Dans les couloirs du pouvoir camerounais, certains profils tranchent avec les itinéraires plus classiques des figures partisanes. Alamine Ousmane Mey appartient à cette catégorie de responsables publics dont la trajectoire, longtemps ancrée dans la banque, les conseils d’administration et les mécanismes de financement, s’est prolongée au sommet de l’État. Né à Kousséri le 26 février 1966, dans l’Extrême-Nord, il est devenu, au fil des remaniements, l’un des visages les plus installés de la gestion économique : ministre des Finances à partir de décembre 2011, puis ministre de l’Économie, de la Planification et de l’Aménagement du Territoire depuis le 2 mars 2018.
Son nom revient régulièrement lorsque sont évoqués les arbitrages budgétaires, les partenariats de développement, la coordination des grands projets, ou encore les politiques de soutien au secteur privé. À Yaoundé, son portefeuille ministériel le place au cœur de la fabrique de l’action économique : c’est là que se croisent la programmation de l’investissement, la négociation avec des partenaires internationaux et bilatéraux, et la déclinaison, dans les chiffres, d’orientations politiques plus larges. Au-delà des fonctions, son parcours dit aussi quelque chose d’une époque où l’État camerounais s’appuie volontiers sur des technocrates passés par les milieux financiers, censés apporter des méthodes, des réseaux et une culture du résultat.
D’un itinéraire d’ingénieur à la banque : les années de formation et d’entreprise
La biographie officielle disponible au sein de l’appareil gouvernemental décrit un profil d’abord technique, avant d’être financier. Alamine Ousmane Mey est formé en ingénierie électrique en Allemagne, à Aix-la-Chapelle, où il obtient un diplôme d’ingénieur en 1993. Il a également suivi des formations en finance et en financement des PME, notamment via un certificat en Belgique (Anvers) et des programmes liés au capital-risque.
Son entrée dans la vie professionnelle passe par l’Allemagne (1992-1993) avant un retour dans le secteur bancaire au Cameroun, au sein de la CCEI Bank, où il occupe différentes responsabilités jusqu’à la recherche, l’investissement et la conduite de projets. Cette trajectoire, à la fois technique et financière, nourrit l’image d’un responsable habitué aux dossiers, aux montages et aux arbitrages.
C’est dans ce milieu bancaire que se construit une part importante de sa notoriété. La biographie institutionnelle le présente comme directeur général d’Afriland First Bank à partir de décembre 2003, après avoir été directeur général adjoint entre 2003 et 2004. Dans les années 2000, son nom apparaît aussi associé à des structures d’investissement et à plusieurs conseils d’administration, au Cameroun comme au Tchad, ce qui illustre une carrière marquée par l’interconnexion entre banque, assurance, industrie et capital-investissement.
Au-delà des titres, un élément revient régulièrement dans les récits sur la modernisation des paiements : le lancement, par Afriland First Bank, d’un porte-monnaie électronique baptisé I-card en août 2004, avant une autorisation de la banque centrale (BEAC) en 2005. Même si cette innovation dépasse la seule figure d’un dirigeant, elle situe le contexte : une période où les banques d’Afrique centrale expérimentent de nouveaux outils, et où la numérisation des services financiers devient un levier de conquête de clientèle, mais aussi d’inclusion financière.
L’itinéraire de Mey est aussi celui d’un acteur habitué à circuler entre environnements linguistiques. La fiche biographique publiée par les services du Premier ministre indique une maîtrise du français, de l’anglais et de l’allemand, et mentionne également des langues locales ainsi que des niveaux plus modestes en espagnol et en arabe. Dans une administration où la coopération et la négociation technique occupent une place centrale, ce détail nourrit l’image d’un interlocuteur à l’aise avec les formats internationaux, les réunions de bailleurs et la technicité des dossiers.
Décembre 2011 : l’entrée au gouvernement, la finance comme champ d’action
Le tournant politique se produit en décembre 2011 : Alamine Ousmane Mey entre au gouvernement en tant que ministre des Finances, un poste qu’il occupera sept ans. Dans l’architecture camerounaise, ce ministère est l’un des plus exposés : il concentre la préparation budgétaire, la fiscalité, la trésorerie, les relations avec les institutions financières, et, en période de tensions, l’obligation de maintenir la stabilité macroéconomique.
Son passage au ministère des Finances est notamment marqué, dans l’espace médiatique, par la question de la régulation de la microfinance. En février 2014, plusieurs articles économiques rapportent que le ministère a publié une liste d’établissements de microfinance ne disposant pas des agréments requis et a exigé la cessation de leurs activités, dans un contexte où le secteur se développe rapidement mais reste exposé aux dérives, à l’illégalité et aux risques pour les déposants. L’épisode, souvent cité, illustre une approche où l’État réaffirme sa capacité de contrôle, tout en posant une question récurrente : comment concilier l’expansion d’acteurs de proximité, utiles pour le financement des petits commerces, et l’exigence de conformité réglementaire.
Sur la scène africaine, son nom est aussi associé à une distinction : en 2016, le prix du « meilleur ministre des Finances » décerné lors des African Banker Awards lui est attribué, une reconnaissance présentée comme liée à sa contribution au développement socioéconomique de son pays. Ce type de prix, au-delà de la symbolique, participe à la construction d’une réputation régionale, utile dans les échanges avec les bailleurs et les partenaires : la crédibilité d’un ministre se joue souvent autant sur les chiffres que sur l’image de sérieux et de prévisibilité qu’il projette.
Les années 2011-2018 sont également celles où le Cameroun, comme d’autres pays, doit composer avec des chocs exogènes : fluctuations des matières premières, tensions sécuritaires régionales, contraintes budgétaires et débats sur l’endettement. Dans ce contexte, la fonction de ministre des Finances devient, par nature, une position d’équilibriste : lever des recettes sans étouffer l’activité, financer l’investissement sans basculer dans une vulnérabilité excessive, et maintenir la continuité de l’État.
En mars 2018, changement de portefeuille : il quitte les Finances et devient ministre de l’Économie, de la Planification et de l’Aménagement du Territoire (MINEPAT). Ce passage est plus qu’un déplacement administratif. Là où les Finances gèrent l’immédiateté budgétaire, l’Économie et la Planification prétendent organiser le temps long : hiérarchiser les projets, programmer l’investissement public, négocier des conventions de prêts, structurer les relations avec la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, l’Union européenne, ou encore coordonner le suivi des programmes.
Depuis 2018 au MINEPAT : planification, coopération et grands projets au quotidien
Le MINEPAT est, institutionnellement, un carrefour. La description des missions associées au ministère met en avant l’élaboration de cadres de planification stratégique, la conduite d’études prospectives, la coordination du suivi des programmes d’investissement, la négociation et le suivi des accords de prêts, ainsi que la cohérence des actions avec les partenaires internationaux et bilatéraux. C’est aussi un ministère qui intervient sur l’aménagement du territoire, la coordination des normes et programmes, et le suivi de certaines organisations de bassin régional.
Dans la pratique, cette centralité se lit à travers une série de séquences publiques, souvent peu spectaculaires mais structurantes. En décembre 2025, par exemple, plusieurs cérémonies et audiences placent Alamine Ousmane Mey en première ligne sur des dossiers très concrets : eau potable, transformation numérique de l’administration, soutien aux PME, ou encore gestion des déchets.
Le 16 décembre 2025, une cérémonie à Yaoundé marque la réception d’un projet d’approvisionnement en eau potable en zone rurale financé par la République de Corée, avec un montant annoncé de 3,6 milliards de FCFA, et lié à la construction ou la réhabilitation de dizaines de forages dans plusieurs communes. Le même moment est présenté comme l’occasion de dévoiler des futurs centres de formation liés au e-government, dans le cadre d’un autre financement coréen. (News du Camer) Dans ce type de séquence, la dimension politique est double : montrer des réalisations tangibles, et afficher la continuité d’une coopération structurée, avec des chiffres, des sites et des institutions de formation.
Le 17 décembre 2025, il préside également une cérémonie de remise d’appuis à 179 entreprises privées dans le cadre d’une opération de soutien au secteur privé, avec un montant global d’environ 855 millions de FCFA, mêlant appuis financiers et non financiers, et mentionnant notamment des crédits à taux bonifié et des subventions. (News du Camer) Là encore, le message public est clair : faire du secteur privé un moteur de croissance et d’emploi, avec une attention affichée aux jeunes et aux femmes, et inscrire l’opération dans une stratégie nationale de développement.
Le même jour, une audience donnée à une délégation du groupe ghanéen Jospong illustre un autre volet du MINEPAT : attirer, écouter, orienter des projets présentés comme porteurs de solutions et d’emplois, ici autour de la gestion des déchets et de la valorisation dans une logique d’économie circulaire. Ce sont des scènes typiques de la planification contemporaine : l’État ne se contente pas de budgéter, il doit aussi orchestrer des partenariats, encadrer des promesses d’investissement, et intégrer ces initiatives dans des priorités nationales.
Ces épisodes récents éclairent la dimension quotidienne du poste : présider des cérémonies, coordonner des projets, articuler des financements, et multiplier les échanges diplomatiques et économiques. Ils rappellent aussi que, dans un pays où l’urbanisation s’accélère et où les infrastructures restent un enjeu majeur, la planification n’est pas un exercice abstrait : elle se mesure à l’accès à l’eau, à la gestion des déchets, à l’appui aux entreprises et à la modernisation administrative.
Un style de technocrate sous observation : réputation, controverses et bataille de l’information
Dans l’espace public camerounais, les responsables économiques sont rarement jugés uniquement sur leur compétence technique. Ils sont aussi scrutés sur leurs réseaux, leurs arbitrages, leur proximité supposée avec certains milieux d’affaires, et leur capacité à résister aux rumeurs. Alamine Ousmane Mey, parce qu’il est un ministre installé et qu’il a exercé des fonctions sensibles, n’échappe pas à cette logique.
Le début de l’année 2025 offre un exemple révélateur du climat informationnel : des publications en ligne ont relayé une rumeur de démission, rapidement démentie dans d’autres articles qui insistent sur l’absence de lettre de démission et appellent à la prudence face aux fausses informations. Qu’on y voie un épisode banal de désinformation ou le symptôme d’une bataille d’influence, l’affaire rappelle une réalité contemporaine : l’autorité d’un ministre se joue aussi dans la capacité à contenir les narratifs, à rassurer l’administration, et à maintenir l’image de stabilité indispensable aux partenaires économiques.
Le profil de Mey est souvent présenté comme celui d’un gestionnaire, davantage associé aux chiffres et aux instruments qu’aux tribunes idéologiques. Sa biographie officielle insiste sur des compétences techniques, un parcours bancaire, et une implication dans des conseils d’administration. Pour ses partisans, c’est la preuve d’une expertise utile à l’État. Pour ses critiques, ce type de profil peut soulever des interrogations récurrentes : jusqu’où les méthodes du privé s’accordent-elles avec les impératifs sociaux, territoriaux et politiques d’un ministère de planification ? Comment arbitrer entre efficacité économique et équité, entre logique d’investissement et attentes immédiates des populations ?
Le ministère qu’il dirige, par ses missions, concentre aussi des responsabilités qui peuvent exposer : coordination du budget d’investissement public en liaison avec les Finances, suivi des conventions de prêts, cohérence de la coopération multilatérale, pilotage de programmes et projets, et co-présidence de comités liés aux privatisations et réhabilitations d’entreprises publiques. Cette place au centre des flux financiers et des priorités nationales nourrit inévitablement débats et soupçons, même lorsque les décisions relèvent d’arbitrages collectifs et de procédures administratives.
Ce qui ressort, en filigrane, c’est une tension structurelle. La planification moderne est attendue sur deux fronts contradictoires : d’un côté, elle doit rendre l’investissement plus rationnel, mieux suivi, mieux évalué ; de l’autre, elle doit répondre à des urgences sociales, territoriales et politiques qui ne rentrent pas toujours dans les cadres techniques. Un ministre de la planification devient alors un traducteur : il transforme des promesses en programmes, des priorités en budgets, des financements en chantiers, et des indicateurs en communication gouvernementale.
Une figure de continuité et de projection : quels enjeux autour de son portefeuille ?
Au Cameroun, la question économique ne se limite pas à la croissance. Elle se décline en accès aux services essentiels, en modernisation de l’administration, en soutien à l’emploi, en développement rural, en infrastructures et en cohésion territoriale. Dans ce paysage, le portefeuille confié à Alamine Ousmane Mey est stratégique parce qu’il touche à la fois au temps long et au concret.
Les dossiers mis en avant en décembre 2025, autour de l’eau potable, du e-government, de l’appui aux entreprises et des solutions de gestion des déchets, dessinent une ligne d’action où la coopération internationale et le partenariat avec des acteurs privés sont présentés comme des accélérateurs. Les montants annoncés, les communes citées, les centres de formation envisagés, participent d’un récit de transformation : celui d’un État qui planifie, mobilise des financements, et tente d’élargir l’accès aux services.
Mais ces annonces soulignent aussi les défis. La planification ne peut pas se réduire à une accumulation de projets ; elle doit répondre à la question de la mise en œuvre : délais, maintenance, qualité des travaux, coordination entre ministères, suivi sur le terrain, et continuité budgétaire. Les projets d’eau potable, par exemple, ne se jugent pas seulement à la remise symbolique d’un monument ou à une cérémonie : ils se jugent à la durabilité des forages, à la gestion locale, et à la capacité des communes à maintenir les infrastructures. De même, la transformation numérique de l’administration exige des compétences, une gouvernance des données, et une appropriation par les agents publics, au-delà des effets d’annonce.
Le soutien au secteur privé, lui, pose une autre équation : comment passer d’appuis ponctuels à une dynamique structurelle de compétitivité ? L’opération OSSP-CMR décrite en décembre 2025 met en avant des appuis ciblés et des crédits à taux bonifié, ainsi qu’une volonté d’inclusion des femmes et des jeunes. Reste l’enjeu classique de toute politique de soutien : sélection des bénéficiaires, efficacité réelle sur la productivité, capacité à accéder aux marchés, et articulation avec l’environnement des affaires.
Enfin, sur le plan institutionnel, les missions attribuées au MINEPAT rappellent que la fonction dépasse l’événementiel : coordination des orientations économiques, suivi de la cohérence avec les partenaires, supervision des investissements, et production d’analyses prospectives. C’est là que se joue une partie de la crédibilité de l’État : dans sa capacité à dire où il va, à chiffrer ce qu’il promet, et à démontrer ce qu’il réalise.
Alamine Ousmane Mey apparaît ainsi comme une figure de continuité au sommet de la chaîne économique, un ministre dont le parcours illustre la porosité entre banque et gouvernement, et dont les responsabilités actuelles le placent au centre des chantiers qui façonnent le quotidien des Camerounais : eau, infrastructures, services publics, emplois. À l’heure où l’économie reste soumise à des contraintes internes et externes, sa trajectoire rappelle que la politique économique n’est pas seulement une affaire d’idéaux, mais aussi de procédures, de financements, de négociations et, surtout, d’exécution.



