À Bujumbura, son nom circule depuis longtemps dans les couloirs du sport, bien au-delà des stades. Lydia Nsekera s’est imposée en deux décennies comme l’un des visages les plus identifiables de la gouvernance sportive africaine, jusqu’à siéger dans certaines des enceintes les plus influentes du sport mondial. Son parcours épouse les grandes transformations d’un secteur longtemps verrouillé par des traditions masculines, puis progressivement ouvert à d’autres profils, d’autres trajectoires, d’autres voix.
Née le 20 avril 1967 dans la capitale burundaise, Lydia Nsekera ne vient pas du football comme on y entre par le terrain, la formation ou la carrière de joueuse. Elle s’y est installée par l’administration, l’organisation, la capacité à structurer, arbitrer et représenter. Cette singularité a parfois nourri des incompréhensions, souvent renforcé son image de dirigeante : celle qui se forge dans le travail de l’ombre, les réunions, les textes, les budgets, les équilibres politiques et la diplomatie, autant que dans la passion du jeu.
Au fil des années, elle a accumulé les responsabilités : à la tête de la Fédération de football du Burundi, dans les commissions de la Confédération africaine de football, au sein de la FIFA, au Comité international olympique, puis à la présidence du Comité national olympique du Burundi. Et, plus récemment, elle a franchi un seuil supplémentaire en rejoignant un gouvernement national, au moment où le Burundi réorganisait ses priorités politiques et administratives.
Derrière les titres et les dates, demeure une question simple, souvent posée par un public qui la connaît sans toujours la situer : qui est Lydia Nsekera ? Pour comprendre la place qu’elle occupe aujourd’hui, il faut remonter à l’architecture d’une carrière faite de premières fois, de batailles de représentation, d’un patient travail institutionnel, et d’un art consommé de la navigation entre le national, le continental et le mondial.
Une trajectoire burundaise entre formation, entreprise et engagement associatif
Lydia Nsekera appartient à une génération de dirigeants burundais formés dans les années où l’enseignement supérieur national se consolide. Elle obtient un diplôme en sciences économiques et administratives à l’Université du Burundi en 1992, à une époque où les profils de gestion et d’audit deviennent recherchés, y compris dans le champ associatif et sportif.
Son parcours professionnel, avant que le grand public ne l’associe au football, s’inscrit dans le monde de l’entreprise. Elle travaille d’abord comme auditrice interne à la Brasserie et Limonaderie du Burundi, entre 1994 et 2001, puis devient directrice d’entreprise au sein de Garage Tanganyika Cars à partir de 2002. Ce passage par des fonctions de contrôle et de direction, dans des structures où la rigueur des procédures est centrale, façonne un style : pragmatique, tourné vers l’organisation, l’exécution et la redevabilité.
Parallèlement, elle pratique d’autres sports que le football, notamment le basketball et l’athlétisme, avec une spécialité citée dans plusieurs biographies : le saut en hauteur. Cette culture sportive plus large est loin d’être un détail. Elle alimente une vision transversale du sport, où la question de l’accès, des infrastructures et de la place des femmes ne se réduit pas à une discipline, mais concerne un écosystème complet.
Elle s’implique tôt dans la vie sportive burundaise, notamment via des structures de clubs. Son engagement est documenté au sein de l’Atlético Olympic Football Club, puis par un investissement durable dans le développement du football féminin au niveau des clubs. Ce fil rouge, la place des femmes dans la pratique et dans la gouvernance, va progressivement devenir l’une de ses signatures.
Certains portraits la décrivent comme issue de la noblesse burundaise ou apparentée à la famille royale. Ce point est régulièrement évoqué dans des notices biographiques, mais ce qui frappe surtout, au-delà de l’origine, c’est la manière dont elle a transformé un capital social en levier institutionnel : non pas par l’affichage, mais par la conquête de positions où la compétence, la représentation et le réseau comptent autant que le statut.
À la tête de la Fédération de football du Burundi : une première africaine et un chantier de modernisation
C’est en 2004 que Lydia Nsekera franchit un cap décisif : elle prend la présidence de la Fédération de football du Burundi. Elle conserve ce poste jusqu’en 2013. Dans l’histoire du football africain, cette période est souvent résumée par un fait marquant : elle est présentée comme la première femme à présider une fédération de football sur le continent. Cette dimension symbolique, si elle a contribué à sa notoriété, n’explique pas à elle seule la longévité de son mandat ni son ascension ultérieure.
Diriger une fédération nationale, c’est composer avec des réalités complexes : moyens limités, infrastructures inégales, attentes très fortes des clubs et du public, rivalités internes, pression du résultat, et parfois instabilité institutionnelle. À cela s’ajoute, pour une femme à cette époque et à ce niveau, un défi supplémentaire : s’imposer dans des espaces de décision largement masculins, où la légitimité est souvent contestée avant même d’être évaluée.
Les récits sur son action mettent en avant l’attention portée au football féminin et à l’organisation de compétitions. Lydia Nsekera est associée à des initiatives visant à structurer la pratique féminine, à soutenir des clubs, et à faire progresser la place des femmes dans l’arbitrage et l’encadrement. Dans des contextes où les carrières féminines dans le sport sont fréquemment freinées par des obstacles matériels et culturels, ce type de politique, même modeste à l’échelle des budgets, a une portée durable : elle crée des précédents, des habitudes, des chemins.
Sur le plan continental, elle s’insère progressivement dans des réseaux de gouvernance régionale, notamment au sein d’instances d’Afrique de l’Est et d’Afrique centrale. Elle est mentionnée comme membre du comité exécutif du Conseil des associations de football d’Afrique de l’Est et centrale (CECAFA) entre 2007 et 2011, ainsi que dans des commissions liées au football féminin au niveau de la Confédération africaine de football. Cette expérience régionale compte : elle constitue souvent, pour les dirigeants africains, la rampe de lancement vers les instances mondiales.
Son passage à la tête de la fédération burundaise se déroule aussi au moment où la gouvernance du football international s’interroge sur sa propre représentation. Les débats sur la place des femmes dans les organes décisionnels prennent de l’ampleur, notamment sous l’effet d’objectifs de diversité et de renouvellement, mais aussi de pressions publiques sur la transparence et la modernisation. Lydia Nsekera se trouve alors à l’intersection d’une trajectoire personnelle et d’une conjoncture historique : elle est prête, et le système commence à s’ouvrir, même partiellement.
L’ascension internationale : CIO, FIFA et la diplomatie des commissions
L’année 2009 marque un tournant majeur : Lydia Nsekera entre au Comité international olympique (CIO). Être membre du CIO, c’est rejoindre une institution qui fonctionne à la fois comme un parlement du sport mondial et comme un réseau diplomatique, où les commissions jouent un rôle déterminant dans la production des orientations.
Cette entrée s’accompagne, la même année, d’une distinction significative : elle reçoit un prix lié au programme « Femmes et Sport » du CIO, ce qui renforce son image de dirigeante engagée sur ces enjeux. Par la suite, elle préside la commission « Women and Sport » du CIO entre 2014 et 2021, avant de prendre la tête d’une commission plus large dédiée à l’égalité, la diversité et l’inclusion à partir de 2022. Cette progression est révélatrice : elle passe d’une thématique ciblée à un champ transversal qui traverse désormais l’ensemble des politiques sportives internationales.
Dans le même temps, Lydia Nsekera s’impose dans l’univers FIFA. En 2012, elle devient la première femme cooptée au sein du comité exécutif de l’organisation. L’année suivante, en 2013, elle devient la première femme élue pour un mandat complet de quatre ans à ce niveau. Dans un monde où les symboles comptent autant que les équilibres de pouvoir, cette double étape – d’abord la cooptation, puis l’élection – a un poids particulier : elle signifie que la présence féminine n’est plus seulement un geste institutionnel, mais aussi le résultat d’un vote.
Son action à la FIFA est notamment liée au développement du football féminin. Elle est mentionnée comme membre, puis présidente de la commission du football féminin et de la Coupe du monde féminine, entre 2013 et 2016. Elle siège aussi dans des organes liés aux tournois olympiques de football et à l’organisation de compétitions. Dans ces fonctions, le travail est rarement spectaculaire : il s’agit de calendriers, de règlements, de stratégies de croissance, de critères d’accueil, de budgets, de programmes de développement. C’est pourtant là que se joue une partie essentielle de l’avenir d’une discipline : la capacité à investir, structurer, professionnaliser et rendre visible.
À partir de 2017, elle est citée comme vice-présidente du comité de développement de la FIFA, et elle siège également au conseil de la FIFA Foundation pour une période mentionnée jusqu’en 2022. Ces responsabilités confirment un positionnement : Lydia Nsekera appartient au cercle des dirigeants associés à la redistribution des ressources et à la politique de développement, un enjeu central pour les fédérations dont les moyens restent limités et pour lesquelles l’accès aux programmes internationaux est décisif.
Enfin, son activité au CIO et dans le mouvement olympique ne se limite pas aux questions de genre. Elle participe à des commissions de coordination, notamment celles liées aux Jeux de Tokyo 2020, puis à la coordination pour Los Angeles 2028. Là encore, ces missions illustrent un profil de gouvernance : une dirigeante appelée à superviser, évaluer, accompagner et contrôler les grands projets de l’olympisme contemporain.
Victoires, revers et batailles de représentation dans les instances africaines
Le parcours de Lydia Nsekera n’est pas une trajectoire linéaire faite uniquement de promotions. Il est aussi rythmé par des scrutins perdus, des compétitions internes, des rapports de force où la notoriété ne suffit pas. Sur le continent africain, la gouvernance sportive est un terrain politique à part entière. Elle met en jeu des alliances régionales, des équilibres linguistiques, des affinités nationales, et parfois des visions opposées de la modernisation.
Elle a, à plusieurs reprises, brigué des responsabilités au sein de l’Association des comités nationaux olympiques d’Afrique (ACNOA/ANOCA). En novembre 2018, elle échoue au second tour face à Mustapha Berraf. Elle se représente ensuite en 2021, mais Berraf est réélu. Ces épisodes, souvent moins médiatisés que les « premières fois » à la FIFA, rappellent qu’aucun parcours, même internationalement reconnu, n’est garanti dans les arènes électorales africaines, où les logiques d’appareil et de coalition pèsent lourd.
Dans le football, un autre revers marque la fin d’une séquence. Après avoir siégé plusieurs années au sommet de la gouvernance FIFA, elle perd en mars 2021 sa tentative de conserver une place de représentante africaine au conseil, lors d’une assemblée liée à la CAF, face à Isha Johansen. Le symbole est fort : une pionnière est battue par une autre dirigeante, signe que la question n’est plus seulement d’ouvrir la porte aux femmes, mais de voir plusieurs profils féminins se disputer désormais les sièges dans des élections compétitives.
Ces épisodes ne diminuent pas son influence ; ils la reconfigurent. Lydia Nsekera demeure une figure centrale dans le mouvement olympique burundais, et une personnalité respectée à l’échelle internationale. Mais ils éclairent la réalité de la gouvernance sportive : elle repose sur des équilibres changeants, où les positions se gagnent, se perdent et se renégocient. Être pionnière ne signifie pas être intouchable ; cela signifie souvent ouvrir une voie que d’autres emprunteront, parfois jusqu’à vous dépasser.
Dans le même temps, son ancrage national se renforce. En mars 2017, elle est élue présidente du Comité national olympique du Burundi. Elle est réélue pour un nouveau mandat en 2021. Ce rôle n’est pas qu’honorifique : il implique la représentation du pays dans l’olympisme, le suivi des fédérations, la préparation des délégations, et la gestion de relations sensibles avec les autorités publiques et les partenaires internationaux.
Ce double mouvement – difficultés dans certains scrutins continentaux, consolidation de l’influence au niveau olympique et institutionnel – dessine une stratégie possible : lorsque le football devient plus disputé, le mouvement olympique offre un espace plus stable pour agir, porter des projets, et incarner la continuité.
Du sport à l’État : l’entrée au gouvernement et les nouveaux défis (2025)
L’été 2025 ouvre un nouveau chapitre. Par décret présidentiel daté du 5 août 2025, Lydia Nsekera est nommée ministre de la Jeunesse, des Sports et de la Culture du Burundi. La nomination apparaît dans la liste des membres du gouvernement publiée par la présidence, où son portefeuille est explicitement mentionné. Ce passage du sport à l’exécutif national n’est pas inédit en Afrique, mais il n’est jamais neutre : il traduit la volonté d’un État de s’appuyer sur des profils dotés d’une reconnaissance internationale, et de placer le sport et la jeunesse dans une logique de politique publique plus visible.
Ce changement de statut modifie la nature des responsabilités. À la tête d’une fédération ou d’un comité olympique, Lydia Nsekera opérait dans le champ de l’autonomie sportive, même lorsqu’elle devait composer avec le politique. Au gouvernement, elle se retrouve au cœur d’une administration, avec des arbitrages budgétaires, des impératifs de résultats, des politiques culturelles, et des attentes sociales massives liées à la jeunesse.
Le contexte, lui, est celui d’une reconfiguration gouvernementale. Le Burundi annonce, au même moment, un gouvernement resserré, avec une réduction du nombre de ministères. Dans cette architecture, le portefeuille « Jeunesse, Sports et Culture » n’est pas seulement un champ sectoriel : il se situe au croisement de la cohésion sociale, de l’emploi, de l’éducation informelle, de la prévention, de l’identité nationale et de l’image internationale du pays.
Les premiers échos médiatiques liés à son entrée en fonction la montrent engagée dans des échanges avec des acteurs culturels, signe que le ministère ne se limite pas à la compétition sportive mais touche aussi aux industries créatives, à la structuration d’un secteur souvent fragile, et à la reconnaissance des artistes.
Pour une dirigeante dont la carrière s’est construite sur la gouvernance sportive, cette extension à la culture et à la jeunesse représente un test. Les compétences organisationnelles et la diplomatie internationale sont des atouts. Mais le terrain ministériel impose une autre temporalité : celle des politiques publiques, des chantiers de long terme, des négociations internes à l’État, et des attentes immédiates d’une population jeune.
Reste que cette nomination s’inscrit aussi dans une cohérence : Lydia Nsekera a longtemps incarné un discours sur l’inclusion, la place des femmes, le développement par le sport, et la capacité des institutions à ouvrir des voies. Au gouvernement, elle dispose théoriquement d’un levier direct pour transformer certains de ces principes en dispositifs concrets : infrastructures, programmes scolaires et extra-scolaires, soutien aux fédérations, encadrement des pratiques, professionnalisation, et politiques culturelles.
Si l’on cherche une ligne de continuité dans l’ensemble de son parcours, elle se trouve peut-être là : dans la conviction que le sport est un outil de structuration sociale, et que la gouvernance, loin d’être un monde abstrait, peut produire des effets réels dès lors qu’elle se traduit en décisions, en budgets et en cadres stables.
Au final, répondre à la question « Qui est Lydia Nsekera ? », c’est décrire une figure qui a franchi plusieurs frontières : celles du genre dans les instances sportives, celles du Burundi dans l’espace mondial, celles du sport vers l’État. C’est aussi raconter une trajectoire faite de victoires symboliques et de revers électoraux, d’engagement pour le football féminin et de responsabilités olympiques, d’influence internationale et d’ancrage national. Une pionnière, au sens strict : non pas celle qui marche seule, mais celle dont le passage change la carte du possible.



