Nommée à la tête du ministère chargé des Femmes, de la Jeunesse et des Personnes en situation de handicap dans le nouvel exécutif sud-africain, Lydia Sindisiwe Chikunga s’installe dans un portefeuille dont l’ambition dépasse largement la communication institutionnelle. Au cœur de ce ministère logé dans la Présidence, une promesse récurrente de la démocratie sud-africaine se rejoue : faire entrer l’égalité dans les politiques publiques concrètes, les budgets, les programmes et les résultats mesurables. La ministre arrive à ce poste après un passage remarqué aux Transports, et après plus de vingt ans de vie parlementaire. Son agenda, tel qu’il apparaît dans les documents et prises de parole officielles, met en avant une logique de coordination interministérielle, de suivi par la donnée, et une volonté affichée de transformer des principes en obligations, notamment par la voie législative.
Une nomination dans le contexte du gouvernement d’union nationale
Lydia Sindisiwe Chikunga est officiellement nommée ministre des Femmes, de la Jeunesse et des Personnes en situation de handicap à partir du 3 juillet 2024, date à laquelle les membres du gouvernement d’union nationale prêtent serment. Son entrée en fonction s’inscrit dans la séquence politique ouverte par la formation d’un gouvernement plus large, présenté publiquement fin juin 2024, avec une liste de ministres et de vice-ministres rendue publique.
Le poste qu’elle occupe est rattaché à l’appareil de la Présidence, et le portefeuille couvre trois champs qui se croisent sans toujours se superposer : les droits et l’égalité de genre, les politiques de jeunesse, et la promotion des droits des personnes en situation de handicap. L’existence de ce ministère, ses évolutions de périmètre et son ancrage institutionnel ont varié au fil des administrations, mais il demeure associé à une fonction de pilotage transversal : faire en sorte que les autres départements intègrent ces priorités dans leurs décisions, leurs programmes et leurs mécanismes de redevabilité.
Dans l’architecture gouvernementale, la nomination de Chikunga intervient aussi après un passage au ministère des Transports (du 6 mars 2023 au 19 juin 2024, selon le récapitulatif gouvernemental), qui lui a donné une visibilité au-delà des cercles spécialisés des politiques sociales. Cette trajectoire, combinant responsabilités exécutives et ancienneté parlementaire, est régulièrement mise en avant dans les notices institutionnelles, qui soulignent son entrée au Parlement dès 2004.
Un parcours long : du Parlement aux portefeuilles exécutifs
Les biographies officielles rappellent une carrière politique installée dans la durée. Membre du Parlement sud-africain depuis 2004, Lydia Sindisiwe Chikunga a occupé plusieurs positions dans l’exécutif, souvent comme vice-ministre, avant d’accéder à des postes ministériels de plein exercice. Elle a ainsi été vice-ministre des Transports à deux périodes distinctes (2012–2019 puis 2021–2023), et vice-ministre de la Fonction publique et de l’Administration de 2019 à 2021, avant de devenir ministre des Transports en 2023.
Du côté des institutions, le site officiel du gouvernement détaille également un parcours parlementaire marqué par la participation à des commissions et responsabilités internes, notamment la présidence de la commission parlementaire sur la Police entre 2009 et 2012, ainsi que des passages dans plusieurs comités. La même source relève aussi des responsabilités au sein des structures du parti majoritaire, l’ANC, y compris dans ses branches et organisations associées, éléments fréquemment cités dans les profils de responsables gouvernementaux.
Au-delà de la seule trajectoire politique, la notice gouvernementale mentionne un cursus de formation dans le champ infirmier et universitaire : diplômes et grades en curationis, ainsi que des diplômes en sciences infirmières et en maïeutique, et des études en science politique indiquées comme en cours. Ces éléments sont centraux dans la manière dont l’État présente son profil : une combinaison d’expérience institutionnelle, de travail parlementaire et de formation orientée vers les métiers du soin et de l’administration publique.
Son passage au ministère des Transports précède immédiatement sa nomination au portefeuille Femmes-Jeunesse-Handicap. Sur ce point, les sources institutionnelles convergent sur les dates de nomination et sur la succession de fonctions, ce qui permet de situer la transition comme un mouvement entre un ministère sectoriel très opérationnel et un ministère transversal de pilotage des priorités sociales.
Un ministère transversal : mandat officiel et logique de pilotage
Le Department of Women, Youth and Persons with Disabilities (DWYPD) résume son mandat de manière explicite : conduire la transformation socio-économique et la mise en œuvre de l’autonomisation et de la participation des femmes, des jeunes et des personnes en situation de handicap, en s’appuyant sur quatre leviers principaux cités sur son site : intégration transversale (mainstreaming), plaidoyer, suivi et évaluation. Le même texte fixe la vision d’une société inclusive, libérée des discriminations, permettant l’épanouissement de toutes et tous.
Dans l’organigramme public, le ministère s’articule avec une vice-ministre, Mmapaseka Steve Emily Letsike, mentionnée dans les listes de l’exécutif, ce qui renvoie à une organisation classique de répartition des dossiers et de représentation institutionnelle. La dimension transversale est, de fait, l’une des difficultés historiques de ce portefeuille : il ne s’agit pas seulement de produire des programmes propres, mais d’obtenir des autres départements qu’ils modifient leurs pratiques, leurs indicateurs et parfois leurs chaînes de décision.
Dans ce cadre, la ministre insiste sur des outils de gouvernance : coordination, discipline institutionnelle, et recours à des systèmes de suivi fondés sur des données ventilées. Selon une dépêche de SAnews consacrée à une “feuille de route stratégique”, elle met en avant la nécessité d’intégrer les impératifs liés au genre, à la jeunesse et au handicap dans les cadres de planification et de budgétisation des départements, en renforçant la coordination et la production de preuves. La même source évoque un travail en lien avec Stats SA et des partenaires publics pour renforcer les systèmes de suivi-évaluation-apprentissage, suivre des données désagrégées et faire remonter des retours au niveau des communautés.
Cette logique de pilotage, si elle s’inscrit dans un vocabulaire connu de l’action publique, engage une question concrète : le ministère dispose-t-il des leviers nécessaires pour convertir des objectifs généraux en obligations et en changements mesurables ? Dans ses prises de parole budgétaires, la ministre elle-même place ce sujet au centre, en soulignant l’écart entre l’ampleur du mandat et les ressources disponibles.
Priorités déclarées : jeunesse, emploi, économie et insertion dans l’ère numérique
Lors de son discours de Budget Vote du 12 juillet 2024, Lydia Sindisiwe Chikunga place la jeunesse au rang d’“endowment” majeur du pays et affirme une accélération des efforts d’autonomisation socio-économique des jeunes sur l’exercice budgétaire. Dans cette intervention officielle, plusieurs axes sont cités.
D’abord, l’édification d’un cadre législatif de développement de la jeunesse : le département indique avoir développé un South African Youth Development Act présenté comme une législation-cadre pour la politique de jeunesse, et prévoit des crédits pour continuer à suivre la mise en œuvre de la politique nationale de la jeunesse à travers les trois sphères de gouvernement. Ensuite, le texte mentionne une modification de la loi fondatrice de la National Youth Development Agency (NYDA) afin d’améliorer l’efficacité opérationnelle et la gouvernance de l’agence.
Dans une logique plus programmatique, le discours met en avant des dispositifs d’employabilité et de formation. Il est notamment question d’une initiative “4IR Youth Employment Initiative”, visant à former des jeunes à des compétences associées à la quatrième révolution industrielle, telles que le codage, la robotique, la cybersécurité ou encore la réparation de téléphones portables. L’objectif annoncé est de permettre une participation plus pleine des jeunes à l’économie numérique.
Le discours relie enfin les politiques de jeunesse à des politiques plus larges d’emploi et de parcours d’insertion, en citant des dispositifs nationaux et des chiffres de participation, notamment autour de programmes d’opportunités et de plateformes de placement (comme SA Youth), tout en insistant sur la surreprésentation des jeunes et des jeunes femmes parmi les bénéficiaires. Dans l’architecture institutionnelle sud-africaine, cet accent sur l’emploi des jeunes renvoie à l’un des enjeux sociaux les plus commentés, et justifie la volonté du ministère d’être un acteur de coordination, plutôt qu’un simple observateur.
Au-delà de la jeunesse, le discours de juillet 2024 associe l’autonomisation des femmes, des jeunes et des personnes en situation de handicap à une réflexion sur l’accès aux ressources et à la propriété. Dans les “projets prioritaires” cités, la ministre évoque notamment l’accès à la terre dans le secteur agricole, via une collaboration formalisée par un mémorandum d’entente avec le département alors en charge de l’Agriculture, de la Réforme agraire et du Développement rural. Elle cite également une priorité “économie verte”, avec des actions de formation dans les énergies renouvelables et l’agriculture durable, et mentionne le “Solar Mama Project” comme exemple de formation technique.
Un autre axe mis en avant concerne l’inclusion financière, notamment via la promotion d’institutions financières coopératives, avec l’idée de soutenir l’autonomie économique et de réduire les dépendances qui peuvent renforcer des vulnérabilités sociales. Sans quitter le terrain des déclarations officielles, on voit se dessiner une approche où l’égalité est traitée comme une politique économique au sens large, autant qu’une politique de droits.
Violences de genre, handicap, budgets : la promesse de l’action mesurable face aux contraintes
Le portefeuille Femmes-Jeunesse-Handicap est aussi exposé à l’une des crises sociales les plus aiguës du pays : la violence fondée sur le genre et les féminicides. Dans son discours budgétaire de juillet 2024, Lydia Sindisiwe Chikunga qualifie le phénomène de crise nationale et insiste sur la nécessité de dépasser les slogans pour mettre en œuvre des interventions pratiques, nécessitant des moyens humains et financiers. Elle mentionne, dans ce cadre, la promulgation de la loi créant un National Council on Gender-Based Violence and Femicide, en la nommant comme un acte du Parlement et en soulignant l’urgence de mettre en place l’organe de gouvernance correspondant. Les documents officiels décrivant la loi précisent qu’elle vise à établir un Conseil national, à définir ses objets et fonctions, et à encadrer la nomination de son conseil d’administration, ainsi que divers mécanismes de fonctionnement et de coordination.
Dans le même discours, la ministre attire l’attention sur un point de friction majeur : la contrainte budgétaire. Elle indique qu’une enveloppe limitée est prévue pour l’exécution des travaux du Conseil et annonce l’intention d’engager des discussions avec le Trésor national sur le financement. Cette tension entre ambition institutionnelle et ressources disponibles est récurrente : le discours budgétaire donne des montants d’appropriation et détaille que la part la plus importante est destinée à des transferts vers des entités rattachées, comme la Commission for Gender Equality et la NYDA, tandis que la part opérationnelle du département est nettement plus réduite.
La question de la mise en œuvre revient aussi dans la dépêche SAnews sur la “feuille de route stratégique”. La ministre y défend l’idée que la loi peut faire passer une intention politique à une obligation exécutoire, tout en affirmant que l’évaluation d’un agenda législatif se fait à l’aune de l’application effective. La même source mentionne plusieurs chantiers cités comme en cours ou en préparation, dont un projet de loi sur les droits des personnes en situation de handicap, présenté comme aligné sur la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, et un projet de loi sur le développement de la jeunesse destiné à rationaliser la coordination des politiques publiques.
Sur le handicap, le site du DWYPD et ses rubriques institutionnelles rappellent que l’action du département se veut aussi un dispositif d’intégration transversale des droits, au-delà de programmes ponctuels. Dans l’espace public sud-africain, cette logique se heurte souvent à une réalité administrative : les politiques du handicap sont fréquemment dispersées entre les secteurs (éducation, travail, santé, infrastructures, services publics), ce qui rend la coordination à la fois indispensable et difficile.
Enfin, la séquence politique du gouvernement d’union nationale ajoute une couche de complexité à l’exécution : l’inclusivité gouvernementale, la multiplication des portefeuilles et la recherche d’équilibres institutionnels pèsent sur la capacité d’arbitrage et de priorisation. Sur ce point, des communications gouvernementales sur l’opérationnalisation de ce gouvernement rappellent que la taille et la composition de l’exécutif s’expliquent par le contexte électoral et le choix d’une inclusion politique plus large.
Pour Lydia Sindisiwe Chikunga, l’équation est donc explicitement posée dans les textes officiels : faire du ministère un centre de gravité de la planification, du suivi et de l’obligation de résultats, tout en assumant un mandat qui touche à des réalités sociales lourdes, à des attentes politiques fortes, et à des contraintes financières reconnues publiquement par la ministre elle-même.



