Médecin, militant des droits humains, intellectuel engagé et diplomate chevronné, Morissanda Kouyaté s’impose depuis plusieurs décennies comme l’une des figures les plus marquantes de la vie publique guinéenne et africaine. Son nom reste étroitement associé à la lutte contre les mutilations génitales féminines, combat qu’il a contribué à internationaliser, mais aussi à la construction d’une diplomatie guinéenne contemporaine fondée sur la souveraineté, l’intégration africaine et le dialogue entre les peuples. À la croisée de l’action de terrain, de l’expertise internationale et de la responsabilité gouvernementale, son parcours illustre une trajectoire singulière, façonnée par la conviction que le développement d’un pays passe avant tout par la protection de la dignité humaine et l’émancipation des citoyens.
Des racines guinéennes à la vocation médicale
Morissanda Kouyaté naît le 19 novembre 1951 à Kouroussa, une ville de Haute-Guinée marquée par une forte tradition culturelle et historique. Issu d’un environnement où la solidarité communautaire occupe une place centrale, il grandit dans un contexte social où les questions de santé, d’éducation et de traditions occupent une importance quotidienne. Très tôt, il manifeste un intérêt prononcé pour les sciences et pour la compréhension du corps humain, intérêt qui se transforme progressivement en vocation pour la médecine.
Après des études secondaires réussies, il intègre l’Université de Conakry, où il suit un cursus de médecine. Il y obtient son doctorat, au terme d’une formation exigeante qui le confronte déjà aux réalités sanitaires du pays. À cette époque, la Guinée, comme de nombreux États africains, fait face à des défis structurels majeurs en matière de santé publique : pénurie d’infrastructures, manque de personnel qualifié, poids des pratiques traditionnelles et faiblesse des moyens financiers. Ces contraintes nourrissent chez le jeune médecin une réflexion profonde sur la nécessité d’allier savoir scientifique, compréhension culturelle et engagement social.
Souhaitant enrichir sa formation, Morissanda Kouyaté poursuit des études complémentaires à l’étranger, notamment aux États-Unis. Il se forme à l’Université Johns Hopkins, institution de renommée mondiale dans le domaine de la santé publique, ainsi qu’à l’Université Clark Atlanta. Ces expériences internationales lui permettent d’acquérir une expertise élargie, mais aussi de découvrir des approches innovantes en matière de prévention, de politiques sanitaires et de droits humains. Elles jouent un rôle déterminant dans la structuration de sa pensée et dans l’orientation future de son engagement.
La médecine de terrain et la prise de conscience sociale
De retour en Guinée, Morissanda Kouyaté choisit de mettre ses compétences au service des populations locales. Il exerce comme médecin dans des zones rurales, souvent éloignées des grands centres urbains. Ce choix n’est pas anodin : il lui permet de se confronter directement aux réalités vécues par les communautés, d’observer les conséquences concrètes de certaines pratiques traditionnelles sur la santé des femmes et des enfants, et de mesurer l’écart entre les politiques publiques et les besoins réels du terrain.
C’est au cours de cette période que se forge sa conscience militante. Il est quotidiennement témoin des souffrances causées par les mutilations génitales féminines, les mariages précoces ou encore le manque d’accès aux soins pour les mères et les enfants. En tant que médecin, il soigne les corps ; en tant que citoyen, il commence à interroger les causes profondes de ces pathologies sociales. Progressivement, il comprend que l’amélioration durable de la santé publique passe nécessairement par une remise en question de certaines normes culturelles et par un travail de sensibilisation à long terme.
Cette prise de conscience marque un tournant décisif dans sa carrière. Sans renier sa formation médicale, il élargit son champ d’action à la défense des droits humains, convaincu que la santé ne peut être dissociée de la dignité, de l’éducation et de l’égalité entre les sexes. Cette vision holistique devient le fil conducteur de son engagement futur.
Un combat structurant contre les mutilations génitales féminines
Au début des années 1980, Morissanda Kouyaté s’impose progressivement comme l’un des acteurs majeurs de la lutte contre les pratiques traditionnelles néfastes en Afrique. En 1984, il participe à la fondation, à Dakar, du Comité interafricain sur les pratiques affectant la santé des femmes et des enfants. Cette organisation panafricaine naît d’un constat partagé par plusieurs militants et professionnels de santé : la nécessité de coordonner les efforts à l’échelle du continent pour combattre des pratiques profondément enracinées dans les sociétés, mais aux conséquences dramatiques.
En tant que secrétaire exécutif du comité, fonction qu’il occupera pendant de nombreuses années, Morissanda Kouyaté joue un rôle central dans la structuration du mouvement. Il contribue à développer des stratégies de sensibilisation adaptées aux réalités culturelles locales, privilégiant le dialogue avec les communautés, les chefs religieux et les leaders traditionnels. L’objectif n’est pas de stigmatiser, mais de faire évoluer les mentalités en s’appuyant sur l’éducation, la médecine et le respect des droits fondamentaux.
Son action dépasse rapidement le cadre africain. Grâce à un travail constant de plaidoyer, il parvient à inscrire la lutte contre les mutilations génitales féminines à l’agenda des organisations internationales. Il collabore avec les Nations unies, l’Union africaine et de nombreuses ONG, contribuant à faire reconnaître ces pratiques comme des violations graves des droits humains. Cette reconnaissance internationale constitue une avancée majeure, car elle permet de mobiliser des ressources, d’harmoniser les cadres juridiques et de renforcer la coopération entre États.
L’un des moments les plus marquants de cet engagement intervient en 2012, lorsque l’Assemblée générale des Nations unies adopte une résolution appelant à l’élimination des mutilations génitales féminines. Morissanda Kouyaté figure parmi les artisans de ce texte fondateur, qui institue le 6 février comme Journée internationale de tolérance zéro à l’égard de ces pratiques. Cette date devient un symbole mondial du combat pour la santé et les droits des femmes, et consacre des décennies de militantisme acharné.
Une reconnaissance internationale et un leadership humaniste
L’engagement de Morissanda Kouyaté en faveur des droits humains lui vaut une reconnaissance internationale croissante. Au fil des années, il est invité à intervenir dans de nombreux forums, conférences et universités à travers le monde. Son discours, à la fois ferme et nuancé, s’appuie sur une connaissance approfondie des réalités africaines et sur une capacité à dialoguer avec des interlocuteurs très divers, des décideurs politiques aux acteurs de terrain.
Cette reconnaissance culmine en 2020, lorsqu’il reçoit le prix Nelson Mandela des Nations unies. Cette distinction prestigieuse récompense des personnalités ayant consacré leur vie à la promotion de la paix, de la justice et de la dignité humaine. Pour Morissanda Kouyaté, ce prix constitue moins un aboutissement personnel qu’une validation collective du combat mené par des milliers de militants, de soignants et de défenseurs des droits humains à travers l’Afrique.
Au-delà des distinctions, son leadership se caractérise par une approche profondément humaniste. Il insiste sur la nécessité de placer les communautés au cœur des solutions, de respecter les cultures tout en les faisant évoluer, et de privilégier l’éducation comme levier de transformation sociale. Cette posture lui permet de fédérer des acteurs aux sensibilités diverses et de construire des alliances durables.
L’entrée dans la sphère politique et diplomatique
Fort de cette expérience internationale et de cette crédibilité acquise sur la scène mondiale, Morissanda Kouyaté est appelé à jouer un rôle de premier plan dans la vie politique guinéenne. En octobre 2021, il est nommé ministre des Affaires étrangères, de l’Intégration africaine et des Guinéens établis à l’étranger. Cette nomination intervient dans un contexte politique particulier, marqué par une transition institutionnelle et par la volonté affichée de refonder l’action publique.
À la tête de la diplomatie guinéenne, il s’attache à redonner à la Guinée une voix audible et respectée sur la scène internationale. Son approche se distingue par une volonté de concilier fermeté sur les intérêts nationaux et ouverture au dialogue multilatéral. Il œuvre à renforcer les relations bilatérales avec les partenaires traditionnels du pays, tout en développant de nouvelles coopérations, notamment au sein du continent africain.
L’intégration africaine occupe une place centrale dans sa vision diplomatique. Convaincu que l’avenir de la Guinée est indissociable de celui de l’Afrique, il plaide pour une coopération renforcée entre les États africains, tant sur le plan politique qu’économique et culturel. Il s’investit également dans les organisations régionales et internationales, cherchant à positionner la Guinée comme un acteur constructif et engagé.
La diaspora guinéenne, un levier stratégique
Un autre axe majeur de l’action de Morissanda Kouyaté concerne les Guinéens établis à l’étranger. Conscient du potentiel économique, intellectuel et culturel de la diaspora, il œuvre à renforcer les liens entre l’État et ses ressortissants hors du territoire national. Cette démarche vise à faire de la diaspora un acteur à part entière du développement national, en facilitant les investissements, le transfert de compétences et la participation aux débats publics.
Sous son impulsion, des initiatives sont lancées pour améliorer la protection consulaire, renforcer l’écoute des communautés guinéennes à l’étranger et valoriser leur contribution à l’image du pays. Cette politique s’inscrit dans une vision inclusive de la nation, où chaque citoyen, où qu’il se trouve, peut contribuer à l’avenir collectif.
Une diplomatie ancrée dans le dialogue et la proximité
Au-delà des cercles diplomatiques, Morissanda Kouyaté développe une conception de l’action publique fondée sur la proximité et le dialogue. Lors de ses déplacements en Guinée, il multiplie les rencontres avec les populations, les jeunes, les femmes et les leaders communautaires. Il explique les enjeux de la politique étrangère, écoute les préoccupations et cherche à inscrire l’action diplomatique dans une dynamique de cohésion nationale.
Cette approche reflète une conviction profonde : la diplomatie ne doit pas être une affaire réservée aux élites, mais un outil au service du développement et du bien-être des citoyens. En reliant les enjeux internationaux aux réalités locales, il contribue à renforcer la compréhension et l’adhésion des populations aux orientations stratégiques du pays.
Héritage, influence et perspectives
Le parcours de Morissanda Kouyaté s’inscrit dans une temporalité longue, marquée par la constance de l’engagement et la capacité d’adaptation. De la médecine de terrain à la diplomatie internationale, il a su transformer ses expériences en leviers d’action, sans jamais renoncer à ses principes fondamentaux. Son héritage se mesure autant dans les avancées concrètes obtenues dans la lutte contre les mutilations génitales féminines que dans la place qu’il a contribué à donner à la Guinée sur la scène internationale.
Alors que le pays poursuit son évolution institutionnelle et politique, son expérience et sa vision constituent des repères importants pour les générations futures. À travers son itinéraire, Morissanda Kouyaté incarne l’idée qu’un engagement individuel, lorsqu’il est porté par la rigueur, l’écoute et la persévérance, peut produire des transformations durables, tant au niveau national qu’international.
Figure de la convergence entre santé, droits humains et diplomatie, il demeure l’un des visages les plus représentatifs d’une Guinée en quête de reconnaissance, de justice et de progrès partagé.



