Dans un pays où la politique économique est devenue l’un des terrains décisifs de la stabilité interne, de la crédibilité internationale et de la lutte contre la pauvreté, le visage de la planification n’est pas anonyme. Depuis 2018, Fitsum Assefa Adela occupe un poste-clé au sein du gouvernement éthiopien : ministre chargée de la planification et du développement. Son nom revient régulièrement au fil des annonces sur les grandes orientations économiques, la coordination des objectifs de développement durable, la réponse aux crises et, plus largement, la manière dont l’État veut conduire une transformation profonde dans un contexte de tensions politiques, de chocs externes et de contraintes budgétaires.
Qui est-elle, au-delà du titre ministériel ? Une universitaire devenue responsable publique, une technicienne de l’économie du développement placée au centre des arbitrages nationaux, une figure aussi, dans un exécutif qui a fait de la promotion des femmes un marqueur politique à partir de 2018. Pour comprendre son rôle, il faut relier des éléments biographiques (formation, carrière académique, entrée dans l’État) à ce que recouvrent concrètement les politiques de planification en Éthiopie : les plans pluriannuels, les réformes macroéconomiques, les dispositifs de suivi des politiques publiques et l’articulation entre priorités nationales et engagements internationaux.
Une formation tournée vers l’économie du développement et une trajectoire d’enseignante-chercheuse
Fitsum Assefa appartient à cette génération de responsables publics éthiopiens dont l’itinéraire passe par l’université, parfois avant l’administration. Née en 1979, elle suit un parcours d’études qui combine finance, économie appliquée et développement. Elle obtient d’abord un diplôme de premier cycle en comptabilité à l’université d’Addis-Abeba, puis un master en études du développement dans la même institution. Ce socle est souvent présenté comme une double compétence : d’un côté l’outillage comptable et budgétaire, de l’autre une approche plus large des politiques publiques, de la pauvreté, des inégalités et des moteurs de croissance.
Elle complète cette formation par un doctorat en économie agricole à l’université de Giessen, en Allemagne. Ce choix de spécialité est loin d’être secondaire dans un pays où l’agriculture demeure un secteur structurant, à la fois pour l’emploi, les revenus ruraux, la sécurité alimentaire et les équilibres de balance commerciale. L’économie agricole, en Éthiopie, n’est pas seulement un champ académique : c’est un domaine au carrefour des politiques de productivité, d’adaptation climatique, d’accès aux marchés, d’infrastructures, de gestion des terres et de réduction de la pauvreté.
Avant d’entrer au gouvernement, Fitsum Assefa mène une carrière d’enseignante-chercheuse pendant plus d’une décennie à l’université de Hawassa, dans le sud du pays. Cette expérience est régulièrement décrite comme centrée sur des travaux interdisciplinaires liés à l’environnement et au développement, à l’adoption technologique en agriculture et à l’analyse de la pauvreté, avec une attention aux facteurs institutionnels. Ce point mérite d’être souligné : dans de nombreux pays, les politiques échouent moins faute d’idées que faute de capacités institutionnelles, de coordination entre administrations, ou de dispositifs de suivi. Or, ce sont précisément ces sujets que la planification publique doit affronter.
Dans les présentations officielles, Fitsum Assefa est aussi décrite comme une professionnelle ayant articulé l’approche académique et la décision publique, ce qui la place dans une catégorie particulière au sein des gouvernements : celle des profils technocratiques, jugés aptes à piloter des agendas complexes, chiffrés et suivis par des partenaires internationaux, des institutions financières et des acteurs du développement.
Une entrée au gouvernement en 2018, dans un moment politique charnière
L’année 2018 constitue un tournant en Éthiopie. Le pays traverse alors une période de tensions politiques et de contestation, sur fond de revendications sociales, de conflits intercommunautaires et de demande de réformes. C’est dans ce contexte qu’Abiy Ahmed, arrivé au poste de Premier ministre au printemps 2018, lance une série de changements, à la fois politiques et institutionnels.
Le 16 octobre 2018, un remaniement gouvernemental attire particulièrement l’attention à l’international : la composition de l’exécutif devient paritaire, avec une proportion inédite de femmes au sein du cabinet. Fitsum Assefa fait partie de cette séquence de nominations, qui est présentée comme un signal de modernisation politique et de reconnaissance du rôle des femmes dans la conduite de l’État. L’événement n’est pas seulement symbolique. Il met des femmes à la tête de portefeuilles qui pèsent sur le fonctionnement de l’État et la sécurité, tout en repositionnant l’image du pays auprès de partenaires étrangers et d’organisations internationales.
Fitsum Assefa est alors nommée à la tête de l’appareil de planification et de développement, un domaine où l’on ne gouverne pas par slogans : il faut produire des objectifs, des indicateurs, des calendriers, des arbitrages budgétaires, des priorités sectorielles. Dans la pratique, la planification est un langage commun entre l’État, les bailleurs, les banques de développement et les agences onusiennes. C’est aussi un terrain d’exposition, car les résultats sont mesurables : croissance, inflation, pauvreté, emploi, investissements, accès à l’énergie, infrastructures, éducation, santé, etc.
Au-delà de son rôle ministériel, Fitsum Assefa est également mentionnée comme membre du conseil d’administration de la Commercial Bank of Ethiopia depuis décembre 2018. Ce type de fonction signale la proximité entre orientations macroéconomiques, politiques publiques et gouvernance des grandes institutions nationales, notamment dans un système où l’État conserve une place importante dans le financement et l’allocation de ressources.
Cette double implantation – au gouvernement et dans la gouvernance d’une grande banque – illustre une réalité éthiopienne : la planification et la réforme économique se jouent autant dans les textes stratégiques que dans les mécanismes de financement, de crédit, d’investissement public et de pilotage des entreprises d’État.
Le plan décennal 2021-2030 : une feuille de route ambitieuse dans un pays sous contraintes
Parmi les dossiers structurants associés à la planification éthiopienne figure le plan décennal de développement 2021-2030, élaboré par l’appareil de planification et officiellement lancé en janvier 2021. Il s’agit d’un document de perspective, censé offrir une orientation à long terme, en articulant croissance économique, transformation structurelle, investissement dans le capital humain, réduction de la pauvreté et résilience face au changement climatique.
Ce plan décennal, parfois décrit comme une « voie vers la prospérité », repose sur des piliers stratégiques qui combinent plusieurs objectifs : assurer une croissance de qualité, améliorer la productivité et la compétitivité, transformer les institutions, renforcer le rôle du secteur privé, et développer les infrastructures et les services essentiels. Dans la logique du document, la réforme économique « homegrown » sert de socle et de levier pour soutenir cette trajectoire.
Pour une ministre comme Fitsum Assefa, ce type de plan est à la fois un instrument de gouvernance et une promesse politique. Instrument de gouvernance, car il permet de relier les politiques sectorielles à des cibles mesurables, de justifier des choix budgétaires, et de dialoguer avec les partenaires financiers. Promesse politique, car il engage l’État devant la population : l’idée que les sacrifices, les réformes et les arbitrages difficiles produiront une amélioration du niveau de vie.
Le défi est que l’ambition se heurte à plusieurs réalités.
D’abord, la question du financement. Les plans décennaux supposent de mobiliser des ressources internes (fiscalité, efficacité de la dépense publique, amélioration de la gouvernance) et externes (investissements, financements concessionnels, partenariats). Or l’Éthiopie, comme beaucoup de pays, fait face à des arbitrages entre service de la dette, importations essentielles, dépenses sociales et investissements structurants.
Ensuite, la question de l’inflation et des déséquilibres macroéconomiques. Une planification crédible suppose de maîtriser les variables qui conditionnent la vie quotidienne : prix alimentaires, coût de l’énergie, stabilité monétaire, accès aux devises. Les réformes macroéconomiques, souvent techniques, deviennent alors des sujets hautement politiques.
Enfin, la question de l’implémentation, c’est-à-dire la capacité de l’administration à exécuter, coordonner et évaluer. La planification est parfois critiquée, dans de nombreux pays, pour ses promesses trop ambitieuses ou sa distance avec le terrain. L’enjeu, pour une ministre au profil académique, est de traduire les objectifs stratégiques en programmes concrets, et d’installer un système de suivi qui évite le décalage entre la rhétorique et la réalité.
C’est dans ce registre qu’apparaissent les outils liés aux objectifs de développement durable. L’Éthiopie présente la mise en œuvre des ODD comme intégrée à la planification nationale, avec un rôle de coordination assumé par le ministère de la Planification et du Développement. Cette dimension internationale n’est pas un détail : elle contribue à la légitimité et à la lisibilité des politiques publiques, en plaçant les actions nationales dans un cadre d’engagements mesurables à l’horizon 2030.
Une figure de la diplomatie économique et climatique, entre forums internationaux et enjeux domestiques
Dans l’espace public, Fitsum Assefa n’apparaît pas seulement comme une ministre gérant des dossiers internes. Son rôle s’inscrit aussi dans la projection internationale de l’Éthiopie, notamment sur les thèmes du développement, de la transition climatique et de la mobilisation de financements.
Ces dernières années, la planification et le développement sont devenus des sujets de diplomatie à part entière. Les États cherchent des ressources pour financer leur transition énergétique, adapter leurs agricultures, soutenir des populations vulnérables et construire des infrastructures résilientes. Cela implique de défendre des priorités nationales dans des arènes où se discutent les financements climatiques, les mécanismes de dette, les partenariats public-privé et les programmes d’aide.
Fitsum Assefa intervient ainsi dans des cadres multilatéraux, y compris onusiens, où elle met en avant l’intégration des objectifs de développement durable dans la planification nationale, le besoin de coordination institutionnelle et l’importance des partenariats ciblés. Dans le même temps, elle participe à des rencontres régionales ou continentales où l’Afrique cherche à peser davantage dans les débats sur le climat, les financements et la justice économique.
L’enjeu climatique est particulièrement sensible pour l’Éthiopie. Pays à forte composante agricole, exposé à des variations pluviométriques, à des risques de sécheresse et à des tensions sur les ressources, il doit concilier croissance et adaptation. Dans ce cadre, l’agenda de planification et de développement devient un instrument pour articuler politiques agricoles, infrastructures hydrauliques, énergie, urbanisation et protection sociale.
Mais la diplomatie économique et climatique a un revers : la nécessité de produire des résultats internes qui crédibilisent les demandes externes. Sur la scène internationale, la cohérence des politiques, la transparence des données, l’efficacité des programmes et la stabilité des orientations sont scrutées. La ministre de la planification et du développement, qui porte une partie de ces messages, est donc jugée autant sur le récit que sur les indicateurs.
Il existe aussi une tension entre la temporalité des forums internationaux et celle du quotidien national. Dans un pays où les populations peuvent être confrontées à des hausses de prix, à des difficultés d’accès à l’emploi, à des besoins de services essentiels, la planification doit être perçue comme utile, pas seulement comme une projection à dix ans. Le défi de Fitsum Assefa, comme celui de tout ministre chargé d’un agenda de long terme, est de rendre lisible le lien entre une réforme macroéconomique et le vécu des ménages.
Défis, controverses et attentes : ce que révèle le rôle d’une ministre de la planification en Éthiopie
Être ministre de la planification et du développement, dans l’Éthiopie des années 2020, c’est occuper un poste à la fois technique et exposé. Technique, car il faut maîtriser des documents stratégiques, des matrices d’indicateurs, des modèles macroéconomiques et des arbitrages de priorités. Exposé, car la population, les acteurs économiques et les partenaires internationaux attendent des résultats dans un contexte difficile.
Les défis majeurs se situent à plusieurs niveaux.
Le premier est celui de la cohérence des politiques publiques. Dans un système gouvernemental, la planification doit aligner des décisions prises par des ministères aux intérêts parfois divergents : priorités budgétaires, choix d’investissement, politiques sociales, projets d’infrastructures, réformes réglementaires. La moindre incohérence peut se traduire par des retards, des coûts supplémentaires, ou des effets sociaux négatifs.
Le deuxième défi est celui de la disponibilité et de la fiabilité des données. La planification moderne repose sur la donnée : statistiques de production, indicateurs sociaux, suivi de projets, évaluation des programmes. Dans de nombreux pays, c’est un chantier permanent. Or l’Éthiopie, engagée dans des réformes, doit pouvoir démontrer ce qui fonctionne et ce qui doit être corrigé, sous peine de perdre la confiance des acteurs et de fragiliser les arbitrages budgétaires.
Le troisième défi est celui des chocs et de la résilience. Les plans, aussi bien conçus soient-ils, sont perturbés par des crises. La pandémie de Covid-19 a bouleversé les trajectoires économiques partout dans le monde. Les tensions internes et les incertitudes géopolitiques ont ensuite pesé sur les chaînes d’approvisionnement, les prix mondiaux et les marges budgétaires. La planification doit alors intégrer des mécanismes d’ajustement, sans perdre l’objectif central de transformation.
Le quatrième défi est politique : la manière dont la réforme est perçue. Les réformes macroéconomiques impliquent souvent des coûts à court terme pour certains groupes : hausse de prix, ajustements budgétaires, évolution de la politique monétaire, réformes du secteur public. La légitimité de ces choix dépend de la capacité du gouvernement à expliquer, à compenser, à protéger les plus vulnérables, et à montrer des résultats tangibles.
Dans ce paysage, Fitsum Assefa apparaît comme une figure qui incarne la dimension planificatrice de l’État éthiopien. Elle porte un portefeuille où l’on ne coupe pas de rubans à la chaîne, mais où l’on cherche à organiser le cadre général dans lequel les autres politiques deviennent possibles. C’est une position moins spectaculaire que d’autres, mais décisive : lorsque la planification est faible, l’État se fragmente en projets isolés ; lorsqu’elle est robuste, elle peut créer une colonne vertébrale qui donne du sens et de la cohérence à l’action publique.
Son profil d’universitaire devenue ministre raconte aussi une évolution de la gouvernance : l’idée que l’expertise en économie du développement, en analyse institutionnelle et en politiques publiques peut devenir un capital politique. Mais l’expertise ne protège pas des contradictions. Être au centre de la planification, c’est être au centre des tensions entre urgence sociale et réformes de long terme, entre attentes nationales et contraintes internationales, entre ambitions d’investissement et limites budgétaires.
Au final, répondre à la question « qui est Fitsum Assefa ? », c’est décrire une responsable publique qui, depuis 2018, occupe l’un des postes les plus structurants de l’exécutif éthiopien, dans une période où la planification n’est pas un exercice administratif mais une bataille de trajectoire. Sa formation, son passage par l’université, sa nomination dans un cabinet paritaire et son implication dans l’agenda des réformes font d’elle une actrice centrale de la manière dont l’Éthiopie tente de concilier transformation économique, stabilité macroéconomique et objectifs de développement à l’horizon 2030.



