La décision de l’agence S&P Global Ratings de maintenir la note souveraine de Madagascar à “B-/B” tout en la plaçant “sous surveillance avec implications négatives” marque un tournant délicat pour l’économie de la Grande Île. Ce signal adressé aux créanciers et investisseurs internationaux met en lumière les fragilités économiques, politiques et institutionnelles du pays, à un moment où la stabilité nationale est plus que jamais sous tension. Derrière cette notation, se dessine une question centrale : Madagascar parviendra-t-elle à restaurer la confiance de ses partenaires financiers dans un contexte de transition politique incertaine ?
Une notation maintenue, mais sous le signe de la méfiance
L’agence S&P Global Ratings a confirmé, vendredi, la note de crédit souverain de Madagascar à long et court terme en devises locales et étrangères à “B-/B”. Toutefois, cette décision s’accompagne d’un placement sous “CreditWatch” avec des “implications négatives”, traduisant une vigilance accrue vis-à-vis de l’évolution de la situation politique et économique du pays.
Dans le jargon financier, une notation “B-/B” est déjà considérée comme spéculative. Elle signifie qu’un État présente un risque de crédit élevé, avec une capacité limitée à faire face à ses obligations financières en cas de conditions économiques défavorables. Le fait d’être placé sous surveillance indique que S&P estime possible, à court terme, une dégradation supplémentaire de la note, en cas d’aggravation de la conjoncture ou de persistance des incertitudes.
L’agence a parallèlement abaissé la note de transfert et de convertibilité de “B” à “B-”, traduisant un risque accru concernant la capacité du pays à convertir sa monnaie nationale en devises étrangères, et donc à honorer sa dette externe. Pour les investisseurs, cette double évaluation agit comme un thermomètre de la confiance : plus la note baisse, plus le coût de financement du pays sur les marchés internationaux augmente, rendant plus difficile l’accès à de nouvelles ressources.
Une transition politique source d’inquiétude économique
Au cœur de la décision de S&P se trouve la situation politique actuelle de Madagascar. L’agence estime que “l’instabilité actuelle entravera l’élaboration des politiques, du moins dans un avenir proche, pèsera sur les performances économiques et budgétaires, et pourrait limiter l’accès du pays aux financements externes des donateurs officiels”.
Le pays traverse une période de transition marquée par des tensions institutionnelles et une incertitude prolongée sur la direction politique future. Ce contexte fragilise la confiance des investisseurs et des bailleurs, qui observent avec prudence l’évolution des événements. L’absence de continuité claire dans la gouvernance, notamment en matière de politique économique et budgétaire, compromet la mise en œuvre des réformes structurelles attendues par les partenaires de développement.
Cette instabilité risque également de peser sur la croissance économique, déjà modérée, et sur les efforts d’assainissement budgétaire engagés avec le soutien du Fonds monétaire international (FMI). Sans cap politique stable, la Grande Île peine à maintenir la cohérence de ses politiques publiques et à garantir la transparence dans la gestion des finances publiques.
Les implications économiques et financières de la mise sous surveillance
Le placement de Madagascar “sous surveillance avec implications négatives” constitue une alerte pour les institutions financières internationales. Cette mesure signifie que S&P pourrait réviser la note à la baisse si la situation politique et économique venait à se détériorer davantage.
Une telle éventualité aurait plusieurs conséquences. D’abord, elle pourrait accroître le coût de l’endettement du pays sur les marchés internationaux. Ensuite, elle pourrait retarder ou réduire les décaissements prévus par les bailleurs de fonds, qui conditionnent souvent leur aide à la stabilité institutionnelle et au respect des engagements pris.
L’agence souligne en effet que des retards dans l’accès aux financements extérieurs concessionnels ou liés à des projets sont probables. Le processus constitutionnel n’ayant pas été pleinement respecté selon S&P, certains partenaires, tels que la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, l’Union européenne ou encore les agences de coopération japonaise et française, pourraient reconsidérer leurs engagements à court terme.
Le pays dépend pourtant largement de ces financements pour soutenir ses programmes sociaux, ses infrastructures et la stabilité de sa balance des paiements. Toute suspension ou réduction des appuis extérieurs risquerait d’aggraver les déséquilibres macroéconomiques, d’alourdir la pression sur la monnaie nationale et d’affecter les réserves de change.
Une économie sous pression mais une dette encore soutenable
Malgré ces signaux négatifs, S&P reconnaît quelques points de résistance dans la situation financière de Madagascar. Le niveau d’endettement du pays demeure modéré, et la composition de la dette publique est jugée relativement favorable. En effet, plus de 80 % de la dette extérieure malgache est concessionnelle, c’est-à-dire octroyée à des conditions avantageuses par des institutions multilatérales telles que le FMI ou la Banque mondiale.
Cette structure limite le risque de défaut immédiat, car elle offre des échéances longues et des taux d’intérêt faibles. La dette commerciale extérieure, plus risquée, reste marginale dans le total de la dette publique. Ce profil donne encore à Madagascar une certaine marge de manœuvre pour honorer ses engagements, à condition de maintenir la discipline budgétaire et la transparence dans la gestion publique.
Cependant, cette apparente soutenabilité ne saurait masquer les vulnérabilités profondes du pays : une dépendance excessive à l’aide extérieure, une base fiscale étroite, une économie peu diversifiée et exposée aux chocs climatiques. Ces facteurs limitent la capacité de l’État à absorber de nouvelles tensions financières sans compromettre la stabilité macroéconomique.
Perspectives à court terme : entre incertitudes politiques et enjeux de confiance
S&P Global Ratings indique qu’elle pourrait revoir la situation de Madagascar dans les trois prochains mois, après évaluation des développements politiques et économiques. L’agence se montre ouverte à une stabilisation de la note si la transition politique s’effectue dans le respect des institutions, si la continuité administrative est assurée et si les engagements financiers du pays sont maintenus sans incident.
Le scénario inverse, en revanche, serait plus préoccupant. En cas de blocage politique prolongé, de retards dans l’accès aux financements extérieurs ou de tensions budgétaires accrues, la note pourrait être abaissée à un niveau encore plus spéculatif. Cela placerait Madagascar dans une position de fragilité extrême face aux marchés internationaux et pourrait compromettre les programmes d’aide et de développement en cours.
Les institutions internationales observent donc avec attention la capacité du pays à surmonter ses divisions politiques et à poursuivre les réformes engagées. La récente approbation par le FMI des deuxièmes revues de la Facilité élargie de crédit (FEC) et de la Facilité pour la résilience et la durabilité (FRD) constitue un signal encourageant, mais encore fragile. Ces dispositifs visent à renforcer la stabilité macroéconomique et à financer la transition écologique, mais leur pérennité dépendra du respect des engagements politiques et budgétaires du gouvernement.
Une confiance internationale à reconquérir
La notation de crédit ne se limite pas à un exercice technique : elle reflète la perception internationale de la fiabilité d’un État. En maintenant la note “B-/B” tout en plaçant le pays sous surveillance, S&P envoie un message clair : Madagascar doit restaurer la confiance.
Pour y parvenir, plusieurs leviers sont essentiels. D’abord, assurer une transition politique apaisée, conforme aux règles constitutionnelles, et garantir la stabilité institutionnelle. Ensuite, renforcer la transparence budgétaire et la gouvernance publique, deux conditions clés pour maintenir la confiance des bailleurs. Enfin, relancer une croissance inclusive, capable de réduire la pauvreté et de diversifier les sources de revenus nationaux.
Madagascar dispose d’atouts : une jeunesse dynamique, des ressources naturelles abondantes et une position géographique stratégique dans l’océan Indien. Cependant, sans stabilité politique et sans crédibilité financière, ces potentialités resteront inexploitables. Les mois à venir seront donc décisifs. Ils détermineront si la Grande Île parvient à se hisser à la hauteur des attentes internationales ou si elle s’enfonce dans une spirale d’instabilité et de méfiance.
Conclusion : une épreuve de stabilité et de responsabilité
La décision de S&P Global Ratings constitue bien plus qu’une simple notation financière : elle agit comme un baromètre de la gouvernance nationale. Elle rappelle que la confiance économique et politique se construit sur la prévisibilité, la continuité institutionnelle et la responsabilité budgétaire.
Madagascar se trouve à un carrefour : préserver la stabilité, rassurer ses partenaires et maintenir l’accès aux financements nécessaires à son développement, ou, à l’inverse, laisser s’installer un climat d’incertitude qui risquerait d’aggraver sa vulnérabilité économique.
La “surveillance avec implications négatives” est donc un avertissement, mais aussi une opportunité. Celle de démontrer que la Grande Île peut concilier transition politique et rigueur économique, et prouver à la communauté internationale que sa parole financière demeure digne de confiance.



