Dans un pays où les équilibres politiques se lisent souvent à travers les nominations sécuritaires, certains noms reviennent comme des balises de continuité. Gabriel Nizigama fait partie de ces figures qui, sans occuper en permanence le devant de la scène, traversent les séquences les plus sensibles de la vie institutionnelle burundaise. Haut gradé de la police, ancien responsable au cœur de l’appareil sécuritaire, puis cadre au sein de la Présidence, il réapparaît régulièrement dans l’actualité au fil des remaniements et des crises. Son parcours, fait d’allers-retours entre la sécurité, le palais et des fonctions honorifiques, raconte aussi une partie de l’histoire politique récente du Burundi.
Dans les éléments publics disponibles, un aspect frappe d’emblée : la rareté des informations biographiques détaillées. Contrairement à d’autres personnalités politiques dont le récit est abondamment documenté, l’homme demeure surtout identifiable par ses postes, ses grades et les moments où il s’exprime au nom de l’État. Cette discrétion nourrit à la fois une forme de distance et, chez ses détracteurs, des soupçons tenaces. Mais elle n’empêche pas de retracer une trajectoire institutionnelle marquée par des responsabilités considérables, notamment au moment où le Burundi traverse, en 2015, une crise majeure liée à la contestation du troisième mandat du président Pierre Nkurunziza.
Un haut gradé de la police burundaise, plus connu par ses fonctions que par sa biographie
Gabriel Nizigama est d’abord un homme d’un corps : la police. Dans les documents officiels, son identité apparaît associée à des grades précis, qui signalent à la fois son ancienneté et son poids dans la hiérarchie. Au fil des années, il est mentionné comme « Commissaire de Police Principal », « Commissaire de Police Chef », puis « Lieutenant Général de Police ». Cette progression, visible à travers différentes nominations, indique une carrière inscrite dans le haut encadrement des forces de sécurité.
Dans l’espace public, Nizigama est souvent présenté comme un ancien chef de la police et comme un responsable gouvernemental chargé de la sécurité à l’époque de Pierre Nkurunziza. Cette double appartenance – l’uniforme et le politique – n’a rien d’exceptionnel au Burundi, où les portefeuilles régaliens peuvent être confiés à des figures issues des forces de sécurité. Mais chez Nizigama, cette articulation semble constitutive : il est moins identifié comme un « politicien » au sens partisan que comme un homme d’appareil, dont la légitimité découle d’un parcours interne et d’une fidélité institutionnelle.
L’absence d’éléments biographiques détaillés (date et lieu de naissance, formation, premières affectations) dans les références accessibles renforce cette lecture. À défaut d’un récit personnel, ce sont les actes administratifs et les épisodes de crise qui servent de repères. On le voit d’ailleurs dans la façon dont son nom circule : davantage dans les communiqués, les comptes rendus et les articles liés à la sécurité, que dans les rubriques plus « politiques » au sens classique (débat programmatique, campagnes, joutes parlementaires). Cette singularité contribue à son image : un profil de commandement plutôt qu’un profil de tribune.
Le visage sécuritaire du pouvoir pendant la crise burundaise de 2015
Pour comprendre pourquoi Gabriel Nizigama reste un nom qui compte, il faut revenir à 2015. À cette période, le Burundi est traversé par une contestation intense après la décision du pouvoir de présenter Pierre Nkurunziza à un troisième mandat. Les manifestations, la répression, les violences et les affrontements verbaux entre institutions rythment les semaines qui précèdent l’élection. Dans ce contexte, les responsables de la sécurité deviennent des voix centrales : ce sont eux qui annoncent les mesures, décrivent la situation, qualifient les événements, et, parfois, fixent la frontière entre protestation « acceptable » et menace contre l’État.
C’est à ce moment que Gabriel Nizigama apparaît comme ministre en charge de la sécurité. Dans des déclarations publiques rapportées à l’époque, il impute des attaques à la grenade à ceux qu’il relie aux manifestants, et promet un durcissement des mesures pour mettre fin aux troubles. La logique est claire : face à une contestation présentée comme dangereuse, l’État affirme qu’il répondra par tous les moyens nécessaires. Le vocabulaire employé, la qualification des adversaires et la promesse d’un retour à l’ordre composent alors un récit sécuritaire qui cherche à reprendre le contrôle du terrain et du message.
La crise de 2015 est aussi un moment de tensions internes, y compris entre institutions. L’armée, à plusieurs reprises, tente de se démarquer de la police et de la gestion du maintien de l’ordre, en affichant une posture de neutralité ou de retenue, tandis que le ministère chargé de la sécurité insiste sur la nécessité d’une fermeté accrue. Dans ce jeu de lignes, le ministre de la sécurité incarne une position : celle d’un pouvoir qui lit la contestation comme un risque existentiel. Gabriel Nizigama, par ses mots et par son statut, devient alors l’un des porte-voix de cette stratégie.
Ce rôle public pendant la crise n’est pas anodin : il inscrit son nom dans une mémoire politique où la sécurité n’est pas seulement une question technique, mais un instrument de narration. Dire qu’une manifestation est « politique » ou « criminelle », promettre qu’elle cessera, associer les opposants à des violences : tout cela participe d’un cadrage qui justifie ensuite des mesures exceptionnelles. Pour un responsable sécuritaire, ce type de période constitue souvent un tournant : soit il se retrouve fragilisé, soit, au contraire, il gagne une place durable dans le cercle des hommes de confiance.
Du sécuritaire au palais : des nominations qui dessinent une trajectoire de confiance
Après la séquence de 2015, la trajectoire de Gabriel Nizigama se lit aussi dans des actes officiels. Le 24 août 2015, un décret le nomme « Chef du Cabinet Civil Adjoint du Président de la République », avec le grade de « Commissaire de Police Principal ». Cette nomination est importante à deux titres.
D’abord, elle marque un passage symbolique : de la gestion d’un portefeuille sécuritaire (dans l’exécutif) à une fonction directement rattachée à la Présidence. Ensuite, elle signale la place de l’homme dans l’architecture du pouvoir : un cabinet civil, au sein d’une présidence souvent perçue comme le cœur décisionnel, est un espace où l’on attend loyauté, discrétion et capacité à coordonner. Être nommé à ce poste, au sortir d’une crise politique majeure, suggère que le pouvoir le considère comme un cadre fiable et utile.
Trois ans plus tard, en septembre 2018, un autre décret le nomme « Chancelier des Ordres Nationaux de la République du Burundi », avec le grade de « Commissaire de Police Chef ». Cette fonction, moins directement politique, n’en est pas moins significative. Les ordres nationaux relèvent d’une dimension honorifique et institutionnelle : ils touchent au prestige de l’État, à la reconnaissance, au protocole. Confier cette chancellerie à un haut responsable sécuritaire souligne la polyvalence de certains profils dans le système burundais : le même homme peut être mobilisé pour des missions de coercition, de coordination politique et de représentation symbolique.
Enfin, le 5 août 2025, dans le cadre d’une recomposition gouvernementale, Gabriel Nizigama est nommé « Ministre du Travail, de la Fonction Publique et de la Sécurité Sociale », cette fois avec le grade de « Lieutenant Général de Police ». Son retour au gouvernement, mais dans un portefeuille non sécuritaire, constitue une inflexion intéressante : le pouvoir l’emploie désormais dans un secteur social et administratif, au cœur de l’État quotidien (fonction publique, travail, protection sociale). Ce déplacement peut se lire de plusieurs manières : recyclage d’un cadre expérimenté, volonté de renforcer la discipline administrative, ou simple logique d’équilibre dans une équipe gouvernementale resserrée.
Pris ensemble, ces actes donnent une image : celle d’un homme dont la carrière épouse des besoins successifs du pouvoir. Pendant la crise, il est dans le registre sécuritaire et du maintien de l’ordre. Ensuite, il se rapproche de la Présidence dans une fonction de cabinet. Puis, il occupe une charge honorifique. Enfin, il revient dans un ministère technique et social. Cette diversité n’efface pas son identité de départ – la police – mais elle montre une capacité à changer de registre sans disparaître de la sphère d’influence.
Une figure entourée de controverses, entre accusations, démentis et bataille de récits
Comme beaucoup de responsables associés à l’appareil sécuritaire dans des contextes de crise, Gabriel Nizigama ne laisse pas une trace univoque. Son nom apparaît aussi dans des récits de controverses, portés par des médias, des avocats, des opposants ou des organisations de défense des droits. Ici, la prudence s’impose : les faits établis ne se confondent pas avec les accusations, et la force d’un discours public ne vaut pas preuve. Mais ignorer l’existence de ces controverses reviendrait à passer à côté d’une part importante de la manière dont il est perçu.
Des archives médiatiques rapportent, par exemple, des accusations le visant comme responsable présumé ou commanditaire dans des affaires de torture, formulées dans le cadre de plaintes ou de démarches judiciaires. Dans ces récits, son nom est associé à d’autres responsables sécuritaires, et présenté comme un maillon d’un système de coercition. Le fait que ces accusations soient exprimées publiquement participe à une réalité politique : dans les périodes de tensions, la bataille se joue aussi sur la désignation des responsables, la construction de responsabilités, et la capacité – ou non – de la justice à enquêter.
Dans un autre registre, des articles relatent que, durant la crise, le ministère en charge de la sécurité a pu démentir des informations ou contester des témoignages concernant des crimes attribués à des forces de sécurité, en affirmant que la situation était sous contrôle et que certains récits relevaient de rumeurs. Ce contraste entre dénonciations et démentis est caractéristique des crises politiques : chaque camp produit sa version, parfois incompatible, et l’opinion internationale ou nationale se retrouve confrontée à des narrations concurrentes.
Il existe aussi un volet plus politique des controverses : des forces d’opposition ou des groupes critiques ont, à certaines périodes, réclamé son départ lorsqu’il occupait un portefeuille sécuritaire. Ce type de demande, même quand elle ne conduit pas immédiatement à une sanction ou à une démission, s’inscrit dans une logique de pression : faire de la personne le symbole d’une politique contestée, et tenter de fragiliser le gouvernement par la personnalisation du reproche.
Ce qui ressort, au-delà du détail de chaque dossier, c’est la place structurante de Nizigama dans l’imaginaire d’une période : pour ses partisans, il représente l’ordre, la continuité de l’État et la réponse à une contestation décrite comme dangereuse. Pour ses adversaires, il incarne au contraire la dureté du système sécuritaire, ses excès supposés et son opacité. Entre ces deux visions, il y a l’espace des preuves, des enquêtes, des décisions judiciaires et des archives, qui ne suivent pas toujours le tempo des polémiques.
Cette tension entre image officielle et image contestée explique aussi pourquoi son nom, même lorsqu’il occupe un portefeuille éloigné de la sécurité, reste chargé. Être un ancien ministre de la sécurité, dans un pays qui a traversé une crise aussi marquante, ne s’efface pas par un simple changement d’intitulé ministériel. Cela colle au personnage, et rejaillit sur chacune de ses réapparitions publiques.
Le retour en 2025 : un ministre social pour un État sous pression
La nomination de Gabriel Nizigama en août 2025 au ministère du Travail, de la Fonction publique et de la Sécurité sociale intervient dans un contexte où l’État burundais, comme beaucoup d’États de la région, fait face à des défis de gouvernance plus quotidiens mais tout aussi lourds : capacité administrative, gestion des carrières publiques, réponse sociale, organisation du travail formel et informel, et crédibilité des institutions.
Le choix d’un lieutenant-général de police pour un portefeuille social et administratif peut surprendre au premier regard, mais il correspond à une logique connue : lorsque l’exécutif veut imposer un style de management plus vertical, ou restaurer une discipline administrative, il peut s’appuyer sur des profils venus des corps en uniforme, réputés pour leur culture de commandement. Cela ne dit pas tout de l’action future, mais cela donne une couleur à la nomination : celle d’un ministère qui pourrait être géré avec une approche d’ordre, de contrôle et d’exécution.
La fonction publique, au Burundi, n’est pas seulement un ensemble de procédures. Elle est aussi un espace d’équilibres sociaux : recrutement, promotions, rémunérations, retraite, arbitrages entre contraintes budgétaires et attentes des agents. Le ministère du Travail et de la Sécurité sociale touche, lui, à la protection des travailleurs, à la prévention des conflits sociaux, à la couverture sociale et à la gestion de dispositifs qui sont souvent sous tension dans les pays à ressources limitées. Dans ce cadre, la figure d’un ancien responsable sécuritaire pose une question journalistique évidente : quel style de gouvernance appliquera-t-il à un domaine où la négociation sociale compte autant que l’autorité administrative ?
Son retour au gouvernement a aussi une dimension politique interne : il signale que, malgré les controverses attachées à la période 2015, Nizigama reste « employable » au sommet de l’État, et suffisamment légitime pour être inscrit dans une équipe gouvernementale officialisée par décret. Cette normalisation institutionnelle a une portée : elle dit quelque chose de la capacité du pouvoir à gérer les mémoires de crise, à réintégrer des figures de l’ancien système, et à articuler continuité et recomposition.
Il faut enfin noter que sa présence actuelle dans l’exécutif ne gomme pas son identité de haut gradé. Dans les interactions diplomatiques, dans les relations avec l’administration et dans la perception publique, le grade continue de compter. Au Burundi, comme ailleurs, le titre et l’uniforme symbolique qui l’accompagne peuvent peser dans l’autorité du ministre, dans sa capacité à imposer des réformes ou à faire appliquer des décisions. Ce capital d’autorité peut être un atout, mais aussi une source d’inquiétude pour ceux qui redoutent une « sécurisation » des enjeux sociaux.
Au bout du compte, répondre à la question « qui est Gabriel Nizigama ? » revient à décrire un homme plus institutionnel que personnel : un haut gradé de la police, devenu ministre de la sécurité au moment d’une crise historique, ensuite intégré au cercle présidentiel, puis investi d’une fonction honorifique, avant de revenir au gouvernement sur un portefeuille social et administratif. Sa trajectoire est celle d’un cadre d’État dont la carrière se confond avec les étapes récentes du pouvoir burundais, et dont le nom reste clivant parce qu’il est associé à la fois à l’ordre revendiqué par l’exécutif et aux contestations portées contre la gestion sécuritaire de la crise.
Dans un paysage où la politique se joue autant dans les textes que dans les appareils, Nizigama apparaît comme un révélateur : révélateur de la place des forces de sécurité dans l’État, révélateur du lien entre crise et promotion, révélateur aussi de la manière dont une figure peut survivre aux tempêtes politiques en changeant de poste sans quitter le centre.



