Dans un pays où la politique se construit moins dans l’arène des partis que dans le maillage des communautés locales et des institutions traditionnelles, certains parcours résument à eux seuls une époque. Celui de Mduduzi Matsebula s’inscrit dans cette dynamique. Longtemps fonctionnaire dans le secteur des douanes, il a fait le saut vers la représentation nationale avant d’être propulsé au premier plan, à un poste aussi stratégique qu’exposé : le ministère de la Santé. Son nom s’est imposé dans l’espace public au moment où le royaume d’Eswatini affrontait une crise persistante de son système de soins, marquée par des pénuries de médicaments, des tensions sur les ressources humaines et des débats sur la gouvernance des achats publics.
Qui est donc Mduduzi Matsebula, et que dit son ascension des équilibres politiques d’Eswatini ? Entre trajectoire administrative, légitimité électorale et exercice du pouvoir au sein d’un exécutif nommé, l’homme politique incarne une figure désormais familière dans le royaume : celle d’un technicien devenu élu, puis ministre, sommé de produire des résultats rapides dans un secteur où les attentes sociales sont immenses et la marge de manœuvre souvent étroite.
D’un fonctionnaire des douanes à une figure publique
Avant la politique, Mduduzi Matsebula a construit sa réputation dans l’administration. Son parcours commence au début des années 2000, lorsqu’il rejoint la fonction publique comme agent stagiaire des douanes. Dans les années qui suivent, il gravit les échelons au sein d’un appareil étatique qui, à Eswatini, demeure un passage structurant pour de nombreuses carrières. Il travaille d’abord sur des postes liés aux flux d’import-export, puis se spécialise dans des missions plus techniques : réconciliation comptable, recouvrement de dettes, audit post-dédouanement. Ce type de trajectoire, patiente et fortement procédurale, façonne un profil : celui d’un administrateur habitué aux règles, aux contrôles et aux impératifs de conformité.
L’étape suivante, déterminante, intervient lorsque l’ancienne Swaziland Revenue Authority (devenue depuis Eswatini Revenue Service) consolide des fonctions de supervision. Mduduzi Matsebula est affecté à des postes frontaliers, puis promu à des responsabilités de station supervisor dans une zone logistique importante. Dans un pays où l’économie dépend largement des échanges régionaux, notamment avec l’Afrique du Sud, l’expérience aux frontières et dans la chaîne douanière n’est pas anodine : elle expose à la fois aux réalités du commerce, aux risques de fraude et aux questions de gouvernance.
Ce socle administratif explique en partie l’image qui lui est parfois associée : celle d’un homme de dossiers, davantage formé aux mécanismes de contrôle qu’aux joutes politiques classiques. Son profil académique, tel qu’il est présenté par les sources institutionnelles, prolonge cette impression : il est notamment titulaire d’un Bachelor of Commerce obtenu auprès d’un établissement privé, et revendique des diplômes orientés vers l’audit, la fiscalité, ainsi que l’audit de fraude et la comptabilité forensique. Dans une région où la crédibilité technocratique devient un argument de légitimité, cet affichage de compétences financières et d’audit n’est pas un simple détail de CV : c’est un langage politique, surtout lorsqu’il s’agit de gérer un ministère confronté aux marchés publics et à la question sensible de l’approvisionnement.
La bascule vers la politique : l’élection et la logique du terrain
La politique, à Eswatini, ne se lit pas à travers le prisme des formations partisanes comme dans beaucoup d’États voisins. Les élections s’inscrivent dans le système des tinkhundla, des circonscriptions où la représentation s’enracine dans le local, avec une forte dimension communautaire. Dans ce cadre, la capacité à se faire connaître sur le terrain, à incarner une proximité et à porter des préoccupations concrètes pèse lourd.
Mduduzi Matsebula franchit le pas en se présentant aux élections et en étant élu député de Siphocosini pour un premier mandat couvrant la période 2018-2023. Pour un ancien fonctionnaire, l’élection marque un changement de registre : il ne s’agit plus seulement d’appliquer des procédures, mais de rendre des comptes à une base, d’assumer des prises de parole publiques et de se positionner dans les débats nationaux.
Ce premier mandat parlementaire est régulièrement rappelé parce qu’il éclaire la suite : plusieurs articles de presse locale soulignent qu’il s’était déjà exprimé, en tant que député, sur la question des pénuries de médicaments et sur la nécessité de mettre fin à des dysfonctionnements devenus récurrents. Ce point compte politiquement, car il alimente une lecture double : d’un côté, il apparaît comme quelqu’un qui avait identifié les problèmes ; de l’autre, cette antériorité le rend plus exposé lorsqu’il se retrouve, quelques années plus tard, responsable du portefeuille précisément chargé de résoudre ces mêmes crises.
En septembre 2023, il est de nouveau élu, toujours dans cette logique de légitimité locale. Mais la trajectoire prend une dimension nationale supplémentaire lorsque, le 13 novembre 2023, le roi Mswati III le nomme ministre de la Santé. Dans le système politique d’Eswatini, où l’exécutif est nommé, l’entrée au gouvernement n’est pas l’aboutissement automatique d’une victoire électorale : c’est une décision de nomination, qui consacre un profil et le place au cœur d’un appareil de gestion et de décision.
La santé, pour un ministre, n’est pas un ministère comme les autres : il touche au quotidien des citoyens, au rapport intime à l’État, et aux inégalités territoriales. La nomination de Mduduzi Matsebula intervient à un moment où les critiques se multiplient sur l’état des hôpitaux publics, sur les ruptures de stocks de médicaments, et sur l’épuisement des équipes. Autrement dit : il hérite d’un portefeuille sous pression, et son arrivée est immédiatement scrutée à l’aune d’une question simple mais implacable : que va-t-il changer, et à quel rythme ?
Ministre de la Santé : réformes annoncées, gestion de crise et bataille des chiffres
Être ministre de la Santé à Eswatini, c’est gouverner sous contrainte. Le pays est souvent cité pour ses avancées dans la lutte contre le VIH, tout en faisant face à des défis structurels de financement, d’infrastructures et de ressources humaines. À ce titre, la parole ministérielle est attendue sur deux plans : la réponse aux urgences et la stratégie de transformation.
Sur le front institutionnel, Mduduzi Matsebula prend la parole au Parlement et au Sénat pour présenter des mises à jour et défendre des orientations. L’un des moments souvent repris dans les comptes rendus officiels est une déclaration ministérielle d’octobre 2024 devant le Sénat, où il évoque des rénovations d’infrastructures hospitalières, l’établissement de nouvelles cliniques et, surtout, une amélioration du taux de satisfaction des commandes de médicaments (order fill rate), présenté comme étant passé d’environ 30% à une fourchette de 60 à 70%. Dans un pays où les ruptures d’approvisionnement peuvent devenir des événements politiques, la bataille des chiffres est loin d’être abstraite : elle sert à démontrer une capacité de reprise en main.
Mais les chiffres, en matière de santé, se confrontent toujours au vécu des patients et des soignants. En 2025, la presse locale décrit une situation tendue dans certains établissements, notamment à Mbabane Government Hospital, fréquemment cité comme symbole des difficultés du système. Des articles font état de plaintes du personnel, évoquant des pénuries de médicaments, des sous-effectifs, et des problèmes opérationnels. Dans ce contexte, Mduduzi Matsebula adopte une posture qui mêle injonction à l’unité et promesse d’action : il appelle les équipes à travailler avec le ministère, insiste sur la collaboration et reconnaît l’ampleur des défis.
La séquence est révélatrice d’un exercice délicat : un ministre doit éviter d’alimenter une fracture entre administration centrale et personnel hospitalier, tout en démontrant qu’il entend imposer une discipline de gestion. Les propos rapportés dans la presse, appelant à dépasser les divisions, témoignent d’une stratégie classique en temps de crise : calmer, rassembler, et gagner du temps pour mettre en place des mesures concrètes.
Parallèlement, le ministre est associé à des débats sur la réforme de l’approvisionnement médical. Dans les discussions parlementaires et médiatiques, l’idée de créer ou de renforcer une entité dédiée aux fournitures médicales revient comme une réponse structurelle aux dysfonctionnements. La presse rapporte ainsi ses explications autour d’un projet de loi relatif à une agence des fournitures médicales, avec un argument central : éviter que la réforme ne se traduise mécaniquement par une hausse des prix des médicaments. Ce type de séquence éclaire la tension au cœur de la santé publique : la nécessité d’améliorer la gouvernance des achats, sans déclencher de surcoûts ni ouvrir un nouveau champ de soupçons autour des contrats.
Un autre aspect de sa communication se situe dans la mise en récit des problèmes. En juillet 2025, un article de presse rapporte qu’il a dressé une liste de dix défis majeurs minant le système de santé : problèmes de management, modèle de financement jugé incohérent, insuffisance de personnel, infrastructures vétustes. Ce cadrage a une fonction politique. Il permet de dire : la crise n’est pas seulement une somme de ruptures de stock ; elle résulte d’un ensemble de mécanismes, qu’il faut traiter à plusieurs niveaux. Mais il comporte aussi un risque : plus le diagnostic est précis et complet, plus l’opinion attend des résultats à la hauteur de la lucidité affichée.
Controverses, critiques et exposition médiatique : le prix d’un portefeuille sensible
La trajectoire de Mduduzi Matsebula, depuis sa nomination au ministère de la Santé, se déroule sous un éclairage médiatique intense, à la mesure de l’anxiété sociale liée aux soins. Dans une société où les hôpitaux publics constituent un recours vital, toute défaillance devient immédiatement politique. Les médias locaux, notamment, documentent des épisodes de colère, de fatigue et de frustration, que ce soit du côté des soignants ou des patients.
Certains textes de presse adoptent un ton sévère, accusant les autorités de communication mal ajustée ou d’incapacité à répondre à l’urgence. À travers ces critiques, le ministre est parfois présenté comme l’homme à qui l’on demande de prouver, concrètement, que la chaîne d’approvisionnement et la gestion des établissements peuvent être redressées. Les éditoriaux et analyses publiés en 2025 insistent sur une idée : il ne suffit plus d’annoncer des plans, il faut restaurer un fonctionnement quotidien, visible, mesurable.
Ces critiques s’inscrivent dans un environnement politique plus large, où les débats sur les responsabilités circulent entre plusieurs niveaux : ministère, agences d’achat, administration hospitalière, cabinet et arbitrages budgétaires. Dans ce jeu, un ministre de la Santé peut apparaître à la fois comme décideur et comme écran, celui qui incarne le pouvoir face à la population, même lorsque les causes de la crise dépassent son périmètre immédiat.
Mduduzi Matsebula n’échappe pas non plus aux controverses inhérentes à la question des marchés publics. Dans de nombreux pays, la santé est l’un des secteurs les plus exposés aux soupçons de favoritisme ou de mauvaise gouvernance, en raison des montants en jeu, de l’urgence des commandes et de la complexité des chaînes logistiques. À Eswatini, les débats sur les appels d’offres, les retards et les blocages d’attribution alimentent un climat où chaque décision peut être interprétée politiquement.
Dans ce contexte, il est notable que certaines prises de parole officielles cherchent à réintroduire un vocabulaire de transparence, de responsabilité et de réforme. L’arrière-plan, souvent évoqué dans la presse, est celui d’une crise des médicaments devenue un symbole national. Lorsque le ministre parle d’amélioration des taux de livraison ou de réorganisation de l’approvisionnement, il ne parle pas seulement de logistique : il parle de confiance.
Les critiques médiatiques relaient aussi une tension propre au rôle ministériel : celle entre le temps politique et le temps de la réforme. Les problèmes structurels (infrastructures vieillissantes, manque de professionnels, gouvernance hospitalière) ne se résolvent pas en quelques mois. Mais le vécu des usagers, lui, se mesure au jour le jour : un médicament absent aujourd’hui ne peut pas être compensé par un plan sur cinq ans. Dans cette discordance, chaque visite d’hôpital, chaque déclaration, chaque annonce technique devient un signal scruté.
Enfin, l’exposition médiatique du ministre tient aussi au fait qu’il représente une figure identifiable pour le grand public : on le voit lors de lancements d’équipements, de réunions avec le personnel, de commémorations sanitaires. Ces apparitions sont importantes, car elles construisent un récit : celui d’un ministre présent, au contact, qui tente d’incarner l’État dans des lieux où l’État est jugé. Mais elles comportent un revers : plus l’image est visible, plus le ministre devient la cible directe de la colère lorsque les changements ne sont pas perçus.
Quel rôle politique à long terme ? Entre technocratie, légitimité locale et attentes nationales
Au-delà de la santé, le cas Mduduzi Matsebula pose une question politique plus large : quel type de leadership émerge aujourd’hui à Eswatini, et comment se fabriquent les ministres dans un système où l’élection locale et la nomination royale coexistent ?
Son parcours illustre une continuité : celle d’un État où l’administration reste un vivier de profils, et où l’expérience technique peut servir de tremplin vers la représentation puis vers l’exécutif. Dans un royaume où les équilibres institutionnels sont particuliers, un ministre n’est pas seulement un élu promu : il est aussi un rouage d’une architecture de pouvoir qui demande loyauté, capacité d’exécution et prudence.
La question est alors de savoir comment un profil comme le sien peut s’inscrire dans la durée. Sa formation et son expérience dans les douanes et l’audit le prédisposent à privilégier les mécanismes de contrôle, la traçabilité et la réforme des processus. Dans le domaine de la santé, cela peut être un avantage, notamment pour s’attaquer aux circuits d’achat, à la gestion des stocks et à la responsabilisation des fournisseurs. Mais la santé exige aussi un autre registre : la gestion de l’humain, la négociation avec des professions en tension, et la capacité à rassurer une population qui vit les dysfonctionnements comme des atteintes immédiates à la dignité.
Son avenir politique dépendra donc largement de sa capacité à produire des résultats perceptibles, même partiels. Dans les systèmes où la confiance s’est érodée, la politique se reconstruit souvent par petites preuves : une amélioration durable de la disponibilité des médicaments, une réduction des files d’attente, une stabilisation des équipes, une communication plus alignée sur l’expérience du terrain.
L’autre dimension est celle de la responsabilité publique. En ayant été député puis ministre, Mduduzi Matsebula se situe à l’intersection de deux exigences : rendre des comptes aux institutions et répondre à des communautés qui l’ont élu. Cette double contrainte peut être une force, car elle pousse à garder un ancrage local ; mais elle peut aussi être une fragilité, car la colère sociale liée à la santé a tendance à dépasser les frontières des circonscriptions pour devenir une question nationale.
Enfin, il faut considérer l’environnement régional et sanitaire dans lequel il évolue. Eswatini fait face à des enjeux de santé publique majeurs : maladies chroniques, besoins en infrastructures, maintien des progrès contre le VIH, santé maternelle et néonatale. Les prises de parole du ministre lors d’événements liés à la santé maternelle ou aux commémorations liées au VIH montrent qu’il cherche à inscrire son action dans une narration plus large que la seule crise des médicaments : celle d’un pays qui veut consolider ses acquis tout en corrigeant ses failles.
À ce stade, Mduduzi Matsebula apparaît comme l’une des figures les plus exposées du gouvernement, non par ambition personnelle affichée, mais par la nature du portefeuille qu’il occupe. Son nom restera associé, pour ses partisans comme pour ses critiques, à une période où la santé publique est redevenue un baromètre politique. Dans un royaume où les institutions sont singulières et où la stabilité est une valeur centrale, la question n’est pas seulement de savoir qui il est, mais ce que son action dira, à terme, de la capacité de l’État à réparer un service public vital.



