Qui est Muferiat Kamil ?

Dans la vie politique éthiopienne, certains parcours disent beaucoup d’un pays en transformation. Celui de Muferiat Kamil, née en 1976, appartient à cette catégorie. En quelques années, cette responsable publique est passée de fonctions gouvernementales sectorielles à des postes institutionnels et sécuritaires parmi les plus exposés, avant de se voir confier un portefeuille économique et social au cœur des priorités nationales. Première femme à présider la Chambre des représentants des peuples, première titulaire d’un ministère nouvellement créé et chargé de la paix, puis ministre en charge du travail et des compétences, elle incarne une séquence politique marquée par des réformes, un discours de modernisation de l’État et une volonté affichée de reconfigurer l’architecture gouvernementale.

Son nom apparaît souvent dans les récits de cette période, tant pour la dimension symbolique de ses nominations que pour la nature des institutions qu’elle a dirigées. Le ministère de la Paix, qu’elle a inauguré, a notamment été présenté comme un centre de gravité de l’appareil de sécurité intérieure et de coordination fédérale, à une époque où l’Éthiopie faisait face à des tensions multiples et à des crises locales de grande ampleur. Mais réduire Muferiat Kamil à une fonction ou à un symbole serait passer à côté d’une trajectoire plus longue, inscrite dans les structures partisanes de l’ancien système de coalition puis dans la recomposition qui a suivi.

Qui est donc Muferiat Kamil, la femme politique éthiopienne dont le nom revient régulièrement lorsqu’il est question de pouvoir, de réformes et de gouvernance ? Portrait, chronologie et éclairages sur un itinéraire qui traverse, en filigrane, plusieurs des lignes de force de l’Éthiopie contemporaine.

Une enfance à Jimma, une formation universitaire, une identité revendiquée

Muferiat Kamil est née à Jimma, grande ville du sud-ouest de l’Éthiopie. Cette origine provinciale, éloignée du centre politique d’Addis-Abeba, a souvent été soulignée dans les présentations qui accompagnent son ascension, comme un rappel des dynamiques régionales qui structurent le pays. L’Éthiopie n’est pas un État centralisé au sens classique : elle se pense aussi comme une fédération de régions, d’identités et de langues. Dans ce cadre, la provenance d’une personnalité, sa capacité à naviguer dans un espace politique composite, pèsent souvent autant que les diplômes.

Selon les éléments biographiques les plus fréquemment rapportés, elle est issue d’une famille silt’e, un groupe du sud éthiopien, et elle se définit comme musulmane sunnite. Cette dimension compte dans un paysage national où la représentation confessionnelle et la diversité des appartenances sont régulièrement mobilisées, parfois de manière apaisée, parfois comme marqueurs de tension. L’affirmation d’une identité n’y est pas qu’un fait privé : elle peut devenir, selon les contextes, un langage politique ou un élément de lisibilité publique.

Sur le plan académique, Muferiat Kamil a suivi des études à l’université de Haramaya, établissement connu notamment pour ses formations en agriculture et en sciences appliquées. Elle y obtient un diplôme de premier cycle en agriculture en 2000. Ce point est loin d’être anecdotique : les profils techniciens et les trajectoires issues de l’administration ou des secteurs de développement ont longtemps constitué une part importante du vivier des cadres politiques éthiopiens, en particulier dans les décennies où l’État a mis l’accent sur des politiques publiques très planifiées.

Reste que les biographies publiques donnent relativement peu d’éléments sur ses premières expériences professionnelles avant son entrée marquée dans l’appareil gouvernemental. Comme souvent pour des responsables politiques issus de systèmes partisans structurés, la frontière entre carrières administratives, fonctions de communication politique et intégration progressive dans des réseaux de décision est difficile à tracer précisément à partir des sources ouvertes. Ce que l’on peut affirmer, en revanche, c’est que sa montée en visibilité se consolide d’abord via des responsabilités au niveau régional, puis par une entrée au gouvernement fédéral.

Des premiers postes gouvernementaux à la visibilité nationale

La trajectoire de Muferiat Kamil s’inscrit dans un pays où le rôle de l’exécutif est historiquement central, et où les carrières politiques se construisent souvent par étapes : administration régionale, puis gouvernement fédéral, puis institutions nationales. Dans les années 2000, elle occupe des fonctions de communication et de conseil, avant d’accéder à un poste ministériel.

Elle est ainsi citée comme conseillère en relations publiques auprès de la présidence de la Région des nations, nationalités et peuples du Sud, une vaste région souvent décrite comme l’une des plus diversifiées du pays. Ce type de poste, à l’interface entre administration, politique et narration publique, constitue parfois un tremplin : il expose à la fois aux contraintes du terrain et aux logiques de l’État fédéral, puisqu’une partie des politiques régionales se coordonne avec le centre.

En 2008, Muferiat Kamil est nommée ministre des Affaires féminines, un portefeuille qui renvoie aux politiques publiques en matière de droits des femmes, d’égalité et de protection sociale, selon les périmètres décidés par l’exécutif. Les calendriers et l’organisation précise des institutions évoluant au fil des réformes gouvernementales, les intitulés et les champs d’action ont pu varier au fil des années. Néanmoins, cette nomination marque son entrée dans le cercle des ministres à l’échelle fédérale et, surtout, l’installe dans un espace où se croisent enjeux sociaux et arbitrages politiques.

Ce premier passage au gouvernement intervient dans un moment où l’Éthiopie, engagée dans des stratégies de développement accéléré, communique sur des transformations économiques et sur la modernisation de l’action publique. Le domaine des politiques relatives aux femmes, à la famille et aux protections sociales est alors un terrain sensible : il touche à la fois à la structure des services publics, à la place des associations, au droit, mais aussi aux rapports de pouvoir dans des sociétés très diverses.

Après cette étape, les informations publiques évoquent d’autres responsabilités au sein de l’appareil partisan et administratif. L’essentiel, pour comprendre la suite, est que Muferiat Kamil ne reste pas cantonnée à un secteur. Son nom réapparaît ensuite à un moment charnière de la politique nationale, lorsqu’une série de changements rapides touche le sommet de l’État en 2018.

Une première historique au Parlement : présider la Chambre des représentants des peuples

Avril 2018 marque un tournant : Muferiat Kamil est élue présidente de la Chambre des représentants des peuples, l’institution parlementaire fédérale. Elle devient la première femme à occuper ce poste. La portée symbolique est immédiate : dans un pays où la représentation féminine progresse, mais où les centres de pouvoir restent souvent dominés par des figures masculines, l’élection d’une femme à la tête du Parlement a valeur de signal politique.

Le contexte compte. L’année 2018 correspond à une phase d’ouverture et de réformes annoncées, dans le sillage d’un changement de leadership gouvernemental et d’une volonté affichée de transformer certaines pratiques de l’État. Dans ce climat, la nomination ou l’élection de personnalités incarnant une nouvelle image du pouvoir participe d’une stratégie de légitimation : montrer que l’institution se renouvelle, que des profils nouveaux émergent, que la gouvernance se modernise.

Le rôle de présidente de la Chambre des représentants des peuples n’est pas purement protocolaire. Il implique la conduite des débats parlementaires, l’organisation des séances, et une visibilité directe dans la vie institutionnelle. Dans des systèmes où l’exécutif est prépondérant, la présidence du Parlement demeure toutefois une position politique : elle peut servir à stabiliser des équilibres internes, à envoyer des messages aux partis et aux régions, et à mettre en scène l’idée de réforme.

Sa présence à ce poste est cependant relativement brève. Quelques mois plus tard, elle est appelée à une fonction très différente, en rejoignant un ministère nouvellement créé, dont le périmètre dépasse de loin les questions institutionnelles. Cette transition rapide, du perchoir parlementaire à un ministère de nature sécuritaire et politique, illustre la manière dont l’exécutif éthiopien peut redistribuer les cartes selon les priorités du moment.

En parallèle, Muferiat Kamil est également identifiée comme une dirigeante partisane au sein de l’ancien système de coalition, en prenant la tête du Mouvement démocratique des peuples du Sud de l’Éthiopie, l’un des partis constitutifs de la coalition au pouvoir à l’époque. Là encore, la séquence est courte mais structurante : elle place la responsable au cœur des négociations partisanes et de la recomposition politique qui conduira, plus tard, à la transformation du paysage partisan et à l’émergence d’une nouvelle formation dominante.

Le ministère de la Paix : un portefeuille stratégique dans un État sous tension

Octobre 2018 : Muferiat Kamil est nommée ministre de la Paix, devenant la première titulaire de ce portefeuille. L’intitulé peut surprendre. Le mot paix évoque, dans beaucoup de pays, une politique de réconciliation, de dialogue, de médiation. En Éthiopie, le ministère de la Paix est conçu comme un organe à la fois politique et administratif, chargé de plusieurs leviers majeurs de l’État fédéral.

Ce ministère est créé dans le cadre d’une réorganisation institutionnelle : il succède à une structure antérieure, et il est présenté comme un outil pour soutenir des réformes, renforcer l’État de droit et coordonner des secteurs sensibles. Dans sa conception initiale, il regroupe ou supervise des agences clés, dont des composantes de sécurité intérieure et de coordination fédérale. Cela fait de son titulaire une personnalité particulièrement exposée, prise entre l’objectif affiché de consolidation de la paix et la réalité d’un pays traversé par des conflits locaux, des rivalités politiques et des tensions intercommunautaires.

Les responsabilités associées à ce ministère, telles qu’elles sont décrites dans plusieurs présentations institutionnelles, incluent la supervision d’organes liés au renseignement, à la sécurité des réseaux d’information, à la police fédérale, ainsi qu’à des domaines touchant aux déplacements de populations, aux réfugiés et à certains mécanismes de gestion des risques. Autrement dit, le ministère de la Paix n’est pas seulement un espace de médiation ; il fonctionne aussi comme une plateforme de coordination de l’État dans ses dimensions les plus régaliennes.

L’arrivée de Muferiat Kamil à ce poste s’inscrit aussi dans un moment de mise en avant de la place des femmes au sein du gouvernement. L’Éthiopie communique alors sur un exécutif paritaire, ou du moins fortement féminisé, qui doit symboliser une rupture avec des pratiques jugées plus conservatrices. Dans cette logique, confier à une femme un portefeuille aussi stratégique constitue un geste politique fort : cela signifie que la féminisation du pouvoir ne doit pas se limiter aux ministères sociaux, mais s’étendre aux secteurs de souveraineté.

Cependant, la symbolique ne suffit pas à décrire la difficulté de la tâche. Être ministre de la Paix en Éthiopie, à partir de 2018, revient à opérer dans un contexte instable : tensions régionales, crises de gouvernance, conflits armés localisés, défis humanitaires. Dans un tel environnement, l’action d’un ministère dépend de nombreux facteurs : décisions du Premier ministre, rôle des forces de sécurité, arbitrages internes, rapports entre fédéral et régions, pressions internationales. Il serait donc imprudent d’attribuer à une seule personne les résultats ou les échecs d’un appareil aussi complexe. Mais il est possible de dire que Muferiat Kamil, en tant que première titulaire, a contribué à installer ce ministère dans le paysage institutionnel, à lui donner une visibilité et à occuper un rôle de coordination publique dans une phase d’expérimentation institutionnelle.

Son mandat au ministère de la Paix s’étend jusqu’en octobre 2021. À cette date, une nouvelle équipe gouvernementale est approuvée par le Parlement, et Muferiat Kamil change de portefeuille. La bascule est significative : elle quitte un centre de décision sécuritaire pour prendre en charge une thématique économique et sociale majeure, liée à l’emploi, aux compétences et au développement du capital humain.

Travail, compétences et politique publique : un retour au social, sous forte contrainte économique

Le 6 octobre 2021, Muferiat Kamil est nommée ministre du Travail et du Développement des compétences, un portefeuille qui se situe au carrefour de plusieurs urgences : emploi des jeunes, formation professionnelle, migration de travail, adéquation entre éducation et marché du travail, politiques de productivité. Dans un pays où la démographie est dynamique et où la demande d’emplois croît rapidement, cette fonction place son titulaire face à des attentes massives.

Le ministère qu’elle dirige est présenté, dans des documents institutionnels, comme un acteur clé de la modernisation des politiques d’emploi et de la structuration des compétences. L’intitulé même, qui associe travail et développement des compétences, insiste sur une approche qui ne se limite pas à la régulation du marché du travail : il s’agit aussi de former, certifier, orienter et accompagner.

Ce type de politique publique, souvent moins médiatisé que les portefeuilles de souveraineté, est pourtant décisif pour la stabilité sociale. L’emploi est un facteur de cohésion ; l’absence d’emploi, un facteur de frustration. Dans de nombreuses sociétés, l’incapacité à offrir des perspectives économiques aux jeunes alimente les tensions politiques. En Éthiopie, ces enjeux s’ajoutent à la complexité fédérale et à la diversité des contextes régionaux.

La ministre intervient aussi dans des espaces continentaux. En 2025, elle participe, aux côtés de responsables de l’Union africaine, à l’ouverture d’une semaine continentale consacrée aux compétences, événement qui met en avant l’innovation, la formation et la stratégie de développement du capital humain à l’échelle africaine. Cette présence souligne un fait : les politiques de compétences dépassent la seule scène nationale, car elles s’inscrivent dans des dynamiques de mobilité, de concurrence économique et de coopération régionale.

À l’échelle nationale, des prises de parole publiques relayées par des médias institutionnels évoquent des plans de long terme destinés à répondre à la demande d’emplois et à structurer des programmes de formation. Là encore, les annonces s’inscrivent dans une logique gouvernementale où la planification et les stratégies pluriannuelles occupent une place importante. Mais le passage de la stratégie à la réalité dépend de ressources, de stabilité, de capacités administratives, et du contexte macroéconomique.

La position de Muferiat Kamil, dans ce cadre, est celle d’une ministre à la fois politique et technique : politique, parce que l’emploi est un sujet explosif ; technique, parce que les instruments de formation, de certification et de régulation exigent une administration solide. C’est aussi un poste où l’on mesure, de manière très concrète, la capacité d’un État à transformer un discours de réforme en résultats tangibles.

Son parcours dessine ainsi une continuité : après avoir occupé un portefeuille social en début de carrière, après une parenthèse parlementaire et sécuritaire, elle revient à un domaine qui touche directement la vie quotidienne. La différence, c’est que l’Éthiopie de 2021–2025 n’est plus celle de 2008 : les défis se sont intensifiés, la scène politique s’est recomposée, et les attentes sociales se sont accrues.

Une figure de la recomposition politique : du système de coalition au Parti de la prospérité

Pour comprendre Muferiat Kamil, il faut enfin la replacer dans les transformations du système partisan. Son itinéraire traverse deux périodes : celle de l’ancienne coalition au pouvoir, structurée autour de partis régionaux alliés, puis celle de la recomposition autour du Parti de la prospérité, nouvelle formation dominante.

Muferiat Kamil a été associée à l’un des partis constitutifs de l’ancienne coalition, en dirigeant le Mouvement démocratique des peuples du Sud de l’Éthiopie. Cette position la situait au cœur d’un dispositif où les partis régionaux étaient des pièces d’un ensemble fédéral. Dans ce modèle, la direction d’un parti n’était pas seulement une affaire électorale ; c’était aussi une manière de peser dans les arbitrages, d’obtenir des postes, de négocier des équilibres régionaux.

La coalition a ensuite été transformée, et une nouvelle structure partisane a émergé, regroupant des forces auparavant distinctes. Dans les années suivantes, Muferiat Kamil apparaît comme membre du comité exécutif de cette nouvelle formation, signe qu’elle conserve un statut important dans l’appareil politique.

Cette continuité suggère qu’elle n’est pas seulement une technicienne promue par hasard. Elle appartient à une génération de cadres capables de naviguer entre institutions, gouvernement, parti et communication publique. Dans les régimes où le parti et l’État sont étroitement imbriqués, ce savoir-faire est central : il faut à la fois maîtriser le langage des politiques publiques et comprendre les équilibres internes.

Reste une question que posent souvent les observateurs : quelle est l’influence réelle d’une personnalité dans un système où le pouvoir exécutif, les forces de sécurité et les logiques de coalition pèsent lourd ? À cette question, les sources ouvertes ne permettent pas d’apporter une réponse simple. Ce que l’on peut établir, en revanche, c’est que Muferiat Kamil a occupé des postes qui, par leur nature, impliquent une proximité avec les centres de décision, une capacité de gestion et une exposition nationale et internationale.

Au final, son portrait est celui d’une responsable politique dont la trajectoire épouse les grandes lignes d’une Éthiopie en reconfiguration : promotion de la représentation des femmes, réforme institutionnelle, création de nouveaux ministères, recentrage partisan, priorité au capital humain. Dans un pays où l’histoire récente est marquée par des espoirs de transformation et par des crises, elle reste une figure emblématique de cette période, à la fois pour ce qu’elle symbolise et pour les institutions qu’elle a contribué à incarner.

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