Au terme de semaines de tension et d’incertitude politique, la Haute Cour Constitutionnelle (HCC) de Madagascar a rendu, le 14 octobre 2025, une décision d’une portée exceptionnelle. Par la décision n°10-HCC/D3, l’institution a constaté la vacance du pouvoir exécutif et appelé une autorité militaire à assurer provisoirement les fonctions de Chef de l’État. Ce verdict, inédit dans l’histoire récente du pays, marque un tournant décisif dans la recherche d’une sortie pacifique de la crise politique qui secoue la Grande Île depuis plusieurs mois. Derrière la sobriété juridique de ce texte, se dessine un moment crucial où la légalité tente de restaurer l’ordre constitutionnel face au vide institutionnel.
Une décision née d’une impasse institutionnelle
La décision de la HCC intervient dans un contexte où les plus hautes institutions de la République étaient paralysées. Les tensions politiques accumulées depuis le début de l’année 2025 avaient progressivement conduit à une situation d’ingouvernabilité. Ni le Président de la République, ni le Président du Sénat — deuxième personnalité de l’État selon la hiérarchie constitutionnelle — n’étaient en mesure d’exercer leurs fonctions. L’absence d’autorité exécutive effective faisait planer la menace d’un effondrement total des institutions.
C’est dans ce contexte que la Haute Cour Constitutionnelle a été saisie d’une requête exceptionnelle, sollicitant une résolution juridique et politique pour garantir la continuité de l’État. En vertu de la Constitution et de la loi organique n°2001-003 du 18 novembre 2001, la HCC dispose du pouvoir d’interpréter la loi fondamentale et de constater les situations de vacance ou d’empêchement du Chef de l’État. Face à l’urgence nationale, elle a choisi d’agir.
La lecture des attendus de la décision révèle une démarche rigoureuse : la Cour s’est appuyée sur la Constitution, sur son règlement intérieur et sur les textes organiques qui régissent son fonctionnement. En constatant « l’impossibilité pour le Gouvernement en place de remplir les fonctions de Président de la République », les juges constitutionnels ont validé l’idée que l’État était de facto sans tête. La vacance simultanée du Président de la République et du Président du Sénat, prévue à l’article premier, plaçait le pays dans une situation juridique inédite.
Le rôle décisif de l’autorité militaire
L’un des points les plus remarquables de cette décision réside dans l’article 3, où la HCC « invite l’autorité militaire compétente incarnée par le Colonel Randrianirina Michaël à exercer les fonctions de Chef de l’État ». En des termes sobres mais lourds de conséquences, la Cour désigne ainsi un officier supérieur pour assurer l’intérim du pouvoir exécutif.
Cette disposition a immédiatement suscité un vif débat. Certains juristes y voient un précédent dangereux, rappelant les heures sombres des transitions militaires, tandis que d’autres saluent un geste de réalisme constitutionnel face à un vide institutionnel total. En l’absence de Président élu, de gouvernement fonctionnel et de Parlement pleinement opérationnel, le choix d’une autorité temporaire à caractère militaire apparaît comme une mesure d’urgence visant à éviter le chaos.
Le colonel Randrianirina Michaël, jusque-là peu connu du grand public, se retrouve projeté au centre de la scène politique. Officier respecté au sein des Forces armées, il incarne désormais l’espoir d’un redressement institutionnel fondé sur la neutralité de l’armée. Selon des sources proches du dossier, la décision de la HCC aurait été précédée de consultations discrètes avec des représentants de la société civile et des diplomaties étrangères, soucieuses d’éviter une escalade des tensions.
La HCC, consciente des précédents historiques malgaches, semble avoir opté pour une solution pragmatique, tout en conservant un cadre juridique. Contrairement à un coup d’État, l’intervention militaire ici n’est pas un acte de force, mais une désignation légale encadrée par la plus haute juridiction du pays. Ce subtil équilibre entre droit et politique confère à la décision une légitimité rare dans les périodes de crise.
La continuité des institutions et la sauvegarde de l’État de droit
Au-delà de l’aspect spectaculaire de la désignation d’une autorité militaire, la décision souligne la volonté de la Haute Cour de préserver la continuité des institutions. L’article 4 stipule que « les institutions et organes constitutionnels en place continuent d’exercer leurs pouvoirs habituels ». Cette phrase, apparemment technique, constitue en réalité un pilier fondamental pour maintenir la stabilité du pays.
En affirmant la poursuite du fonctionnement des institutions, la HCC évite une suspension générale de la vie politique. Le Parlement, le gouvernement, les juridictions et les autorités administratives conservent leurs prérogatives dans la limite de leurs compétences. Il ne s’agit donc pas d’un basculement vers un régime d’exception, mais d’une reconfiguration transitoire du pouvoir exécutif, sous contrôle constitutionnel.
Sur le plan du droit, la Haute Cour agit comme gardienne de la Constitution, cherchant à éviter le vide juridique tout en préservant le principe de séparation des pouvoirs. Cette décision, bien qu’extraordinaire, s’inscrit dans la logique de l’article premier de la Constitution malgache, qui proclame que « la République de Madagascar est fondée sur un État de droit ». L’équilibre est fragile : garantir la continuité sans rompre avec la légalité.
Les observateurs internationaux, notamment au sein de la SADC (Communauté de développement d’Afrique australe) et de l’Union africaine, ont salué cette approche prudente. Selon un diplomate européen à Antananarivo, la HCC « a joué son rôle de bouclier républicain », empêchant l’effondrement institutionnel tout en évitant une prise de pouvoir unilatérale.
Une lecture politique : entre restauration et recomposition
Au-delà des aspects juridiques, cette décision traduit une tentative de restauration de l’autorité de l’État dans un contexte de désagrégation politique. Depuis plusieurs mois, Madagascar était plongée dans un climat de méfiance et de divisions. Les manifestations, les contestations électorales et les dissensions au sein de la classe dirigeante avaient conduit à une impasse totale. En l’absence de consensus, la justice constitutionnelle a été contrainte de s’ériger en arbitre suprême.
L’intervention de la HCC reflète ainsi une tendance récurrente dans les transitions politiques malgaches : lorsque les acteurs politiques échouent à trouver un compromis, c’est la juridiction constitutionnelle ou l’armée qui devient l’ultime recours. En 2009 déjà, puis en 2018, des situations similaires avaient vu émerger des solutions d’exception destinées à rétablir la stabilité.
Cependant, le contexte de 2025 est différent. La décision n°10-HCC/D3 s’inscrit dans un cadre formellement légal et vise à préparer le terrain à un retour rapide à l’ordre constitutionnel normal. En confiant le pouvoir à une autorité militaire désignée par la Cour, il ne s’agit pas de remplacer durablement les institutions civiles, mais de créer une passerelle vers la légitimité démocratique.
L’enjeu, désormais, sera de transformer cette transition en opportunité politique. Le colonel Randrianirina Michaël, désormais Chef de l’État par intérim, devra naviguer entre les attentes de la population, la vigilance de la communauté internationale et les ambitions des acteurs politiques traditionnels. La moindre dérive autoritaire pourrait remettre en cause la fragile confiance que la décision de la HCC tente de rétablir.
Les défis à venir : entre droit, légitimité et réconciliation
La décision du 14 octobre 2025 ne met pas fin à la crise, elle en ouvre un nouveau chapitre. Si la Haute Cour a répondu à l’urgence constitutionnelle, les causes profondes de la crise politique demeurent intactes : fragilité institutionnelle, défiance des citoyens envers la classe politique, fractures régionales et pressions économiques.
L’un des défis majeurs sera la mise en place d’un calendrier de transition clair, permettant d’organiser des élections libres dans un délai raisonnable. Pour éviter que la solution militaire ne se transforme en régime transitoire prolongé, la HCC pourrait être amenée à exercer un rôle de suivi et de contrôle du processus. Les forces politiques, de leur côté, devront démontrer une volonté réelle de compromis.
Un autre enjeu essentiel concerne la réconciliation nationale. Après des mois de tension et de polarisation, la société malgache a besoin d’un dialogue inclusif. Plusieurs organisations de la société civile ont déjà appelé à la création d’un « Forum pour la refondation républicaine », réunissant les représentants politiques, religieux et communautaires. L’objectif serait de redéfinir les règles du jeu politique et de renforcer les garde-fous institutionnels.
Enfin, cette décision pose une question fondamentale : quelle est la place du droit constitutionnel dans la résolution des crises politiques africaines ? Madagascar, comme d’autres États du continent, démontre que la légalité peut redevenir un outil de stabilisation si elle s’accompagne de volonté politique et de respect des institutions. La HCC, en agissant dans le cadre de ses prérogatives, envoie un message fort : la Constitution n’est pas un simple texte symbolique, mais une boussole capable de guider le pays même dans les tempêtes.
Un verdict historique et un test pour l’avenir démocratique
La décision n°10-HCC/D3 du 14 octobre 2025 restera sans doute comme l’un des arrêts les plus marquants de l’histoire constitutionnelle malgache. En constatant la vacance du pouvoir, en désignant une autorité militaire provisoire et en maintenant la continuité institutionnelle, la Haute Cour a conjugué droit, pragmatisme et sens de l’État. Rarement une juridiction aura eu à trancher dans un contexte aussi explosif.
Mais cette décision ne prend tout son sens que si elle ouvre la voie à une véritable refondation démocratique. L’histoire récente du pays regorge d’exemples où les transitions, nées de crises, ont fini par reproduire les mêmes blocages. La stabilité durable dépendra donc de la capacité des dirigeants, civils et militaires, à transformer cette parenthèse constitutionnelle en tremplin pour un nouvel élan national.
La publication de la décision au Journal officiel, sa notification aux principales autorités de l’État et sa reconnaissance par la communauté internationale constituent les premiers pas d’un processus délicat. Les prochains mois seront décisifs. Entre espoir de stabilité et risque de dérive, Madagascar se trouve une nouvelle fois à la croisée des chemins.
Conclusion : la Constitution comme ultime rempart
En définitive, la décision du 14 octobre 2025 rappelle une vérité fondamentale : dans un État de droit, c’est la loi qui sauve la République. Lorsque la politique échoue, le droit demeure le dernier refuge de la légitimité. La Haute Cour Constitutionnelle de Madagascar, en assumant son rôle d’arbitre, a évité l’effondrement et redonné un cadre à la transition.
Cependant, la force du droit ne réside pas seulement dans les textes, mais dans leur application. La pérennité de cette décision dépendra de la capacité du pays à organiser une transition inclusive, à restaurer la confiance et à réhabiliter la démocratie. À travers ce verdict, la HCC rappelle à tous que la Constitution n’est pas un obstacle au changement, mais le garant de son ordre.
Si la crise de 2025 marque un tournant, c’est peut-être parce qu’elle aura permis à la République de redécouvrir ce que signifie l’État au service de la nation. Le colonel Randrianirina Michaël, désormais dépositaire d’une charge exceptionnelle, devra incarner cette responsabilité avec humilité. Car dans cette période fragile, c’est moins la force des armes que celle du droit qui déterminera l’avenir de Madagascar.



