Dans un pays où l’information officielle circule au compte-gouttes et où les visages du pouvoir se montrent rarement en dehors des cérémonies publiques, certains noms reviennent avec une constance qui dit beaucoup de la stabilité, mais aussi de l’opacité, de l’appareil d’État. Askalu Menkerios fait partie de ces responsables dont la présence dans l’exécutif érythréen s’inscrit dans la durée. Ministre du Tourisme, auparavant chargée d’un portefeuille social, elle incarne à la fois la continuité du régime et l’effort de projection d’une image nationale tournée vers l’extérieur.
Qui est, au juste, Askalu Menkerios ? Les éléments biographiques accessibles restent limités, parfois contradictoires selon les sources, et rarement complétés par des entretiens, des discours de fond ou des archives publiques détaillées. Mais ses fonctions, elles, sont documentées au fil de réunions internationales, de communiqués gouvernementaux et de comptes rendus d’organisations onusiennes. Au croisement d’une politique intérieure verrouillée et d’un secteur touristique présenté comme un levier économique, sa trajectoire éclaire la manière dont l’Érythrée construit sa représentation officielle, et la place qu’y occupent certaines femmes au sommet de l’État.
Une responsable gouvernementale dans un système politique verrouillé
Pour comprendre la visibilité paradoxale d’Askalu Menkerios – connue par son titre, peu par ses prises de parole – il faut d’abord situer l’environnement institutionnel dans lequel elle évolue. L’Érythrée est souvent décrite comme un État à parti unique, dominé par le Front populaire pour la démocratie et la justice (PFDJ), et dirigé depuis l’indépendance par le président Isaias Afwerki. L’absence d’élections nationales depuis 1993, la non-application d’une constitution ratifiée en 1997 et la fermeture des médias indépendants au début des années 2000 constituent des éléments de contexte régulièrement relevés par des organisations internationales.
Dans ce cadre, les ministres apparaissent moins comme des personnalités publiques au sens où on l’entend dans les démocraties pluralistes que comme des rouages d’un exécutif très centralisé. Les remaniements, lorsqu’ils existent, sont rarement expliqués de manière détaillée et prennent davantage la forme de réaffectations internes que de débats de ligne politique. La longévité d’une ministre comme Askalu Menkerios peut alors s’interpréter de deux façons : comme un signe de confiance durable au sein de l’appareil d’État, et comme l’indice d’une gouvernance où la continuité prime sur l’exposition médiatique.
La question de l’accès aux informations personnelles et au parcours de la ministre se heurte à une réalité plus large : la documentation sur les responsables érythréens repose souvent sur des sources secondaires, des mentions dans des événements officiels ou des listes institutionnelles. De là naît un portrait en creux : on sait ce qu’Askalu Menkerios représente dans l’organigramme, davantage que ce qu’elle défend publiquement.
Cette retenue n’empêche pas une forme de présence régulière dans les moments où l’État souhaite mettre en scène une politique sectorielle. Les cérémonies liées au tourisme, aux journées internationales thématiques ou aux rencontres diplomatiques constituent autant d’occasions où son nom est cité, parfois même davantage que ses déclarations. C’est aussi une manière, pour un pouvoir qui contrôle étroitement sa communication, d’assigner à certains ministres une fonction de vitrine, sans pour autant ouvrir un espace de débat.
De la protection sociale au tourisme : une trajectoire ministérielle documentée par l’ONU
Avant le tourisme, Askalu Menkerios est associée à un portefeuille à forte dimension sociale. Des traces officielles montrent qu’elle a exercé les fonctions de ministre du Travail et du Bien-être social (souvent aussi formulé « Travail et Protection sociale » selon les traductions), un ministère au cœur des relations avec les agences internationales lorsque l’Érythrée présente ses politiques publiques.
En octobre 2009, son nom apparaît notamment dans le cadre d’une session du Comité des droits de l’enfant des Nations unies, où l’Érythrée est auditionnée sur la mise en œuvre de ses obligations. Elle y est présentée comme ministre de tutelle, ce qui confirme son rang gouvernemental et la place de son ministère dans les échanges avec les mécanismes onusiens. Dans ce type d’exercice, la délégation nationale expose un discours de bilan et de contexte, insistant sur les contraintes politiques et sécuritaires – notamment celles liées au conflit avec l’Éthiopie – tout en défendant des progrès dans certains indicateurs sociaux.
Son rôle est également attesté plus tôt, en novembre 2004, lors du lancement d’un appel humanitaire consolidé (inter-agences) pour l’Érythrée. La cérémonie, organisée à Asmara, est alors présentée comme ayant été officiée par Askalu Menkerios en tant que ministre du Travail et du Bien-être social. L’événement illustre le lien structurel entre un ministère social et la coordination avec les Nations unies, particulièrement dans un pays confronté à des vulnérabilités récurrentes, qu’elles soient climatiques, économiques ou liées à la situation régionale.
Le passage du social au tourisme, officialisé à la fin des années 2000 selon plusieurs sources biographiques, peut surprendre vu de l’extérieur. Pourtant, dans des systèmes politiques très centralisés, les transferts ministériels ne suivent pas toujours une logique de spécialisation sectorielle ; ils obéissent aussi à des équilibres internes, à des besoins de représentation, voire à des considérations de confiance personnelle et de discipline administrative.
Les archives publiques permettent surtout d’établir un fil : à partir du début des années 2010, Askalu Menkerios est régulièrement citée comme ministre du Tourisme. Des articles publiés par des canaux officiels érythréens la mentionnent ainsi dès 2011 dans des activités sectorielles : visites de terrain, réunions, symposiums. La période correspond à un moment où l’État met en avant une stratégie de relance et d’organisation du tourisme, en lien avec la valorisation du littoral de la mer Rouge, des villes patrimoniales et du potentiel balnéaire.
Le portefeuille du tourisme : promouvoir un pays peu accessible
Le tourisme en Érythrée n’est pas un secteur banal. D’un côté, le pays dispose d’atouts régulièrement cités : un littoral sur la mer Rouge, des îles au large, une architecture urbaine singulière à Asmara, ainsi qu’un récit national construit autour de l’indépendance et de la souveraineté. De l’autre, l’accessibilité demeure un enjeu majeur, entre contraintes administratives, faiblesse des liaisons aériennes, infrastructures limitées et contexte diplomatique parfois tendu.
Dans ce paysage, le rôle d’une ministre du Tourisme consiste autant à structurer l’offre qu’à produire un discours d’attractivité. Les prises de parole rapportées dans les canaux officiels mettent souvent l’accent sur la planification, la formation, la coordination avec les acteurs locaux, et l’idée d’un tourisme compatible avec les priorités nationales. La notion de tourisme comme « levier de développement » revient régulièrement, avec l’objectif affiché d’attirer des visiteurs tout en préservant une forme de maîtrise souveraine.
La dimension patrimoniale joue ici un rôle central. L’inscription d’Asmara au patrimoine mondial de l’UNESCO, en 2017, a constitué un jalon important pour la mise en récit touristique : la capitale est présentée comme un ensemble moderniste remarquable, caractérisé par un urbanisme et une architecture hérités de la période italienne, préservés et intégrés à une identité urbaine contemporaine. Pour un ministère du Tourisme, un tel label international est une ressource : il permet de parler d’Érythrée autrement que par la géopolitique, en proposant un angle culturel et architectural.
Mais l’écart entre potentialité et réalité économique reste considérable. Les analyses disponibles sur le développement touristique dans les zones côtières, comme Massawa et l’archipel des Dahlak, insistent sur l’existence d’opportunités – tourisme balnéaire, plongée, patrimoine, nature – tout en pointant la nécessité d’investissements, de gestion durable et d’infrastructures. La question n’est pas seulement de « vendre » un pays, mais d’organiser un secteur capable d’accueillir dans de bonnes conditions, de protéger des sites fragiles et de répartir les bénéfices sur le territoire.
Le ministère, dans ce contexte, apparaît comme un instrument de cadrage : il se place à l’interface entre l’État, les autorités locales, les opérateurs de services et les projets de coopération. La présence d’Askalu Menkerios à des événements nationaux consacrés au tourisme s’inscrit dans cette logique, où la visibilité publique se concentre sur des moments rituels : journées commémoratives, symposiums, visites sur site.
Un exemple significatif se trouve dans des comptes rendus d’événements liés à la Journée mondiale du tourisme. En septembre 2024, à Keren, la ministre est annoncée parmi les personnalités présentes à une célébration régionale, associant autorités locales, responsables religieux et acteurs de services touristiques. En septembre 2025, son nom figure de nouveau dans une célébration au niveau national, aux côtés d’autres responsables, dont la présidente de l’Union nationale des femmes érythréennes. Ce type de mise en scène souligne deux priorités : le tourisme comme projet de mobilisation interne, et le tourisme comme outil de visibilité externe.
Diplomatie et vitrine internationale : une ministre au croisement de l’image et des alliances
Le tourisme n’est pas qu’une affaire de plages et de musées : c’est aussi un sujet diplomatique. Les relations bilatérales peuvent inclure des volets de coopération culturelle, de formation, d’investissement, de marketing territorial. Les rencontres de responsables étrangers avec la ministre du Tourisme sont donc, elles aussi, un indicateur du rôle d’Askalu Menkerios dans la projection internationale du pays.
Ainsi, en août 2024, l’ambassade de Chine en Érythrée rend compte d’une rencontre entre son ambassadeur et la ministre. Le communiqué souligne l’idée d’un partage d’expériences en matière de développement et d’un approfondissement du partenariat, y compris sur le terrain touristique. Au-delà du contenu précis – rarement détaillé – ce type de rencontre atteste du statut de la ministre comme interlocutrice institutionnelle dans un domaine qui touche au soft power : attirer, présenter, raconter.
La fonction de vitrine est d’autant plus importante que l’Érythrée demeure souvent perçue à travers le prisme de son régime politique et de sa situation régionale. Dans un tel contexte, le tourisme est un espace de narration alternative : il permet de parler de patrimoine, de paix, de paysages, de culture. Le thème « Tourisme et paix », mis en avant lors d’une célébration de 2024, illustre parfaitement cette volonté de relier le secteur à des valeurs universelles et à un langage internationalement reconnu.
La ministre apparaît aussi, dans les archives, comme une figure impliquée dans des visites et des actions lors d’événements exceptionnels. En novembre 2011, un compte rendu relate par exemple la visite de la ministre du Tourisme à des personnes déplacées à la suite d’un séisme et d’une éruption volcanique, dans la région d’Assab. Là encore, l’événement est intéressant moins pour son détail – difficile à recouper dans le moindre aspect logistique – que pour la logique politique : en Érythrée, les ministres peuvent être mobilisés pour des missions qui relèvent de la solidarité nationale, au-delà du périmètre strict de leur portefeuille.
Cette polyvalence, typique de certains systèmes où l’exécutif concentre l’initiative et la communication, contribue à façonner l’image d’une ministre « de terrain », même si l’on manque d’éléments pour évaluer l’impact concret des actions. Dans le registre officiel, la présence physique – visiter, assister, inaugurer, encourager – tient parfois lieu de politique publique visible.
La question du tourisme se trouve ainsi enchâssée dans un ensemble plus large : celui de la diplomatie économique et de la reconnaissance internationale. Dans un pays dont l’économie est contrainte et dont la participation à certains circuits internationaux est limitée, chaque secteur capable de générer des devises, de créer des emplois et de stimuler des activités locales prend une valeur stratégique. Le ministère du Tourisme est alors autant un ministère économique qu’un ministère d’image.
La place des femmes au sommet de l’État : symbole, réalité et limites
Askalu Menkerios n’est pas uniquement une ministre : elle est aussi l’une des femmes les plus visibles dans l’exécutif érythréen. Dans un pays où les institutions sont très centralisées, et où l’information politique est peu accessible, la présence de femmes à des postes ministériels est souvent relevée comme un élément de représentation nationale, voire comme un argument de modernité.
La visibilité des femmes au gouvernement, cependant, ne se traduit pas automatiquement par une capacité à transformer l’espace public, notamment quand les libertés politiques et médiatiques sont étroitement contrôlées. La question n’est pas seulement de compter les femmes à des postes, mais de comprendre le cadre dans lequel elles exercent : quelle autonomie de décision, quelle marge de débat, quel accès à la société civile, quelle exposition à la critique ?
Dans les célébrations de 2025 liées au tourisme, la présence de la ministre aux côtés de la présidente de l’Union nationale des femmes érythréennes illustre un mécanisme classique : associer le tourisme à la mobilisation des organisations de masse et à une forme d’unité nationale, où les catégories sociales (jeunes, femmes, travailleurs) sont représentées par des structures proches de l’État. La place des femmes, dans ce dispositif, se lit autant comme une dimension d’intégration que comme une forme d’encadrement.
Du point de vue de l’image internationale, une ministre du Tourisme femme peut aussi servir de point d’ancrage symbolique : elle renvoie à une narration d’inclusion, de participation des femmes à la gouvernance, et d’ouverture. Mais cette narration se heurte à la réputation internationale de l’Érythrée en matière de libertés publiques et de droits civils. Les rapports annuels d’organisations de défense des droits décrivent un pays où la vie politique est extrêmement restreinte, où la liberté de la presse est considérée comme gravement menacée, et où les contre-pouvoirs institutionnels sont faibles ou inexistants.
Dans ce contexte, Askalu Menkerios apparaît comme un personnage à double lecture : d’un côté, un symbole de représentation féminine au sommet ; de l’autre, une responsable inscrite dans un système qui ne favorise pas la personnalisation politique, ni la confrontation publique des idées. La « femme politique » qu’évoque la question n’est donc pas une figure de campagne électorale, ni une leader de parti rival : elle est d’abord une ministre, c’est-à-dire une gestionnaire et une représentante de l’exécutif, dans une architecture de pouvoir où le pluralisme est absent.
La rareté des informations personnelles contribue enfin à une perception de distance. Selon des bases biographiques, elle serait née en 1948. Mais les détails sur sa formation, son parcours militant, ses responsabilités avant l’indépendance ou ses réseaux internes demeurent peu documentés dans des sources publiques robustes. Cette absence de récit individuel n’est pas seulement un manque : elle correspond à une culture politique où l’État prime sur les individus, et où la communication officielle privilégie les institutions et les événements plutôt que les biographies détaillées.
Ce qui reste, en revanche, ce sont des traces ponctuelles, mais répétées : une ministre citée dans une session onusienne en 2009 pour un portefeuille social ; une ministre mentionnée en 2004 lors d’un appel humanitaire ; une ministre active dans des événements sectoriels dès 2011 ; une ministre présente encore en 2024 et en 2025 lors de célébrations du tourisme ; une ministre reçue par un ambassadeur en 2024 dans un cadre bilatéral. À défaut d’un portrait intime, c’est un portrait institutionnel qui se dessine, et il est révélateur : Askalu Menkerios est l’un des visages durables par lesquels l’Érythrée présente, à intervalles réguliers, une normalité gouvernementale et une ambition touristique, malgré un environnement politique et médiatique particulièrement fermé.



