Nommée à la tête du ministère sud-africain de l’Eau et de l’Assainissement, Pemmy Castelina Pamela Majodina arrive à un moment où les questions hydriques ne relèvent plus seulement de l’environnement ou des services publics, mais touchent au fonctionnement quotidien des villes, à la santé des populations, à l’économie et à la stabilité sociale. Son entrée au gouvernement s’inscrit dans une recomposition politique nationale, tandis que les réseaux d’eau vieillissants, les difficultés de maintenance, la pression climatique et les tensions financières dans la chaîne de distribution mettent le pays sous contrainte. En toile de fond, un débat désormais récurrent oppose les appels à la sobriété aux attentes de réponses structurelles, au moment même où l’État annonce des réformes institutionnelles ambitieuses pour financer et gérer les infrastructures.
Une nomination dans un paysage politique recomposé
Pemmy Majodina est devenue ministre de l’Eau et de l’Assainissement à compter du 3 juillet 2024, dans le sillage de la mise en place du gouvernement d’unité nationale annoncé fin juin 2024. Dans l’organigramme politique, le ministère est aussi épaulé par des vice-ministres, David Mahlobo et Isaac Seitlholo, éléments clés dans un portefeuille où l’exécution dépend largement d’agences et d’administrations techniques.
La trajectoire de Pemmy Majodina se construit sur une longue présence dans les institutions politiques sud-africaines. Les notices officielles la décrivent comme ayant siégé au Conseil national des provinces (National Council of Provinces) jusqu’en 2004, avant de rejoindre la législature provinciale du Cap-Oriental (Eastern Cape Provincial Legislature) de 2004 à 2019. Elle accède ensuite au Parlement national en 2019, où elle a occupé un poste stratégique : celui de chief whip de la majorité à l’Assemblée nationale entre mai 2019 et juin 2024, fonction de coordination politique et de discipline de vote au sein du groupe majoritaire.
Son parcours provincial est jalonné de responsabilités exécutives, toujours selon les sources gouvernementales : membre de l’exécutif provincial (MEC) en charge de la Santé (2004-2008), des Routes et des Travaux publics (2009-2010), du Développement social et des Programmes spéciaux (2010-2014), des Sports, Loisirs, Arts et Culture (2014-2018), puis des Travaux publics (2018-2019). Ce profil, à la fois politique et gestionnaire, est souvent mobilisé comme argument de crédibilité lorsqu’il s’agit de piloter un ministère confronté à des chantiers lourds et à une mosaïque d’acteurs : État central, municipalités, organismes publics, opérateurs de l’eau, et financeurs.
Les mêmes notices officielles mettent en avant un engagement ancien dans les structures politiques et militantes liées à l’ANC, ainsi qu’une expérience d’éducatrice. Elles mentionnent également des éléments biographiques tels qu’un passage par Umkhonto we Sizwe, l’ancienne branche armée de l’ANC, ainsi qu’un doctorat honorifique en développement communautaire mentionné comme délivré en 2010. Dans le contexte sud-africain, ces marqueurs servent aussi à situer la nouvelle ministre dans l’histoire politique du pays et dans la culture organisationnelle d’un parti qui a gouverné depuis 1994.
L’eau, une urgence nationale entre pénuries urbaines et risques sanitaires
Le ministère de l’Eau et de l’Assainissement porte une responsabilité qui dépasse la simple fourniture d’un service : l’accès à l’eau, la sécurité hydrique et l’assainissement constituent des conditions de fonctionnement de l’activité économique et de la santé publique. Dans son discours de présentation budgétaire en juillet 2024, Pemmy Majodina replace le secteur dans une contrainte structurelle : l’Afrique du Sud figure parmi les pays les plus pauvres en eau, avec une demande qui augmente sous l’effet de la croissance démographique et économique. Elle y avance aussi une donnée de consommation moyenne, présentée comme supérieure à une moyenne internationale : 218 litres par personne et par jour, contre 173 au niveau international, selon son intervention.
À ces contraintes physiques s’ajoute l’impact des événements extrêmes. Dans le même discours, la ministre cite des inondations, notamment celles d’eThekwini (Durban) en avril 2022, comme exemple de dommages significatifs subis par les infrastructures d’eau et d’assainissement, tout en indiquant que le changement climatique pourrait accroître la fréquence et la sévérité des sécheresses et des crues. Le message est double : la sécurité hydrique n’est pas uniquement une question de ressources, mais aussi de robustesse des réseaux, de capacité de maintenance et de résilience des systèmes.
La crise se lit aussi à l’échelle des grandes métropoles. Un reportage du Financial Times, publié en 2025, décrit Johannesburg confrontée à des coupures de longue durée et à une situation où l’état des infrastructures, la gestion et la maintenance alimentent une fragilité persistante. Le même article souligne que l’impact économique potentiel est perçu comme majeur, notamment pour l’industrie, et qu’une part importante de l’eau distribuée n’est pas facturée ou n’est pas payée, ce qui affaiblit la capacité d’investissement et d’entretien des services.
Dans ce climat, la communication politique devient elle-même un enjeu. Le Financial Times rapporte que Pemmy Majodina a été critiquée par des partis d’opposition après avoir appelé les Sud-Africains à modifier leurs comportements pour éviter des coupures, remarque interprétée par certains comme une minimisation du problème. L’article relève aussi la ligne de défense avancée par la ministre dans l’échange : l’accent mis sur les défaillances municipales en matière de maintenance et de respect des procédures de traitement de l’eau potable et des eaux usées.
La question sanitaire, elle, est indissociable de celle de l’assainissement. Dans une communication officielle de décembre 2023 sur les évaluations du secteur, le gouvernement souligne que l’état des stations d’épuration et la gestion des eaux usées peuvent poser des risques environnementaux et de santé, citant notamment le lien possible avec des flambées épidémiques lorsque les rejets polluent les ressources en eau. Le document mentionne qu’une part importante des stations évaluées se trouvait dans des catégories de risque élevées ou critiques, ce qui alimente les inquiétudes sur la qualité des rejets et sur la protection des rivières.
Réformer l’architecture des infrastructures et du financement
Au-delà des urgences visibles, le ministère agit dans une architecture sectorielle complexe : grands barrages et transferts interbassins, agences nationales, opérateurs de traitement, municipalités responsables de la distribution de détail, sans oublier les règles de financement. Dans son discours budgétaire de juillet 2024, Pemmy Majodina annonce une priorité nette : investir à temps dans de nouvelles infrastructures de ressources en eau, dans un pays où, selon elle, 75 % des ressources de surface disponibles ont déjà été captées dans des barrages, rendant les options restantes plus coûteuses. Elle lie cet objectif à la nécessité de ne pas laisser l’eau devenir un frein à l’investissement et à la croissance, tout en rappelant l’obligation constitutionnelle de satisfaire les besoins de la population.
La ministre met également l’accent sur la sécurité des ouvrages existants. Elle indique que son département est le gardien d’un parc de 323 grands barrages et d’infrastructures associées, et annonce l’accélération d’un programme de réhabilitation pour se conformer aux règles de sécurité des barrages, ainsi que des actions sur les systèmes d’acheminement d’eau. Dans le même ensemble d’annonces, elle évoque des demandes d’autorisations liées à l’hydroélectricité et au solaire flottant sur des ouvrages hydrauliques, présentées comme un axe de diversification des usages.
L’enjeu central, toutefois, réside dans la capacité à financer les grands projets et à stabiliser la chaîne de revenus. Dans son intervention, Pemmy Majodina explique que nombre de projets nationaux sont financés via des levées sur les marchés financiers, auprès de banques, fonds de pension et institutions de développement, notamment par l’intermédiaire du Trans-Caledon Tunnel Authority (TCTA) appuyé sur des garanties explicites du Trésor. Mais elle souligne aussi une limite : dans un contexte budgétaire difficile, la capacité du Trésor à fournir des garanties au TCTA est contrainte.
C’est dans ce cadre qu’apparaît l’une des réformes les plus structurantes du secteur : la création d’une agence dédiée aux infrastructures nationales de ressources en eau. La ministre explique que la National Water Resource Infrastructure Agency (NWRIA) doit devenir propriétaire des actifs nationaux d’infrastructures et capter les flux de revenus associés, afin de pouvoir emprunter sur la base de son bilan. Le processus législatif, lui, est documenté : une loi de 2024 prévoit l’établissement de cette agence en tant qu’entreprise publique majeure, et organise notamment le transfert des infrastructures nationales ainsi que le transfert du TCTA à la nouvelle entité, avec la perspective de la disparition du TCTA en tant qu’organisme séparé.
L’idée derrière cette refonte est d’agréger gouvernance des actifs, capacité d’emprunt et discipline financière. Une communication du département, en mai 2024, présente la NWRIA comme un outil visant une fourniture durable, équitable et fiable à partir des infrastructures nationales de ressources en eau. Et, en 2025, le Parlement sud-africain rapporte que le département vise une mise en place d’ici avril 2026, donnant une indication de calendrier politique et administratif pour la bascule vers cette nouvelle architecture.
Dans le débat public, cette réforme est souvent lue comme une tentative de résoudre un nœud : comment accélérer l’investissement et la maintenance, alors même que l’État doit composer avec des contraintes d’endettement et avec des opérateurs municipaux parfois incapables d’absorber des financements ou de mener des projets de renouvellement d’ampleur. Le défi est d’autant plus délicat que les infrastructures nationales et municipales s’emboîtent : sans réseaux locaux capables de réduire les fuites et d’assurer un traitement conforme, l’augmentation de la ressource ne garantit pas un service continu.
Municipalités, dettes et qualité : le maillon fragile du service quotidien
Dans sa prise de parole de juillet 2024, Pemmy Majodina insiste sur un point : la soutenabilité du secteur dépend du principe utilisateur-payeur, puisque les emprunts contractés pour les infrastructures nationales doivent être remboursés grâce aux revenus tirés de la vente de l’eau. Elle décrit une chaîne financière où les municipalités facturent les usagers finaux, où les water boards vendent de l’eau traitée aux municipalités, et où l’entité nationale vend de l’eau brute aux water boards, aux municipalités et à l’industrie.
Or, cette chaîne est fragilisée par les impayés. La ministre avance un chiffre : la dette des municipalités envers les water boards atteignait 21,3 milliards de rands en mai 2024, faisant peser un risque sur la soutenabilité financière de l’ensemble du secteur. Elle cite un précédent concret : la fermeture du Sedibeng Water Board en 2022, et le transfert de ses fonctions à d’autres opérateurs, mesure présentée comme conséquence directe de l’incapacité de l’entité à faire face à ses charges dans un environnement de non-paiement. Elle ajoute toutefois que ce type de réorganisation ne règle pas nécessairement le problème structurel, puisque les dettes peuvent continuer de croître si la discipline de paiement n’évolue pas.
La question de l’investissement municipal est abordée sous un angle opérationnel : vieillissement des réseaux, fuites, manque d’exploitation et de maintenance, et niveaux élevés d’eau non facturée ou non génératrice de revenus. La ministre reconnaît par ailleurs un contraste : l’Afrique du Sud parviendrait mieux à mobiliser des financements privés pour les infrastructures nationales que pour les infrastructures municipales, pourtant essentielles à la continuité du service. Pour y répondre, elle évoque la mise en place d’un Water Partnerships Office, en partenariat avec la Development Bank of Southern Africa (DBSA) et l’association des collectivités locales (SALGA), destiné à soutenir les municipalités dans des partenariats avec le secteur privé. Elle cite plusieurs métropoles comme terrains d’accompagnement, notamment pour le remplacement de canalisations fuyardes et, plus largement, pour des projets de réutilisation de l’eau et de dessalement à l’échelle municipale.
En parallèle, l’État central continue de financer des transferts vers les collectivités. Pemmy Majodina indique que, sur l’exercice 2023-2024, le gouvernement national a fourni 61,7 milliards de rands de subventions liées à l’eau et à l’assainissement aux municipalités, notamment pour résorber les retards d’infrastructures et pour financer l’accès gratuit de base pour les populations indigentes. Elle présente également le cadrage budgétaire de son ministère sur plusieurs années, avec un budget total annoncé sur le cadre de dépenses à moyen terme, et une part incluant des subventions d’infrastructures conditionnelles pour les services municipaux.
La qualité de l’eau et le traitement des eaux usées, enfin, cristallisent une inquiétude durable. Les dispositifs d’audit et d’évaluation (Blue Drop pour l’eau potable et Green Drop pour les eaux usées) visent à objectiver l’état des systèmes. Des documents publics liés à ces évaluations rappellent, par exemple, l’importance du référentiel de qualité (SANS 241) et le recours à des approches de régulation fondées sur le risque, pouvant aller jusqu’à des avis de précaution comme des recommandations de faire bouillir l’eau en cas d’échec microbiologique prolongé. Côté assainissement, la communication gouvernementale de décembre 2023 insiste sur la proportion de stations d’épuration jugées à risque élevé ou critique, avec des implications directes pour l’environnement et la santé.
Dans le débat public, ces éléments alimentent une lecture simple : même lorsqu’il existe des capacités de production ou de transfert d’eau, l’état des réseaux de distribution, la performance des usines et la maîtrise des fuites déterminent l’expérience quotidienne des habitants. Et lorsque les collectivités perdent des revenus par l’eau non facturée, l’entretien recule, ce qui dégrade encore la qualité de service, dans un cercle difficile à briser.
Les premiers marqueurs de la ministre : continuité revendiquée et attentes de résultats
Dès sa première grande intervention budgétaire, Pemmy Majodina affiche un choix politique : la continuité avec des réformes lancées avant elle. Elle indique vouloir assurer la continuité des réformes initiées par son prédécesseur, Senzo Mchunu, en citant des cadres comme le National Development Plan et l’initiative Operation Vulindlela de la Présidence. Le message est important, car il signale que la nouvelle ministre ne souhaite pas repartir de zéro dans un ministère où les projets structurants se planifient sur des années, parfois des décennies.
La feuille de route qu’elle décrit combine trois registres. D’abord, la ressource et les infrastructures nationales : investissements dans de nouveaux projets de ressources en eau, et réhabilitation de la sécurité des barrages et des systèmes d’acheminement. Ensuite, la réforme institutionnelle avec la NWRIA, présentée comme une solution au plafond des garanties et comme une manière de renforcer la capacité d’emprunt et de gestion des actifs. Enfin, le maillon municipal : mobilisation de partenariats, amélioration des normes, professionnalisation, et renforcement de la conformité opérationnelle.
La ministre évoque aussi un axe de régulation : l’augmentation de l’usage des eaux souterraines, encadrée par des procédures standardisées pour les municipalités (planification, exploration, forage, tests, monitoring, exploitation et maintenance), et un renforcement annoncé des contrôles et de l’enregistrement des forages. Dans un pays où les marges de manœuvre sur l’eau de surface sont présentées comme limitées, ce levier est décrit comme une option d’augmentation de l’offre, à condition d’être géré de manière durable et contrôlée.
Reste la question des attentes. L’expérience de Pemmy Majodina dans la gestion politique, notamment à travers son rôle de coordination parlementaire, peut être un atout dans un secteur où les arbitrages budgétaires et la coordination intergouvernementale sont permanents. Mais l’ampleur des difficultés techniques et financières oblige à des résultats visibles, mesurables : baisse des fuites, amélioration de la conformité des usines, régularisation des paiements, projets de renouvellement effectivement lancés, et gouvernance clarifiée entre l’État et les municipalités.
Dans ce contexte, les tensions autour de la communication publique, comme les critiques rapportées après des appels à changer les comportements, illustrent un équilibre délicat : demander une sobriété immédiate tout en prouvant que des solutions structurelles avancent. À court terme, la crédibilité se joue souvent sur la capacité à stabiliser les services dans les zones urbaines sous pression, à sécuriser les finances des opérateurs, et à réduire les risques sanitaires liés aux défaillances d’assainissement.
À moyen terme, une partie du jugement portera sur la réforme institutionnelle elle-même : la NWRIA, conçue comme moteur de financement et de gestion des actifs nationaux, doit démontrer qu’elle accélère réellement l’investissement et la maintenance, sans ajouter de complexité bureaucratique. Dans un pays où les infrastructures conditionnent la croissance, la compétitivité industrielle et la stabilité sociale, le ministère de l’Eau et de l’Assainissement est devenu un poste à haute intensité politique. La période ouverte depuis 2024 place Pemmy Majodina au centre d’un test de gouvernance : celui de transformer des annonces de réforme et des diagnostics connus en amélioration concrète, durable et vérifiable pour des millions de Sud-Africains.



