présence dans des ministères qui touchent à la régulation, aux flux et aux infrastructures.
Le fait qu’elle soit originaire de Cankuzo n’est pas neutre non plus dans le récit politique burundais : la province est citée à plusieurs reprises dans l’actualité politique récente, notamment lors de réunions de cadres et d’initiatives partisanes locales. Ce détail biographique, souvent relégué au second plan, redevient visible quand le pouvoir se recompose et que les réseaux territoriaux comptent dans la consolidation des soutiens.
Derrière les dates et les diplômes, se dessine donc une figure qui s’est construite sur la crédibilité administrative : parler budgets, procédures, efficacité de l’État. Mais cette grammaire de gestion, en politique, se heurte vite à une réalité : le Burundi, comme beaucoup d’États de la région, gouverne sous contrainte économique, sous pression sociale et avec des attentes de résultats très rapides. Les portefeuilles qui lui ont été confiés montrent que l’exécutif attend d’elle des réponses « de système », plus que des annonces isolées.
Dix ans dans la société civile : l’école des scouts et la logique de gestion
Avant d’apparaître au premier plan gouvernemental, Marie Chantal Nijimbere est présentée comme ayant passé environ une décennie dans le secteur de la société civile, au sein de l’Association des scouts et guides du Burundi. Les descriptions disponibles insistent sur la gestion des finances et de la comptabilité, l’organisation d’événements et l’encadrement de la jeunesse. Cette expérience est détaillée avec des responsabilités liées à des activités de scoutisme à l’échelle africaine, ainsi qu’avec d’autres engagements associatifs et des projets.
Ce passage par une organisation de jeunesse est souvent lu, dans les récits politiques, comme une « école » de leadership. Ici, le point le plus constant n’est pas tant l’oratoire que la logistique : la capacité à piloter des budgets, à rendre des comptes, à faire fonctionner des équipes et à gérer des échéances. Ce type d’expérience, valorisée publiquement, sert aussi à construire une image de proximité avec les jeunes, un segment social central dans un pays où la démographie pèse sur toutes les politiques publiques.
Mais il serait réducteur de limiter cette période à un simple tremplin. Les compétences revendiquées à ce moment-là correspondent aux besoins d’un État en quête de rationalisation : contrôler des dépenses, structurer des projets, organiser des dispositifs, gérer des partenaires. On retrouve ces attentes, plus tard, dans les ministères qu’elle occupe : la communication, puis les dossiers économiques. Dans chacun de ces postes, la question n’est pas seulement politique, elle est opérationnelle : comment faire circuler une information, comment stabiliser un marché, comment relancer des secteurs, comment coordonner des administrations parfois fragmentées.
Cette trajectoire dit aussi quelque chose de l’évolution des profils ministériels : l’exécutif burundais, notamment depuis le début des années 2020, a mis en avant des figures présentées comme « nouvelles », parfois issues d’expériences non strictement partisanes. La logique affichée est double : renouveler, et professionnaliser. Dans la pratique, ce renouvellement se mesure aux résultats, et c’est là que le parcours de Marie Chantal Nijimbere devient exposé : chaque ministère laisse des traces, des critiques, des attentes non satisfaites, mais aussi des chantiers engagés et des dossiers transmis.
2020-2024 : la communication, les TIC et les médias comme poste d’observation du pouvoir
Le 28 juin 2020, Marie Chantal Nijimbere est nommée ministre en charge de la communication, des technologies de l’information et des médias. Cette nomination la propulse dans un secteur qui n’est pas seulement technique : au Burundi, la communication gouvernementale est un enjeu de souveraineté interne, de récit national, et de contrôle de l’agenda public.
Le poste est, par nature, un poste d’observation. Il met en contact permanent avec la présidence, les autres ministères, les administrations, mais aussi avec les acteurs médiatiques et les dynamiques de réputation à l’international. En occupant ce ministère, elle se retrouve au cœur de la fabrication de la parole officielle : communiqués, messages d’intérêt public, suivi des controverses, annonces de réformes. Même lorsque les dossiers relèvent d’autres portefeuilles, la communication intervient pour cadrer l’interprétation, expliquer les décisions, répondre aux tensions.
À cette période, la chronologie publique retient également que son passage à la communication se clôt, dans les présentations disponibles, autour de septembre 2024, avec un remplacement au portefeuille communication/médias. Ce basculement marque une première transition : elle sort du champ de la parole publique pour entrer davantage dans celui des flux économiques, des prix et de la régulation.
Ce déplacement peut être lu de deux manières. D’un côté, il peut traduire une confiance : après avoir géré un ministère exposé, l’exécutif la place sur un portefeuille plus lourd, où les attentes sociales sont immédiates. De l’autre, il peut aussi refléter une logique classique de remaniements : déplacer des responsables selon les besoins politiques du moment, redistribuer les cartes, ménager les équilibres.
Dans tous les cas, le ministère de la communication reste un chapitre déterminant : il lui donne une visibilité nationale, forge sa notoriété, et l’installe dans l’architecture gouvernementale. Et cette visibilité devient un atout mais aussi un risque : quand elle sera confrontée à la question des prix et à la colère sociale liée au coût de la vie, son nom ne sera plus celui d’une technicienne inconnue, mais celui d’une ministre identifiée.
Commerce, transport, industrie, tourisme : l’épreuve des prix et des politiques de relance
Après la séquence communication, Marie Chantal Nijimbere est associée à un portefeuille qui touche directement au quotidien des ménages : le commerce et, selon les configurations gouvernementales, le transport, l’industrie et le tourisme. Les épisodes publics de 2025 montrent qu’elle est clairement identifiée comme ministre du Commerce lors d’auditions et de débats sur la régulation des prix.
L’un des marqueurs les plus parlants de cette période est l’affaire de la stabilisation des prix. À la suite d’un ultimatum présidentiel adressé au ministère du Commerce, une commission est mise en place fin décembre 2024 pour proposer une politique de stabilisation. Or, au début mars 2025, lors d’une audition devant les députés, le constat public est celui d’un retard : l’absence de rapport final, l’impossibilité d’annoncer un calendrier précis, et une difficulté à produire des réponses jugées convaincantes.
Dans cet épisode, la ministre insiste sur une contrainte juridique et économique : les prix, explique-t-elle, ne peuvent être fixés sans étude approfondie, car ils obéissent à la concurrence et à la loi de l’offre et de la demande, avec des coûts de production, d’importation et de transport qui se répercutent sur les étiquettes. Elle défend l’idée d’une méthode : consultations, étude préliminaire, implication des parties prenantes. Mais cette méthode se heurte à l’impatience politique : quand le pouvoir annonce un ultimatum, l’attente est celle d’une action rapide, visible, mesurable.
À côté de l’urgence sociale, il y a la stratégie de relance. En janvier 2025, elle intervient dans le cadre d’un projet de loi sur les zones économiques spéciales, adopté début janvier. Elle explique alors que le texte s’inscrit dans une politique visant à stimuler l’investissement, promouvoir les exportations, réduire les importations et créer des emplois. Elle évoque la perspective d’une zone pilote opérationnelle d’ici cinq ans et le repérage de plusieurs sites à travers une étude en cours de finalisation.
Ce chapitre est révélateur de la tension centrale de son passage au commerce : d’un côté, la gestion du temps court (les prix, le pouvoir d’achat, la régulation immédiate) ; de l’autre, le temps long (réindustrialisation, attractivité, zones économiques, investissements). Le problème, pour tout ministre, est que le temps court dévore le temps long. Les débats publics le montrent : quand les prix flambent et que les ménages s’adaptent au jour le jour, les promesses à cinq ans deviennent difficiles à faire accepter.
À cette pression s’ajoute l’instabilité institutionnelle liée aux remaniements et à la réorganisation des portefeuilles. Le 6 août 2025, une cérémonie de remise et reprise officialise son départ du ministère du Commerce, du Transport, de l’Industrie et du Tourisme, au profit d’un ministère réorganisé confié à un successeur. Ce passage de témoin est aussi une manière de dire : les dossiers continuent, les structures changent, les priorités sont redéfinies.
Au bilan, cette période la place dans la zone la plus ingrate de l’action publique : celle où l’on promet des mécanismes de régulation et de relance, alors que les réalités du marché, des coûts et des circuits d’approvisionnement résistent. Elle y gagne une image d’administratrice capable d’argumenter et de cadrer, mais elle y laisse aussi une exposition directe aux critiques sur l’efficacité de l’État.
Août 2025 : la Défense, un symbole historique et un ministère aux lignes de pouvoir complexes
Le 5 août 2025, un remaniement ministériel réduit le nombre de ministères et recompose l’équipe gouvernementale autour d’un nouveau Premier ministre, nommé le même jour. Dans cette nouvelle architecture, Marie Chantal Nijimbere est nommée ministre de la Défense nationale et des anciens combattants. L’événement est présenté comme historique : pour la première fois dans l’histoire du Burundi, une femme prend la tête de ce ministère stratégique.
Le symbole est immédiat : dans une région où les ministères de la Défense restent souvent associés à des figures militaires, la nomination d’une civile, et de surcroît d’une femme, change l’image de la fonction. Mais le symbole ne dit pas tout du pouvoir réel. La Défense est un domaine où l’autorité ministérielle s’entrecroise avec d’autres centres de décision : l’état-major, les logiques de commandement, les priorités sécuritaires, et les arbitrages politiques. Les critiques publiques formulées autour de sa nomination insistent justement sur cette complexité : la portée du geste serait d’abord politique, et son effet sur la gouvernance militaire dépendrait de réformes plus profondes.
À ce stade, la question qui s’ouvre est moins celle de sa biographie que celle de ses marges de manœuvre. Une ministre de la Défense doit parler budget, équipement, conditions de vie des troupes, anciens combattants, organisation des forces, articulation avec la diplomatie et la sécurité intérieure. Or, les débats publics au Burundi montrent que ce ministère est aussi un lieu de non-dits : ce que l’on traite à huis clos, ce que l’on n’expose pas, ce qui se négocie entre institutions. Dans un tel environnement, la capacité d’un ministre à imprimer une ligne dépend souvent d’un équilibre entre confiance politique, maîtrise administrative et contrôle réel des leviers.
Quelques mois après le remaniement, son titre de ministre de la Défense est réaffirmé dans des listes officielles et dans des comptes rendus d’actualité politique. Elle apparaît notamment citée en tant que ministre de la Défense lors d’une réunion de cadres du parti au pouvoir autour des enjeux des élections de 2027 et des tensions internes sur la question du candidat. Cette présence, dans une actualité explicitement partisane, souligne que sa fonction ne la place pas en retrait de la politique : au contraire, elle la situe au cœur d’une période où les alignements internes comptent autant que les dossiers techniques.
Pour comprendre ce que cette nomination peut signifier, il faut revenir à la logique générale de sa trajectoire : l’exécutif l’a placée successivement là où l’État doit convaincre. Convaincre que la parole publique est maîtrisée (communication), convaincre que l’économie peut être régulée et relancée (commerce, zones économiques, stabilisation), convaincre enfin que l’État peut moderniser son image sécuritaire tout en gardant ses équilibres (Défense). Ce fil conducteur ne garantit pas le succès, mais il éclaire la cohérence d’ensemble : Marie Chantal Nijimbere est utilisée comme une figure de transition, à la fois technicienne et politique, symbole et gestionnaire.
Reste l’essentiel, et c’est là que le journalisme revient au réel : un ministère de la Défense ne se juge pas aux annonces, mais aux effets. À court terme, sa nomination marque une rupture de représentation. À moyen terme, elle devra composer avec des rapports de force internes, des attentes sociales envers les anciens combattants et une scène régionale où les questions de sécurité dépassent toujours les frontières administratives. À long terme, son parcours dira si cette ascension est celle d’une personnalité appelée à durer, ou celle d’une figure de conjoncture, propulsée aux points chauds d’un État qui cherche, remaniement après remaniement, la bonne formule.



