Dans les couloirs du pouvoir burundais, les trajectoires se lisent souvent à l’aune d’un double mouvement : l’enracinement territorial et la consolidation partisane. Calinie Mbarushimana s’inscrit dans cette logique, au croisement d’une expérience administrative de terrain et d’une responsabilité assumée au sein du parti au pouvoir. Longtemps identifiée comme une figure de l’appareil provincial puis de l’administration centrale, elle a franchi, en 2025, un seuil supplémentaire en entrant au gouvernement avec un portefeuille qui concentre des enjeux stratégiques : l’environnement, l’agriculture et l’élevage.
Son nom est désormais associé à un ministère au cœur de la vie quotidienne d’une grande partie de la population, dans un pays où l’agriculture structure l’économie, l’emploi et la sécurité alimentaire, et où les questions de ressources naturelles prennent une dimension politique croissante. Mais qui est-elle, d’où vient son influence, et que raconte son parcours sur la manière dont se fabriquent les élites politiques au Burundi ?
Un profil construit entre administration et responsabilités publiques
Calinie Mbarushimana apparaît d’abord comme un visage de l’État au niveau local. Les archives et communications officielles la montrent, à plusieurs reprises, dans le rôle de gouverneure de la province de Karusi, une fonction qui place son titulaire au premier rang de la représentation de l’exécutif sur le territoire. En 2018, une publication de la Présidence burundaise la présente explicitement comme « gouverneur de la province Karusi » lors d’une visite présidentielle, et relaye un discours où elle évoque la stabilité administrative et des éléments de gestion locale, notamment sur les récoltes et les travaux communautaires.
Ce type de séquence est révélateur : au Burundi, la fonction de gouverneur n’est pas seulement administrative. Elle est éminemment politique, parce qu’elle implique la coordination des services déconcentrés, la mise en œuvre des orientations nationales et la gestion des équilibres locaux. La gouverneure, ou le gouverneur, est attendu sur des sujets allant de la sécurité au développement, en passant par la mobilisation communautaire. Être repérée à ce niveau suppose généralement une capacité à tenir l’agenda de l’exécutif tout en restant audible auprès des populations et des relais locaux.
Le parcours de Calinie Mbarushimana se prolonge ensuite vers l’administration centrale. Plusieurs sources médiatiques burundaises indiquent qu’elle a été nommée, en 2022, secrétaire permanente chargée de l’Intérieur et du Développement communautaire au sein du ministère compétent. (Indundi Culture) Dans les systèmes administratifs francophones d’Afrique centrale et des Grands Lacs, le poste de secrétaire permanent est souvent une clé de voûte : il incarne la continuité de l’administration, l’organisation interne, le pilotage des dossiers, la coordination technique et budgétaire, parfois au-delà des changements politiques.
Cette séquence “province – administration centrale” est un schéma classique d’ascension, mais elle n’est jamais automatique. Elle suggère, au minimum, que l’intéressée a pu capitaliser sur une expérience de terrain, et qu’elle a été jugée apte à entrer dans les circuits décisionnels plus proches de la capitale politique. Dans son cas, ces étapes semblent avoir préparé l’entrée au gouvernement en 2025, quand le remaniement ministériel a redistribué les cartes de plusieurs portefeuilles.
L’épisode de Karusi : une gouverneure au contact du terrain
Pour comprendre la place de Calinie Mbarushimana dans l’échiquier burundais, il faut revenir sur ce que signifie diriger une province comme Karusi. Située dans le centre-est du pays, Karusi est un territoire où les enjeux agricoles, l’accès aux services publics et la dynamique communautaire pèsent lourd. La gouvernance provinciale, au Burundi, est aussi un espace de démonstration : capacité à encadrer l’administration, à mobiliser les programmes de développement, à répondre aux directives venues du sommet.
Les éléments disponibles la montrent occupant cette fonction au moins jusqu’au début de l’année 2023. En janvier 2023, des médias burundais rapportent la présentation d’une nouvelle gouverneure de Karusi, Dévote Nizigiyimana, en précisant qu’elle remplace Calinie Mbarushimana, alors décrite comme secrétaire permanente chargée du développement communautaire au ministère de l’Intérieur. Autrement dit, la transition ne ressemble pas à une sortie de scène, mais à un déplacement vers un poste central, plus technique et plus transversal.
Ce passage de relais est important, car il montre que l’intéressée n’est pas cantonnée à un rôle local : elle circule entre niveaux de pouvoir. Et dans un pays où l’architecture politico-administrative repose largement sur la capacité du centre à faire tenir ensemble l’action publique, ces circulations sont un indicateur de confiance politique.
Les communications officielles de 2018, quant à elles, donnent un aperçu de la manière dont une gouverneure est mise en scène : stabilité, organisation, mobilisation de la population autour des travaux communautaires, gestion de la production agricole, et discours de “moralisation” ou de cohésion sociale dans le cadre des priorités de l’exécutif. Même si l’on ne dispose pas, dans ces documents, d’une biographie détaillée, on y lit une posture : celle d’une représentante de l’État capable de parler au nom de la province et d’aligner l’action locale sur le récit politique national.
Une figure du CNDD-FDD : ancrage partisan et rôle dans l’appareil
Au Burundi, la carrière politique passe rarement uniquement par l’administration. Le CNDD-FDD, première force politique du pays, structure depuis des années l’accès aux responsabilités et la production des cadres. Sur ce terrain, Calinie Mbarushimana est identifiée, à plusieurs moments, comme une responsable au sein du parti, associée à des domaines socioculturels.
Des sources liées au CNDD-FDD la présentent comme secrétaire nationale chargée de questions sociales et culturelles, et insistent sur des messages axés sur la “vision” nationale, la famille et l’éducation des enfants, souvent mobilisés dans les discours de cohésion et de valeurs. D’autres récits de la presse burundaise ou de médias locaux la décrivent comme secrétaire nationale en charge de la culture et des traditions.
Au-delà des intitulés exacts, qui peuvent varier selon les réorganisations internes, l’idée centrale est la même : elle figure parmi les cadres du parti chargés d’un secteur “soft power”, mais politiquement sensible. La culture, les traditions, le social, la jeunesse ou l’éducation civique sont des champs où se joue la légitimation : l’organisation des militants, l’encadrement des messages, la présence sur le terrain lors d’événements, la capacité à relier l’agenda politique à des normes sociales partagées.
En octobre 2023, des médias rapportent une remise et reprise entre secrétaires nationaux du CNDD-FDD, mentionnant “Mme Mbarushimana Calinie” parmi les personnes appelées à remplacer des responsables sortants. Cet élément confirme, là encore, un positionnement dans l’appareil, sur un registre de confiance interne.
Ce double ancrage, administratif et partisan, n’est pas anodin. Dans de nombreux contextes politiques, il est précisément ce qui permet de passer d’une fonction de gestion à un rôle gouvernemental. L’appareil d’État donne l’expérience, l’appareil du parti donne la base politique, la visibilité et, souvent, l’accès aux arbitrages.
Août 2025 : l’entrée au gouvernement dans un ministère stratégique
Le basculement le plus visible intervient au cœur de l’été 2025. Le 5 août 2025, un décret de nomination des membres du gouvernement cite Calinie Mbarushimana comme ministre de l’Environnement, de l’Agriculture et de l’Élevage. Le lendemain, le 6 août 2025, la Cour constitutionnelle indique que les ministres nommés le 5 août prêtent serment à l’hémicycle de Kigobe, devant le Président de la République et le Parlement.
Ces repères de date ne sont pas de simples formalités. Ils inscrivent l’arrivée de Calinie Mbarushimana dans une séquence politique plus large : remaniement, réduction du nombre de ministères, et recomposition d’équilibres au sein de l’exécutif. Des médias burundais décrivent ce remaniement comme intervenu le 5 août 2025, avec une baisse du nombre de ministères de 15 à 13, et une réorganisation de certaines compétences.
Le portefeuille confié à Calinie Mbarushimana concentre plusieurs leviers essentiels. L’environnement, l’agriculture et l’élevage touchent directement à la production vivrière, à la gestion des sols, aux politiques de reboisement, aux intrants agricoles, aux filières d’élevage, et à la prévention des crises qui frappent régulièrement les économies rurales (aléas climatiques, maladies animales, tension sur les prix, dégradation des terres). Dans un pays où l’on attend d’un ministère qu’il produise des résultats tangibles, ce département est à la fois exposé et central.
Plusieurs articles de presse burundais mentionnent également qu’elle succède à Prosper Dodiko, présenté comme occupant le poste depuis octobre 2023. (Le Mandat) Cette précision est utile pour situer la transition : elle intervient après une période relativement courte du prédécesseur, ce qui peut traduire une volonté d’accélérer, de réorienter ou simplement de reconfigurer l’équipe gouvernementale après la nomination d’un nouveau Premier ministre.
Enfin, sur le plan institutionnel, la liste officielle des membres du gouvernement publiée par la Présidence burundaise confirme son intitulé exact, avec la graphie “Madame Calinie MBARUSHIMANA”, ministre de l’Environnement, de l’Agriculture et de l’Élevage.
Quels enjeux politiques et attentes autour de son action ministérielle ?
L’arrivée de Calinie Mbarushimana au gouvernement ne se résume pas à un changement de poste ; elle la place au centre d’attentes multiples, parfois contradictoires. D’un côté, l’agriculture et l’élevage imposent une logique de résultats : récoltes, disponibilité alimentaire, revenus des ménages ruraux, soutien aux producteurs. De l’autre, l’environnement implique des arbitrages de long terme : protection des écosystèmes, lutte contre l’érosion, reboisement, gestion des ressources naturelles. Dans de nombreux pays, ces deux dimensions entrent parfois en tension, parce que l’augmentation de la production peut pousser à intensifier l’usage des terres, au détriment de la durabilité.
Son profil, tel qu’il transparaît dans les éléments publics, suggère une culture de l’action publique fondée sur la mobilisation communautaire et l’encadrement des initiatives locales. Les séquences où elle apparaît dans des activités partisanes, notamment autour d’actions sociales ou de mobilisation, s’inscrivent dans une tradition politique qui valorise l’organisation de terrain et la participation des structures locales. Cette expérience peut être un atout dans un ministère qui nécessite de travailler avec des réseaux d’encadrement rural, des administrations locales et des programmes déployés hors de la capitale.
Mais la réalité gouvernementale impose aussi des contraintes : arbitrages budgétaires, coordination inter-ministérielle, attentes du sommet de l’État, et pression de l’opinion lorsque les prix, la disponibilité des denrées ou les crises climatiques deviennent des sujets d’inquiétude. L’environnement, en particulier, devient un champ où les décisions sont scrutées : la gestion du couvert forestier, les politiques de reboisement, ou encore la prévention des catastrophes liées aux pluies et à l’érosion, sujets très présents dans la région des Grands Lacs.
À cela s’ajoute une dimension propre aux recompositions d’équipe : entrer dans un gouvernement formé par décret et marqué par une réduction du nombre de portefeuilles signifie souvent que chaque ministre se retrouve avec un périmètre dense, parfois élargi, et une obligation de faire tenir ensemble des administrations qui n’ont pas toujours les mêmes cultures professionnelles. Les textes officiels confirment l’intitulé élargi du ministère, réunissant trois secteurs lourds.
Sur le plan politique, enfin, la trajectoire de Calinie Mbarushimana illustre un mécanisme récurrent : la promotion de cadres déjà éprouvés à la fois dans l’administration territoriale (gouvernorat) et dans l’appareil partisan (responsabilités nationales au CNDD-FDD). C’est souvent à cette intersection que se sélectionnent les responsables jugés capables de porter un ministère qui touche directement à la stabilité sociale.
En somme, Calinie Mbarushimana n’est pas une figure médiatique au sens classique du terme, avec une biographie abondamment documentée dans l’espace public international. Elle apparaît plutôt comme une actrice de l’État burundais, identifiée par sa progression à travers les strates de l’administration et du parti, jusqu’à l’entrée au gouvernement en août 2025. Le défi, désormais, est celui que rencontrent tous les ministres aux portefeuilles “vitaux” : transformer l’expérience de terrain et la légitimité interne en politiques publiques lisibles, efficaces, et capables de répondre à des urgences qui, elles, ne s’annoncent pas par décret.



