Il n’est pas de ceux qui ont construit leur notoriété sur les plateaux politiques ou dans les arènes partisanes. Sherif Sherbiny s’est imposé par un itinéraire plus discret, mais central dans l’Égypte contemporaine : celui des techniciens de l’aménagement, propulsés au premier plan par l’ampleur des chantiers urbains et par l’urgence sociale du logement. Ingénieur civil de formation, passé par les rouages de l’Autorité des communautés urbaines nouvelles, il incarne cette génération de responsables dont la légitimité s’ancre dans l’exécution, la conduite de projets et la maîtrise des infrastructures.
Depuis sa nomination au poste de ministre du Logement, des Services publics et des Communautés urbaines, Sherif Sherbiny se retrouve à la jonction de plusieurs lignes de tension : répondre à la demande de logements, garantir la continuité des services essentiels (eau, assainissement, réseaux), maintenir le rythme des nouvelles villes, et rassurer sur l’état d’un marché immobilier scruté autant par les ménages que par les investisseurs. Dans un pays où l’urbanisation avance à grande vitesse, où les mégaprojets redessinent les périphéries du Grand Caire et où les politiques publiques ont fait de la construction un marqueur politique majeur, son profil éclaire une transformation plus large : l’urbanisme n’est plus seulement une affaire de plans, mais une question de stabilité, d’image et de contrat social.
D’un ingénieur de terrain à un ministre : un parcours façonné par les villes nouvelles
Sherif Sherbiny est né au Caire en 1982 et a obtenu un diplôme d’ingénieur civil en 2004. Ce détail, qui semble purement biographique, dit pourtant l’essentiel : sa trajectoire n’est pas celle d’un élu local devenu figure nationale, mais celle d’un cadre formé pour concevoir, suivre et livrer des ouvrages. Au fil des années, il s’est spécialisé dans une zone stratégique de l’action publique égyptienne : les autorités de développement urbain, chargées d’encadrer la construction de nouvelles villes et d’y déployer les réseaux indispensables à la vie quotidienne.
Ses premières années s’inscrivent dans le concret des services urbains : supervision de réseaux d’eau, d’assainissement, d’irrigation, de voirie, puis responsabilités dans les études, la conception et la coordination de projets. Il passe par l’appareil de développement de la ville de Badr, un territoire typique de l’urbanisme égyptien contemporain : périphérique, planifié, construit en phases, dépendant d’une capacité forte à “faire sortir” les infrastructures avant même l’installation massive des habitants. Cette culture de la séquence – réseaux d’abord, logements ensuite, services enfin – a façonné la génération de gestionnaires dont Sherbiny est issu.
Dans la seconde moitié des années 2010, son ascension reflète une logique interne à l’État bâtisseur : les profils capables d’accélérer l’exécution sont propulsés vers des postes où la pression est maximale. Il dirige, à différentes périodes, des appareils de développement de villes nouvelles et occupe des fonctions de coordination et de suivi de projets. Il devient notamment responsable du développement de villes telles que Al-Shorouk, puis prend la tête de l’appareil de la ville du 6 Octobre, vaste pôle urbain et économique à l’ouest du Caire, souvent considéré comme un laboratoire de la croissance métropolitaine. Là, il suit des projets de routes, d’axes structurants, d’ouvrages d’art, ainsi que des extensions et modernisations de stations d’eau et d’assainissement, tout en participant au pilotage de l’offre foncière et des opportunités d’investissement.
La dernière étape avant son entrée au gouvernement le place au centre du projet le plus symbolique de la décennie : la Nouvelle Capitale administrative. Pendant plusieurs années, il dirige l’appareil chargé d’une partie du développement et du suivi des travaux. Cette fonction le fait passer d’un urbanisme “de ville” à un urbanisme “d’État”, où les calendriers, les priorités et les arbitrages répondent à des enjeux nationaux, diplomatiques et économiques.
Lorsqu’il est nommé ministre, au milieu de l’année 2024, cette nomination apparaît ainsi moins comme une rupture que comme un prolongement : la logique est celle d’un passage du pilotage opérationnel au pilotage politique, avec une responsabilité désormais élargie à tout le pays, à toutes les catégories de logements et à des réseaux dont la fiabilité est, quotidiennement, une question sensible.
Un portefeuille stratégique : logement, eau, réseaux, nouvelles villes… et attentes sociales
Le ministère que dirige Sherif Sherbiny est un des plus exposés du gouvernement, parce qu’il touche à ce que les citoyens vivent immédiatement : se loger, accéder à l’eau, subir – ou non – des coupures, voir les prix monter, attendre une attribution, espérer une unité dans un programme public. En Égypte, la question du logement se situe à l’intersection du social et de l’économique. Elle est liée au pouvoir d’achat, au crédit, à l’accès au foncier, à la dynamique démographique, mais aussi au rôle de l’État comme investisseur, planificateur et régulateur.
Le cœur du modèle, depuis plusieurs années, repose sur un double mouvement. D’une part, accélérer la construction de nouvelles zones urbaines et d’extensions planifiées afin de désengorger les centres historiques et de répondre à l’urbanisation. D’autre part, organiser des programmes de logements destinés à des catégories ciblées – ménages à revenus modestes, classes moyennes – dans un pays où l’écart entre l’offre privée et les capacités financières d’une partie de la population nourrit des frustrations durables.
Dans ce cadre, l’arrivée d’un ministre issu de l’appareil technique envoie un message implicite : l’exécutif attend une continuité dans le rythme des chantiers et une capacité à gérer l’énorme mécanique des projets. Les arbitrages ne se font pas seulement entre “construire plus” ou “construire mieux”, mais entre infrastructures et logements, entre dépenses d’investissement et maintenance, entre villes déjà habitées et nouvelles zones à équiper, entre priorités nationales et urgences locales.
La pression est d’autant plus forte que les services publics, en particulier l’eau et l’assainissement, représentent un enjeu quotidien. Une ville peut être livrée sur le papier, mais une station d’épuration en retard ou un réseau insuffisant suffit à transformer un projet urbain en problème politique. Le ministre doit donc coordonner des acteurs multiples, des entreprises publiques et privées, des opérateurs de travaux, des autorités locales et des organismes de planification, tout en répondant à l’exigence d’un calendrier souvent serré.
À ces défis s’ajoute l’attention portée au marché immobilier. Les prix, les volumes de vente, le niveau de confiance, les capacités de financement et le discours sur une éventuelle surchauffe du secteur sont scrutés. Dans un contexte où l’immobilier a servi de refuge pour l’épargne et d’outil d’investissement, toute incertitude sur la stabilité du marché peut avoir un effet immédiat sur les comportements des ménages et des opérateurs.
C’est dans ce nœud complexe que Sherif Sherbiny doit inscrire sa marque : éviter l’essoufflement, consolider les réseaux, sécuriser les programmes publics, tout en portant un discours capable de convaincre que l’État garde la main sur les fondamentaux.
La Nouvelle Capitale administrative : vitrine nationale, laboratoire de méthode, symbole politique
Si la Nouvelle Capitale administrative est souvent décrite comme un projet urbain, elle est aussi un projet de récit : celui d’un pays qui se modernise, qui planifie à grande échelle, qui se dote de nouveaux centres de décision, qui construit des quartiers résidentiels, des infrastructures, des zones d’affaires, des axes routiers et des services dans des délais ambitieux. Pour Sherif Sherbiny, cette capitale n’est pas un simple point sur une carte : c’est une expérience professionnelle déterminante, devenue un capital politique.
En dirigeant l’appareil de développement rattaché au projet, il a été associé à des séquences structurantes : quartiers résidentiels planifiés, déploiement des réseaux d’eau et d’assainissement, solutions aux contraintes techniques, coordination entre administrations, et suivi d’un calendrier soumis à la pression des inaugurations et des transferts institutionnels. Les récits officiels mettent en avant la capacité à “débloquer” des difficultés : gestion de la période de la pandémie, adaptation aux contraintes de matériaux, recherche de solutions locales, traitement de problèmes de sol, et coordination entre entreprises et administrations.
Cette expérience lui a apporté plusieurs atouts. D’abord, la gestion d’une complexité extrême : un projet de cette taille impose une discipline de planning et un mode de pilotage qui se répercute ensuite sur l’ensemble du portefeuille ministériel. Ensuite, la familiarité avec les grands acteurs du secteur : entreprises de construction, bureaux d’études, opérateurs de réseaux, autorités publiques et structures de financement. Enfin, une dimension internationale : la Nouvelle Capitale est suivie par des observateurs étrangers, qu’ils soient investisseurs, urbanistes ou représentants d’organisations internationales, et elle est régulièrement mobilisée dans les discours sur la modernisation.
Mais cette vitrine est aussi un terrain d’attentes et de critiques. Certains observateurs s’interrogent sur la priorité donnée à ces mégaprojets au regard des besoins immédiats dans les zones plus anciennes. D’autres pointent la nécessité de garantir l’habitabilité, la vie quotidienne, les services, et pas uniquement les façades. Dans ce contexte, un ministre issu du projet doit éviter un écueil : être perçu comme “le ministre d’une vitrine”, plutôt que comme celui d’un équilibre national.
Sherif Sherbiny, désormais, n’a plus seulement à livrer des quartiers ou des axes : il doit démontrer que les méthodes du grand projet peuvent servir l’ordinaire du logement et des services publics, dans des villes déjà surchargées, dans des zones où les réseaux sont vieillissants, et dans des territoires où les attentes sociales sont plus pressantes que l’ambition architecturale.
Logement social, classes moyennes, marché immobilier : promesses, chiffres et bataille de confiance
L’action d’un ministre du Logement se mesure à la fois en unités livrées et en confiance maintenue. Sur le volet social, l’enjeu est de proposer une offre accessible, lisible, et suffisamment abondante pour ne pas laisser les ménages dans une attente interminable. Sur le volet économique, il s’agit de soutenir un secteur qui pèse lourd en emplois, en investissements et en dynamique d’activité, sans nourrir une spirale de hausse de prix ou une spéculation incontrôlée.
Dans les mois qui suivent son entrée en fonction, Sherif Sherbiny s’inscrit dans une communication axée sur les programmes destinés aux revenus modestes et intermédiaires. Des annonces publiques évoquent des mises à disposition d’unités pour différentes catégories, et rappellent que l’État entend poursuivre les initiatives présidentielles et les programmes de logements à grande échelle. Dans cette logique, le gouvernement cherche à afficher une continuité : le changement de ministre ne doit pas être interprété comme une pause.
Mais c’est surtout sur le terrain du marché immobilier que son discours est scruté. Lors d’une intervention médiatique récente, il a explicitement rejeté l’idée d’une bulle immobilière en Égypte, affirmant que le marché resterait solide et ne montrerait pas, selon lui, les signes d’un emballement comparable à ceux observés dans certains pays. Cette position vise plusieurs publics : les ménages, inquiets de payer “trop cher” ; les promoteurs, qui ont besoin de maintenir la demande ; les investisseurs, sensibles au risque ; et l’opinion, qui associe parfois flambée des prix et injustice sociale.
Un ministre peut difficilement se contenter d’une formule. Pour être crédible, la bataille de confiance suppose des actes : transparence sur les offres publiques, calendrier des projets, modalités d’attribution, rythme d’ouverture de nouvelles phases, amélioration des services associés aux programmes de logement, et communication régulière sur les chantiers. Elle suppose aussi une attention à la qualité, car la satisfaction ne se réduit pas à recevoir des clés : elle dépend des transports, de l’eau, de l’assainissement, de la proximité d’écoles, de marchés, de centres de soins.
L’équilibre est délicat : accélérer la production pour contenir la pression démographique et la hausse des prix, tout en évitant les logements “sans ville” et les extensions où la vie quotidienne se construit trop lentement. Dans ce cadre, l’expérience de Sherif Sherbiny dans les villes nouvelles joue un rôle : il connaît la mécanique des réseaux, l’importance de la coordination, et le coût politique d’un quartier livré sans services.
Un autre volet, plus technique mais tout aussi politique, concerne les ressources et la maintenance. Les stations de traitement, les réseaux d’eau potable, les ouvrages d’assainissement, les axes routiers exigent des budgets d’entretien et des choix de priorités. Là encore, l’action d’un ministre se voit dans les crises évitées : un réseau stabilisé, une station modernisée, une fuite maîtrisée, un quartier où la qualité de service progresse. Cela produit moins d’images que la livraison d’une tour ou l’inauguration d’un axe, mais cela pèse plus lourd dans la perception quotidienne.
En somme, Sherif Sherbiny est attendu sur un triptyque : produire, réguler, rassurer. Produire du logement accessible, réguler l’équilibre entre offre publique et dynamique privée, rassurer sur la stabilité du marché et sur la capacité de l’État à tenir ses engagements.
Diplomatie urbaine et visibilité internationale : du Caire à l’Afrique, l’urbanisme comme langage politique
Depuis une décennie, l’urbanisme est devenu un instrument de positionnement international. Les nouvelles villes, les programmes de logement, les infrastructures, les quartiers d’affaires et les grands forums constituent autant de scènes où un pays présente sa trajectoire de modernisation. Sherif Sherbiny, du fait de son portefeuille, se retrouve mécaniquement dans cette diplomatie du bâti.
Son rôle a été visible lors d’événements internationaux consacrés au développement urbain. Le forum urbain mondial organisé au Caire en novembre 2024, rendez-vous majeur de la discussion internationale sur la ville et l’habitat, a offert une tribune aux responsables égyptiens. Les interventions publiques associées à cet événement ont mis en avant une idée simple : les politiques urbaines ne se limitent pas à construire des bâtiments, mais doivent améliorer les vies, partir des réalités locales et viser un développement durable. Cette rhétorique s’inscrit dans un registre désormais classique des grandes politiques urbaines : inclusion, durabilité, services, “qualité de vie” comme finalité.
La visibilité internationale se joue aussi dans les déplacements et les coopérations bilatérales, où les projets d’infrastructures, le savoir-faire de construction et l’expérience de planification deviennent des objets d’échanges. Des missions officielles en Afrique, mettant en avant des projets, des partenariats et une coopération technique, s’inscrivent dans cette logique : l’Égypte cherche à exporter une partie de son expertise en urbanisme et en infrastructures, tout en consolidant des relations diplomatiques et économiques.
Cette projection s’accompagne d’une bataille d’image. Lorsque des classements ou des listes régionales mettent en avant des responsables du secteur immobilier et urbain, l’État y voit souvent une validation symbolique de sa stratégie. Pour un ministre, ces signaux jouent un rôle : ils servent à légitimer la politique des chantiers, à attirer l’attention des investisseurs, et à nourrir le récit d’une transformation “reconnue” au-delà des frontières.
Mais la diplomatie urbaine ne suffit pas si elle n’est pas adossée à une réalité nationale cohérente. C’est là que se situe, pour Sherif Sherbiny, un enjeu majeur : transformer la visibilité en bénéfices concrets. Un forum international peut offrir une tribune, mais la crédibilité se construit dans la capacité à améliorer l’accès au logement, à sécuriser l’eau et l’assainissement, à réduire les fractures territoriales entre zones anciennes et extensions nouvelles, et à organiser une urbanisation qui ne laisse pas derrière elle des poches d’exclusion.
Dans cette perspective, le profil de Sherif Sherbiny apparaît comme un choix politique : miser sur un gestionnaire de projets pour tenir un équilibre fragile entre l’ambition de l’État bâtisseur et l’exigence sociale d’un logement accessible et d’infrastructures fiables. Il reste à voir comment, dans la durée, il arbitrera entre l’accélération des mégaprojets et la consolidation de l’ordinaire, entre la vitrine internationale et l’attente des ménages, entre le symbole et le service.
Car c’est là, au fond, que se joue la question “Qui est Sherif Sherbiny ?” : un ministre dont l’identité politique se construit moins dans le discours que dans la capacité à faire tenir ensemble des chantiers colossaux et des besoins quotidiens, une ambition d’État et une demande sociale, un récit de modernisation et la réalité des réseaux.



