L’armée malgache s’invite dans la crise : un tournant décisif dans la crise nationale

La crise politique que traverse Madagascar a connu, ce week-end, un développement aussi spectaculaire qu’inattendu. Alors que les manifestations populaires semblaient s’essouffler, une déclaration retentissante de militaires du Corps d’administration des personnels et des services de l’armée de terre (Capsat) a relancé les tensions et bouleversé l’équilibre du pouvoir. En l’espace de quelques heures, la scène politique malgache a été bouleversée, marquée par des affrontements, des prises de position militaires et un climat d’incertitude sur l’avenir de la République.

Une déclaration militaire qui fait trembler le pouvoir

Samedi matin, peu après neuf heures, une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux a déclenché une onde de choc dans tout le pays. On y voit un groupe d’officiers et de soldats du Capsat, à Soanierana, menés par le colonel Michael Randrianirina, ancien du bataillon d’infanterie de Toliara. Face caméra, ces hommes en uniforme ont appelé leurs frères d’armes à « refuser de réprimer la population » et à « jouer leur rôle historique dans la protection du peuple ». Cette déclaration, brève mais lourde de sens, a immédiatement trouvé un écho parmi les citoyens, dont une partie avait déjà commencé à perdre confiance dans les institutions.

Le souvenir de 2009, année où le Capsat avait joué un rôle déterminant dans la chute de l’ancien président Marc Ravalomanana, est revenu en mémoire de nombreux Malgaches. Comme un air de déjà-vu, les civils se sont massés devant la caserne du Capsat, brandissant des pancartes et scandant des slogans appelant à la « justice » et au « changement ». Des barrages ont été érigés aux abords du camp, symboles d’une défiance ouverte envers le pouvoir en place.

Très vite, les autorités ont réagi. À midi, le général Manantsoa Rakotoarivelo Deramasinjaka, ministre des Forces armées, s’est exprimé depuis le siège de l’état-major à Andohalo. Il a appelé au calme, exhortant l’armée à rester unie et fidèle à la chaîne de commandement. Derrière lui, les principaux chefs militaires du pays affichaient un soutien apparent, mais les regards tendus et les silences lourds trahissaient une inquiétude grandissante.

Malgré ces appels, le colonel Randrianirina et ses hommes ont maintenu leur position. L’après-midi, des négociations ont été entamées entre le chef d’état-major de l’armée de terre, le général Jocelyn Rakotoson, et les officiers rebelles. Mais à l’extérieur du camp, la tension montait d’heure en heure. Des véhicules brûlaient, des manifestants affluaient, et les rumeurs d’un possible basculement militaire commençaient à se répandre dans la capitale.

Une capitale sous tension : la rue reprend le pouvoir

Alors que les tractations se poursuivaient à Soanierana, la situation dans les rues d’Antananarivo a dégénéré. Les manifestations, initialement pacifiques, se sont transformées en véritables affrontements. Les forces de l’ordre ont tenté de contenir la foule, mais rapidement, la situation leur a échappé.

Aux alentours de seize heures, des éléments du Capsat, conduits par le colonel Randrianirina en personne, sont sortis de leur caserne pour ouvrir la route aux manifestants. Rejoints par le général René de Rolland Lylison, gouverneur de la région du Sofia, ils ont symboliquement marché aux côtés du peuple, un geste fort dans un pays où l’armée a souvent joué le rôle d’arbitre du pouvoir. Les forces de l’ordre, dépassées, se sont repliées, abandonnant la place du 13 mai — haut lieu historique des contestations politiques malgaches — aux manifestants.

La liesse populaire a cependant vite tourné au chaos. Des véhicules ont été incendiés, notamment un blindé de la gendarmerie. Des tirs ont éclaté dans le tunnel d’Ambohidahy, provoquant la mort d’un homme. À Andrefan’Ambohijanahary, un militaire aurait également été abattu, selon plusieurs témoins. La nuit est tombée sur une capitale divisée, secouée par la peur et l’incertitude.

Sur la place du 13 mai, devenu le centre névralgique du mouvement, le colonel Randrianirina a pris la parole devant une foule galvanisée. Il a exigé la démission du président de la République et du Premier ministre, accusés de « trahir la nation ». Ses mots ont résonné comme une déclaration de guerre politique. Le soir même, le chef du gouvernement, le général Fortunat Zafisambo Ruphin, a tenté de calmer les esprits. Dans une allocution télévisée, il a assuré que « les institutions légales demeurent debout » et appelé à un dialogue national incluant l’armée.

Le lendemain de la crise : déclarations, tirs et confusion

Dimanche matin, la tension ne retombait pas. Les habitants d’Antananarivo se réveillaient dans une atmosphère de peur mêlée d’attente. Les commerces restaient fermés, les rues étaient presque désertes, tandis que les militaires du Capsat renforçaient leurs positions. Les premiers à réagir furent les responsables de la gendarmerie nationale. Une délégation de hauts gradés s’est rendue au Capsat pour « présenter leurs condoléances » après la mort du soldat la veille et proposer une réconciliation. Mais cette tentative de rapprochement a tourné court : les visiteurs ont été accueillis par des tirs de sommation. Trois civils ont été blessés dans la confusion.

Peu après, une déclaration inattendue a encore fait basculer la situation. Un groupe d’officiers généraux et supérieurs a proclamé que « le commandement de l’armée émane désormais du Capsat ». Cette phrase, lourde de conséquences, signifiait ni plus ni moins que le renversement de l’autorité militaire centrale. Le siège de l’état-major général, situé à Andohalo, semblait avoir perdu tout contrôle sur ses troupes.

Dans la foulée, le général Démosthène Pikulas a été proclamé nouveau chef d’état-major des armées (CEMA), en remplacement du général Rakotoarivelo Deramasinjaka, désormais ministre. Une passation de pouvoir rapide a été organisée, officialisant un changement de direction militaire sans précédent depuis des années.

Cette réorganisation s’est accompagnée d’une autre annonce majeure : le général Nonos Mbina Mamelison, de la même promotion que le général Pikulas à l’Académie militaire d’Antsirabe, a pris la tête de la gendarmerie nationale. Sa nomination devait être formalisée par une passation avec le général Jean Herbert Rakotomalala, prévue le lendemain. En l’espace de vingt-quatre heures, les principaux leviers du commandement militaire malgache avaient changé de main.

Une crise politique et institutionnelle ouverte

Ces bouleversements militaires ne sont pas sans conséquence sur la scène politique. L’appel du colonel Randrianirina à la démission du président et du Premier ministre a ouvert une brèche dans la légitimité du pouvoir civil. Pour la première fois depuis plusieurs années, une partie significative de l’armée semble contester ouvertement l’autorité des institutions en place.

Les réactions politiques ont été rapides mais prudentes. Certains responsables gouvernementaux ont dénoncé un « coup de force », tandis que d’autres appelaient à « écouter les revendications du peuple et des militaires ». Dans l’opposition, on parle déjà d’une « nouvelle page de l’histoire nationale », faisant écho aux événements de 1972, 1991, 2002 et 2009, autant d’années où l’armée a joué un rôle décisif dans les transitions politiques du pays.

Les observateurs notent que la crise actuelle dépasse la simple rivalité entre factions militaires. Elle traduit un profond malaise social et institutionnel. Depuis plusieurs semaines, les manifestations de la jeunesse, regroupée sous le mouvement de la « Gen Z », réclament plus de justice, de transparence et d’opportunités économiques. Si leur mobilisation avait commencé à s’essouffler, l’entrée en scène du Capsat leur a redonné espoir — ou du moins, une nouvelle direction.

Mais cette alliance fragile entre civils et militaires reste imprévisible. L’histoire récente de Madagascar montre que les interventions de l’armée, même motivées par des revendications populaires, débouchent souvent sur des périodes d’instabilité prolongée.

L’avenir incertain d’une nation en quête d’équilibre

À l’heure où le calme peine à revenir dans la capitale, une question domine toutes les conversations : que va-t-il se passer maintenant ? Le pays semble suspendu entre deux options : la restauration d’un ordre institutionnel par le dialogue, ou une transition de fait imposée par l’armée.

Les diplomates étrangers suivent la situation avec inquiétude. Plusieurs ambassades ont recommandé à leurs ressortissants d’éviter les déplacements non essentiels. Des rumeurs de médiation internationale circulent, sans confirmation officielle. À l’intérieur du pays, les voix des leaders religieux, syndicaux et de la société civile appellent à la retenue. Tous craignent un glissement vers un affrontement plus large entre forces loyalistes et dissidentes.

Dans les casernes, les discussions vont bon train. Si certains officiers se disent solidaires du Capsat, d’autres s’inquiètent d’une division au sein des forces armées. Le spectre d’une armée fragmentée, à l’image du pays, plane sur cette crise naissante.

Sur le plan économique, les conséquences commencent déjà à se faire sentir. Les marchés financiers sont nerveux, plusieurs entreprises ont suspendu leurs activités dans la capitale, et le prix du carburant a brusquement augmenté. Les habitants, eux, redoutent une nouvelle période d’incertitude politique, synonyme de paralysie et de difficultés quotidiennes.

À Soanierana, la caserne du Capsat reste le symbole d’un pouvoir militaire renaissant. Le colonel Randrianirina y apparaît régulièrement, entouré de civils venus manifester leur soutien. Ses discours oscillent entre appel au patriotisme et promesse de refondation nationale. Mais derrière ces mots, beaucoup s’interrogent : s’agit-il d’un véritable mouvement pour la justice, ou d’un nouvel épisode dans le cycle des luttes de pouvoir qui rythment la vie politique malgache ?

L’histoire récente du pays invite à la prudence. Chaque intervention militaire, de 1972 à 2009, a apporté son lot d’espoirs et de désillusions. Aujourd’hui, Madagascar se trouve à nouveau à la croisée des chemins. Entre la volonté populaire de changement et la nécessité de préserver la stabilité institutionnelle, la marge de manœuvre semble étroite.

Les prochains jours seront décisifs. Si le dialogue promis par le gouvernement s’ouvre réellement, il pourrait éviter au pays une escalade dramatique. Mais si les revendications militaires se transforment en prise de pouvoir, Madagascar pourrait plonger dans une nouvelle ère d’incertitude.

Une chose est certaine : en se plaçant au cœur du mouvement populaire, l’armée malgache a changé la donne. Son entrée en scène marque le début d’une nouvelle phase de la crise nationale, où chaque geste, chaque déclaration et chaque silence pèsera lourd dans le destin de la République.

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