À Djibouti, certains visages traversent les années sans quitter le cœur de l’appareil d’État. Nabil Mohamed Ahmed est de ceux-là. Peu connu hors des cercles spécialisés, il incarne pourtant une ligne politique précise : faire de l’enseignement supérieur, de la recherche et, plus récemment, de l’espace, des instruments de souveraineté et de développement pour un pays de moins d’un million d’habitants, placé au carrefour des routes maritimes mondiales.
Né en 1961 dans la capitale, docteur en biologie et physiologie végétales, il arrive au gouvernement en 2011, au moment où Djibouti crée un portefeuille ministériel de plein exercice dédié à l’enseignement supérieur et à la recherche. Depuis, il n’a plus quitté cette fonction, enchaînant les remaniements et les équipes gouvernementales, sous la présidence d’Ismaïl Omar Guelleh. Dans un système politique où la stabilité des postes ministériels est parfois un indicateur de confiance présidentielle, cette longévité en dit long sur le rôle qui lui est assigné : piloter un secteur stratégique, souvent discret, mais crucial pour la formation des cadres, l’organisation de la science nationale et la projection internationale du pays.
Son profil tranche avec l’archétype du responsable politique issu des filières partisanes classiques. Dans ses interventions publiques, le vocabulaire est celui des politiques publiques, des filières, de la gouvernance universitaire, des partenariats scientifiques, et désormais des applications spatiales au service de l’environnement. C’est ce fil, celui d’un État qui cherche à se doter de compétences et d’outils propres, qui permet de comprendre la place occupée par Nabil Mohamed Ahmed depuis plus d’une décennie.
Un parcours de scientifique devenu pilier gouvernemental
Le point de départ du personnage est académique. Nabil Mohamed Ahmed revendique une formation scientifique poussée, couronnée par un doctorat, avant d’évoluer comme chercheur et expert. Plusieurs sources le décrivent comme intervenant dans des études liées à la protection de l’environnement et de la biodiversité, notamment dans un cadre onusien. Cette trajectoire, relativement rare dans l’élite politique régionale, lui donne un langage et un réseau : la science comme capital, l’expertise comme mode de légitimation, la coopération internationale comme levier.
Son entrée au gouvernement date du 15 mai 2011, quand Djibouti crée un ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Le poste est nouveau : il en devient le premier titulaire. Ce moment n’est pas anodin. Le pays s’est doté quelques années plus tôt de l’Université de Djibouti, fondée en 2006, et doit ensuite structurer l’écosystème : filières, diplômes, articulation avec le marché du travail, mais aussi recherche publique. Le ministère apparaît comme un outil de pilotage, et son premier ministre comme l’architecte d’un secteur encore en construction.
À partir de là, Nabil Mohamed Ahmed s’installe dans la durée. Il est reconduit lors des changements de gouvernement, ce qui renforce son statut de « ministre de continuité ». Sa fonction se déploie à l’interface de plusieurs mondes : les universitaires, les administrations, les bailleurs et partenaires étrangers, et la présidence, qui conserve la main sur les grandes orientations. Dans l’espace public djiboutien, il intervient souvent sur des sujets liés à la modernisation de l’enseignement supérieur, à la place de la recherche dans la stratégie nationale, et à l’image internationale d’un pays qui veut se présenter comme stable, ouvert et tourné vers l’innovation.
Cette longévité s’accompagne d’une accumulation de signes de reconnaissance. Il a reçu des distinctions nationales, comme l’Ordre du 27 Juin, et une distinction française, l’Ordre des Palmes académiques, souvent attribuée à des acteurs engagés dans la diffusion de la culture et de l’enseignement. Dans la diplomatie de l’enseignement supérieur, ces marques jouent un rôle : elles inscrivent un ministre dans un réseau de relations académiques, de coopération et d’influence.
Enseignement supérieur : construire des filières, structurer une gouvernance
Le ministère dont Nabil Mohamed Ahmed a la charge touche à une question structurelle : comment former sur place des cadres et des techniciens dans un pays dont l’économie repose sur les services, la logistique portuaire, les bases militaires étrangères et, plus largement, sur sa position géostratégique. Dans ce contexte, l’enseignement supérieur n’est pas seulement un secteur social ; il devient un instrument de souveraineté administrative et économique.
Les priorités mises en avant dans les interventions publiques qui lui sont attribuées suivent une logique classique de pays en consolidation institutionnelle : organisation des filières, adaptation des contenus, professionnalisation, et amélioration de la qualité. Il s’agit de répondre à une double pression. D’un côté, une jeunesse qui aspire à des parcours diplômants et à l’emploi. De l’autre, un État qui doit limiter l’exode des compétences et éviter que les formations ne se déconnectent des besoins internes.
Dans les entretiens et prises de parole, Nabil Mohamed Ahmed insiste souvent sur le rôle des institutions nationales, à commencer par l’Université de Djibouti. Le discours officiel met en avant une progression par étapes : création d’établissements, amélioration de la gouvernance, et montée en gamme graduelle. C’est aussi une politique de partenariats : une partie de la stratégie consiste à nouer des coopérations avec des universités étrangères, à favoriser des programmes conjoints, et à envoyer des étudiants se former dans des domaines pointus.
Ce modèle repose sur une réalité : Djibouti, comme beaucoup de petits États, ne peut pas produire immédiatement sur son territoire l’ensemble des spécialités scientifiques et techniques. La coopération sert donc de pont, mais elle implique aussi une dépendance. La difficulté politique consiste à transformer l’assistance et la coopération en transfert de compétences, sans se contenter d’une sous-traitance durable de la formation et de la recherche.
Sur ce terrain, Nabil Mohamed Ahmed se présente comme un promoteur d’un enseignement supérieur arrimé à la recherche. Il défend l’idée qu’une université ne doit pas être seulement une machine à diplômes, mais aussi un lieu de production scientifique, même modeste, orientée vers les priorités nationales : climat, ressources naturelles, santé publique, ou encore technologies de l’information. Le ministère devient alors un lieu d’arbitrage : financer ou soutenir des projets, choisir des axes, donner un cadre institutionnel.
Dans cette perspective, les réformes institutionnelles ont une place centrale. L’exemple souvent cité est la réorganisation du Centre d’Études et de Recherche de Djibouti (CERD), institution présentée comme l’organe chargé de la recherche scientifique nationale. La redynamisation du CERD, via des textes et des décisions gouvernementales, est décrite comme un moyen de rendre la recherche plus opérationnelle et mieux connectée aux politiques publiques. Derrière ces formulations, un enjeu revient : faire exister une recherche nationale qui ne soit pas seulement un affichage, mais un outil, même limité, de diagnostic, de mesure et de réponse aux défis environnementaux et socio-économiques.
Recherche et diplomatie scientifique : l’influence par la connaissance
La fonction ministérielle de Nabil Mohamed Ahmed dépasse le périmètre strict des campus. Elle se prolonge dans une diplomatie scientifique où Djibouti cherche à occuper une place identifiable, malgré des moyens restreints. La logique est simple : dans un monde où la science sert d’argument d’autorité, afficher des programmes, des centres et des partenariats permet d’exister, d’attirer des projets, et de peser dans les réseaux.
Le ministre apparaît ainsi dans plusieurs séquences de coopération internationale. Des visites et réunions ont eu lieu avec des institutions universitaires en France, dans le cadre de programmes de collaboration autour de la formation et de la recherche. D’autres déplacements le situent dans un rôle de représentant de Djibouti auprès d’organisations et de partenaires, comme l’UNESCO, où il a été reçu avec la direction de l’organisation pour discuter de coopération. À travers ces scènes, la diplomatie de l’enseignement supérieur se joue sur des dossiers concrets : appui à des établissements, formation d’enseignants, projets linguistiques et culturels, reconnaissance de diplômes, ou encore accès à des financements.
Dans le même esprit, la participation à des forums internationaux contribue à façonner une image de responsable politique technicien. Nabil Mohamed Ahmed est présenté comme intervenant dans des rencontres économiques et des panels liés à la recherche. Le choix des thèmes, tels que la sanctuarisation de la recherche, en dit long sur la posture : se placer dans un débat global, faire entendre la voix d’un pays du Sud, et rappeler que la science n’est pas un luxe mais un investissement.
Cette diplomatie scientifique est aussi un outil de politique intérieure. Lorsqu’un pays investit dans la recherche, il construit un récit : celui d’un État moderne, tourné vers l’avenir, capable de planifier et d’innover. Pour un pouvoir qui met en avant la stabilité et le développement, ce récit a une utilité politique. Il permet de répondre à une partie des attentes sociales, notamment celles d’une jeunesse diplômée, tout en renforçant la légitimité d’un appareil d’État très centralisé.
Mais la diplomatie scientifique a ses contradictions. Elle exige des résultats mesurables : des formations, des laboratoires, des publications, des innovations, et surtout des emplois. Elle suppose aussi une gouvernance universitaire robuste, capable d’assurer la qualité. Or, comme ailleurs, l’enseignement supérieur est souvent confronté à des difficultés : tension sur les effectifs, financement, besoin d’enseignants qualifiés, et articulation entre formation générale et besoins économiques. Le ministre, dans ce contexte, est jugé sur sa capacité à faire progresser le système sans promettre l’impossible.
Le virage spatial : des nanosatellites pour l’environnement et une stratégie d’image
À partir de 2020, un dossier va donner à Nabil Mohamed Ahmed une visibilité nouvelle : la mise en place et la conduite du programme spatial djiboutien. Dans le récit officiel, il en devient l’un des animateurs centraux, et le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche apparaît comme le porteur politique du projet. L’espace, ici, n’est pas présenté comme un caprice technologique : il est justifié par des besoins de collecte de données environnementales et climatiques, utiles à la gestion des ressources et à l’adaptation au changement climatique.
Le programme repose sur un principe : développer des nanosatellites, conçus et réalisés avec une forte implication de compétences djiboutiennes, mais en partenariat avec des structures universitaires françaises, notamment autour de Montpellier et Nîmes. L’objectif affiché est double. D’une part, former une génération d’ingénieurs et techniciens aux systèmes spatiaux. D’autre part, disposer d’outils de mesure et de surveillance environnementale. Dans cette logique, l’espace devient une extension de la politique scientifique : un projet concret, mobilisateur, et symboliquement puissant.
La chronologie marque un tournant en novembre 2023, lorsque Djibouti procède au lancement de son premier nanosatellite opérationnel, baptisé DJIBOUTI 1-A. Le lancement se fait à bord d’une fusée Falcon 9, depuis la base de Vandenberg, en Californie, selon la communication officielle. Les autorités insistent sur l’idée d’une conception portée par des chercheurs et ingénieurs djiboutiens, et sur l’usage environnemental de la mission. Au-delà de la performance technique, l’événement a une valeur politique immédiate : il permet à Djibouti d’entrer dans le club, très symbolique, des pays ayant mis un satellite en orbite.
Un second nanosatellite, DJIBOUTI 1-B, est ensuite lancé en décembre 2024, présenté là encore comme un succès. La répétition de l’exercice, en un peu plus d’un an, montre une volonté de continuité : il ne s’agit plus d’un coup unique, mais d’une trajectoire. Le message politique est clair : Djibouti ne veut pas seulement être un pays de ports et de bases militaires ; il veut aussi être un pays de science et de technologie.
Dans cette séquence, Nabil Mohamed Ahmed joue le rôle de visage institutionnel. Ses prises de parole mettent en avant la réussite, la jeunesse mobilisée, la coopération scientifique, et l’appui du président. Le programme spatial devient une vitrine pour l’enseignement supérieur : il sert à attirer des vocations, à justifier des formations d’ingénieurs, et à démontrer qu’un investissement éducatif peut produire des résultats visibles.
Le dossier ne s’arrête pas aux satellites. Dans certaines communications, il est aussi question d’ambitions plus vastes, comme l’idée d’une base de lancement, portée par la proximité de Djibouti avec l’équateur, facteur technique intéressant pour certaines trajectoires orbitales. De telles annonces relèvent d’une stratégie d’image, mais posent aussi une question de faisabilité. Construire une infrastructure de lancement implique des investissements considérables, une sécurité réglementaire, des partenariats industriels, et un environnement géopolitique maîtrisé. Autrement dit, c’est un horizon, pas un acquis.
Pour Djibouti, l’espace est donc à la fois outil et symbole. Outil, parce qu’il s’agit de données climatiques et de compétences techniques. Symbole, parce que l’espace raconte une modernité. Et dans cette construction, Nabil Mohamed Ahmed apparaît comme l’un des architectes du récit : un ministre qui ancre l’innovation dans l’action publique et tente de transformer un projet technologique en politique nationale.
Une figure de stabilité, entre reconnaissance et défis de crédibilité
Reste la question essentielle : que révèle le parcours de Nabil Mohamed Ahmed sur la gouvernance djiboutienne et sur les défis de l’État ? Sa longévité au ministère indique un choix politique : celui de la stabilité sur un portefeuille clé. Elle montre aussi qu’à Djibouti, la technicité peut être une forme de légitimité. Le profil de scientifique, le langage de la recherche, la présence dans les réseaux internationaux, tout cela construit une image de compétence et de sérieux, utile pour un gouvernement qui doit convaincre partenaires et bailleurs.
Les distinctions qu’il a reçues participent à cette reconnaissance. Les décorations nationales soulignent l’inscription dans le récit officiel. La distinction française, elle, s’inscrit dans une histoire de coopération éducative et culturelle et renforce, sur le plan symbolique, la posture d’un ministre tourné vers l’académique. Dans les relations entre États, ces marques comptent : elles facilitent parfois l’accès à des réseaux, à des conférences, à des partenariats.
Mais cette reconnaissance n’efface pas les défis. L’enseignement supérieur est un secteur où les attentes sociales peuvent être explosives : une université qui diplômait hier quelques centaines de personnes peut, en quelques années, devoir accueillir des cohortes plus nombreuses. Les contraintes budgétaires, le manque d’enseignants spécialisés, la nécessité d’assurer la qualité et l’employabilité, tout cela constitue un test permanent. La recherche, quant à elle, doit prouver son utilité face à des priorités immédiates : eau, santé, logement, emploi.
Le programme spatial, enfin, s’il offre une visibilité internationale, peut aussi exposer à des interrogations : coût, retombées concrètes, dépendance à des partenaires extérieurs, et capacité à maintenir des compétences sur la durée. Le défi est classique : transformer une réussite technologique ponctuelle en politique publique durable, avec des applications, des formations, des équipes et une stratégie industrielle ou de services.
Sur le plan diplomatique, Nabil Mohamed Ahmed représente aussi une facette du positionnement djiboutien : un pays qui multiplie les partenariats, cherche des appuis divers, et utilise des domaines comme l’éducation, la recherche et la francophonie pour renforcer sa place internationale. Des dossiers récents évoquent par exemple des projets liés à l’enseignement du français et à la coopération dans ce domaine, illustrant une politique d’influence qui ne passe pas uniquement par la géographie militaire et portuaire, mais aussi par la culture et l’éducation.
Enfin, l’homme est aussi un acteur d’un État centralisé, où les grands axes sont fixés au sommet. Sa marge de manœuvre, comme celle de nombreux ministres, dépend des arbitrages présidentiels, des ressources disponibles et des priorités du moment. Sa force, jusque-là, a été de tenir une ligne et de s’inscrire dans une vision : construire, pierre après pierre, un secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche qui puisse servir l’ambition de développement du pays.
Au fond, la question « Qui est Nabil Mohamed Ahmed ? » ne se résume pas à une fiche biographique. Elle renvoie à une manière de gouverner : miser sur la continuité et sur l’expertise, faire de l’université et de la science des outils de politique publique, et utiliser des projets à forte charge symbolique, comme l’espace, pour raconter un récit national de modernisation. Dans un pays où l’image internationale compte autant que les équilibres internes, ce récit est un capital politique. Et Nabil Mohamed Ahmed, ministre depuis 2011, en est l’un des principaux porteurs.



