Qui est Gwede Mantashe, l’homme politique ?

L’Afrique du Sud est assise sur l’un des sous-sols les plus riches de la planète, des mines de charbon aux gisements de platine, d’or ou de chrome, sans oublier les perspectives pétrolières et gazières. À la croisée de ces enjeux économiques, sociaux et environnementaux se trouve aujourd’hui Gwede Samson Mantashe, ministre des Ressources minérales et pétrolières depuis le 3 juillet 2024.

Ancien syndicaliste devenu figure de proue de l’ANC, ex-secrétaire général du parti, Mantashe concentre sur son portefeuille une partie des grandes tensions sud-africaines : dépendance au charbon, lente transition énergétique, crise de l’électricité, pression internationale sur le climat, chômage massif dans les bassins miniers, mais aussi soupçons de corruption hérités de l’ère de la « capture de l’État ».

Loin d’être un technocrate discret, le ministre est un acteur central de la vie politique sud-africaine. Ses prises de position sur le rythme de la transition énergétique, sa défense des intérêts miniers et ses démêlés répétés avec la justice font de lui une personnalité incontournable, mais contestée. Portrait et décryptage d’un responsable public au cœur des contradictions du modèle sud-africain.

Des racines rurales à la direction du secteur minier

Gwede Samson Mantashe naît le 21 juin 1955 au village de Lower Cala, dans l’ancienne région du Transkei, aujourd’hui intégrée à la province du Cap-Oriental. Issu d’un milieu rural et modeste, il est marqué très tôt par les réalités sociales de l’Afrique du Sud sous l’apartheid. Sa première socialisation politique passe par le Student Christian Movement, un mouvement étudiant chrétien où il débute comme militant.

Comme de nombreux futurs cadres de l’ANC, c’est dans le monde du travail et le syndicalisme qu’il forge sa trajectoire. Il rejoint la mine de Matla Colliery, où il adhère au National Union of Mineworkers (NUM), syndicat emblématique des mineurs sud-africains, proche de l’ANC et moteur des luttes contre l’apartheid dans les années 1980.

En 1988, Mantashe devient organisateur à plein temps pour le NUM. Il gravit ensuite tous les échelons : assistant du secrétaire général Kgalema Motlanthe à partir de 1994, puis secrétaire général du syndicat entre 1998 et 2006. Dans ces fonctions, il pèse sur les négociations avec les compagnies minières, sur les conditions de travail dans les mines et sur le rôle du syndicalisme dans la nouvelle démocratie sud-africaine. Il siège également au comité central et au politburo du Parti communiste sud-africain (SACP), allié traditionnel de l’ANC.

Après avoir cédé son poste de secrétaire général du NUM à Frans Baleni en 2006, Mantashe travaille quelque temps à la Development Bank of Southern Africa, une institution publique de financement du développement. Parallèlement, il poursuit des études supérieures : il obtient en 2008 un master de sociologie industrielle à l’université du Witwatersrand, puis, en 2021, un MBA au Management College of Southern Africa.

Son ascension politique au sein de l’ANC s’accélère au milieu des années 2000. En décembre 2007, lors de la conférence de Polokwane qui consacre Jacob Zuma à la tête du parti, Mantashe est élu secrétaire général de l’ANC, poste stratégique qu’il occupe pendant dix ans, jusqu’en décembre 2017. Il devient ensuite président national (national chairperson) de l’ANC à partir de décembre 2017, fonction qu’il continue d’exercer en parallèle de son rôle gouvernemental.

Sur le plan personnel, il est marié à Nolwandle Mantashe, infirmière de profession, et le couple a quatre enfants adultes. En 2021, il perd sa sœur cadette, la députée Tozama Mantashe, décédée de complications liées au Covid-19. Ces éléments contribuent à forger l’image publique d’un responsable politique de longue date, solidement enraciné dans les structures de l’ANC, du syndicalisme minier et du SACP.

Un portefeuille stratégique au cœur de l’économie sud-africaine

Sur le plan gouvernemental, Gwede Mantashe est nommé pour la première fois ministre en février 2018. Le président Cyril Ramaphosa, tout juste arrivé au pouvoir après la démission de Jacob Zuma, lui confie alors le portefeuille des Ressources minérales. Il prend la tête d’un ministère ancien et central dans l’appareil d’État sud-africain, chargé de réguler l’un des secteurs phares de l’économie.

Après les élections générales de mai 2019, Ramaphosa fusionne les portefeuilles des Ressources minérales et de l’Énergie. Mantashe devient ministre des Ressources minérales et de l’Énergie le 29 mai 2019, poste qu’il occupe jusqu’au 19 juin 2024. En 2024, à la suite des élections et d’un réaménagement de l’exécutif, les fonctions sont à nouveau scindées : un ministère de l’Électricité et de l’Énergie est confié à Kgosientsho Ramokgopa, tandis que Mantashe reste au gouvernement en tant que ministre des Ressources minérales et pétrolières à compter du 3 juillet 2024.

Le ministère qu’il dirige s’inscrit dans le périmètre plus large du Department of Mineral Resources and Energy (DMRE), dont la mission est de promouvoir un secteur minier et énergétique qui soutienne la croissance économique, l’emploi, l’équité sociale et la durabilité environnementale. Le département est structuré en plusieurs programmes, notamment la régulation minière, la politique énergétique, la promotion de la transformation et la réhabilitation environnementale des sites miniers.

La branche de régulation minière a pour fonction de délivrer les permis, d’encadrer les droits miniers, de contrôler les opérations d’extraction et de veiller au respect des règles de sécurité, aux objectifs de transformation et aux exigences de développement durable. Elle joue aujourd’hui un rôle crucial dans l’intégration d’entreprises historiquement défavorisées dans le secteur, conformément aux politiques de redressement économique post-apartheid.

Dans le domaine énergétique, le DMRE reste, malgré la création d’un ministère dédié à l’électricité, un acteur clé de la sécurité d’approvisionnement du pays en électricité et en carburants liquides, un objectif inscrit dans le Plan national de développement à l’horizon 2030. L’Afrique du Sud, fortement dépendante du charbon pour sa production d’électricité, doit en effet concilier impératifs de croissance, crise chronique du réseau électrique et pressions nationales et internationales en faveur de la décarbonation.

En 2025, le portefeuille de Mantashe s’étend brièvement au-delà de ses domaines habituels : en juillet, le président Ramaphosa le nomme ministre de la Police par intérim, à la suite de la suspension du titulaire du poste, Senzo Mchunu, visé par des allégations de corruption. Cet intérim illustre le poids politique de Mantashe au sein du gouvernement et sa proximité avec la présidence, mais aussi la confiance que lui accorde encore une partie de l’exécutif malgré les controverses qui l’entourent.

Charbon, climat et transition « juste » : une ligne de crête

Le nom de Gwede Mantashe est indissociable du débat sud-africain sur la transition énergétique. À la tête du ministère des Ressources minérales et de l’Énergie entre 2019 et 2024, il se trouve au centre de la discussion sur l’avenir du charbon, dont l’Afrique du Sud demeure l’un des plus importants producteurs et consommateurs.

En 2023, lors d’un sommet du Black Business Council, il explique que le pays poursuivra une trajectoire de réduction des émissions de carbone, mais en veillant à ce que les populations les plus vulnérables ne soient pas laissées de côté. Ce discours s’inscrit dans le concept de « transition énergétique juste », qui vise à concilier lutte contre le changement climatique et justice sociale dans les régions dépendantes du charbon.

Sur la scène internationale, Mantashe met également en avant la nécessité d’un équilibre entre les impératifs environnementaux et les priorités de développement. En mai 2025, à l’Africa CEO Forum à Abidjan, des responsables sud-africains plaident pour une transition « abordable et équilibrée », et le ministre souligne l’asymétrie entre les faibles émissions africaines et la forte pression exercée sur le continent pour se décarboner. Il critique notamment l’idée que l’Afrique doive supporter des taxes carbone quand de grands émetteurs comme les États-Unis, la Chine ou la Russie ne sont pas soumis aux mêmes contraintes.

Cette posture reflète une tension réelle : le pays souffre de pannes d’électricité récurrentes, d’un chômage massif et d’une dépendance aigue à un charbon qui fait vivre des régions entières, tout en étant particulièrement exposé aux impacts climatiques. Des études récentes sur la transition juste en Afrique du Sud rappellent que la sortie du charbon suppose non seulement une évolution du mix énergétique, mais aussi la reconversion de milliers de travailleurs, des investissements importants dans les compétences et les infrastructures, et des dispositifs de protection sociale renforcés.

Dans ce contexte, les déclarations de Mantashe sont régulièrement perçues comme prudentes, voire hésitantes, vis-à-vis d’un abandon rapide du charbon. En 2022, il admet publiquement que la transition énergétique est « l’avenir » pour l’Afrique du Sud, tout en insistant sur le fait que celle-ci doit être pilotée de manière à préserver la sécurité d’approvisionnement et l’économie nationale.

Les débats autour du partenariat pour une transition énergétique juste (JETP), conclu avec plusieurs pays donateurs, illustrent ces tensions. L’annonce du retrait des États-Unis du dispositif en 2025, alors que Washington était l’un des principaux contributeurs, a fragilisé les perspectives de financement de la transition en Afrique du Sud. Le gouvernement sud-africain, dont Mantashe est une voix influente, met en avant la nécessité de mécanismes de financement plus stables et mieux adaptés aux réalités socio-économiques du pays.

Les discussions sur la fermeture et la reconversion de centrales à charbon comme celle de Komati, dans la province de Mpumalanga, illustrent concrètement les difficultés à concilier objectifs climatiques, maintien de l’emploi et réduction de la pauvreté. Des reportages soulignent qu’une partie des habitants des « coal belt towns » se sentent marginalisés par la transition, malgré des projets de reconversion et de formation. Dans ce paysage, la ligne de Mantashe, centrée sur la protection des emplois et de la base industrielle, reste controversée mais structurante.

Mines illégales, sécurité et fractures sociales du sous-sol

Outre la transition énergétique, Gwede Mantashe fait face à un autre défi majeur : l’ampleur croissante de l’exploitation minière illégale. Ce phénomène, lié à la pauvreté, au chômage et à la criminalité organisée, touche de nombreux sites miniers abandonnés ou encore en activité en Afrique du Sud.

En 2024, une crise retentissante éclate à la mine d’or de Buffelsfontein, où des centaines de mineurs illégaux sont coincés sous terre pendant des semaines, dans des conditions extrêmement difficiles. Plus de cent d’entre eux sont finalement secourus et immédiatement arrêtés, tandis que des centaines d’autres restent encore piégés au moment des premières opérations de sauvetage.

La mission de sauvetage, menée par des services privés de secours minier, se déroule sous la supervision des autorités et en vertu d’un ordre de justice invoquant des impératifs humanitaires. Son coût, estimé à plusieurs centaines de milliers de dollars, suscite de vifs débats sur la responsabilité financière et morale de l’État et des compagnies minières face à ces situations.

Gwede Mantashe, en tant que ministre en charge des mines, adopte une position ferme : tout en reconnaissant la gravité de la situation, il affirme que les mineurs illégaux doivent répondre de leurs actes devant la justice. Cette approche est critiquée par des défenseurs des droits humains, qui dénoncent les conditions inhumaines dans lesquelles les mineurs ont été maintenus sous terre et l’insuffisance de la réponse étatique. Un juge va jusqu’à qualifier cet épisode de possible « l’un des points les plus sombres » de l’histoire récente du pays.

Cette crise met en lumière la complexité du mandat du ministère des Ressources minérales et pétrolières : il doit à la fois garantir la sécurité et la légalité des opérations, lutter contre les réseaux criminels qui exploitent les sites abandonnés, protéger les travailleurs et les communautés locales, et veiller à la réhabilitation des mines désaffectées pour éviter qu’elles ne deviennent des foyers de danger et de pollution. Les documents officiels du DMRE rappellent que la réhabilitation des sites miniers et la sécurité des populations environnantes font partie intégrante de la mission du département.

La situation à Buffelsfontein illustre également les limites de la régulation minière dans un contexte de fortes inégalités socio-économiques. L’essor de l’exploitation illégale de l’or et d’autres minerais est souvent analysé comme un symptôme d’un système où, face à l’absence d’emplois stables et de perspectives économiques, des milliers de personnes se tournent vers une activité clandestine, dangereuse et encadrée par des gangs violents.

Pour Mantashe, comme pour le gouvernement, la question de l’illégalité minière s’inscrit donc dans un triptyque complexe : sécurité, justice sociale et intégrité du secteur officiel. Les décisions prises en matière de régulation, de contrôle des sites et de politique pénale sont scrutées par l’opinion publique, les organisations internationales et les investisseurs.

Bosasa, commission Zondo et longues batailles judiciaires

Au-delà des enjeux de politique minière et énergétique, Gwede Mantashe est au cœur d’un feuilleton judiciaire qui s’inscrit dans la longue séquence de la « capture de l’État » révélée par la commission Zondo. Les investigations de cette commission, chargée d’enquêter sur les réseaux de corruption et d’influence qui ont marqué les années Zuma, ont mis en cause de nombreux responsables politiques et économiques, dont Mantashe.

Les conclusions de la commission Zondo évoquent des avantages reçus de l’entreprise de services Bosasa, notamment des installations de sécurité dans des propriétés qui auraient été financées ou organisées par la société. Sur cette base, la commission recommande l’ouverture d’une enquête pénale à l’encontre de Mantashe, sans pour autant le déclarer coupable : l’objectif est de permettre au système judiciaire de se prononcer.

Le ministre conteste vigoureusement ces conclusions. Il saisit la Haute Cour de Johannesburg pour demander l’annulation des constats défavorables de la commission le concernant. En octobre 2025, cette tentative se solde par un revers : la cour rejette sa demande et confirme la validité des recommandations de la commission Zondo en ce qui concerne Bosasa.

Ce jugement marque une étape importante. Pour la commission, défendue publiquement par l’ancien président de la Cour constitutionnelle Raymond Zondo, l’enjeu est de consolider le travail d’enquête et de s’assurer que les recommandations d’investigations pénales ne soient pas démantelées par des recours successifs. Zondo insiste sur le fait que la commission n’a pas déclaré Mantashe coupable, mais a estimé que les éléments rassemblés justifiaient une enquête approfondie.

De son côté, Mantashe engage une nouvelle bataille judiciaire en demandant l’autorisation de faire appel de la décision de la Haute Cour. Au moment où les derniers documents de procédure sont déposés, il est toujours ministre des Ressources minérales et pétrolières, ce qui confère à cette affaire une dimension éminemment politique.

Ce dossier Bosasa contribue à nourrir les critiques à l’égard de Mantashe, présenté par certains comme l’un des symboles de la continuité d’un ANC affaibli par les scandales de corruption. Pour ses défenseurs, le fait qu’aucune condamnation pénale n’ait été prononcée à son encontre doit inciter à la prudence et à respecter la présomption d’innocence, en attendant l’issue des procédures. Les documents publics disponibles montrent en tout cas que la justice sud-africaine continue d’examiner le dossier, dans un pays où la demande de reddition de comptes reste forte après les années de capture de l’État.

Un acteur central d’une Afrique du Sud en transition

À la croisée de sa longue histoire syndicale, de ses responsabilités au sein de l’ANC et de son rôle gouvernemental, Gwede Samson Mantashe incarne une partie des contradictions de l’Afrique du Sud contemporaine. Son ministère se situe au point de jonction entre les impératifs de croissance économique, la nécessité d’attirer des investissements dans le secteur minier et pétrolier, la pression pour transformer un secteur historiquement dominé par des élites blanches, les engagements climatiques internationaux et l’urgence sociale dans les régions minières.

Sur la scène internationale, il défend l’idée que la transition énergétique du continent doit être financée de manière juste et réaliste, que l’accès à une électricité fiable pour des centaines de millions d’Africains reste une priorité et que les pays riches doivent assumer une plus grande part du coût de la décarbonation mondiale. En interne, il se fait le porte-voix d’un discours qui insiste sur la protection des emplois et de la base industrielle, tout en acceptant, au moins dans les principes, la nécessité d’une trajectoire vers des émissions plus faibles.

Dans le même temps, ses positions sur le charbon, sa gestion des crises comme celle des mines illégales et les affaires judiciaires liées à Bosasa en font une figure divisive. Les documents officiels, les décisions de justice et les analyses sur la transition énergétique en Afrique du Sud montrent un paysage institutionnel et politique en recomposition, où l’action du ministre et les débats autour de son rôle sont appelés à rester au centre de l’actualité.

À l’heure où l’Afrique du Sud cherche à redéfinir son modèle énergétique, à lutter contre la pauvreté et les inégalités, et à tourner la page de la capture de l’État, le parcours de Gwede Samson Mantashe, entre syndicalisme minier, direction de l’ANC et pilotage des ressources minérales et pétrolières, illustre la difficulté de concilier mémoire des luttes, exigences de transparence et défis d’un avenir plus durable. Ses décisions, ses prises de position et les jugements à venir dans les dossiers qui le concernent continueront de peser sur l’évolution du secteur et, plus largement, sur la trajectoire de la démocratie sud-africaine.

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