L’annonce de la démission de Thierry de Bailleul, directeur général de Madagascar Airlines, a fait l’effet d’une onde de choc dans le secteur du transport aérien malgache. En poste depuis plusieurs années, le dirigeant français a quitté ses fonctions ce mardi 15 octobre, évoquant un « climat de défiance » devenu incompatible avec la poursuite de sa mission. Son départ intervient après une série de pressions internes, de contestations syndicales et de tensions croissantes autour de la gouvernance de la compagnie nationale. Cette nouvelle crise met en lumière les difficultés structurelles qui minent Madagascar Airlines, dans un contexte économique et social particulièrement fragile.
Une démission sous la pression du personnel
Tout a commencé par une montée de la grogne en interne. Plusieurs représentants du personnel, conduits par le syndicaliste Rado Rabarilala, ont tenu un point de presse à l’aéroport international d’Ivato pour réclamer le départ immédiat de Thierry de Bailleul. Selon eux, le mandat du directeur général aurait pris fin en juillet dernier et sa reconduction se serait faite dans l’opacité la plus totale. Ils reprochent également à la direction de s’être entourée d’un cercle restreint de collaborateurs étrangers, dont la présence prolongée à des postes-clés aurait alimenté un sentiment d’exclusion parmi les employés malgaches.
Face à cette contestation grandissante, le ton s’est durci. Le syndicat a fixé une date butoir au vendredi 17 octobre pour le départ du directeur général et de son équipe, menaçant de ne plus exécuter leurs instructions au-delà de cette échéance. Cette fronde traduit un malaise profond au sein de la compagnie, où les employés disent ne plus se reconnaître dans la gouvernance actuelle, jugée distante et peu transparente.
Dans un communiqué diffusé peu après ces événements, Thierry de Bailleul a annoncé sa démission immédiate, justifiant sa décision par « l’impossibilité de poursuivre sa mission dans un climat de défiance et de blocage ». Il a précisé avoir proposé que le comité exécutif assure collégialement la direction de la compagnie, dans l’attente d’une décision du conseil d’administration. L’objectif affiché : garantir la continuité des opérations et éviter toute rupture dans la gestion quotidienne.
Une gouvernance contestée et des tensions récurrentes
Cette crise n’est pas un épisode isolé dans l’histoire récente de Madagascar Airlines. Depuis sa création, la compagnie nationale a souvent été secouée par des changements de direction, des tensions internes et des difficultés financières récurrentes. L’arrivée de Thierry de Bailleul, ancien cadre d’Air France et expert reconnu du secteur aérien, avait initialement suscité l’espoir d’une stabilisation. Cependant, son style de management, jugé trop vertical par certains, et la lenteur des réformes engagées ont progressivement érodé la confiance du personnel.
La contestation actuelle repose sur un enjeu de gouvernance. Les syndicats dénoncent une prise de décision centralisée et un manque de transparence dans la gestion du plan de redressement « Phœnix 2030 », soutenu par la Banque mondiale. Selon eux, les employés ne sont pas suffisamment impliqués dans les discussions stratégiques, alors même que leur adhésion est essentielle à la réussite du plan. Plusieurs sources internes évoquent également des tensions entre le conseil d’administration et la direction générale, liées à des divergences sur la stratégie de restructuration de la flotte et la gestion des ressources humaines.
Pour les observateurs, cette instabilité chronique compromet la crédibilité de Madagascar Airlines auprès de ses partenaires institutionnels. Dans le monde du transport aérien, la confiance des bailleurs, des compagnies partenaires et des autorités de régulation repose en grande partie sur la stabilité du management et la clarté des orientations stratégiques. Or, la succession de crises internes mine cette confiance et freine la mise en œuvre des réformes indispensables.
Les conséquences d’une instabilité managériale
Le départ de Thierry de Bailleul intervient à un moment critique pour la compagnie. Madagascar Airlines traverse une phase délicate de son plan de redressement, baptisé « Phœnix 2030 », censé moderniser la flotte, améliorer la rentabilité et restaurer la compétitivité internationale de la compagnie. Ce programme, soutenu financièrement par la Banque mondiale, repose sur une exigence claire : la stabilité de la gouvernance.
Dans son message d’adieu, le directeur sortant a d’ailleurs souligné les risques d’une instabilité prolongée. Selon lui, la perte de confiance des bailleurs de fonds pourrait remettre en cause les financements nécessaires au redressement de la compagnie. La Banque mondiale, en particulier, conditionne son soutien à la mise en œuvre effective des réformes structurelles, notamment la rationalisation des coûts, la modernisation des appareils et la professionnalisation du management.
À court terme, cette démission risque de désorganiser la chaîne de décision. Le comité exécutif, chargé temporairement d’assurer la continuité, devra gérer la transition dans un climat de tension sociale et de fragilité financière. Les employés réclament davantage de transparence et un recrutement national à la tête de la compagnie, tandis que les autorités malgaches, conscientes des enjeux diplomatiques et économiques, devront arbitrer avec prudence.
Cette instabilité pourrait aussi avoir des répercussions sur les opérations commerciales. Madagascar Airlines, déjà confrontée à une concurrence accrue des compagnies étrangères sur les liaisons régionales et internationales, ne peut se permettre de perdre davantage de parts de marché. Les voyageurs, sensibles à la fiabilité et à la ponctualité, pourraient se tourner vers des transporteurs plus stables, aggravant ainsi les difficultés financières de la compagnie.
Le poids des attentes et la fragilité du transport aérien malgache
Au-delà du cas de Madagascar Airlines, cette crise met en lumière les défis structurels du transport aérien à Madagascar. Le pays, vaste et insulaire, dépend fortement de l’avion pour ses communications intérieures et internationales. Or, les compagnies locales, souvent fragiles, peinent à répondre à la demande croissante du tourisme et du commerce. Les coûts d’exploitation élevés, la dépendance aux importations de carburant, et la faiblesse des infrastructures aéroportuaires pèsent lourdement sur leur rentabilité.
Madagascar Airlines, issue de la fusion d’Air Madagascar et de Tsaradia, devait symboliser une nouvelle ère : celle d’une compagnie nationale modernisée, efficiente et tournée vers l’avenir. Mais la transition s’est avérée complexe. Les héritages structurels des anciennes entités, les dettes accumulées et les résistances internes ont freiné les réformes. La pandémie de Covid-19, qui a cloué les avions au sol pendant de longs mois, a aggravé la situation financière, laissant la compagnie dans une position de grande vulnérabilité.
Le plan « Phœnix 2030 » avait pourtant suscité l’espoir d’un renouveau. Avec l’appui de la Banque mondiale et d’autres partenaires techniques, il visait à repositionner Madagascar Airlines comme un acteur régional compétitif, capable d’assurer la desserte intérieure et de maintenir les liaisons internationales stratégiques. Mais sans stabilité au sommet, la mise en œuvre de ce plan risque de s’enliser. Les investisseurs internationaux, déjà prudents, pourraient suspendre leurs engagements, retardant davantage la relance du secteur aérien malgache.
Vers une recomposition de la direction et la recherche d’un nouvel équilibre
La question de la succession de Thierry de Bailleul se pose désormais avec acuité. Le conseil d’administration devra désigner rapidement un nouveau directeur général capable de rétablir la confiance, tant en interne qu’auprès des partenaires institutionnels. Plusieurs voix au sein du personnel plaident pour une nomination nationale, estimant qu’un dirigeant malgache serait mieux à même de comprendre les réalités locales et de restaurer la cohésion sociale au sein de la compagnie. D’autres, au contraire, insistent sur la nécessité de recruter un profil international, doté d’une solide expérience du secteur aérien et capable de dialoguer avec les bailleurs.
Ce choix sera déterminant pour l’avenir de Madagascar Airlines. Le prochain dirigeant devra relever plusieurs défis simultanément : apaiser le climat social, garantir la continuité du plan de redressement, et restaurer la crédibilité de la compagnie sur le plan international. Il devra également composer avec des contraintes budgétaires sévères et un environnement concurrentiel de plus en plus exigeant.
Sur le plan politique, les autorités malgaches sont appelées à jouer un rôle de médiation. Le transport aérien étant un secteur stratégique pour le pays, toute déstabilisation prolongée aurait des conséquences directes sur le tourisme, les échanges commerciaux et la connectivité nationale. Une concertation entre le gouvernement, les syndicats, le conseil d’administration et les partenaires internationaux apparaît indispensable pour éviter un enlisement.
La reconstruction de Madagascar Airlines passera inévitablement par un travail de fond sur la gouvernance. Transparence, responsabilité et dialogue social doivent redevenir les piliers de la gestion interne. La compagnie, symbole du pavillon national, ne peut se permettre d’être affaiblie par des querelles internes. Son redressement est une question non seulement économique, mais aussi de souveraineté et d’image pour Madagascar.
Une crise révélatrice d’un modèle à repenser
En définitive, la démission de Thierry de Bailleul dépasse le cadre d’un simple changement de direction. Elle révèle les fragilités d’un modèle de gestion hybride, partagé entre ambitions internationales et réalités locales. Elle met aussi en lumière la nécessité d’un véritable projet collectif, fondé sur la compétence, la transparence et l’inclusivité. Sans un sursaut managérial et politique, Madagascar Airlines risque de s’enliser dans un cycle de crises à répétition, compromettant sa mission de service public et son rôle de moteur du développement national.
Pour sortir de cette impasse, la compagnie devra non seulement restaurer la confiance du personnel, mais aussi celle des partenaires et du public. Le transport aérien, vital pour l’économie malgache, mérite une stratégie cohérente et durable, loin des luttes d’influence et des instabilités de gouvernance. C’est à ce prix que Madagascar Airlines pourra espérer renaître, fidèle à l’esprit du plan « Phœnix 2030 » qui porte bien son nom : celui d’une résurrection patiente, exigeante et porteuse d’avenir.



