Qui est Ahmed Attaf, l’homme politique ?

Ahmed Attaf occupe aujourd’hui l’un des portefeuilles les plus exposés de l’exécutif algérien : ministre d’État, ministre des Affaires étrangères, de la Communauté nationale à l’étranger et des Affaires africaines. Cette intitulé, long et très politique, dit déjà beaucoup des priorités affichées par Alger : une diplomatie revendiquée comme centrale, un tropisme africain assumé, et une attention particulière portée aux Algériens de l’étranger, dans un contexte où les rapports de force régionaux se durcissent et où les relations avec plusieurs partenaires restent sensibles.

Son nom n’est pas nouveau pour les observateurs. Ahmed Attaf a déjà été ministre des Affaires étrangères dans les années 1990. Il a aussi longuement navigué entre la haute administration, les missions diplomatiques et les arènes multilatérales. Sa nomination, en mars 2023, a été interprétée comme un choix de continuité, mais aussi comme un retour aux profils expérimentés, capables de gérer des crises à la fois proches et complexes : Sahel instable, rivalités au Maghreb, recompositions au Moyen-Orient, et place de l’Algérie dans les enceintes internationales.

Cette trajectoire, plus technocratique que tribunitienne, s’inscrit dans une diplomatie algérienne qui insiste sur la primauté des solutions politiques, l’attachement au multilatéralisme et une lecture souverainiste des relations internationales. Elle se déploie aussi dans un calendrier où la politique étrangère sert de vitrine, mais également de levier intérieur, tant les enjeux migratoires, énergétiques, sécuritaires et mémoriels s’entrecroisent.

Une nomination en 2023, une reconduction en 2025 : l’affirmation d’un portefeuille élargi

Ahmed Attaf revient au premier plan en mars 2023, lorsque le président Abdelmadjid Tebboune le nomme ministre des Affaires étrangères et de la Communauté nationale à l’étranger, en remplacement de Ramtane Lamamra. Cette décision s’inscrit dans un remaniement ministériel et marque le retour d’un ancien titulaire du poste, déjà passé par la tête de la diplomatie algérienne entre 1996 et 1999. Le symbole est fort : en période de crispations régionales et de rivalités d’influence, Alger choisit un profil aguerri, familier des arcanes de l’État et des codes diplomatiques.

Deux ans plus tard, en septembre 2025, un nouveau gouvernement est rendu public par les services du Premier ministre. Ahmed Attaf y figure à nouveau, cette fois avec un intitulé qui insiste explicitement sur les Affaires africaines, en plus des Affaires étrangères et de la Communauté nationale à l’étranger. La mention du rang de ministre d’État, dans la hiérarchie gouvernementale, souligne également un statut renforcé : ce n’est pas seulement un ministère technique, mais l’un des centres nerveux de l’action extérieure.

Cette architecture gouvernementale traduit une tendance observable : la politique étrangère algérienne se présente comme un ensemble de priorités liées entre elles. La diaspora est un sujet politique et économique ; l’Afrique est un espace d’influence et de sécurité ; et la diplomatie, au sens classique, doit composer avec les tensions bilatérales, les crises régionales et la compétition entre puissances.

Dans ce cadre, le chef de la diplomatie devient aussi un coordinateur, chargé de faire vivre des messages politiques parfois destinés autant à l’extérieur qu’à l’opinion interne : souveraineté nationale, refus des ingérences, valorisation du rôle de médiateur, promotion d’une solution politique aux conflits, et volonté de peser dans les formats multilatéraux.

Un parcours de diplomate : Nations unies, OUA, ambassades et postes stratégiques

Le CV officiel d’Ahmed Attaf, publié par le ministère algérien des Affaires étrangères, dessine un itinéraire typique des diplomaties d’État : formation administrative, postes techniques, puis montée vers les fonctions politiques. Né le 10 juillet 1953 à Aïn Defla, il est diplômé de l’École nationale d’administration (ENA) et titulaire d’un diplôme d’études supérieures en sciences politiques, ainsi que d’un diplôme de compétence en langue anglaise obtenu à New York.

Dans la seconde moitié des années 1970 et au début des années 1980, il occupe des fonctions qui l’ancrent dans les institutions multilatérales : Organisation de l’unité africaine (OUA), puis mission permanente de l’Algérie auprès des Nations unies à New York. Il passe également par des responsabilités liées aux affaires stratégiques et au désarmement, domaine exigeant où la crédibilité se construit sur la maîtrise des dossiers et l’aptitude à négocier.

De retour dans l’appareil du ministère, il devient directeur des Affaires politiques internationales, avant d’enchaîner avec des postes d’ambassadeur : en Yougoslavie (1989-1991), en Inde (1992-1994), puis au Royaume-Uni (2001-2004). À ces affectations s’ajoutent des éléments plus politiques : il est secrétaire d’État à la coopération et aux affaires maghrébines, puis porte-parole du gouvernement (1994-1996), avant d’être nommé ministre des Affaires étrangères (1996-1999).

Ce type de trajectoire, faite d’aller-retour entre administrations, postes à l’étranger et responsabilités gouvernementales, construit un savoir-faire particulier : connaissance des équilibres internes, capacité à parler au nom de l’État, et lecture fine des sensibilités régionales. Il permet aussi d’expliquer le choix d’un tel profil au moment où l’Algérie cherche à consolider son image de puissance de stabilité, tout en faisant face à des environnements frontaliers instables et à des dossiers bilatéraux très politisés.

Une diplomatie africaine et sahélienne revendiquée, entre médiation et sécurité régionale

L’intitulé même du portefeuille, intégrant désormais explicitement les Affaires africaines, renvoie à une tradition diplomatique algérienne : se présenter comme un acteur central du continent et un interlocuteur dans les crises régionales. Dans les faits, les enjeux sécuritaires au Sahel, la succession de coups d’État dans la région, la fragilisation de certains processus de paix et l’arrivée de nouveaux acteurs extérieurs ont contribué à redonner au dossier africain un relief particulier.

Des déplacements d’Ahmed Attaf ont été présentés comme des missions d’envoyé spécial du président Tebboune. Début janvier 2025, par exemple, une communication officielle d’une représentation diplomatique algérienne rapporte une visite au Bénin, dans ce cadre, avec des entretiens destinés à promouvoir la coopération bilatérale. D’autres séquences, antérieures, montrent déjà cette dimension itinérante : au printemps 2023, peu après son arrivée au ministère, il effectue des déplacements en Afrique de l’Ouest et au Sahel, portant des messages du président algérien à ses homologues.

Cette diplomatie de terrain sert plusieurs objectifs. D’abord, elle vise à montrer la disponibilité d’Alger à dialoguer avec les capitales africaines, dans un moment où les partenariats internationaux se reconfigurent. Ensuite, elle permet à l’Algérie de défendre une approche politique des crises, en insistant sur le dialogue et sur l’idée de solutions négociées. Enfin, elle se rattache directement aux préoccupations de sécurité nationale : une instabilité prolongée au Sahel est perçue comme un facteur de risques transfrontaliers, qu’il s’agisse de trafics, de groupes armés ou de pressions migratoires.

Dans la pratique, le chef de la diplomatie devient le visage de cette stratégie, à la fois porte-parole et négociateur. Il doit concilier les impératifs de stabilité, les rivalités entre États, la sensibilité aux souverainetés nationales des pays voisins, et la nécessité d’exister face à d’autres puissances qui cherchent également à structurer l’espace sahélien.

La communauté nationale à l’étranger : un dossier politique, social et diplomatique

L’autre volet explicitement associé au ministère concerne la Communauté nationale à l’étranger. Ce choix d’intitulé n’est pas anodin : il reconnaît l’importance des Algériens vivant hors du pays, leur place économique (transferts, investissement, circulation des compétences), sociale (familles, mobilité), et politique (perception du pays, attentes en matière de services consulaires).

Dans une lecture diplomatique, la diaspora n’est pas seulement une question administrative, mais un enjeu de relation bilatérale avec les pays d’accueil. Les dossiers de circulation, de visas, de réadmission, de protection consulaire, ou encore de coopération judiciaire se négocient souvent dans des cadres sensibles. Ils peuvent devenir des points de tension, notamment lorsque l’immigration et la sécurité occupent une place centrale dans le débat public des pays partenaires.

Le fait que ce portefeuille soit rattaché au chef de la diplomatie signale une volonté de pilotage politique. Dans ce schéma, le ministre n’est pas seulement celui qui gère des crises internationales ; il est aussi celui qui assume, face aux partenaires, des dossiers concrets touchant directement des citoyens et des familles.

L’exemple des relations franco-algériennes illustre cette imbrication. Au printemps 2025, dans un contexte de tensions antérieures, le ministre français des Affaires étrangères se rend à Alger, et la presse française rapporte des échanges avec Ahmed Attaf dans le cadre d’une tentative de relance du dialogue bilatéral, où les sujets sécuritaires, migratoires et judiciaires figurent au menu. Cette séquence rappelle que, pour Alger comme pour Paris, les relations extérieures se jouent autant sur les grands dossiers géopolitiques que sur des questions de mobilité et de coopération.

Dans ce cadre, la présence d’un ministre expérimenté, connaissant les codes des négociations, constitue un atout pour l’État algérien. Elle ne signifie pas, en soi, la disparition des tensions, mais elle éclaire le choix de confier ce portefeuille à une figure rompue aux rapports de force.

Multilatéralisme, Conseil de sécurité et communication d’État : la scène internationale comme levier

Ahmed Attaf s’inscrit, par formation et par parcours, dans une culture multilatérale. Les passages par l’ONU, les fonctions liées au désarmement et les interventions dans des enceintes internationales nourrissent une posture qui insiste sur les principes : souveraineté, égalité entre États, primauté de la Charte des Nations unies, et recherche de solutions politiques.

Cette orientation est visible dans des discours et communications institutionnelles diffusés par des canaux diplomatiques algériens, notamment autour de la candidature de l’Algérie à des responsabilités internationales et de la présence du pays dans les instances onusiennes. Le ministère des Affaires étrangères a, par exemple, publié des éléments relatifs à la candidature de l’Algérie pour un siège de membre non permanent au Conseil de sécurité sur la période 2024-2025, ainsi qu’à des déplacements à New York en amont des échéances de l’Assemblée générale.

Dans la diplomatie contemporaine, ces moments comptent doublement. Ils servent, à l’extérieur, à affirmer une légitimité et une capacité d’initiative. Mais ils servent aussi, à l’intérieur, à construire un récit : l’Algérie comme acteur de stabilité, voix du Sud, médiateur régional, et défenseur de causes jugées centrales dans la politique étrangère nationale.

Cette dimension narrative s’entend également dans la manière dont la diplomatie algérienne commente certains contextes régionaux. La presse internationale a rapporté, par exemple, des déclarations attribuées au ministre sur la doctrine algérienne et son refus de certaines logiques d’intervention préventive, dans un moment où les crises aux frontières plaçaient l’Algérie face à des dilemmes sécuritaires.

Le poste d’Ahmed Attaf, à ce niveau, relève donc autant de la diplomatie classique que de la représentation politique. Il doit porter des positions, parfois tranchées, sans fermer les canaux de dialogue ; occuper l’espace multilatéral, sans sacrifier les urgences bilatérales ; et faire exister l’Algérie dans une période où les crises se chevauchent, de l’Afrique du Nord au Sahel, jusqu’aux débats sur l’ordre international.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *