À chaque remaniement ministériel, certains noms cristallisent davantage l’attention que d’autres. Dans l’Égypte de ces dernières années, où la scène institutionnelle est traversée par des chantiers législatifs, des débats sur la gouvernance de l’information et une recherche de cohérence entre l’exécutif et les assemblées, le portefeuille des affaires parlementaires, juridiques et de la communication politique est devenu un poste-charnière. C’est à ce carrefour que s’est installé Mahmoud Fawzi (Mahmoud Fawzy Abdel Bari), nommé le 3 juillet 2024. Juriste de formation, magistrat du Conseil d’État, habitué des coulisses parlementaires et passé par des fonctions sensibles liées au dialogue national et à la régulation des médias, il incarne une figure technico-politique : un profil à la fois juridique, institutionnel et opérationnel, chargé de sécuriser les textes, de fluidifier les relations entre gouvernement et députés, et de rendre lisible, sur le plan politique, l’action de l’exécutif.
Son intitulé de ministère dit beaucoup du moment : aux “affaires parlementaires” s’ajoutent explicitement les “affaires juridiques” et la “communication politique”. Autrement dit, la fabrication de la loi, la solidité juridique des décisions, et la manière de les expliquer au pays se trouvent rassemblées sous une même responsabilité. À l’heure où l’équilibre institutionnel se joue aussi dans la maîtrise du tempo parlementaire, des argumentaires et de la discipline législative, le ministre occupe une place stratégique, moins exposée que d’autres, mais déterminante.
Qui est donc Mahmoud Fawzi ? D’où vient-il, quels postes a-t-il occupés, et pourquoi son parcours éclaire-t-il les priorités de l’État égyptien dans la relation entre droit, politique et communication ? Portrait d’un ministre dont la trajectoire se lit comme une traversée des centres nerveux de l’appareil institutionnel.
Un ministre nommé dans un portefeuille désormais central
Mahmoud Fawzi prête serment le 3 juillet 2024, dans le cadre de la formation d’un nouveau gouvernement conduit par le Premier ministre Mostafa Madbouly. Son arrivée s’inscrit dans une recomposition où plusieurs portefeuilles évoluent, et où la coordination entre l’exécutif, les assemblées et l’opinion devient un axe de stabilité. Dans l’architecture gouvernementale, ce ministère joue un rôle d’interface : il accompagne le cheminement des projets de loi, prépare la relation avec les commissions, négocie des amendements, anticipe les points de friction, et veille à la cohérence juridique des initiatives.
La singularité de l’intitulé, qui associe affaires parlementaires, juridiques et communication politique, signale une logique de continuité et de contrôle. Continuité, parce que l’Égypte mène depuis plusieurs années des réformes législatives et institutionnelles et cherche à harmoniser l’édifice normatif. Contrôle, parce qu’un gouvernement qui veut aller vite a besoin d’une mécanique parlementaire prévisible : textes préparés, argumentaires stabilisés, échanges cadrés, et, autant que possible, réduction de l’improvisation.
Cette place est d’autant plus importante que l’initiative législative et son suivi sont aussi des actes politiques : une loi n’existe pleinement que si elle passe les étapes parlementaires, résiste à l’examen juridique, et peut être défendue publiquement. Dans ce triangle, le ministre sert de “chef d’orchestre” discret. À l’intérieur de l’État, il coordonne avec les ministères porteurs de réformes. Devant le Parlement, il incarne la voix du gouvernement, répond, clarifie, rassure, corrige. Dans l’espace public, il contribue à la narration politique de l’action gouvernementale, avec un vocabulaire et une méthode qui cherchent à éviter les dissonances entre ce que l’État fait, ce qu’il dit, et ce que les institutions peuvent juridiquement soutenir.
Un parcours de juriste : formation, Conseil d’État et culture du texte
La matrice de Mahmoud Fawzi est juridique. Né en 1978 au Caire, il suit une formation en droit : licence de droit en 2000, puis un master en droit (droit privé et droit public) au début des années 2000. Plus tard, il complète son cursus par un master en droit international et comparé obtenu en 2009 à l’Indiana University Maurer School of Law, aux États-Unis. Cette séquence académique n’est pas un simple décor : elle construit une double compétence, nationale et comparée, utile dans un ministère qui doit manier à la fois la logique interne du système juridique et les grilles de lecture internationales, notamment lorsqu’il s’agit d’expliquer des réformes ou de dialoguer dans des enceintes multilatérales.
Il mène ensuite une carrière au Conseil d’État, institution au cœur de l’ordre administratif et de la production normative. Il y progresse jusqu’à un grade élevé, présenté comme celui de vice-président (ou, selon les formulations, un rang équivalent de direction). Cette expérience imprime une culture professionnelle : prudence rédactionnelle, rigueur procédurale, sens des risques contentieux, et capacité à “blinder” un texte. Dans l’Égypte contemporaine, où l’État veut faire passer des réformes tout en évitant les fragilités juridiques, cette compétence est un atout.
Mais la trajectoire ne reste pas cantonnée à la juridiction. Mahmoud Fawzi bascule progressivement dans des fonctions de conseil et de coordination au sein des institutions politiques. Il travaille comme conseiller juridique, notamment auprès du président de la Chambre des représentants et auprès de ministres liés à des portefeuilles économiques et administratifs. Cette étape est déterminante : elle l’habitue à traduire les objectifs politiques en formulations juridiques, et à défendre juridiquement des arbitrages qui sont, au fond, politiques.
À ce stade, se dessine une caractéristique de son profil : il appartient à ces hauts juristes qui savent naviguer entre la lettre et l’intention, entre les contraintes du droit et l’exigence de gouverner. La politique, dans ce cadre, n’est pas l’art du slogan : c’est l’art de faire tenir un dispositif, de lui donner une forme légale, et d’anticiper ses zones de turbulence.
Ce type de culture explique pourquoi, dans des périodes de réformes, les exécutifs s’appuient sur des juristes institutionnels. Ils ne sont pas seulement des “techniciens” : ils sont des stabilisateurs. Ils réduisent l’incertitude, sécurisent les procédures, cadrent la relation entre ministères et Parlement, et rendent la production normative plus prévisible.
Des coulisses du Parlement au sommet : secrétaire général, conseiller, coordinateur
Au-delà du Conseil d’État, Mahmoud Fawzi s’illustre dans des postes qui le placent au cœur des interactions entre gouvernement et Parlement. Il est mentionné comme ayant occupé la fonction de secrétaire général de la Chambre des représentants. Pour un observateur des institutions, ce poste est loin d’être administratif au sens banal : il s’agit d’une fonction de direction qui touche au fonctionnement interne, à l’organisation des travaux, à la préparation des séances, et à la continuité institutionnelle. Dans un Parlement où la qualité du processus compte autant que le vote final, ce rôle donne une connaissance fine des mécanismes : rythmes des commissions, rapports de force, articulation entre majorité et opposition, gestion des priorités législatives.
Ce passage est essentiel pour comprendre son ministère. Un ministre des affaires parlementaires qui a pratiqué de l’intérieur la machine parlementaire possède un avantage compétitif : il sait ce qui bloque, ce qui accélère, et comment une formulation peut être reçue. Il peut anticiper la lecture politique d’un article, l’interprétation procédurale d’un amendement, ou le type d’argument susceptible de convaincre une commission.
Son parcours mentionne également des responsabilités de conseiller juridique auprès de plusieurs ministres, notamment dans des domaines économiques et institutionnels. Cela révèle une compétence transversale : il n’est pas spécialiste d’un secteur unique, mais “spécialiste de l’État”, c’est-à-dire des procédures par lesquelles l’État agit. Dans un pays où les politiques publiques se déploient à travers des textes, des décrets, des lois et des mécanismes réglementaires, ce savoir-faire est un levier de gouvernance.
S’ajoute un élément de plus en plus visible : sa participation à des dispositifs liés à la concertation politique. Mahmoud Fawzi est présenté comme ayant présidé le secrétariat technique du Dialogue national, une plateforme de discussions rassemblant des acteurs politiques et sociaux. Là encore, la dimension technique est cruciale. Un secrétariat technique ne se contente pas de “prendre des notes” : il organise l’agenda, prépare les documents, structure les propositions, et, surtout, rend les échanges “convertibles” en recommandations susceptibles d’être reprises dans l’action publique. Pour un juriste, c’est un exercice naturel : transformer des idées en textes, des positions en formulations, et des désaccords en compromis.
Enfin, il est également mentionné dans un rôle de secrétaire général du Conseil suprême de régulation des médias. Cette fonction l’expose à un autre terrain : celui de l’information, des normes de régulation, et de la relation entre liberté d’expression, ordre public, et politique de communication. Dans un portefeuille qui inclut explicitement la “communication politique”, ce passé n’est pas anecdotique. Il indique une familiarité avec les enjeux de récit public, de cadrage institutionnel et de gestion des controverses.
Dans l’ensemble, ces expériences composent un triptyque : maîtrise du droit, connaissance du Parlement, et pratique de la communication institutionnelle. Peu de profils réunissent ces trois dimensions à un niveau élevé.
2023-2024 : campagne présidentielle, dialogue national et légitimation politique
Un ministre n’est jamais seulement un CV : il est aussi un produit d’une conjoncture. Dans le cas de Mahmoud Fawzi, la séquence 2023-2024 est centrale. Il est indiqué qu’il a quitté son poste au Conseil d’État en octobre 2023 pour diriger la campagne présidentielle de Abdel Fattah al-Sissi lors de l’élection de 2024. Cette transition du judiciaire/administratif vers la conduite d’une campagne électorale marque un basculement assumé vers la politique.
Pour un juriste, diriger une campagne implique des compétences de coordination, de message, de discipline et de mobilisation. C’est un travail où l’on gère des équipes, des territoires, une communication, des alliances, et une cohérence narrative. Cette étape renforce une dimension souvent recherchée chez un ministre chargé de communication politique : la capacité à faire circuler un message sans le déformer, à produire des arguments compréhensibles, et à tenir une ligne dans le temps.
Dans la même période, son rôle dans le Dialogue national souligne une autre logique : l’État cherche à articuler l’action gouvernementale avec des espaces de discussion et de consultation. Présider un secrétariat technique, c’est se placer dans la mécanique de la médiation institutionnelle. Cela n’implique pas forcément d’arbitrer politiquement, mais de rendre possible l’arbitrage : mettre en forme les options, clarifier les demandes, et proposer des trajectoires d’application. À ce titre, le ministre devient un acteur de la “traduction” entre demandes sociales, positionnements politiques et dispositifs juridiques.
Enfin, les fonctions liées à la régulation des médias indiquent un environnement où la communication n’est pas une couche secondaire, mais une dimension structurante du gouvernement. Dans de nombreux États, la communication politique est séparée des affaires juridiques. Ici, l’association des deux peut être lue comme une volonté de cohérence : éviter que le discours public ne dépasse le cadre juridique, et éviter que le cadre juridique ne soit présenté de manière illisible ou contre-productive.
Dans un contexte où l’État met en avant des réformes législatives et institutionnelles, cette cohérence devient un capital. Le ministre chargé de communication politique n’est pas seulement chargé de “faire savoir”, mais de “faire comprendre” et de “faire accepter”, ce qui suppose de maîtriser le contenu même des réformes.
À l’extérieur, Mahmoud Fawzi apparaît aussi comme un interlocuteur dans des discussions officielles et des rencontres diplomatiques ou institutionnelles liées à son portefeuille. Ce type d’exposition, souvent sobre, contribue à installer une image : celle d’un ministre davantage attaché à la méthode qu’au spectacle, et qui incarne une fonction de continuité entre institutions.
Ce que révèle son profil : la stratégie d’un État entre droit, Parlement et récit public
Le portrait de Mahmoud Fawzi éclaire une dynamique plus large : la consolidation d’une gouvernance par l’architecture institutionnelle. En regroupant affaires parlementaires, affaires juridiques et communication politique, l’État égyptien signale que l’efficacité gouvernementale repose sur trois piliers indissociables.
Premier pilier : la maîtrise du temps parlementaire. Un gouvernement qui veut déployer des politiques publiques a besoin d’un calendrier législatif réaliste et contrôlé. Cela implique de négocier avec les commissions, d’écouter les objections, de préparer des réponses, de produire des études d’impact et des argumentaires, et de sécuriser des majorités. Le ministre devient l’interface permanente, celui qui évite que le projet ne se perde dans des détails procéduraux ou ne s’effondre sous des critiques juridiques.
Deuxième pilier : la solidité juridique. Dans un État moderne, une réforme fragile juridiquement peut se retourner contre son initiateur, soit par des contestations, soit par des contradictions internes, soit par une application administrative incohérente. Un ministre issu du Conseil d’État apporte une culture de prévention : il ne s’agit pas seulement de faire passer une loi, mais de faire passer une loi applicable, cohérente, et défendable.
Troisième pilier : la cohérence du récit public. Les gouvernements ne gouvernent pas seulement par des actes, mais par la manière dont ces actes sont interprétés. Lorsque le portefeuille inclut la communication politique, cela signifie que l’État veut éviter les messages divergents, les annonces précipitées ou contradictoires, et les polémiques alimentées par des imprécisions. Le ministre peut alors intervenir pour harmoniser la parole publique avec le contenu réel des textes, et pour produire une pédagogie politique.
Le parcours de Mahmoud Fawzi est construit précisément pour ce triptyque. Ses années au Conseil d’État lui donnent la rigueur. Son passage par le Parlement lui donne l’expérience du terrain législatif. Ses responsabilités liées au dialogue national et à la régulation des médias, ainsi que son rôle dans la campagne présidentielle, lui donnent une familiarité avec les enjeux de communication et de légitimation.
Ce profil soulève aussi une question de fond : celle de la frontière entre technique et politique. Dans de nombreux systèmes, les juristes de haut rang sont appelés à des fonctions politiques lorsqu’il faut “tenir” les institutions et réduire la volatilité. Mahmoud Fawzi s’inscrit dans cette logique. Il n’est pas seulement un ministre chargé d’un secteur socio-économique ; il est un ministre chargé du système, du lien entre pouvoirs, et de la traduction des choix en normes et en messages.
Cette position est exigeante. Elle implique une loyauté gouvernementale, une capacité à négocier, une prudence dans le verbe, et une endurance administrative. Elle exige aussi de savoir absorber des crises : une controverse législative, un texte contesté, une tension parlementaire, ou une polémique publique. La fonction de communication politique, adossée à la compétence juridique, peut servir alors de pare-feu : clarifier, corriger, réexpliquer, et stabiliser.



