Dans l’Atlantique, au large de l’Afrique de l’Ouest, le Cap-Vert s’est forgé une réputation rare sur le continent : une démocratie stable, des alternances pacifiques, une vie publique relativement apaisée. Derrière cette image, il y a des institutions, des partis, des équilibres, mais aussi des trajectoires individuelles. Celle d’Ulisses Correia e Silva est emblématique d’une génération de responsables cap-verdiens passés par la gestion, les finances publiques et les collectivités locales avant d’accéder à la tête du gouvernement.
Né à Praia le 4 juin 1962, José Ulisses de Pina Correia e Silva a d’abord travaillé dans le secteur bancaire, puis dans l’appareil d’État, avant de s’imposer comme une figure du Mouvement pour la démocratie (MpD). Il devient Premier ministre le 22 avril 2016, après la victoire de son parti aux législatives du 20 mars, et il est reconduit après le scrutin d’avril 2021.
Qui est-il, au-delà des fonctions officielles ? Un technicien des finances devenu stratège politique, un ancien maire de la capitale propulsé au sommet de l’exécutif, et un dirigeant confronté, depuis 2016, à un pays vulnérable aux chocs extérieurs, de la sécheresse à la pandémie, en passant par les tensions sur l’économie du tourisme.
De Praia à Lisbonne : formation et premiers pas dans la gestion
Ulisses Correia e Silva naît à Praia, la capitale cap-verdienne, alors que l’archipel est encore sous administration portugaise. Son parcours scolaire se fait au Cap-Vert, au lycée Domingos Ramos, avant un départ pour le Portugal afin d’y poursuivre des études supérieures en organisation et gestion des entreprises. Il obtient son diplôme en 1988 à l’Institut supérieur d’économie et de gestion de l’Université technique de Lisbonne.
Ce détour par Lisbonne n’a rien d’anecdotique : il correspond à une trajectoire fréquente dans les élites cap-verdiennes, marquées par des circulations historiques avec le Portugal et, plus largement, avec l’espace lusophone. Il ancre aussi son profil dans une culture de gestion, davantage que dans une formation strictement juridique ou idéologique.
Après ses études, il démarre sa carrière dans le secteur bancaire. Il occupe notamment des fonctions de direction administrative à la Banque du Cap-Vert, ce qui lui donne une expérience précoce des rouages économiques et institutionnels d’un pays insulaire où la politique budgétaire, les équilibres extérieurs et la stabilité monétaire sont des sujets hautement sensibles.
Plus tard, il enseigne également à l’Université Jean Piaget, à Praia, entre 2002 et 2007, dans des disciplines liées à la gestion budgétaire et à l’économie d’entreprise. Ce passage par l’enseignement supérieur contribue à sa réputation de profil technicien, à l’aise avec les chiffres et les politiques publiques.
Des finances publiques à la politique : l’État comme école du pouvoir
La carrière d’Ulisses Correia e Silva se construit ensuite au cœur de l’État. Il est secrétaire d’État aux Finances entre 1995 et 1998, puis ministre des Finances à la fin des années 1990 et au tournant des années 2000 (les sources publiques situent généralement ce passage entre 1999 et 2000, parfois 2001 selon les présentations).
C’est une période structurante pour le Cap-Vert : l’archipel cherche à consolider ses cadres macroéconomiques, à rassurer les partenaires, et à stabiliser sa monnaie dans un environnement international dominé par l’euro naissant. Des biographies institutionnelles rappellent qu’au cours de ce cycle, l’escudo cap-verdien est arrimé à l’euro, mesure considérée comme structurante pour l’économie cap-verdienne.
Cette expérience financière a deux effets. D’une part, elle le familiarise avec l’art du compromis et de la négociation, essentiel dans un petit État dépendant de partenaires extérieurs. D’autre part, elle lui donne un capital de crédibilité interne : au Cap-Vert, comme ailleurs, les ministères des Finances sont souvent le lieu où se fabrique la confiance – ou la défiance – envers la capacité d’un gouvernement à tenir ses engagements.
Sur le plan partisan, Ulisses Correia e Silva est membre du MpD, une formation centrale dans la vie politique cap-verdienne depuis l’ouverture démocratique. Il est élu député et devient chef du groupe parlementaire de son parti entre mars 2006 et mars 2008, tout en exerçant aussi des responsabilités de direction au MpD.
À ce moment de sa trajectoire, il a déjà cumulé trois dimensions qui font souvent la différence : expertise technique, connaissance des institutions, et ancrage politique. La suite va lui fournir la quatrième : une expérience exécutive de terrain, au plus près des citoyens, dans la principale ville du pays.
La mairie de Praia : un laboratoire municipal avant le saut national
Ulisses Correia e Silva devient maire de Praia en 2008, puis est reconduit pour un nouveau mandat au début des années 2010. Les sources biographiques convergent sur un exercice de la mairie jusqu’au début de 2016, moment où il quitte la tête de la municipalité à l’approche de son entrée au gouvernement.
La fonction est loin d’être symbolique : Praia concentre une part majeure de la population urbaine, des services publics et des tensions sociales. Être maire de Praia, c’est s’exposer aux critiques sur le logement, la sécurité, l’emploi, les infrastructures, l’urbanisme et la gestion du quotidien. C’est aussi, pour un responsable politique, disposer d’une vitrine nationale : ce qui fonctionne à Praia peut être présenté comme une promesse de méthode, ce qui échoue devient un angle d’attaque pour les adversaires.
À l’hiver 2015-2016, il annonce qu’il quittera la mairie à la mi-janvier, remerciant les électeurs pour la confiance accordée lors des scrutins municipaux précédents. Cette séquence marque le passage d’un élu local à un chef de file national, dans un calendrier où chaque geste est lu comme un signal politique.
Parallèlement, il prend une importance accrue au sein du MpD, dont il devient président en 2013. Cette présidence de parti n’est pas une formalité : elle le place en position de conduire une campagne nationale, de construire une coalition interne, de répartir les investitures, et de préparer un programme de gouvernement capable de convaincre au-delà du noyau partisan.
Quand les élections législatives de mars 2016 arrivent, Ulisses Correia e Silva se présente donc avec un profil hybride : gestionnaire des finances, ancien ministre, patron de parti, et maire de la capitale. Ce cumul d’expériences prépare la bascule.
2016, puis 2021 : l’accès à la primature et la reconduction dans un contexte difficile
Le 20 mars 2016, le MpD remporte les élections législatives, mettant fin à un long cycle de gouvernement conduit par le PAICV. Ulisses Correia e Silva prend ses fonctions de Premier ministre le 22 avril 2016. Il succède à José Maria Neves et forme un gouvernement qui porte son nom.
Dès le départ, l’exercice du pouvoir s’annonce exigeant. Le Cap-Vert est un archipel à ressources limitées, très exposé à la conjoncture internationale, à la volatilité des recettes touristiques, aux variations des transferts de la diaspora, et aux aléas climatiques. L’équation est connue : il faut soutenir la croissance et l’emploi, sans mettre en péril les équilibres budgétaires, dans un pays où la demande sociale est forte.
En février 2020, Ulisses Correia e Silva est reconduit à la tête du MpD avec un score très largement majoritaire, le positionnant comme candidat naturel à sa succession pour les élections suivantes.
Puis arrive le choc de la pandémie de COVID-19, qui frappe durement les économies dépendantes du tourisme. Au Cap-Vert, cet impact est particulièrement sensible : les campagnes électorales et les débats publics se déroulent dans un contexte où il faut à la fois protéger la santé, soutenir les revenus, et préparer la relance.
Les élections législatives du 18 avril 2021 confirment le MpD au pouvoir. Selon les données parlementaires internationales, le MpD conserve une majorité à l’Assemblée nationale avec 38 sièges sur 72, dans un scrutin marqué par les conséquences de plusieurs années de sécheresse et par la crise économique liée à la pandémie.
Cette reconduction n’est pas seulement une victoire de parti : elle est aussi une validation, même étroite, de la gestion d’une période de turbulences. Elle donne à Ulisses Correia e Silva un second cycle de gouvernement pour poursuivre une ligne centrée sur la stabilité, la modernisation administrative et la diversification économique, thématiques récurrentes dans les discours officiels cap-verdiens.
Un Premier ministre d’un petit État très connecté : priorités, image internationale et défis à venir
Ulisses Correia e Silva gouverne un pays de taille modeste mais au positionnement géographique stratégique. Le Cap-Vert se situe sur un couloir atlantique où se croisent enjeux de sécurité maritime, routes migratoires, commerce, et diplomatie régionale. À ce titre, l’exécutif cap-verdien insiste régulièrement sur le rôle de l’archipel comme point de connexion entre l’Afrique, l’Europe et les Amériques, et sur des axes de développement comme l’économie bleue, la transition énergétique et la digitalisation.
Dans des interventions internationales, le Premier ministre met aussi en avant la nécessité de partenariats multilatéraux, de systèmes institutionnels crédibles et de la solidité de l’État de droit comme conditions de la confiance démocratique. Cette rhétorique s’inscrit dans une tradition cap-verdienne : valoriser la stabilité institutionnelle comme un atout diplomatique et économique, notamment pour attirer investissements, coopération et tourisme.
Son agenda se lit également à travers les priorités affichées par le Cap-Vert dans le cadre des objectifs de développement : capital humain, santé publique, transformation numérique, transition énergétique, stratégie de l’eau pour l’agriculture, économie bleue, et tourisme durable. Cette liste est révélatrice des contraintes structurelles d’un archipel : l’eau y est rare, l’énergie souvent coûteuse, et le tourisme à la fois moteur de croissance et source de vulnérabilité lorsqu’une crise internationale gèle les déplacements.
Sur le plan politique interne, Ulisses Correia e Silva incarne une ligne MpD qui combine un discours de modernisation et une approche managériale de l’État. Son parcours le conduit naturellement à privilégier les mécanismes de gouvernance, les réformes de gestion, et la recherche de crédibilité budgétaire, tout en devant composer avec les impératifs sociaux : emploi des jeunes, coût de la vie, services publics, inégalités territoriales entre îles et entre zones urbaines et rurales.
Reste un autre pilier souvent mis en avant : la diaspora. Dans la vie cap-verdienne, les communautés émigrées jouent un rôle économique, social et identitaire majeur. Ces derniers mois encore, Ulisses Correia e Silva a insisté sur l’importance du lien avec les Cap-Verdiens de l’étranger, notamment en Europe, en soulignant leur contribution au développement national et la volonté de renforcer ces attaches.
À l’heure où de nombreux pays sont secoués par des crises institutionnelles, le Cap-Vert continue de miser sur la stabilité et la prévisibilité. Cette promesse n’efface pas les difficultés : l’économie reste exposée, le changement climatique accentue la pression sur les ressources, et la diversification productive est un chantier de long terme. Mais c’est précisément sur cette ligne de crête qu’Ulisses Correia e Silva s’est imposé : celle d’un responsable politique qui s’appuie sur la technique, le compromis et l’image d’un État sérieux pour consolider un pays sans marge d’erreur.
Au fond, répondre à la question “Qui est Ulisses Correia e Silva ?”, c’est décrire un itinéraire où la gestion a servi de passerelle vers la politique. Un homme né à Praia, formé à Lisbonne, passé par la banque, les finances publiques, le Parlement et la mairie de la capitale, devenu Premier ministre en 2016 et reconduit en 2021. Un dirigeant dont la longévité tient autant à une trajectoire personnelle qu’aux équilibres d’une démocratie insulaire qui, malgré ses fragilités, continue de faire de la stabilité son premier capital.



