Qui est Leon Schreiber, l’homme politique ?

Dans le paysage politique sud-africain, le nom de Leon Amos Schreiber s’est imposé en quelques années seulement. Issu de la principale formation d’opposition, la Democratic Alliance (DA), ce politologue de formation est devenu, à l’été 2024, ministre de Home Affairs – l’équivalent sud-africain du ministère de l’Intérieur et des Affaires intérieures. Nommé par le président Cyril Ramaphosa dans le cadre d’un gouvernement de coalition, il a pris la tête d’un portefeuille considéré comme l’un des plus sensibles du pays, chargé à la fois de l’état civil, des documents d’identité, de la politique migratoire et de la gestion des réfugiés.

La trajectoire de Leon Schreiber illustre un double mouvement. D’un côté, l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle génération de responsables politiques, plus jeunes, souvent issus du monde universitaire, qui ont grandi après la fin officielle de l’apartheid. De l’autre, la transformation progressive du système politique sud-africain, où l’African National Congress (ANC), longtemps hégémonique, doit désormais composer avec d’autres forces au sein d’un gouvernement de type « unité nationale ».

Pour Schreiber, ce poste constitue l’aboutissement logique d’un parcours centré sur l’analyse des institutions, la réforme de l’administration publique et la défense de l’État de droit. Avant d’intégrer le gouvernement, il s’est fait connaître comme député, membre du cabinet fantôme de la DA et militant acharné contre la pratique dite du « cadre deployment », ce système de nomination de cadres partisans dans la haute administration, au cœur des controverses sur la politisation de l’appareil d’État.

Mais si le profil académique du nouveau ministre impressionne, le défi qui l’attend est immense. Le ministère de Home Affairs est perçu depuis des années comme l’un des plus en difficulté : files d’attente interminables, systèmes informatiques défaillants, arriérés massifs dans le traitement des visas et des demandes de naturalisation, critiques concernant la gestion des permis spéciaux, et pression politique croissante autour de l’immigration.

Dès son entrée en fonction, Leon Schreiber a donc placé la barre haut, promettant de « restaurer la dignité » des citoyens dans leur relation avec l’administration, de réduire les retards, de numériser les procédures et de revoir en profondeur la gestion migratoire. Derrière ces promesses se dessine un test décisif, non seulement pour sa propre carrière, mais aussi pour la crédibilité d’un gouvernement de coalition encore fragile et observé de près.

Des origines rurales à une carrière de politologue

Leon Amos Schreiber naît le 11 septembre 1988 à Piketberg, dans l’ancienne province du Cap, aujourd’hui intégrée à la province du Cap-Occidental. Il grandit ensuite à Kleinzee, petite ville minière isolée de la côte atlantique, située dans le district de Namakwa au Northern Cape. Ce cadre rural et périphérique marque les premières années de celui qui fera plus tard carrière dans la réflexion sur les politiques publiques et les institutions démocratiques.

Après sa scolarité secondaire au prestigieux Paul Roos Gymnasium de Stellenbosch, il poursuit des études en sciences politiques et relations internationales à l’université de Stellenbosch, où il obtient successivement une licence en études internationales (2009), un diplôme d’honours en science politique (2010) puis un master en science politique (2011). Il prolonge ensuite ce parcours à l’étranger, à la Freie Universität Berlin, où il soutient en 2015 une thèse de doctorat en science politique consacrée au développement des régimes d’assistance sociale en Afrique du Sud et au Brésil.

Avant même de se lancer pleinement en politique, Schreiber se spécialise dans la recherche sur les institutions étatiques et la réforme de l’administration. Il travaille notamment comme chercheur senior au sein du programme Innovations for Successful Societies de l’université de Princeton, qui conduit des études comparatives sur les réformes administratives dans de nombreux pays d’Afrique et d’Asie. Cette expérience lui permet d’observer, sur le terrain, les difficultés concrètes que rencontrent les États pour mettre en œuvre des politiques publiques efficaces, mais aussi les bonnes pratiques qui peuvent inspirer des réformes en Afrique du Sud.

Ce profil de chercheur engagé est reconnu au-delà du cercle académique. En 2017, le Mail & Guardian l’inscrit dans sa liste des « 200 Young South Africans », un classement qui met en avant de jeunes personnalités jugées prometteuses dans différents domaines. L’année suivante, il publie un ouvrage de réflexion politique, Coalition Country: South Africa After the ANC, dans lequel il analyse la montée en puissance des coalitions et envisage différents scénarios de recomposition du paysage politique, au-delà de la domination de l’ANC.

Dans ce livre, Schreiber décrit un pays où l’hégémonie de l’ANC se fissure, laissant place à un avenir marqué par des alliances entre partis, des gouvernements partagés et une compétition accrue pour le pouvoir au niveau national comme local. Plusieurs critiques voient dans cet essai une forme de préfiguration de la situation politique qui émergera après les élections générales de 2024, lorsque le parti historique de la lutte anti-apartheid perdra pour la première fois sa majorité absolue, ouvrant la voie à un gouvernement de coalition auquel participera la DA.

C’est dans ce contexte que Leon Schreiber fait son entrée au Parlement. En mai 2019, il est élu député au sein de la National Assembly, sur la liste régionale de la DA pour la province du Cap-Occidental. Quelques semaines plus tard, il est nommé Shadow Minister of Public Service and Administration, c’est-à-dire ministre fantôme en charge de la fonction publique dans le cabinet de l’opposition. Cette position stratégique lui donne une visibilité nationale et lui permet de concentrer son action sur la réforme de l’administration.

Au fil du temps, Schreiber est également désigné whip (coordinateur parlementaire) de la DA, puis conseiller stratégique et en communication du chef du parti, John Steenhuisen. Sa progression rapide dans l’appareil de la DA témoigne de la confiance dont il bénéficie en interne. Pour une partie des observateurs, ce parcours illustre l’émergence d’une nouvelle génération de dirigeants dans l’opposition, plus technocratiques, attachés aux réformes institutionnelles et soucieux de se distinguer par des propositions concrètes plutôt que par des discours symboliques.

Un portefeuille stratégique : que fait le ministère de Home Affairs ?

Le ministère de Home Affairs occupe une place singulière dans l’architecture gouvernementale sud-africaine. Ses compétences recouvrent des aspects essentiels de la vie des citoyens : gestion de l’état civil, délivrance des actes de naissance, de mariage et de décès, enregistrement des identités, délivrance des cartes d’identité et des passeports, mais aussi pilotage de la politique migratoire, des visas, des permis de séjour, des demandes d’asile et de la naturalisation.

Concrètement, le département est responsable de la base de données nationale de la population, du système d’identification des citoyens et des résidents permanents, ainsi que de la sécurisation des documents officiels. Il doit aussi appliquer l’Immigration Act et le Refugees Act, deux textes qui encadrent respectivement les conditions d’entrée, de séjour et de travail des étrangers, et la protection des demandeurs d’asile et réfugiés. Le ministre a, en outre, la tutelle de plusieurs organes statutaires, dont l’Immigration Advisory Board, la Refugee Appeal Authority et le Standing Committee on Refugee Affairs, qui contribuent à l’élaboration et au suivi de la politique migratoire.

Cette combinaison de responsabilités fait de Home Affairs un ministère au carrefour de plusieurs enjeux majeurs. Sur le plan intérieur, il est central pour l’accès aux droits fondamentaux, puisque de nombreuses prestations sociales, l’accès à l’école ou à un emploi formel reposent sur la possession de documents d’identité valides. Sur le plan économique, il joue un rôle décisif dans l’attractivité du pays pour les investisseurs et les travailleurs qualifiés, en gérant les visas et permis de travail. Sur le plan politique et sécuritaire enfin, il est au cœur des débats sur l’immigration, la lutte contre l’irrégularité migratoire et la réponse aux tensions xénophobes qui resurgissent régulièrement.

Depuis plusieurs années, ce ministère est pourtant l’un des plus critiqués par l’opinion publique, les entreprises et la société civile. Avant même la nomination de Leon Schreiber, la presse et des rapports parlementaires faisaient régulièrement état d’arriérés massifs dans le traitement des visas, de files d’attente interminables dans les bureaux, de pannes informatiques fréquentes, de manque de personnel et de difficultés à appliquer de manière homogène la législation à travers le territoire.

Le retard accumulé dans le traitement des demandes de visas de travail et de résidence a particulièrement inquiété le monde des affaires, qui y voit un frein à l’investissement et à l’arrivée de compétences étrangères nécessaires à certains secteurs. Selon plusieurs analyses, ces arriérés trouvent leur origine dans une décennie de sous-investissement, de systèmes informatiques dépassés et de croissance des volumes de demandes, aggravée par la pandémie de Covid-19.

Enfin, les politiques relatives à des régimes spécifiques, comme les Zimbabwean Exemption Permits (ZEP) conçus pour régulariser, sous conditions, la situation de certains ressortissants zimbabwéens, ont suscité des controverses judiciaires et politiques, certains estimant que leur gestion a manqué de clarté et de prévisibilité. Schreiber lui-même a indiqué, peu après sa nomination, vouloir accorder une attention particulière à la manière dont ces permis ont été administrés.

Dans ce contexte, la prise de fonction d’un ministre issu de l’opposition, présenté comme spécialiste des réformes institutionnelles, a été perçue comme un signal fort. La question centrale, pour de nombreux observateurs, est de savoir si les compétences techniques et l’expérience comparée de Leon Schreiber suffiront à transformer une administration réputée lente et bureaucratique en un service plus fluide, numérisé et orienté vers l’usager.

Une nomination au cœur du gouvernement de coalition

La nomination de Leon Schreiber à la tête de Home Affairs s’inscrit dans un moment politique inédit pour l’Afrique du Sud. Après les élections générales de 2024, l’ANC perd pour la première fois la majorité absolue à l’Assemblée nationale. Pour gouverner, le parti de Cyril Ramaphosa doit conclure un accord avec d’autres formations, dont la Democratic Alliance, aboutissant à la mise en place d’un Government of National Unity (GNU).

Dans le cadre de cet accord, plusieurs portefeuilles ministériels sont attribués à la DA, notamment l’Intérieur (Home Affairs). La presse souligne que ce ministère était convoité par d’autres partis, dont le Patriotic Alliance, qui avait fait de la question migratoire un axe central de sa campagne. Finalement, le président Ramaphosa choisit de confier le portefeuille à Leon Schreiber, alors âgé d’environ 35 ans, succédant ainsi à Aaron Motsoaledi, en poste depuis 2019.

Cette nomination marque une étape importante pour la DA, longtemps reléguée au rôle de principale force d’opposition. En obtenant un ministère-clé, le parti a l’occasion de démontrer sa capacité à gérer des dossiers complexes au niveau national, dans un environnement de coalition où les marges de manœuvre sont néanmoins limitées par la nécessité de consensus. Pour Schreiber, l’enjeu est double : incarner la ligne de la DA en faveur de l’État de droit et de la professionnalisation de l’administration, tout en opérant dans un gouvernement dirigé par l’ANC.

Dès ses premières interventions publiques comme ministre, Leon Schreiber insiste sur la notion de « dignité ». Il explique vouloir rompre avec l’image d’une administration humiliante pour les usagers, marquée par des queues interminables, des retards et une communication jugée opaque. Il évoque aussi la nécessité de sortir de la culture du « system offline », formule qui renvoie aux pannes informatiques récurrentes dans les bureaux de Home Affairs, pour entrer dans une ère de services numériques fiables.

Cette volonté de modernisation s’inscrit dans un discours plus large du gouvernement de coalition, qui affirme vouloir relancer la croissance, attirer les investissements et restaurer la confiance dans les institutions. Cependant, à mesure que le temps passe, des tensions apparaissent au sein du GNU, la DA dénonçant parfois un manque de consultation de la part de l’ANC sur certaines grandes orientations, notamment en matière de santé ou de réforme agraire. Ces tensions ne remettent pas, à ce stade, en cause la participation du parti au gouvernement, mais elles rappellent combien l’exercice du pouvoir dans un cadre de coalition est fragile.

Pour Leon Schreiber, cela implique de naviguer entre plusieurs contraintes. D’un côté, il est tenu par les engagements collectifs du gouvernement et par la ligne définie par le président. De l’autre, il doit démontrer à l’électorat de la DA que sa présence à Home Affairs se traduit par des améliorations concrètes. Son bilan – en termes de réduction des arriérés, de numérisation des services ou de gestion de l’immigration – est donc scruté à la fois par les alliés de coalition, l’opposition et les milieux économiques.

Cette exposition a aussi un revers : le ministre devient une figure polarisante dans le débat public. À mesure qu’il avance ses réformes, les critiques se multiplient, qu’elles viennent de partis plus à gauche, qui craignent une politique migratoire trop restrictive, ou de formations plus conservatrices, qui estiment au contraire que le gouvernement n’agirait pas assez vite contre l’immigration irrégulière. Dans ce contexte, la moindre décision sur les visas, les permis et la régularisation de certains étrangers est susceptible de provoquer controverses et recours en justice.

Moderniser l’administration : numérisation, réduction des arriérés et réforme de la fonction publique

Si Leon Schreiber hérite d’un ministère en crise, il arrive avec un programme de réformes relativement structuré. Dès ses premières semaines en fonction, il insiste sur la double nécessité de réduire les arriérés et de transformer Home Affairs en « digital-first department », c’est-à-dire un ministère priorisant les services en ligne plutôt que les démarches en personne.

Un document stratégique couvrant la période 2025-2030, officiellement signé sous sa responsabilité, fixe comme objectif d’aligner la transformation du département sur les politiques et lois existantes, tout en mettant l’accent sur la modernisation des systèmes d’information, la lutte contre la fraude documentaire et l’amélioration de l’expérience utilisateur. L’idée de « Home Affairs @ home » résume cette ambition : permettre, à terme, que la majorité des démarches courantes – renouvellement de documents, suivi des demandes, prise de rendez-vous – se fasse à distance, depuis le domicile ou le lieu de travail.

En parallèle, le ministre focalise son action sur la réduction de l’énorme arriéré de visas. Sous son mandat, plusieurs analyses spécialisées font état d’une diminution importante du stock de demandes en attente, passé, selon certaines estimations, de plus de 300 000 à un peu plus de 200 000 dossiers, même si la situation reste loin d’être entièrement résorbée. Des entreprises de conseil en immigration et des observateurs notent des progrès, tout en soulignant que les délais demeurent longs et que la qualité des décisions reste un motif d’inquiétude pour certains demandeurs.

Dans ses interventions publiques, Schreiber explique que la numérisation n’est pas seulement une question de confort pour les usagers, mais également un levier de lutte contre la corruption et l’arbitraire administratif. La dématérialisation des procédures, l’authentification biométrique, le suivi électronique des dossiers et la mise en place de systèmes de rendez-vous en ligne doivent, selon lui, réduire les possibilités d’intermédiation illégale et de « favoritisme » dans le traitement des demandes.

Cette approche prolonge en réalité les combats qu’il menait déjà comme Shadow Minister of Public Service and Administration. À ce poste, il s’était rendu célèbre pour sa croisade contre la politique de « cadre deployment » de l’ANC, accusée d’affaiblir la neutralité et la compétence de la haute fonction publique. Il avait présenté devant le Parlement un projet de loi de membre privé – l’End Cadre Deployment Bill – visant à interdire les nominations politiques dans la fonction publique et à renforcer l’indépendance de la Public Service Commission. Bien que ce texte ait été rejeté, il a contribué à l’image de Schreiber comme défenseur d’une administration basée sur le mérite.

Pour autant, la modernisation de Home Affairs ne se fait pas sans critiques. Certains syndicats s’inquiètent des conséquences de la numérisation sur l’emploi et les conditions de travail des agents. Des associations de défense des droits des migrants alertent, de leur côté, sur le risque que la transition numérique ne pénalise les personnes les plus vulnérables, notamment celles qui n’ont pas accès à internet ou qui maîtrisent mal les outils numériques.

Malgré ces réserves, plusieurs observateurs saluent une plus grande disponibilité du ministre, qui se montre présent dans les débats parlementaires, donne des interviews et communique régulièrement sur l’avancement des réformes. Des médias spécialisés notent cependant que, même avec une volonté politique affirmée, les défis hérités – retards accumulés, infrastructures vétustes, sous-effectifs et complexité des lois migratoires – ne se résoudront pas en quelques mois.

Immigration, débats publics et bataille autour de l’État de droit

Au-delà des questions d’organisation administrative, le ministère de Home Affairs est au cœur des débats passionnés sur l’immigration en Afrique du Sud. Dans un pays marqué par une forte pauvreté, un chômage élevé et des inégalités persistantes, la présence de migrants, régularisés ou non, reste un sujet extrêmement sensible, souvent instrumentalisé dans le débat politique.

Leon Schreiber se trouve ainsi régulièrement interpellé au sujet des « illegal immigrants », qu’il s’agisse de cas spectaculaires mis en avant par la presse – comme une affaire de fausse monnaie impliquant des ressortissants étrangers – ou de débats plus larges sur la gestion des frontières et des expulsions. Certains citoyens et mouvements politiques demandent des mesures plus fermes, exhortant le ministère à renforcer les contrôles et à accélérer les retours forcés des personnes en situation irrégulière.

Dans le même temps, des organisations de défense des droits humains rappellent que l’Afrique du Sud est signataire de conventions internationales sur les réfugiés et soulignent l’importance de garantir un traitement équitable des demandes d’asile, dans le respect du droit interne et du droit international. Elles alertent sur les risques de détention prolongée, de refoulement ou de discriminations dans les procédures. Ces tensions illustrent le difficile équilibre que le ministre doit trouver entre exigences de contrôle et respect des engagements juridiques du pays.

La question des Zimbabwean Exemption Permits (ZEP) cristallise particulièrement ces enjeux. Ce régime, mis en place pour régulariser temporairement la situation de certains ressortissants zimbabwéens vivant et travaillant en Afrique du Sud, a fait l’objet de décisions contradictoires, de prorogations successives et d’actions en justice. À son arrivée au ministère, Schreiber annonce vouloir traiter en priorité les conséquences de ce dossier, dans un contexte où des milliers de personnes s’interrogent sur la pérennité de leur statut.

Parallèlement, le ministre doit composer avec des campagnes de désinformation le visant personnellement. Peu après sa nomination, certaines rumeurs se répandent sur les réseaux sociaux, mettant en doute son lieu de naissance ou insinuant qu’il serait étranger, ce qui le rendrait inéligible au poste qu’il occupe. Une enquête de fact-checking menée par Africa Check démontre que ces affirmations reposent sur des modifications erronées de sa fiche Wikipédia, rapidement corrigées. Ce type d’épisode souligne l’environnement polarisé dans lequel évoluent les responsables chargés de l’immigration.

Dans ses différents discours, Leon Schreiber insiste sur l’idée que la politique migratoire doit être gérée de manière « humaine mais ordonnée ». Il défend l’idée que la réduction des arriérés, l’amélioration des systèmes informatiques et la clarification des procédures permettront à la fois de mieux protéger les droits des demandeurs de protection et de renforcer la capacité de l’État à faire appliquer ses lois. Pour lui, l’augmentation de la transparence – par exemple à travers la publication de données sur les visas et les permis – est un élément clé pour restaurer la confiance.

Ce positionnement s’inscrit dans la continuité de ses engagements antérieurs contre le « cadre deployment » et pour la professionnalisation de l’administration. En cherchant à encadrer davantage les décisions administratives par des règles claires, des critères publiés et des voies de recours, il tente de consolider l’État de droit face aux pressions politiques, économiques ou xénophobes. Reste à savoir si ces principes pourront être mis en œuvre de manière cohérente dans un environnement institutionnel et social aussi conflictuel.

Un ministre au croisement des coalitions et de l’avenir démocratique sud-africain

La figure de Leon Schreiber ne peut être comprise en dehors de sa réflexion plus large sur l’évolution du système politique sud-africain. Avec Coalition Country, publié en 2018, il soutenait déjà que l’ANC ne pourrait pas conserver indéfiniment une position hégémonique et que le pays devait se préparer à entrer dans une « ère des coalitions ». Il y analysait différents scénarios possibles, depuis un gouvernement dominé par la DA jusqu’à des alliances entre l’ANC et d’autres partis, mettant en lumière les risques et opportunités de ces configurations.

Quelques années plus tard, la situation qu’il décrivait s’est en grande partie concrétisée. L’ANC a perdu sa majorité, un gouvernement d’unité nationale a été formé, et la DA a accepté d’y participer, tout en restant, sur de nombreux points, en désaccord avec son partenaire principal. Dans ce contexte, la présence de Schreiber à la tête d’un ministère aussi stratégique que Home Affairs prend une valeur symbolique : celle d’un acteur qui, après avoir théorisé les coalitions, se trouve chargé d’en gérer une des pièces maîtresses au quotidien.

Le ministère de l’Intérieur est, en effet, un excellent observatoire des tensions qui traversent la société sud-africaine. Les questions d’identité, de citoyenneté, de migration, de sécurité des frontières y sont omniprésentes. Les choix opérés sur la manière de délivrer un passeport, d’accorder ou non un visa, de reconnaître un statut de réfugié ou de régulariser un travailleur étranger ont des répercussions concrètes sur la vie des individus, mais aussi sur l’économie, la diplomatie et la cohésion sociale.

Le mandat de Leon Schreiber s’inscrit donc à la jonction de plusieurs dynamiques. Sur le plan intérieur, il doit répondre à l’impatience d’une population qui attend des services publics plus rapides, plus fiables et plus respectueux. Sur le plan économique, il lui revient de montrer que l’Afrique du Sud peut devenir un pays plus accueillant pour les talents et les investissements, sans renoncer à un contrôle rigoureux des entrées. Sur le plan politique, il incarne l’idée qu’une force d’opposition peut, dans un cadre de coalition, prendre des responsabilités exécutives tout en restant fidèle à ses principes annoncés, notamment en matière de réforme de l’État.

L’avenir dira si cette équation peut être tenue. Des premiers bilans dressés par des médias et des analystes, il ressort que des progrès ont été réalisés – qu’il s’agisse de la réduction d’une partie des arriérés, de la relance d’instances comme l’Immigration Advisory Board ou de l’élaboration d’une vision stratégique pour la numérisation – mais que les critiques demeurent vives, notamment sur le taux de refus de visas ou la persistance de longues files d’attente dans certaines antennes.

Pour Leon Amos Schreiber, la fonction de ministre de Home Affairs représente à la fois une opportunité et un risque. Opportunité, parce qu’elle lui permet de mettre en pratique les idées qu’il a défendues pendant des années sur la réforme de la fonction publique, la transparence et la bonne gouvernance. Risque, parce que l’ampleur des problèmes accumulés, l’intensité des controverses autour de l’immigration et la fragilité du cadre de coalition peuvent rapidement transformer ce portefeuille en « chalice empoisonné », selon l’expression utilisée par certains commentateurs.

Quoi qu’il en soit, la trajectoire de ce ministre né en 1988, passé des salles de cours de Stellenbosch et Berlin aux bancs du Parlement, puis à la tête de l’un des ministères les plus sensibles du pays, illustre les mutations en cours en Afrique du Sud. Elle montre comment une nouvelle génération d’acteurs, formée à l’analyse des politiques publiques et aux comparaisons internationales, se retrouve en première ligne pour tenter de réformer des institutions mises à rude épreuve depuis des années. À ce titre, l’action de Leon Schreiber au ministère de Home Affairs constitue un baromètre important de la capacité de l’Afrique du Sud à conjuguer transition politique, modernisation de l’État et respect des droits fondamentaux.

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